Lorsque je quitte la chambre d’Hans au petit matin, la tension qui m’étreignait le cœur s’est un peu apaisée. Malheureusement, l’inquiétude persiste, j’ai bien vu que son état n’allait guère mieux. Il fait tout son possible pour cacher sa douleur, mais celle-ci reste présente. Je me dirige vers le QG. Arrivé devant ma porte, je remarque que celle-ci est ouverte. Avec prudence, je pénètre dans mon bureau. Mon cœur manque un battement en découvrant la personne assise sur ma chaise. Comme s’il était chez lui, Tellin feuillette un classeur sur ma table. Mon sang ne fait qu’un tour.
- De quel droit oses-tu ? craché-je.
- Du mien, lâche-t-il complètement indifférent à ma réaction.
Il se redresse et continue :
- Comme tu mettais du temps à venir, je me suis permis d’entrer. Nous devons voir les victimes de l’attentat.
D’un pas tranquille, il me dépasse et sort. Remarquant que je ne le suis pas, il se retourne.
- Tu viens ?
Je tremble de fureur. Comment ose-t-il ? Mes jambes se mettent en marche automatiquement. Bien que mon esprit s’y oppose, mon corps continue à obéir. Je le suis tête baissée, la mâchoire serrée à m’en faire mal. Aucun de nous deux ne parlons. À l’hôpital, un médecin nous attend. Il nous amène devant une porte. L’air est saturé d’une odeur d’antiseptique. Celle-ci se renforce quand nous entrons dans la chambre des victimes. Deux lits se trouvent dans la pièce. L’un des deux soldats est endormi alors que l’autre nous fixe le regard complètement hagard. Cette vision me refroidit d’un coup. Le médecin nous laisse seuls avec eux. Tellin empoigne une chaise et s’installe au côté du soldat éveillé. Nous devons pratiquement avoir le même âge, peut-être est-il plus âgé. L’homme semble retrouver ses esprits quand il remarque le major. Il tente un salut, mais Tellin l’arrête.
- Inutile, Soldat Esco. Comment allez-vous ?
L’homme lui jette un regard en coin.
- Dois-je vraiment vous répondre, mon major ?
Les yeux de Tellin se posent sur le bras du soldat où sa main a été amputé.
- Pardonnez-moi mon indélicatesse, soldat.
- Vous êtes là pour l’attaque ?
Mon supérieur et moi hochons la tête en même temps.
- Désolé, mon major. Je ne vais pas pouvoir vous aider, la bombe a explosé dans mon dos. Je n’ai pas pu voir. Si j’ai survécu, c’est uniquement grâce au colonel Bévier qui se trouvait derrière moi. Il a tout encaissé.
Le regard du jeune homme se perd à nouveau dans le vide. Tellin tente de le ramener à lui.
- Avez-vous entendu quelque chose de particulier avant l’explosion ?
La tête du soldat penche mollement sur le côté. On n’arrivera à rien avec lui, il est complètement sous le choc. Son voisin se réveille en sursaut. Un bandage lui entoure les yeux.
- Major Tellin, appelle-t-il paniqué.
Tellin se lève pour venir près de lui.
- Je suis là, soldat Frastel.
Frastel passe sa main sur le visage de mon supérieur comme pour s’assurer que Tellin est bien là. Au lieu de l’écarter, celui-ci le laisse faire.
- Mon major, le terroriste.
Le blessé respire profondément avant de reprendre.
- Ce n’est pas un homme de chez nous.
- Ce sont donc bien les rebelles, m’exclamé-je.
Tellin me fait taire d’un geste sec puis reporte son attention sur la victime.
- À quoi ressemblait-il ?
- Honnêtement, je ne l’ai pas bien vu. Toutefois, je me rappelle qu’il portait un uniforme trop grand pour lui, mais ce qui m’a surtout frappé c’était son visage. Il était complètement déformé.
- Un cobaye, hoqueté-je, surprise.
Je me rends compte trop tard de mon erreur. Tellin me fusille d’un regard noir. Tout tourne dans ma tête. Je ne comprends pas. Les odeurs de désinfectant qui sature cette pièce ne m’aident en rien à avoir les idées claires. Sans demander l’avis de mon supérieur, je sors d’un pas confus de la chambre. Je suis prise d’un haut-le-cœur. Je respire à grandes goulées pour calmer la nausée qui remonte en moi. Je chancelle et cogne mon épaule contre le mur où je me laisse glisser. Une vérité s’impose à moi. Au fond, les rebelles ne valent pas mieux que nous. Ils utilisent les cobayes sans pitié. Moi qui croyais qu’ils leur venaient en aide, j’ai été stupide. Des pas résonnent dans le couloir. La personne s’arrête devant moi. Je n’ai pas besoin de lever les yeux pour savoir qui c’est.
- Wolfgard t’a parlé n’est-ce pas ?
Tellin s’accroupit et me force à le regarder. Mon visage est baigné de larmes. J’ignore quand elles ont commencé à couler.
- À voir ta réaction face aux propos de Frastel, j’en déduis que tu espérais trouver une aide chez ces ordures.
Je lui crache à la figure. Encore une fois, Tellin a vu juste. Oui, j’espérais trouver une aide chez eux, mais à l’évidence c’était une erreur. Je suis surprise par ma réaction. La main de Tellin claque sur ma joue avec une telle force que je me mords la langue. Le goût du sang envahit ma bouche. Tellin m’empoigne le menton sans ménagement.
- Écoute-moi bien Elena. Si tu fuis avec lui, je te jure que je vous retrouverai et crois-moi, Wolfgard connaitra une mort encore plus atroce que celle prévue.
Je me dégage et le projette contre le mur d’en face. Mes larmes s’écoulent toujours.
- Je te hais, Tellin. Hans n’avait rien avoir avec ça.
J’ignore ce qui me retient de lui tordre le cou. Un sourire amusé traverse le visage de mon supérieur avant que ses traits se durcissent.
- Tout en entièrement de ta faute, Elena. Si tu ne lui avais pas raconté ce que tu savais sur le Projet 66, rien de tout cela ne serait arrivé.
Il se redresse.
- Nous n’avons pas eu d’autre choix que de l’éliminer, continue-t-il d’une voix glaciale.
Je n’ai raconté qu’à une seule personne mon supplice. Cela a été la fois de trop. J’ignore comment ils ont su. Finalement, c’était bien ma faute. Le goût métallique du sang dans ma bouche m’empêche de perdre pied. Non, ce n’est pas moi qui suis la fautive, c’est eux. Ce n’est pas moi qui suis passée à l’acte qui a implanté ce poison mortel dans les veines d’Hans. Cela ne sert à rien de nier, mais je le fais.
- Alors vous avez condamné un innocent.
- Les preuves sont accablantes. Tu as signé son arrêt de mort.
- Si nous sommes à ce point coupables, pourquoi est-ce que je ne l’ai pas suivi ?
Un son aigu envahit les lieux. Ce n’est qu’en voyant les infirmiers accourir vers la pièce où se trouvaient les blessés que je comprends la provenance du bruit. Je regarde Tellin, horrifiée. Mes lèvres bougent, mais aucun mot ne sort.
- Car contrairement à eux, tu nous es encore utile, lâche-t-il. Alors, tâche de ne plus nous décevoir.
J’éclate de rire. Cela n’a rien de drôle et pourtant je ne peux plus m’arrêter. Tellin vient de dire à voix haute, ce que je crains tout bas. Ne plus être utile. Cela devrait me soulager, mais je ne ressens rien d’autre qu’un froid glacé. J’arrive à me relever. Tellin n’a toujours pas bougé. Je redresse le menton et nous nous défions du regard. Je finis par déclarer en articulant bien chaque syllabe :
- Je ne vous dois rien. Dis au maréchal que s’il veut m’achever, qu’il le fasse. Il m’a de toute façon perdu, et ce de manière définitive.
L’expression de Tellin se crispe.
- Tu as complètement folle, ma pauvre.
- La faute à qui ? sifflé-je.
Je le dépasse, mais il m’empoigne le bras sans douceur.
- Je pense que tu n’as pas bien compris le principe. Si tu n’obéis pas, tu meurs, c’est aussi simple que ça.
Je le contemple lasse.
- L’armée m’a tout pris, Tellin. En condamnant Hans, vous m’avez condamné également.
Je me dégage de sa poigne et m’éloigne. Le silence derrière moi m’informe qu’il ne me suit pas. Je me retiens de jeter un regard en arrière. Il penserait que j’ai des regrets. Des regrets, je n’en veux plus. Ils m’ont déjà suffisamment empoisonné dans le passé. C’est pourquoi je continue à marcher en regardant droit devant moi. Les temps ont changé. Enfin, je l’espère.
Je suis un peu surprise que ce que Hans sait du projet 66, il le sait par Elena car de fait, elle ne sait pas grand chose, en particulier de la facon dont les cobayes sont traites, une seule injection ou pas, elle n'intervient qu'a la fin du processus. Le but de ce projet reste aussi pas tres clair pour le moment. Il ne semble qu'aucun cas n'ait ete une reussite, et on ne sait pas ce a quoi une reussite ressemblerait.
Je me dis aussi que la decision d'un des rebelles, ancien cobaye, de se sacrifier ne signifie pas forcement qu'on l'a force et que tous les rebelles sont du coup aussi coupables que l'armee. Mais je suppose qu'elle se retrouvera tot ou tard avec la personne aprecue par Hans et qu'une confrontation sur ce sujet aura lieu???
Je n'arrive pas non plus a saisir le but de cet attentat, si ce n'est de fragiliser le centre encore plus?
"Aucun de nous deux ne parlE."
"Vous êtes là pour l’attaque ?" je me suis demande un instant s'il pensait qu'il allait etre attaque, peut-etre ajouter "vous etes la pour me poser des questions sur l'attaque?"
Bon courage pour la suite!