En chemin pour le terrain de sport, accompagnée d'Amanda et Julie, Marlène se demanda quel genre d'activités sportives les magiciens pratiquaient. Sa surprise fut grande en découvrant les aménagements. Les magiciens faisaient du basket, du football, du handball, du baseball. Il y avait une piscine pour la natation, des courts de tennis et des endroits protégés du vent pour le badminton.
- C'est ça, le sport ? s'exclama Marlène.
- Évidemment ! répliqua Julie. Tu t'attendais à quoi ? À des gars sur des balais qui lancent des balles dans des trous à vingt mètres de haut ?
- Non ! Au PBM !
Julie et Amanda explosèrent de rire mais cessèrent en constatant que Marlène ne blaguait pas.
- Mais enfin Marlène, le PBM, c’est pour l’élite. Rares sont les magiciens assez doués pour le pratiquer. Aucune de nous sera jamais capable de s’élever dans les airs…
- Ou de créer une bille de peinture…
- Ou un bouclier protecteur… se répondirent les filles.
- Nous sommes complètement vidées après nos cours du matin, annonça Julie. Nous n’allons pas le gaspiller dans du sport. Le but est de délasser le corps, pas d’utiliser encore la magie !
Vidées ? répéta Marlène. Elle n’utilisait sa magie qu’à activer le traducteur et cela ne lui prenait presque rien. En dehors de ça, elle ne l’utilisait pas. Que faisaient Julie et Amanda qui leur prenait tant d’énergie ?
- Si le PBM t’intéresse, regarde ! s’exclama Julie en pointant fort impoliment un garçon au loin.
Il avançait rapidement, sans s’intéresser aux regards insistants pesant sur lui.
- C’est Miraël Fawzi. Il joue dans l’équipe de l’école. Un jour, il intégrera les Lucioles ! expliqua Julie tandis qu’Amanda se montrait muette. Début novembre commencera la saison de PBM étudiante. Les équipes de chaque école s'affronteront, comme dans les tournois nationaux. Tu verras. C'est super !
- Tu as intérêt à t'améliorer si tu veux pouvoir en profiter ! lança Amanda.
- Pourquoi ? interrogea Marlène.
- Parce que pour suivre le PBM, il faut une gnosie active et bien contrôlée, annonça Julie.
Marlène fit la moue et ne vit pas le clin d'œil que Julie envoya à Amanda dans son dos.
- Allez, assez parlé de magie. On fait quoi ? Marlène, tu choisis !
Marlène n’avait jamais aimé le sport. Aucun. Elle réfléchit. Elle aimait être seule. Pas de jeu d’équipe. Elle observa autour d’elle et finit par annoncer :
- Tennis.
- La prochaine fois, dit Julie sur un ton enjoué, je choisis et ça ne sera pas le tennis parce que j'ai horreur de ça. Mais ce n'est pas grave ! Allons taper dans une balle !
Marlène sourit. L'après-midi la délassa efficacement. Les filles étaient du même niveau pitoyable et Julie, qui y mettait beaucoup de mauvaise volonté, faisait la pitre, entraînant de nombreux fous rires.
Jeudi fut une agréable journée dans la bulle sans la moindre avancée visible. Vendredi, juste après le déjeuner, Marlène se vit convoquée dans le bureau du directeur.
- T’as fait quoi ? demanda Julie, abasourdie.
Marlène haussa les épaules. Rien, à sa connaissance. Que pouvait donc lui vouloir maître Gilain ?
- Bonjour, Marlène, la salua le directeur dès qu’elle eut refermé la porte derrière elle. Tes premiers jours parmi nous se passent-ils bien ?
- Très bien, maître, je vous remercie.
- Tu as prévu de te rendre au centre commercial cet après-midi, n’est-ce pas ?
Marlène acquiesça. Allait-il le lui interdire ?
- Souhaites-tu que ta nature de néomage soit dévoilée ? demanda le directeur.
- Non, maître, répondit Marlène en se tortillant.
Elle ne se sentait pas prête. C’était trop tôt.
- Alors tiens ta langue. Une bulle de sécurité attirerait l’attention tout autant qu’une escorte trop musclée. Cette sortie doit paraître banale. Tu dois paraître banale.
- Une magicienne de fortune, ayant peu de pouvoir.
- Mon école draine de nombreux élèves puissants. Les journaleux en mal de scoop surveillent toutes les sorties. Ils sont là, déguisés en simples acheteurs ou vendeurs. Ils écoutent, observent et ne ratent rien, pas même un murmure.
- Je redoublerai d’attention, maître, promit Marlène qui se demanda si cette sortie était une si bonne idée que ça.
- Je suis ravi de m’être fait comprendre, annonça le directeur. Bonne sortie au centre commercial, Marlène.
- Merci, maître, répondit Marlène avant de rejoindre ses amies.
- Alors ? Il te voulait quoi ? demanda Julie.
- S’assurer que ma rentrée s’était bien passée.
- Il ne m’a rien demandé, à moi ! s’agaça Julie.
- Il ne réserve peut-être cet honneur qu’aux magiciens de fortune, proposa Amanda et Julie en convint d’un geste.
- Tu crois qu’il a reçu Lycronus en privé ? demanda Julie.
- Qu’en sais-je ? répliqua Amanda d’un ton acerbe.
- Remarque, vu que ce n’est pas un magicien de fortune… souffla Julie.
- Bien sûr que si ! s’exclama Amanda. Tu ne vas pas croire à ces rumeurs malsaines de…
- C’est qui ? la coupa Marlène.
- Lycronus Stoffer, railla Julie. Un première année qui se fait passer pour un magicien de fortune mais moi, je crois que c’est un néomage.
Marlène frémit. Si ce genre de doute existait pour un autre élève, il ne fallait qu’un pas pour qu’elle soit concernée. Elle se promit de redoubler d’attention.
- C’est n’importe quoi ! gronda Amanda. Pure jalousie mesquine ! Un néomage ne serait pas capable d’identifier un quelconque objet magique vu qu’il ignorerait tout de ce monde.
- Un magicien de fortune non plus, rétorqua Julie. Regarde Marlène.
La jeune femme n’apprécia pas du tout d’être prise en exemple. Amanda plissa les paupières.
- Lycronus Stoffer est un menteur, en conclut Julie. Tu es bien la seule dans tout ce collège à le soutenir. Je me demande bien pourquoi, d’ailleurs.
- Va te faire foutre, Julie.
- Et si on bannissait ce sujet de conversation ? proposa Marlène en constatant que les yeux de ses amies lançaient des éclairs. On dit que Lycronus Stoffer devient un mot interdit.
- Ça fait deux mots, répliqua Julie.
Marlène lui envoya un regard narquois et Julie sourit en retour avant de soupirer.
- D’accord. On n’en parle plus. Ça te va, Amanda ?
La brune baissa le regard en serrant les dents. Marlène comprit que non, ça ne lui allait pas. Pourtant, elle hocha la tête, clairement à reculons. Grâce à ce pacte, la sortie au centre commercial se passa à merveille.
Les filles entrèrent dans toutes les boutiques. Marlène découvrit le double prix, en euros sur des étiquettes classiques, en um sur la gnosie. Marlène ne contrôlant pas cette dernière, elle ne put comprendre les affichettes mais ne s’en préoccupa pas. Elle n’était pas là pour acheter mais s’amuser. Aucun élève ne prit quoi que ce soit. Marlène s’en étonna auprès de ses copines.
- Nous n’avons pas le droit d’utiliser la magie pour autre chose que nos études, rappela Julie, et ce tant que nous n’aurons pas quitté l’école.
Marlène se souvint vaguement de ces lignes dans le contrat signé entre Gilain et elle.
- Le directeur s’assure ainsi que notre énergie est tournée vers le bon usage, poursuivit Julie. Nos parents sont rassurés.
- Et puis comme ça, intervint Amanda, pas de boule puante ou de bonbons aux goûts bizarres, de bizutage ou de blagues magiques pas drôles. La moindre utilisation non éducative de nos pouvoirs et on peut se faire virer.
Marlène frémit. Elle utilisait sa magie pour appeler ses parents. Était-elle hors la loi en agissant de la sorte ? Maître Gourdon lui avait assuré qu’en le faisant, elle travaillait puisqu’elle s’entraînait à utiliser un objet magique. Certes, mais lorsque cela deviendrait naturel et facile, aurait-elle toujours cette possibilité ?
- J’utilise ma magie personnelle pour appeler mes parents, dit Marlène.
- Tu n’es pas censée le faire, indiqua Julie. L’école pourvoit à tes besoins pour ce genre d’usage. Il y a des réserves de grès dans chaque chambre. Tu demandes au guide l’autorisation, tu indiques la raison et hop, tu te sers directement.
- Le directeur pourrait-il me renvoyer si j’appelle en utilisant mon énergie personnelle ? insista Marlène.
- Oui, confirma Amanda.
Marlène fronça les sourcils. Aucun professeur ne l’en avait informée, surtout pas maître Gourdon qui l’avait pourtant vue utiliser son guide.
- Ils achètent des bonbons ! s’exclama Marlène en désignant un groupe d’élèves de l’autre côté du grand hall lumineux.
- Et ben ? grogna Julie. Ils ont le droit !
- Tu viens de me dire le contraire ! s’exaspéra Marlène.
- Ils les ont payés en euros ! Avec du vrai argent ! Bon, j’ai envie d’une glace. Ça vous tente ?
- Je n’ai pas d’argent, admit Marlène.
Ses parents ne pouvaient pas se permettre de lui donner de l’argent de poche et Didier aurait refusé, arguant qu’une glace n’était en rien nécessaire.
- Je te l’offre ! rit Julie.
Marlène la remercia et l’après-midi se termina en partage de fraise, vanille et noix de coco. Le lendemain ne permit pas à Marlène de faire disparaître sa bulle. Elle se délassa efficacement au basket et le lendemain matin, seule dans sa chambre, elle activa le guide et indiqua qu’elle souhaitait appeler ses parents en utilisant les réserves de l’école.
« Compétence pas encore acquise », répondit le guide.
- J’ai le droit d’utiliser ma magie ?
« Tant que la compétence ne sera pas acquise, oui. Cela fait partie de votre apprentissage. »
Marlène hocha la tête. Elle n’était pas bien certaine de comprendre la différence mais accepta.
« Les professeurs décideront quand le moment sera venu et je vous préviendrai », annonça le guide.
Marlène en soupira d’aise. Ses épaules se détendirent. Elle put appeler sereinement ses parents. Elle raconta sa chambre, les repas, Julie et Amanda, le sport et la sortie au centre commercial, évitant, comme l’avait proposé maître Gourdon, de parler de magie.
- Je suis ravie de t’entendre aussi enthousiaste ! assura Henriette.
Didier montra la même gaieté et la conversation se termina ainsi. Ils n’avaient posé aucune question.
- Merci, maître Gourdon, lança Marlène qui ne douta pas un seul instant que le professeur soit responsable de ça et qu’elle soit en train de l’écouter.
La semaine suivante fut toute aussi déprimante. Marlène ne faisait aucun progrès. Elle qui avait été si heureuse de réussir en quelques secondes à ressentir la magie lors de sa première venue, était frustrée de ne pas parvenir à s'améliorer. Elle avait cru que la suite viendrait naturellement. Elle comprit à quel point elle se trompait. La bulle lui résistait toujours. La gnosie lui filait de terribles maux de tête et pour couronner le tout, ses parents lui manquaient énormément.
Dimanche, juste après son appel à ses parents, elle eut la surprise, alors qu'elle bavardait avec ses copines dans l'un des parcs intérieurs du collège, de voir apparaître devant elle maître Gilain. Les élèves présents se levèrent tous, par respect, puis attendirent la raison de la venue du directeur de l'école en personne.
Maître Gilain fit signe à Marlène de le suivre. Marlène grimaça. Allait-il la rabrouer pour son manque de progrès ou pire, la renvoyer de l’école qu’elle ne serait jamais en mesure de payer ?
- Les professeurs me disent que tu n’as fait aucun progrès de la semaine, commença maître Gilain.
Marlène garda le silence, plus honteuse que jamais. Quoi qu'il dise, il aurait raison. Elle ne méritait pas sa place ici. Elle ne serait jamais la magicienne brillante qu'il avait espéré qu'elle serait.
- Je me suis dit qu'une petite distraction te serait agréable, continua maître Gilain.
Marlène se répéta plusieurs fois la phrase dans sa tête, mais fut incapable de la comprendre, malgré ses efforts.
- Entre, je t'en prie, dit le directeur.
Marlène avait suivi le magicien sans faire attention au chemin parcouru. Ils n'étaient pas devant le bureau du directeur, mais à l'autre bout de l'école, derrière les équipements sportifs. La porte que tenait ouverte le directeur perçait un haut mur en pierre blanche. Un panneau indiquait "Interdit au public".
Le terme "public" surprit Marlène qui se serait plutôt attendue à "Interdit aux élèves". Elle passa la porte, se retrouvant dans un long couloir. Sur les côtés, des portes fermées apparaissaient régulièrement et maître Gilain ne leur accorda aucune attention. Il continua jusqu'au bout du couloir, poussa la double porte battante et sortit.
Marlène découvrit devant elle des gradins en pierre, à droite et à gauche, entourant une arène couverte de sable fin. Un homme, seul, se tenait au centre de l'arène. Il ne disait rien, ne faisait rien. Marlène ne se souvenait pas l'avoir jamais vu. Il devait avoir au moins quarante ans et il était vêtu d'un jogging, d'un tee-shirt et d'une paire de basket. Le directeur prit un escalier à droite avant de s’asseoir sur un siège et de proposer à Marlène de le rejoindre. Elle se plaça à ses côtés, sans vraiment comprendre. L'homme, au centre de l'arène, ne faisait toujours rien.
- Marlène, si tu n’actives pas ta gnosie, tu ne risques pas de voir quoi que ce soit ! s'exclama maître Gilain.
- Oh ! Pardon ! répondit Marlène, toujours aussi peu habituée à devoir utiliser la magie sans cesse.
Marlène brancha sa perception magique et fut bousculée par une véritable déferlante de magie. Elle ne comprit absolument pas ce qu'elle vit à travers la gnosie. La magie, là-bas, était utilisée à très haute dose. La concentration nécessaire lui apporta un horrible mal de tête en moins de quelques secondes.
- Magnifique, n'est-ce pas ? s'exclama maître Gilain.
- Franchement, monsieur, je ne suis pas sûre de ce que je viens de voir, avoua Marlène. Je ne contrôle pas encore ma gnosie. Je ne peux pas tenir une telle concentration.
- Il va falloir, pourtant ! La saison commence dans deux semaines. Tu ne comptes pas la rater, tout de même ?
- La saison ? répéta Marlène avant de comprendre. C'est du PBM ? Je viens de voir du PBM ?
- Un simple entraînement, qui est sur le point de se terminer, d'ailleurs, annonça maître Gilain.
Marlène comprit. L'homme, au centre, devait être l'entraîneur et elle l'avait vu car il ne bougeait pas. Y avait-il d'autres personnes autour de lui, les joueurs ? Probablement, mais Marlène ne maîtrisait pas assez sa gnosie pour en avoir avec certitude. À l'œil nu, on ne voyait rien. Les joueurs allaient-ils trop vite pour être visibles ? Si c'était le cas, Marlène était impressionnée et embêtée. Elle n'arrivait toujours pas à lire et garder la gnosie en même temps. Comment pourrait-elle seulement suivre ce genre de match ?
- Comment font les mauvais magiciens pour suivre le PBM ?
- Ils achètent l'énergie qu'ils n'ont pas, répondit maître Gilain comme si c'était une évidence.
- Non, mais je veux dire… commença Marlène, consciente que son ignorance en matière de magie rendait ses questions idiotes et surtout, terriblement difficiles à poser pour elle. Je ne parle pas de quantité de magie. Je sais qu'on peut l'acheter. En revanche, il faut savoir sacrément bien maîtriser sa gnosie pour suivre ça !
- Non, rétorqua maître Gilain. Les enfants le suivent sans difficulté. C'est l'énergie qui pose problème, pas le contrôle de la gnosie.
Marlène en soupira de dépit. Elle se sentit plus nulle que jamais. Elle échouait là où des enfants réussissaient sans peine.
- Ah ! L'entraînement est terminé pour aujourd'hui, annonça maître Gilain.
Marlène se tourna vers l'arène pour voir apparaître sur le sol dix élèves. En fait, « élèves » était un bien grand mot car d'eux, on ne voyait rien. Ils portaient tous le même uniforme : une combinaison de tissu qui recouvrait leur corps et dont le haut disparaissait sous un casque, masquant leur visage. Le vêtement était tout sauf moulant. Il était impossible de savoir de quel sexe était la personne sous le tissu. Il semblait résistant et souple à la fois. Détail supplémentaire, chacun d'eux portait trois cercles blancs. L'un au niveau de ses abdominaux, et un sur chaque épaule. Le costume était vert sombre et la visière du casque, verte également, ne laissait rien transparaître du regard du joueur.
- C'est… ouah ! Ils sont impressionnants ! s'exclama Marlène.
- C'est le but. Nous voulons terrifier nos adversaires ! Cette fois, nous allons gagner !
- Adversaires ? répéta Marlène. Quels adversaires ?
- Les élèves de l'école de Florence. Ça fait cinq années de suite qu'ils nous battent. Cette fois, ils vont pleurer. La directrice de l'école de Florence va enfin cesser de me narguer tous les jours.
Marlène sourit. Ainsi, l'honneur du directeur était en jeu.
- Dans deux semaines, notre équipe vaincra Florence. Les élèves ne vont parler que de ça pendant des mois. Il serait dommage que tu ne sois pas en mesure de partager ça avec eux alors tu vas me faire le plaisir de t'améliorer !
Marlène hocha la tête. Le directeur la pria de sortir tandis qu'il rejoignait les joueurs dans les vestiaires. Marlène resta un moment seule, perdue dans ses pensées. Voir ça lui avait donné envie de persévérer. En même temps, elle ne s'était jamais sentie aussi incompétente. Avant tout, elle voulait passer la bulle. Cette victoire lui redonnerait confiance. Elle sentait que ça fait, la gnosie viendrait tout seul. Seulement voilà, la bulle lui résistait.