Chapitre 62 : Mariam - Cadeaux

Mariam se connecta à ses émotions, espérant y parvenir. Seul le néant lui répondit. Elle supposa avoir raté. Après tout, personne n’enseignait à ressentir son créateur via le lien. En soupirant, elle décida de se rendre en Russie, dans le château qu’elle avait elle-même rénové, espérant un bon accueil du seigneur Kervey et ses petits. Elle découvrit les lieux vides. Des toiles d’araignées courraient un peu partout. Les résidents étaient partis depuis longtemps. Dracula avait sûrement proposé à son ami et ses petits de le rejoindre. Elle espéra qu’il penserait à venir la chercher là.

Mariam se dirigea à gauche vers la salle à manger. Dracula avait failli la tuer dans cette pièce, un jour qu’elle avait accidentellement renversé de la sauce sur lui. Elle se souvint de la tête des convives le premier jour où Richard avait amené une prostituée au château.

Dans le bureau, elle revit ses discussions avec Dracula, alors qu’il lui donnait des leçons de décoration intérieure. Il montrait patience et bienveillance.

Au fond du couloir, la salle vidéo lui rappela les films, les dessins animés, les séries, les publicités mais aussi les récits de Dracula qui allégeaient le poids sur ses épaules tandis qu’enfin, il se confiait. Elle lui avait narré sa propre existence et il ne l’avait jamais critiquée.

Mariam ressortit, le cœur serré. La cuisine lui rappela son amitié avec Sam. Elle n’avait pas songé une seule fois à lui durant ces longues années à l’école. Elle s’en voulut terriblement. Il lui manqua brutalement.

La bibliothèque dévoila des étagères vides. Plus un livre ne se trouvait là. Mariam ne fut pas surprise que le seigneur Kervey soit parti en emmenant ses ouvrages avec lui. Il les aimant tant ! Elle se revit découvrir « Passé, présent, futur » et dénigrer son auteur devant le seigneur Kervey. L’ombre de Dracula plainait ici aussi, alors qu’il expliquait le soir à Mariam les mots incompris dans les textes.

Les queues de billard reposaient en vrac sur la table aux boules éparses. Un verre strié de toiles d’araignées attendait qu’on daigne lui accorder de l’importance.

À l’étage, Mariam retrouva sa chambre. Elle décrocha l’attrape-rêve, récupéra l’album photo des promenades faites avec Sam et fourra le tout dans un sac à dos avant de redescendre.

Elle se plaça debout, face à la porte d’entrée, se figeant pour économiser son énergie. Elle s’endormit, laissant une simple alerte de présence proche.

Lorsqu’il passa la porte d’entrée, elle se permit un sourire. Elle avait réussi. Elle fut surprise de le constater seul.

- Bonjour, Dracula.

- Bonjour, Mariam, répondit-il en secouant la tête d’un long soupir. Que fais-tu là ? Tu es censée être à l’école. Tout le monde te cherche partout ! Tu n’as pas le droit d’être ici, tu le sais ?

- Oui, je sais, répondit-elle. Seulement, cela fait des années que je demande à te parler et que mes formateurs me refusent cette conversation. J’ai été forcée d’agir de cette manière.

- Tu voulais me parler de quoi ?

- Je ne voulais pas te parler, répliqua Mariam.

- Quoi ?

- Je veux parler à Chris, indiqua Mariam, mais je pouvais difficilement faire cette demande à l’école.

- Pourquoi veux-tu parler à Chris ?

- C’est entre le roi et moi, répliqua Mariam.

Dracula recula en plissant des yeux. Elle l’aurait giflé que l’effet aurait été le même.

- Ton évasion de l’école te vaut une condamnation à mort, rappela Dracula. Chris ne va pas se montrer tendre avec toi. Il est du genre intransigeant.

- Depuis ma sortie, je ne me suis pas nourrie et je n’ai pas bougé d’ici. Je n’ai enfreint aucune des trois règles.

- Tu as faim, constata Dracula.

- J’ai fait tout le trajet sur mes réserves. Je ne me suis nourrie qu’une seule fois à l’école et encore, juste deux gorgées, il y a plus d’une dizaine d’années de cela. Le reste n’a été que de la nourriture classique. J’ai eu beau fouiller, je n’ai rien trouvé de mangeable ici.

Dracula hocha la tête. Il semblait énervé, consterné, apeuré, rassuré et curieux en même temps. Il sortit son téléphone et composa un numéro. L’autre correspondant décrocha rapidement.

- Chris ? Je l’ai retrouvée.

Le roi ne répondit rien. Que cette information ne l’intéressât pas était une évidence.

- Elle veut te parler, indiqua Dracula.

- Je vais venir, répondit le roi.

Dracula raccrocha.

- Chris est très occupé en ce moment. Il s’est passé un évènement majeur l’an dernier au palais. Qu’il t’offre son temps est…

- Un honneur, finit Mariam à sa place. J’en suis consciente. En attendant qu’il arrive, tu veux bien m’enseigner à contrôler les émotions des humains ?

Dracula lui lança un regard mi-amusé, mi-désolé.

- Ils ne t’apprennent pas ça, à l’école ?

- Je ne veux pas de leur leçon. Je veux apprendre avec le meilleur.

Dracula ne put s’empêcher de sourire au compliment. Puis, son visage devint grave.

- Je n’ai pas envie de perdre mon temps à enseigner à une morte.

- Si je survis à cet entretien avec Chris, tu promets de m’enseigner ? demanda-t-elle.

Dracula plissa des yeux, sourit à demi puis hocha la tête. Mariam sautillant en tapant dans ses mains. Restait maintenant à ne pas se faire tuer par un roi très stressé, très occupé et très en colère. Dracula et Mariam restèrent silencieux. Ils ne se quittèrent pas du regard, l’un tremblant pour l’autre, l’autre ravie de retrouver la présence rassurante de son créateur.

Chris entra sans frapper. Dracula s’éclipsa discrètement. Mariam s’agenouilla devant le roi.

- Je t’écoute, dit-il sans préambule.

- Ce n’est pas facile d’être plongée comme ça dans cet univers et d’en comprendre les tenants et les aboutissants, commença Mariam.

Chris sourit. Il semblait plutôt de bonne humeur.

- Du coup, arrêtez-moi si je me trompe. Vous ne voulez pas que Gilles connaisse votre existence parce que vous pensez qu’il va péter un câble et déclencher une guerre.

Chris acquiesça.

- Et si je vous disais que je sais comment vous pouvez l’annoncer à Gilles sans risquer une guerre ?

Chris pencha la tête, très intéressé.

- J’ai mis longtemps à comprendre pourquoi la détresse permanente de Gilles d’Helmer me touchait à ce point-là, pourquoi elle faisait écho à mon propre ressenti, comme s’il était le miroir de mon âme. J’ai fini par comprendre. J’ai compulsé le dernier ajout au livre des origines, celui qu’il n’a pas encore publié et qu’il garde précieusement caché dans son bureau. Je vais vous en réciter un passage, si vous le voulez bien.

Chris plissa les paupières. Mariam avait toute son attention.

« Quand mes avertis m’ont annoncé les avoir attrapés, j’ai sauté de joie. Enfin ! Paul et Baptiste se montraient. Et ils étaient prisonniers, ici, à l’Atlantide ! Quel bonheur ! »

Chris gronda. Mariam continua, imperturbable.

« Dans mes appartements privés, j’ai récupéré la version intégrale du livre des origines, bien décidés à les amener à s’entre-tuer. Nul doute qu’en lisant ça, ils se jetteraient l’un sur l’autre. J’en fus ivre de bonheur. »

- Va au fait, s’énerva Chris.

« Je suis entrée dans la prison et mon regard est tombé sur nos deux prisonniers en bas. Mon âme toute entière fut plongée dans un bain glacé. Je me figeai, incapable de bouger, de comprendre, de réagir. Je ne pouvais pas le croire. Il fallait que ce soit l’un d’eux. Quelle était la probabilité ? Quasi nulle et pourtant… Il était mon créateur. »

- Non ! gronda Chris. Ça ne peut pas être Baptiste. C’était Paul. Baptiste me l’aurait dit.

« J’ai joué cette pièce de théâtre tant de fois répétée. J’ai fait tomber l’exemplaire du livre des origines et je suis sorti tel un automate. De retour dans mes appartements, je me suis figé. J’avais mal, tellement mal, partout, ça brûlait. Mon créateur était là, possibilité inconcevable, inimaginable. Et il allait mourir.

« Je me forçai à l’inaction, me rendant à peine compte que l’un d’eux lisait le contenu du livre des origines à voix haute. Peu importait. Les avertis méritaient de savoir. La victoire était à nous. Quant aux prêtresses du mal, elles apprendraient la vérité et privées de leur mère éternelle, se soumettraient. J’ai attendu, l’âme déchirée. Oh comme cela a été difficile. Il n’y a pas de mot pour décrire cette sensation atroce.

« Il a fini le livre. Ils ont échangé puis ce fut le silence. Dans le silence glacial de l’Atlantide, j’ai clairement entendu le bruit du cœur arraché. Je suis retourné aux prisons, attrapant au passage le premier milicien qui passait. Je ne savais pas ce que j’espérais : qu’il soit mort ou qu’il ait survécu.

« J’ai regardé en bas. C’était lui. Il fallait que ça soit lui. Lui, mon créateur. Moi, son petit. J’étais censé le tuer. J’ai demandé au milicien d’appliquer la sentence mais dans mon cœur, je voulais qu’il vive. L’arrivée de Malika m’a déstabilisé mais surtout, elle m’a offert la possibilité de permettre à mon créateur de vivre tout en sortant la tête haute de cet échange.

- Ensuite, il chouine sur le fait que Juliette l’a largué et que Baptiste est parti sans un mot pour lui, résumé Mariam.

Chris serra les poings de rage.

- Comment se porte votre frère ? Si ce lien vieux de quatre cent mille ans pousse Gilles au bord de la folie, il ne doit guère faire mieux à Baptiste !

- Il s’enferme dans ses laboratoires et n’en sort jamais, indiqua Chris. Baptiste ne peut pas voir Gilles en peinture. Il le hait. Il le décrit comme un enfant immature et capricieux.

- Il est atrocement déçu par sa progéniture. C’est son unique petit ! C’est normal d’être exigent, non ? Gilles ne peut pas être à la hauteur. Personne ne le peut ! Baptiste doit accepter Gilles pour ce qu’il est, lui montrer qu’il l’aime, qu’il l’apprécie, qu’il le reconnaît. Ils s’en porteront tous deux tellement mieux !

- Baptiste doit lui montrer qu’il est fier de lui, dit Chris. Super. Et il fait ça comment ?

Mariam sourit.

- Tu as la réponse à cette question, comprit Chris.

- Je ne dérange pas le roi pour rien, assura Mariam.

Sa Majesté s’inclina puis attendit. Mariam ne le fit pas attendre.

- Votre frère est-il homosexuel ? demanda Mariam.

- Pardon ?

- Baptiste aime-t-il coucher avec des hommes ?

- Quel rapport avec le fait de reconnaître son petit ?

- L’est-il ? insista Mariam.

- Non, dit Chris.

- Et s’il l’était, cela vous dérangerait-il ?

- Non, indiqua Chris. Je m’en fous.

- Lui pas, j’en mettrais ma main au feu. Il est tombé amoureux d’un homme et pas n’importe lequel : un guerrier, un combattant, un chef de guerre. Sauf qu’il ne l’a pas accepté. Il a refoulé ce désir qu’il n’admettait pas, cette envie de se faire baiser par un homme. Et maintenant qu’il est le frère du roi, c’est encore pire.

- Je me fais enculer souvent et n’en perd pas en autorité pour autant, répliqua Chris en haussant les épaules.

Mariam sourit devant autant de franchise.

- Votre frère n’a probablement pas la même confiance en soi que vous.

- Quel rapport avec Gilles ? insista Chris.

- Baptiste est tombé amoureux d’un homme parce qu’il est homosexuel. Le sine condicione se tourne naturellement vers les désirs du porteur. J’ai vu de mes yeux pendant des années les effets du sine condicione sur votre petit, mon créateur. Je peux le reconnaître quand je le vois. Je peux vous assurer que Gilles est dans cet état.

- Gilles ? s’étrangla Chris.

- Il n’a eu qu’un seul petit dans toute son existence.

- Juliette, murmura Chris. Il a dormi pendant plusieurs centaines de milliers d’années, seulement tiré de son sommeil terrifié par le chant d’une enfant. Je n’ai jamais pensé…

- Vous la lui avez retirée, rappela Mariam. Elle est loin. Ce n’est pas étonnant que Gilles agisse comme un enfant capricieux. Il est malheureux. Son sine condicione lui a tourné le dos. Son créateur le méprise. Bien sûr qu’il va mal. Offrez-lui la paix de l’âme et il s’élèvera.

- Je ne peux pas forcer Juliette à revenir vers lui, indiqua Chris.

- Non, mais vous pouvez amener Gilles à devenir créateur.

- Personne ne lui interdit de le faire, répliqua Chris.

- Son créateur le méprise. Son unique petit a été crée sous l’influence du sine condicione et elle est partie, déçue et trahie. Les petits de sa merveille ne lui ont jamais offert que mépris, indifférence voir dégoût. Voilà qui ne donne guère envie.

- Pourquoi accepterait-il de m’obéir ? répliqua Chris.

- Je vous déconseille de lui ordonner de le faire, rétorqua Mariam. Il ne vous obéirait pas. Cela vous mettrait en colère. C’est créer le problème.

- Que proposes-tu en ce cas ?

- Il faut que la demande vienne de Baptiste. Si son créateur le lui demande…

- Utiliser le pouvoir d’un créateur sur son petit ne me semble pas la meilleure manière d’enterrer la hache de guerre. Je l’ai fait sur Baptiste parce que j’avais peur qu’il ne s’enfuie avant d’avoir perdu son sine condicione. J’étais pressé par le temps. Je ne le referai pas. Ce pouvoir, il ne faut pas en abuser.

- J’ai dis demander, pas ordonner, précisa Mariam.

- Gilles a enfermé Baptiste dans une cage, l’a amené à tuer notre frère Paul avant de le condamner à mort, rappela Chris.

- Baptiste va devoir faire le premier pas. Je n’ai pas dit que ça serait facile !

- Tu as bien fait ! Comment Baptiste est-il censé prouver à Gilles qu’il fait un pas vers lui ?

- En lui faisant un cadeau.

- Un cadeau ? Quel cadeau pourrait donc intéresser Gilles ? Il a tout ce qu’il veut !

- On s’en fiche, répliqua Mariam. Ce qui compte, c’est que ça vienne de son créateur. Bien sûr qu’il peut en avoir de lui-même…

- Qu’est-ce que Baptiste doit offrir à Gilles ?

- Baptiste est entré en sine condicione avec Kol parce qu’il est homosexuel. Gilles, quant à lui…

Mariam laissa sa phrase en suspens afin de laisser au roi la possibilité d’aller lui-même à la conclusion.

- Est hétéro ? proposa Chris. Juliette est une femme.

- Non, elle ne l’était pas, répliqua Mariam.

- Une enfant, se corrigea Chris. Gilles serait pédophile.

- Quelque chose qu’il n’admettrait pas, qu’il refoulerait, qu’il jugerait inadmissible. Ceci dit, je doute que ça soit sexuel dans son cas.

- Comment ça ?

- Je pense que Gilles apprécie de mordre des enfants, pas de les baiser. Après tout, Juliette lui a souvent proposé de baiser dans son corps d’enfant et Gilles a toujours refusé avec dégoût. Non, je crois qu’il a un genre de syndrome de Peter Pan. Il veut être le père d’un enfant qui ne grandit jamais.

- Ça serait pour cette raison qu’il ne procrée pas, comprit Chris. Parce qu’il veut transformer un enfant…

- Et que c’est très mal vu dans la communauté. Juliette a été longuement repoussée à cause de cela. Il ne veut pas faire souffrir un autre petit et cela se comprend.

- Tu proposes donc que Baptiste aille voir Gilles et lui offre des enfants, l’un d’eux pour le transformer et les autres pour le nourrir, comme cadeau de reconnaissance.

Mariam hocha la tête.

- Le sine condicione rend fou. Vous le savez mieux que personne. Quand en plus on se retrouve abandonné par son créateur…

- N’en veux pas à Imhotep. Je viens de le nommer grand vizir. Crois-moi, il a bien d’autres choses à faire.

- Je ne lui en veux pas. Je comprends. C’est juste atrocement douloureux.

Chris hocha la tête. Il ne se montra pas empathique mais pas méprisant non plus.

- Imhotep ne peut pas s’occuper de toi et si tu reparais à l’école, ils vont te tuer. Que vais-je faire de toi ?

Mariam haussa les épaules.

- Ce que vous voulez, Majesté, répondit-elle.

Il sourit.

- Allez ! Suis-moi. Tu restes à une distance de dix pas autour de moi. Éloigne-t-en et je te tue sans sommation.

- Je ne vous fausserai pas compagnie, promit Mariam en se levant.

Elle suivit Chris dehors. Dracula les attendait. Il sursauta en voyant Mariam aux côtés du roi et soupira de soulagement.

- Tu me dois une leçon, annonça Mariam.

- Il semblerait, rit-il.

Un véhicule jusque-là invisible apparut. L’engin, plutôt gros, ressemblait à s’y méprendre à une navette spatiale, très série de science-fiction. Chris monta à bord par la rampe ouverte.

- Par contre, je dois le suivre alors tu vas devoir faire de même pour remplir ta part du contrat.

Elle monta et Dracula fit de même. Mariam retrouva Chris dans le cockpit, assis sur le siège passager. Dracula se mit aux commandes. Mariam resta debout derrière.

- Où va-t-on ? demanda Dracula.

- Au palais, annonça Chris.

Dracula eut un regard vers Mariam, fronça les sourcils puis démarra sans rien dire. Visiblement, que Mariam puisse se rendre au palais dérangeait énormément son créateur. L’engin s’éleva dans les airs sans un bruit, ni soubresaut, ni vrombissement. Il prit rapidement de l’altitude puis creva le ciel pour se retrouver dans l’espace.

Mariam se tint sur le mur pour ne pas s’écrouler sous l’émotion. Les deux hommes assis semblaient trouver cela parfaitement normal. Mariam vit la lune grossir puis la navette la contourna pour dévoiler sa face cachée. Mariam en était muette d’admiration.

- Le palais n’est plus sur Terre ? demanda Mariam.

- Nous avons déménagé il y a peu, indiqua Dracula. Les chasseurs de Vampires regardaient de très près dans notre direction. Un hélicoptère à l’abandon dans une zone inhabitée a attiré leur attention.

Mariam grimaça. Leur hélicoptère était la cause du déménagement. Elle s’en voulut un peu avant de rejeter cette culpabilité : les prêtresses du mal auraient dû s’en charger. Elles étaient responsables de la sécurité et ce genre de détails auraient dû leur sauter aux yeux. Dracula poursuivit :

- Nous ne voulions pas risquer qu’ils détruisent les montagnes d’une bombe nucléaire. Nous sommes partis, à un endroit où ils ne peuvent pas nous rejoindre.

La navette entra dans une sorte de tube qui n’était pas là deux secondes auparavant et la vue changea radicalement. Plus de lune, plus de Terre, mais un nuage d’étoiles et de poussières colorées.

- Voilà qui explique pourquoi je ne parvenais pas à te trouver à travers le lien. Je n’étais pas mauvais. Tu étais juste…

Mariam ne savait pas comment finir sa phrase. Dracula le fit pour elle :

- Dans un autre univers.

- Un autre univers ? On vient de changer d’univers ? s’étrangla Mariam.

- On se sent tellement mieux une fois le sine condicione disparut. Baptiste fait des étincelles, s’amusa Dracula.

Il se tourna vers le roi et lança :

- On sait maintenant que le lien ne passa pas la quatrième dimension.

Chris sourit en retour. Mariam redonna son attention au ciel coloré, ne sachant où poser son regard tant la beauté la submergeait.

Un objet stellaire non identifié apparut et la navette creva sa bulle protectrice. Une forêt magnifique sous un splendide ciel bleu s’étala sous les yeux ahuris de Mariam. Si elle avait fermé les yeux pendant dix minutes, elle n’aurait jamais cru avoir quitté la Terre. Elle comprit ce que Chris avait voulu dire par « Très occupé ». Elle ne douta plus que son créateur ait bien autre chose à faire que la paterner.

La navette se posa en douceur, silencieusement et sans à-coup. Chris et Dracula se levèrent ensemble. Mariam les suivit dehors. Lorsqu’elle foula le sable fin, elle ne constata aucune différence de gravité, de pression, de température, de composition d’air. Cet endroit aurait pu passer pour la Terre.

Chris s’éloignant, elle lui emboîta rapidement le pas, peu désireuse de dépasser la limite de distance autorisée. Ils marchèrent quelques minutes au milieu d’arbres et de fougères sous des chants d’oiseau. Les feuilles bruissaient sous un vent tiède. Mariam aperçut des écureuils, un daim et même un petit renard.

Un bâtiment beige apparut. Il se fondait parfaitement dans le paysage. De plein pied, tout en rondeur, il donnait une impression de cocon. Une ouverture se fit dans le mur et Chris en passa le seuil.

- Euh… Chris ? On peut entrer ? demanda Dracula.

- Elle a intérêt. Toi, je te donne l’autorisation exceptionnelle puisque, apparemment, tu lui dois une leçon. Tu vas pouvoir la lui faire depuis cette pièce.

Ils entrèrent pour découvrir une grande salle rectangulaire entièrement vide sans fenêtre. Les murs étaient beige, ainsi que le sol et le plafond. On se serait dit dans une grotte chaude. La luminosité était douce et agréable mais Mariam aurait bien été en peine d’en désigner la source.

- Je n’en reviens pas d’être dans la pouponnière, s’exclama Dracula.

- Mariam, tu restes dans cette pièce, ordonna Chris avant de disparaître derrière une ouverture qui était apparue spécialement pour lui avant de redevenir un mur plein.

La jeune Vampire secoua la tête. Cela faisait vraiment beaucoup d’informations en même temps. Elle décida de laisser tomber pour se concentrer sur l’essentiel : son créateur était là et s’apprêtait à lui apprendre à contrôler les émotions des humains.

Elle se tourna vers lui, le dévorant des yeux. Il sourit, secoua la tête puis soupira avant de lancer :

- Bon, ok.

Mariam sautilla de plaisir.

- Respire profondément et active tous tes récepteurs olfactifs. Maintenant, dis-moi, ça, c’est quoi ?

Il souffla sur sa main en sa direction. Mariam eut beau renifler, elle ne percevait rien.

- J’augmente la dose, indiqua Dracula.

Il dut le faire deux fois pour que Mariam annonce :

- C’est négatif.

- En effet, confirma-t-il avant d’augmenter encore et Mariam annonça :

- C’est la peur.

- Correct. Et ça maintenant ?

- C’est positif. L’amour ?

- Non.

- La joie, finit-elle par reconnaître.

- Correct. Et ça ?

Mariam eut beau sentir, humer à pleins poumons, ça ne venait pas.

- Ferme les yeux et imagine que je ressente cela. Qu’en penses-tu ? Tu viens de froncer les sourcils. Pourquoi ?

- C’est désagréable.

- De m’imaginer ressentir cette émotion ?

- Oui, confirma Mariam.

- Pourquoi ?

- Je me sens mal.

- Parce que je suis…

- En colère. Tu es en colère.

- Bravo. C’est ça. Et ça ?

- C’est le désir sexuel.

- Ah ouais, celui-là, c’est direct hein ! On voit tes préférences !

Mariam lui envoya un gentil regard noir amusé. Il continua ainsi, l’obligeant à reconnaître une trentaine d’émotions différentes.

- Bien, maintenant que tu as cartographié, reconnu et classé correctement, on va recommencer mais en diminuant les doses.

Mariam dut citer des centaines d’émotions. Dès qu’elle ne commit plus aucune erreur, il en mélangea deux et Mariam dut les nommer. Elle y parvint sans difficulté. Quelque fut la composition et le nombre d’ingrédients, elle désignait avec certitude le mélange.

- Tu es douée, annonça Dracula et Mariam sentit son cœur bondir de joie à cette réflexion. À ton tour. Montre-moi la peur.

- Tu veux que je modifie mon odeur corporelle pour créer la peur ?

- C’est ça.

- Je ne peux pas, annonça Mariam. J’ai faim. Si je modifie mon corps, je vais perdre le contrôle.

Dracula transperça son ventre des yeux avant de hocher la tête. Il sortit sans un mot, la laissant seule. Il revint un long moment plus tard, une poche rouge à la main. Il la lui tendit.

- Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-elle en prenant l’objet lourd.

- Du sang. Tu peux le boire.

Mariam avait une confiance aveugle en son créateur. Elle enficha ses dents dans l’ouverture prévue à cet effet et but une gorgée. L’effet la prit par surprise. Elle s’en détacha de la poche.

- Ce n’est pas du sang humain, comprit Mariam. C’est quoi ?

- C’est mauvais ?

- Non ! C’est délicieux ! Je n’ai jamais rien bu d’aussi bon !

- Alors profite au lieu de poser des questions.

Mariam avala toute la poche dont Dracula se saisit une fois vide.

- Maintenant que tu as de l’énergie, montre-moi la peur.

Mariam se sentait extraordinairement bien. Le regain d’énergie était fantastique. Mais qu’y avait-il donc dans cette poche ? Elle modifia son odeur et Dracula la guida pour améliorer le résultat. Il se montra d’une patience ahurissante, la reprenant avec douceur, répétant volontiers ses conseils.

Finalement, il retourna vers la porte mais ne la passa pas. Depuis l’intérieur, il lança un « Entre » froid et cassant. Un homme passa le seuil pour se retrouver dans la pièce. Il s’avança vers Mariam.

- Ton but : le contrôler émotionnellement. On va commencer facile avec la peur. Tu n’as évidemment pas le droit de sortir les dents.

- Je dois créer la peur, comprit Mariam.

- Si tu te contentes de cela, ça fonctionnera probablement, mais mal. Si tu veux t’assurer du résultat, commence par connaître ta proie. Étudie-la. Cet homme, que ressent-il actuellement ? Si ça se trouve, il a déjà peur et tu n’as rien à faire !

- Il n’a pas l’air effrayé, dit Mariam, ce qui est surprenant d’ailleurs.

- Pas vraiment, indiqua Dracula. C’est un initié. Il a l’habitude des excentricités des Vampires.

- Un initié ? Qu’est-que c’est ?

- Des humains qui connaissent leur place dans l’univers. Ils savent que les Vampires existent et nous servent. Ils sont reconnaissables au port de ce pendentif.

Dracula sortit le bijou de sous la tunique de l’humain qui ne broncha pas au contact du Vampire. Mariam l’observa puis hocha la tête.

- Ta phrase « Il n’a pas l’air effrayé » prouve que tu n’utilises pas seulement ses odeurs pour obtenir des informations, dit Dracula. C’est une excellente façon d’agir. La posture, les micro expressions du visage, la tension artérielle, le rythme respiratoire ou les battements cardiaques t’en apprennent également beaucoup.

Mariam hocha la tête, comprenant qu’elle avait encore beaucoup de choses à apprendre.

- Mais aujourd’hui, on va se concentrer sur les odeurs, précisa Dracula et Mariam sourit. Alors, dis-moi, que ressent-il actuellement ?

Mariam le renifla, faisant le tour de cet humain qui resta stoïque alors qu’un Vampire se servait de lui comme cobaye.

- Je dirais qu’il est inquiet mais pas apeuré, juste inquiet. Un peu curieux et surpris. Une légère dose d’anxiété et là, maintenant, il est amusé.

- Le jeu lui plaît, en effet, confirma Dracula.

- Il est circonspect, continua Mariam.

- Il ne comprend clairement pas ce que nous faisons mais d’habitude, quand un Vampire réclame un initié, c’est pour le mordre ou le violer alors disons que la situation lui convient.

Mariam ricana. Cela, elle voulait bien le croire.

- Bien, maintenant, fais-lui peur. Monte doucement, observe ses réactions. Tu vois, là, tu n’obtiens pas l’effet désiré parce que tu pars trop dans les graves, remonte.

Mariam ajusta et l’effet fut immédiat. L’initié se crispa et se tendit, son regard devint fuyant et sa respiration s’accéléra.

- Mets-le en colère.

Mariam ajusta son odeur, accordant une immense attention à sa victime. L’initié réagit à la perfection.

- Maintenant calme-le.

L’initié devint serein tandis que Mariam lançait à Dracula un regard pesant.

- Qu’y a-t-il ? demanda-t-il.

- C’est la première émotion que tu m’as forcée à ressentir, dans cet hélicoptère secoué par une tempête de neige.

- J’ai réussi à t’endormir ! rappela Dracula.

Mariam sourit à ce doux souvenir, à la fois lointain et fort. Endormir quelqu’un dans une telle situation lui sembla impossible. Son créateur était vraiment un maître en la matière. Le jeu dura encore un moment puis Dracula mit l’initié dehors et une femme prit sa place.

- Test final, annonça Dracula. Cette fois, je ne t’aide pas. Montre-moi ce que tu sais faire.

Mariam dut enchaîner les émotions. L’humaine lui mangea dans la main, réagissant à la perfection.

- Tu es au contrôle, annonça Dracula. Bien sûr, tu peux t’entraîner pour t’améliorer mais tu as le minimum requis.

- Merci, Dracula.

- De rien.

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