- Essaye avec un autre professeur, lui proposa Julie lorsque Marlène fit part de son malaise à ses amies. Tu sais, parfois, ils ont des approches différentes. Ça ne te coûte rien d'essayer.
Marlène haussa les épaules. Pourquoi pas, après tout. Ainsi, le lundi 15 septembre, monsieur Benaleb vit Marlène se présenter devant sa salle de classe, déjà complète, mais il ne la refusa bien sûr pas. Marlène alla elle-même chercher un tapis dans la réserve et s’installa. Après s'être assuré que les méditations des "grands" se passaient bien, le professeur – un grand black chauve vêtu d’un costume bleu - s'assit devant Marlène.
- Raconte-moi, dit-il.
- Je veux passer la bulle, lança Marlène, au bord des larmes. Mais elle ne veut pas. L'exploser au couteau serait simple, mais maître Beaumont m'a dit que ça n'était pas une solution envisageable. Je suis tellement frustrée ! Je la hais ! Je veux qu'elle disparaisse !
- Marlène, commença monsieur Benaleb d'une voix douce et grave. La bulle, ce sont tes peurs, tes angoisses. C'est une protection, une couverture chaude au milieu d'un hiver rigoureux. Seulement voilà, on est en plein été. Si je t'enlève brutalement la couverture alors que tu penses être en hiver, tu mourras de froid parce que ton esprit est le plus fort. Dans le meilleur des cas, tu resteras prostrée sur toi-même à tout faire pour te réchauffer alors qu'il fait 30°. Il ne faut pas déchiqueter la couverture ou la détruire. Il faut que tu prennes conscience qu'il fait chaud et que la couverture est inutile. Cela doit venir de toi. Si tu la détruis, ton esprit ne s'en remettra pas. Il fera tout pour rester dans l'état le plus proche possible de celui où tu es maintenant. Tu gagneras un peu de pouvoir mais très, très peu. Ceux qui font ça ne deviennent jamais de grands magiciens. Certains, une minorité, parviennent, après un grand travail sur eux, à atteindre la deuxième bulle et jamais plus ils n'essayeront de la passer. Tu désires cela ?
- Non, évidemment que non, mais j'en ai assez d'être bloquée à un millionième d'um à cause d'une bulle débile !
- Tu n’as pas un millionième d’um.
- Le directeur m’a annoncé cette quantité, indiqua Marlène en haussant les épaules.
- Quand ça ?
- Quand il est venu me parler chez moi pour l’inscription.
- Depuis, tu es venue à l’école et maître Beaumont t’a fait remplir ta bulle de base.
- La bulle de base ne doit pas contenir tant de magie que ça.
Monsieur Benaleb pencha la tête, plissa les yeux puis grimaça avant d’annoncer :
- Difficile à dire. Tu veux bien que je sache combien d’énergie tu as ?
Marlène haussa les épaules. Elle s’en fichait. Julie en aurait été folle de rage. Monsieur Benaleb sortit un tube que Marlène fut assez fière de reconnaître comme étant du grès.
- Mets tout ce que tu as là-dedans. Ne t’inquiète pas, tu pourras le reprendre ensuite.
Marlène superposa sa bulle à la gnosie puis déposa sa magie dans le grès. Il fut extrêmement simple et indolore de vider entièrement la bulle. Marlène était mal à l’aise dans ce vide. Sans magie, elle se sentait vulnérable, mais elle avait confiance en l’école et ses professeurs si bien qu’elle parvint à ne pas se tortiller d’inconfort.
- Tu peux le reprendre, annonça monsieur Benaleb.
La bulle se remplit entièrement et Marlène soupira d’aise.
- 1 um, indiqua le professeur.
Marlène hocha la tête tandis que le professeur attendait quelque chose. Comme ça ne venait pas, il lança :
- Marlène, tu te rends compte que depuis la rentrée, tu as multiplié ta quantité de magie disponible par un million ?
Marlène se figea. Un millionième, se rappela-t-elle. Elle n’avait pas fait le lien.
- Tu ne te rends même pas compte de tes progrès, maugréa le professeur.
- Si je passe la bulle, je vais encore multiplier mes réserves par un million ?
Monsieur Benaleb rit.
- Non. Plus tu avances et plus c’est difficile.
- Ah. De toute façon, cette bulle refuse de me laisser passer alors…
- Tu ne dois pas être en colère contre elle. Elle ne te veut que du bien. Tu dois simplement te convaincre que tu n'en as pas besoin.
- J'ai essayé ! Une semaine entière que j'essaye. J'y passe toutes mes journées. Elle ne faiblit même pas !
Marlène criait maintenant. Sa voix montait dans les aiguës. Monsieur Benaled la prit dans ses bras lorsqu'il remarqua que des larmes naissaient dans ses yeux. Les autres élèves ne bronchèrent pas, très concentrés sur leur propre moi intérieur.
- Je suis nulle. Je suis complètement nulle. Je ne mérite pas l'intérêt que vous me portez.
- Tu te trompes, lui assura monsieur Benaled. Tu manques de confiance en toi, c'est tout. On ne naît pas merveilleux. On le devient. Tu as ce pouvoir en toi. Aies confiance. Détends-toi et médite. Je ne peux pas t'aider à passer cette bulle. C'est entre toi, et toi… mais je t'en supplie, pas de couteau…
Marlène essuya ses larmes, se rassit confortablement et se détendit. Lorsqu'elle apparut dans l'espace bleu qui lui tenait lieu de réserve personnelle, elle se crispa à la vue de la bulle. "Je n'ai pas besoin de toi, je n'ai pas besoin de toi, je n'ai pas besoin de toi, je n'ai pas besoin de toi… Tu m'emmerdes, disparaît ! J'en ai marre de toi, dégage ! Assez ! Tire-toi ! Bulle, va-t-en, je le veux ! J'en ai assez, je n'en peux plus, explose, va-t-en, transforme-toi en fumée ou n'importe quoi mais ne sois plus là." Rien à faire, elle était toujours là.
- La bulle n'existe pas, entendit-elle monsieur Benaled lui souffler. Si tu lui parles, c'est qu'elle existe. Or, elle n'existe pas. En tout cas, toi, tu ne veux pas qu'elle existe. Et comme c'est toi qui l'a crée, si tu ne veux pas qu'elle existe, c'est qu'elle n'existe pas. Elle n'est pas là.
"Plus facile à dire qu'à faire, maugréa Marlène en pensée. Bon, alors, tu n'existes pas".
- Tu lui parles toujours, Marlène ! la rabroua monsieur Benaled.
"D'accord, d'accord. La bulle n'est pas là. Il n'y a pas de bulle puisque je n'en ai pas besoin. Il n'y a aucun danger au-delà de la bulle".
- Au-delà de quoi ?
"De la bulle", répéta Marlène, agacée par la question de monsieur Benaled.
- Au-delà de quoi ? répéta monsieur Benaled.
Marlène comprit. Si la bulle n'existait pas, il n'y avait pas de au-delà. "Il n'y a aucun danger, nulle part. Je suis dans mon propre esprit. Je ne me veux pas de mal donc, il n'y a rien à craindre. Tout va bien." Marlène respirait enfin calmement. Sa respiration s'était faite profonde et apaisée. Son cœur battait doucement, comme si elle dormait. Elle se sentait bien, protégée.
Dans son esprit, elle ferma les yeux. Elle ne pensait plus à la bulle mais à l'espace autour d'elle. Elle faisait abstraction de la bulle. Elle n'existait plus. Elle leva la main pour toucher l'espace vide de magie plus loin et sa main y plongea. Marlène ouvrit les yeux. La bulle était toujours là mais elle était immatérielle. Ce n'était plus qu'une sphère de lumière blanche douce.
Marlène créa de la magie et celle-ci s'étendit dans le vide au-delà de la barrière de lumière. Dès que son aura de magie grandit, Marlène grandit en même temps qu'elle, si bien que la représentation de son corps dans son moi intérieur traversait maintenant la bulle de lumière. Marlène était aux anges. Elle continua à créer de la magie. Monsieur Benaled lui avait dit qu'il y aurait une autre bulle, plus loin, et elle comptait bien l'atteindre et la traverser, elle aussi.
- Marlène ? Tu veux bien rejoindre le monde réel, s'il te plaît ?
Marlène grogna et resta en méditation.
- Marlène ! Sors ! ordonna monsieur Benaled d'une voix très autoritaire.
Marlène obtempéra.
- Pourquoi avez-vous ?
Marlène ne fut pas en mesure de terminer sa phrase, la douleur l'en empêchant. Son corps tout entier lui faisait mal et plus spécialement son estomac.
- Un problème ? s'exclama un élève en sortant de méditation.
- Une jeune élève qui ne sait pas quand arrêter de créer de l'énergie, répondit monsieur Benaled. Marc, tu veux bien l'amener au réfectoire, s'il te plaît, et ne lésine pas sur la quantité ? Et parle-lui en français, s’il te plaît.
- Aucun problème, monsieur, répondit Marc en se levant.
Il prit Marlène dans ses bras et la porta jusqu'au réfectoire. Là, il força Marlène à manger. Bientôt, il n'eut plus besoin de la forcer car Marlène mangeait, encore et encore. Viande, légume, fruit, poissons, sucre, graisses, protéines, tout y passa. Elle finit par avoir mal aux mâchoires mais elle continua tout de même. Enfin, elle fut rassasiée et elle se sentit merveilleusement bien. Elle remarqua seulement à ce moment-là la présence d'un élève, un "grand", devant elle. Il lui souriait.
- Ça va mieux ?
Marlène hocha la tête. Marc avait un accent italien à couper au couteau mais son français était plutôt bon.
- Fais attention avec ça, continua-t-il. On peut en mourir, tu sais.
- Non, je ne savais pas, avoua Marlène. Je ferai plus attention.
Le jeune homme sourit avant de lancer :
- On retourne en cours ? Il reste une petite demi-heure.
Marlène le suivit et retrouva monsieur Benaleb. Marc se replongea en méditation. Monsieur Benaleb ne dit rien à Marlène, sachant sans doute que Marc lui avait déjà fait la morale.
Au déjeuner, Marlène avait encore faim car elle avait passé la dernière demi-heure à augmenter sa quantité de magie, sans atteindre la bulle suivante. Elle venait d'avaler son second poulet lorsqu'Amanda lança :
- Tu n'aurais pas quelque chose à nous dire ?
- J'ai réussi à passer ma bulle, dit Marlène avant de mordre dans une nouvelle cuisse.
- Ça, je l'aurai parié, répondit Julie en souriant.
La tablée entière fut prise d'un fou rire, sauf Marlène, trop concentrée sur la nourriture pour trouver un moment pour rire. Une fois rassasiée, elle se sentit merveilleusement bien. Enfin, elle avait progressé. Cela lui redonna confiance. Elle était plus motivée que jamais.
Mardi et mercredi, Marlène se présenta en cours de maniement de la magie pour apprendre à gérer sa gnosie. Cependant, contrairement à ce qu'elle avait pensé, ça n'avançait pas, bien qu'elle ait réussi à passer sa bulle. Les maux de tête étant toujours aussi fulgurants.
Au moins, la méditation fonctionnait. Elle méditait sans aide d'un professeur, ne souhaitant pas encombrer les cours alors qu'elle réussissait seule. Elle augmentait aisément ses réserves de magie. Afin de ne pas risquer un évanouissement par manque de force, elle mettait un réveil qui la tirait de méditation toutes les heures. Si elle se sentait bien, elle continuait. Si elle avait faim, elle mangeait avant de recommencer, la cantine étant ouverte à toute heure.
Jeudi, Marlène avait déjà atteint et dépassé quinze bulles et plus ça allait, plus le passage était facile. Cependant, augmenter ses réserves de magie était de plus en plus difficile. Elle se fatiguait vite et mangeait tellement qu'elle avait l'impression de ne faire plus que cela.
Vendredi matin, après avoir dû avaler treize pains au chocolat, vingt croissants et douze pains aux raisins, pour augmenter à peine son aura, elle décida d'aller voir madame Juliette, un troisième professeur de méditation. Elle n'alla pas voir maître Beaumont ou monsieur Benaled juste par envie de parler à quelqu'un d'autre. Madame Juliette l'accueillit avec le sourire, malgré la classe déjà pleine.
- Marlène, bonjour, l'accueillit madame Juliette. Un souci avec le passage des bulles ?
- Oui et non, répondit Marlène avant de continuer : maître Beaumont et monsieur Benaleb m'ont appris à ressentir mes réserves personnelles, à les accroître et à passer les barrières de mon esprit, les bulles.
- Un de ces points te pose problème ?
- Oui et non, répondit Marlène. Au départ, tout se passait très bien mais maintenant, quand j'augmente mes réserves, j'ai faim. Je veux dire, j'ai toujours eu faim mais là, mon aura grossit à peine que je dévore un éléphant. Ça ne devient plus possible !
Madame Juliette hocha la tête.
- Je vois. Tu utilises trop d'énergie. Tu vas devoir apprendre à économiser.
- Économiser quoi ? demanda Marlène sans comprendre.
- Assieds-toi. On va voir ça ensemble.
Marlène s'assit par terre, sur le tapis qu’elle était elle-même allé chercher dans la réserve et entra en méditation dans ses réserves personnelles. Elle sentit le professeur la rejoindre mais rester tout de même à l'écart.
- Bien, ce que je voudrais, c'est que tu me dises comment tu fais pour augmenter tes réserves. J'imagine que tu n'en sais rien.
- En effet, avoua Marlène.
- C'est un peu comme si je te demandais comment tu fais pour respirer. Tu ne peux pas vraiment répondre. C'est naturel, ça se fait tout seul, point. Créer de la magie aussi. Ton corps l'a fait dès ta naissance. Donc, il va falloir que tu découvres comment ton esprit réalise ce miracle car je te rappelle que c'est un miracle. Très peu de créatures vivantes sont magiciennes !
Marlène hocha la tête.
- Comment je fais ? demanda-t-elle.
- Tu vas augmenter tes réserves, très peu, pour ne pas te fatiguer mais cette fois, tu vas observer. Je veux que tu puisses me dire ce que tu fais. C'est beau chez toi.
- Pardon ? demanda Marlène.
- J'aime bien cet endroit bleu aux reflets blancs. On se croirait au fond de l'océan. J'ai déjà vu des esprits d'élèves beaucoup moins accueillants. Mais pardon, je m'égare. Vas-y, concentre-toi.
Marlène sourit. Ce compliment la fit même rougir. Cependant, Marlène ne perdit pas de vue la raison de sa présence et se concentra pour ne créer qu'un tout petit peu d'énergie. La magie apparut mais Marlène ne parvint pas à comprendre comment.
- Ouah ! s'exclama madame Juliette. Marlène, crées-en moins.
- Moins ? répéta Marlène. Euh, j'en ai déjà pas crée beaucoup…
- Moins, s'il te plaît, moins. Dans ton esprit, les règles physiques ne s'appliquent pas de la même manière que dans le monde réel. Tu pourrais "zoomer" sur une partie de ton aura ?
Marlène essaya et cela se fit naturellement. Elle voyait l'aura comme un brouillard dense autour d'elle.
- Tu peux zoomer davantage ? demanda madame Juliette.
Marlène tenta et rapidement, elle n'eut plus qu'une grande lumière blanche devant elle. Le léger brouillard blanc se révéla de près très clair et très dense.
- Encore ? demanda madame Juliette.
Marlène continua sa plongée et le blanc se disloqua. Elle vit alors des fibres blanches avec des espaces vides entre eux. Marlène pensa que c'était dommage de perdre autant de place mais continua pour zoomer sur une des fibres. De près, elle s'avéra être faite de multiples fils. Ces fils noués étaient faits eux-mêmes de petits filaments blancs qui se touchaient. Les filaments étaient en fait, vus de près, une spirale de sphères.
- Bien, dit madame Juliette, je crois qu'on est enfin arrivé à ta représentation la plus petite de l'énergie magique. Essaye de zoomer sur une de ces sphères.
Marlène tenta mais elle ne parvint pas à entrer dans la sphère comme elle l'avait fait avec le brouillard, les fibres, les filaments et la spirale.
- Bien, alors, maintenant, essaye de créer une sphère de magie, demanda madame Juliette.
Marlène se concentra et une nouvelle boule apparut, se plaçant dans la spirale, qui s'agrandit toute seule. Marlène créa plusieurs sphères d'un coup et au bout d'un moment, elles se détachèrent de la spirale de départ pour en former une nouvelle, agrandissant ainsi le brouillard. Marlène était épatée.
- As-tu vu comment ton esprit crée une sphère ? interrogea madame Juliette.
- Euh, non, je vais recommencer.
Marlène s'approcha de la sphère et créa de la magie mais elle tenta de le faire le plus lentement possible. La boule d'énergie fut d'abord percutée par un très gros ver bleu qui semblait être fait en eau et que Marlène voyait pour la première fois. La boule engloutit le ver puis se mit à grossir. Son équateur rétrécit et la boule se coupa en deux. La première resta sur le fils tandis que l'autre, libre, virevoltait gaiement.
- Bien, tu as vu, la boule d'énergie est d'abord frappée par un éclair, dit madame Juliette. Il doit contenir de l'énergie. Celle qui permet à ta magie de grandir. Cette énergie, nécessaire à cela, est créée par ton corps. Il provient principalement de ce que tu manges, et aussi un peu de l'oxygène que tu respires mais pour une très faible partie.
- Donc, ce que je mange me permet de créer le ver énergétique ?
- Exactement. Lorsque tu fais augmenter ta magie, tu fais grandir l'aura qui t'entoure, n'est-ce pas ?
- Oui. Mais alors… ça veut dire que je lance des milliards de ces vers en même temps ! comprit Marlène.
- C'est pour ça que tu manges comme dix, acquiesça madame Juliette.
- Mais alors, c'est inéluctable. C'est comme ça, et c'est tout, se dit Marlène.
- Non, heureusement que non, la contredit madame Juliette. Tu vas devoir économiser. Jusque-là, ça n'était pas bien grave si tu ne le faisais pas mais maintenant, ça devient essentiel.
- Et comment j'économise ?
- La création d'énergie, est, je te l'ai dit, naturelle, instinctive chez un magicien. Seulement, l'instinct ne cherche pas à économiser. Ce que j'aimerais maintenant, c'est que tu crée ton "ver énergétique" comme tu l'appelles, mais lui tout seul et pas dans le but d'augmenter ta réserve personnelle.
Marlène eut beaucoup de mal à faire cela car elle ignorait comment le faire mais finalement, elle y parvint et le ver apparut. Cependant, il était attiré par les sphères et Marlène devait le retenir.
- Ce ver est aussi gros que les sphères. Pourrais-tu en créer un plus petit ? demanda madame Juliette.
Marlène fit disparaître le premier et se reconcentra pour en créer un autre, plus petit.
- Lâche-le.
Le ver fila droit sur la boule la plus proche et celle-ci se divisa en deux.
- Tu vois, dit madame Juliette, avec deux fois moins d'énergie, le résultat a été le même. Une division parfaite. Maintenant, il va falloir que tu essayes avec des vers de plus en plus petits, jusqu'à ce que la division ne se fasse plus. Tu sauras alors quelle quantité est nécessaire.
- J'économiserai donc mes forces. Merci, madame Juliette. Je m'y mets tout de suite.
- Non, tout de suite, tu vas aller déjeuner. Tout le monde est au réfectoire depuis plus d'une demi-heure.
Marlène sortit de méditation sans y croire mais sa montre indiquait 12h32.
- Je suis désolée ! dit Marlène.
- Ce n'est pas grave. Maintenant, file ! Tes amies s'inquiètent pour toi !
Marlène partit en courant pour rejoindre Julie et Amanda, qui, effectivement, la couvrirent de questions et de reproches. Ses amies ne lui en voulurent évidemment pas longtemps et Amanda fut en fait ravie de pouvoir raconter une seconde fois ses baisers avec un prénommé Antoine derrière la statue dans le parc ouest de l'école. Le temps du dîner et Marlène savait tout de ce Antoine sans l'avoir pourtant jamais rencontré. Amanda semblait très amoureuse et ses amies ne pouvaient s'empêcher d'en sourire.
Le lendemain, après avoir été incapable de contrôler sa gnosie, Marlène se rendit en salle de relaxation et diminua ses vers énergétiques. Rapidement, elle dut zoomer dessus pour continuer à les faire diminuer sans quoi elle ne les voyait plus. Les boules paraissaient alors énormes, comme si elle avait le nez collé au ballon d'une montgolfière.
Dimanche matin, Marlène était nerveuse. Le dimanche suivant, le premier match de PBM aurait lieu et elle ne maîtrisait toujours pas sa gnosie. Elle se sentait triste. Ses parents lui manquaient énormément. Elle sortit son guide et l’activa. Elle appuya sur le micro puis se figea avant de demander « Où puis-je trouver le directeur ? ». Le guide la renseigna efficacement. Maître Gilain lui fit un grand sourire en la voyant devant sa porte et lui fit signe d'entrer.
- Toutes mes félicitations, commença-t-il. Tes réserves d'énergie grandissent de manière hallucinante !
- Ah bon ? s'étonna Marlène, qui n'avait pas l'impression que sa méditation lui avait permis d'avoir tant de magie que ça.
Après tout, cela ne faisait qu'une semaine qu'elle avait passé sa première bulle. Elle ramait à augmenter ses réserves et depuis deux jours, elle n’en créait plus, se contentant de chercher le ver le plus petit possible. De plus, elle avait passé son vendredi après-midi au centre commercial, sans oublier les sports du mercredi et du samedi.
- Marlène, tu viens de réaliser un miracle, et tu ne t'en rends même pas compte ! s'exclama maître Gilain.
- J'ai plutôt la sensation d'être nulle, répliqua Marlène. Je ne suis toujours pas capable de contrôler ma gnosie alors que c'est la chose la plus simple au monde.
- Tu es une néomage, rappela maître Gilain. Les choses sont différentes avec toi.
- Justement, je ne vois pas où sont les prodiges, n'ayant pas de moyen de comparaison, fit remarquer Marlène.
- Nous le faisons exprès. Parfois, un magicien ne fait pas quelque chose parce qu'il pense cela impossible alors qu'en essayant sincèrement, il y parviendrait. C’est ce qui s’est passé le jour de ton arrivée.
Marlène leva un sourcil interrogateur.
- Tu es retournée voir maître Beaumont l’après-midi du 1er septembre et il a t’a amenée dans ta réserve de magie. Tu as découvert l’endroit et il t’a proposé de remplir la bulle. Tu l’as fait, naturellement, instinctivement, sans qu’il ait besoin de te dire comment faire.
Marlène acquiesça, ne voyant pas bien où se trouvait le prodige.
- Plus de la moitié des magiciens ne parviennent pas à remplir leur espace de base, ce que tu vois comme une bulle. Ils n’ont pas assez d’énergie pour ça. La moitié de ceux-là, même avec un rendement maximum, ne pourront toujours pas le remplir et ne passeront donc jamais leur première bulle, n’en ressentant pas le besoin.
- Dans ma première bulle, il y avait 1 um, se souvint Marlène. Certains magiciens ne l’atteigne même pas ?
Maître Gilain hocha la tête.
- Ils ne pourront jamais payer cette école ! Il leur faut mille jours pour en rembourser un seul !
- Les prix sont variables en fonction des élèves, rappela maître Gilain. Les riches payent pour que les pauvres puissent venir étudier ici.
Marlène se figea. Elle payait plein pot pour qu’une magicienne comme Amanda puisse recevoir le meilleur enseignement qui soit.
- Quels sorts peut-on lancer avec 1 um ? demanda Marlène.
- La gnosie et la magie intra. Pour la magie inter, c’est impossible.
Marlène n’avait pas la moindre idée de ce dont parlait le directeur mais choisit de ne pas l’embêter.
- La plupart des magiciens utilise des objets magiques pour compenser. Ils les payent avec de l’argent fiduciaire puis les activent avec leurs pouvoirs. Ils sont souvent configurés pour être peu gourmands en énergie.
- Vous êtes un maître, lança Marlène qui commençait à recoller les morceaux. Vous savez manipuler la magie mais vous n’utilisez pas ou peu celle que vous créez vous-même. Vous utilisez celle gagnée par votre école.
- Tout comme le personnel, oui, répondit maître Gilain.
- Les professeurs doivent se battre pour venir ici, supposa Marlène.
Le directeur sourit à cette remarque. Oui, les candidats devaient être nombreux.
- J’espère maintenant que tu comprends que tu réalises des exploits.
- Non, assura Marlène. J’ai passé ma première bulle, super. J’ai plus qu’un um en réserve. Tout comme la moitié des magiciens, si j’ai bien compris.
- Il est difficile d’estimer la réserve d’un magicien et sa capacité de création, puisqu’il s’agit de données très personnelles, mais le CIM parvient à obtenir assez de volontaires anonymes pour réaliser des statistiques de temps en temps.
Marlène ouvrit grand ses oreilles.
- En moyenne, un magicien crée 1 um par jour et en possède une dizaine.
- Et si vous retirez de ces nombres ceux qui n’ont jamais rempli leur première bulle ? demanda Marlène qui voulait se comparer avec de vrais magiciens.
Les yeux de maître Gilain partirent dans le vide un instant avant de revenir. Il annonça :
- 10 um quotidien pour une réserve totale dépassant à peine la centaine d’um.
Marlène plissa les yeux.
- Ça ne te parle toujours pas, comprit-il.
Il sortit un cylindre de grès. Marlène y déversa l’intégralité de sa réserve, confiante en le fait qu’elle pourrait le récupérer juste après. Comme la dernière fois, elle se sentit mal à l’aise dans son environnement bleu vide.
- 1 kum, annonça maître Gilain.
Marlène blêmit.
- Quoi ?
- Tu as 1 kum en stock. Tu peux le reprendre.
- Mais vous avez dit… Je suis là seulement depuis une semaine et je possède dix fois plus de magie que la plupart des magiciens ?
- Oui, confirma le directeur. Tu es néomage.
Marlène reprit sa magie qui n’emplit pas sa réserve jusqu’à la bulle suivante. Elle ne l’avait pas atteinte, se concentrant sur sa recherche du ver minimal plutôt que sur le remplissage.
- Le tarif que vous me faites payer… commença Marlène.
Le directeur leva un sourcil interrogateur.
- Il n’est pas cher, termina Marlène.
Le directeur sourit.
- Sauf si on compte les extra, précisa le directeur, que tu payes aussi mille fois plus cher que les autres.
- Je vous paierai volontiers, assura Marlène. Vous m’apportez tellement !
Le directeur sourit de nouveau. Marlène venait de retrouver confiance en elle, de prendre la mesure de ses compétences et soudain, une immense tristesse s’empara d’elle. Julie lui avait bien dit : avoir beaucoup de magie ne servait à rien si on ne savait pas la modeler. Et justement, le problème était là car autant créer de la magie allait de soi, autant la maîtriser… Elle ne contrôlait même pas sa gnosie, n’atteignant ainsi pas la compétence d’un enfant de deux ans.