Chapitre 61 : Mariam - Enseignement

- Bonjour, Mariam. Je suis Tybald, un des professeurs.

- Bonjour, Tybald. Vous êtes mon référent ?

- Non, répondit-il. Je ne suis que l’un des nombreux Vampires volontaires pour surveiller les petits.

« Surveiller », pensa Mariam. Un professeur était-il censé surveiller ses élèves ou les guider, les instruire, les éduquer ? Elle n’approuvait pas le verbe choisi. En revanche, il ne l’étonna guère. Cela correspondait à l’idée que Stiny s’en faisait.

- Ceci dit, rien ne t’empêche, avec le temps, de t’en choisir un, précisa-t-il en souriant.

Mariam se retint de ricaner. Elle doutait carrément que cela se produise un jour.

- Tu es ici pour apprendre à te contrôler.

- Maîtriser mon apparence, mordre sans tuer ni transformer, rentabiliser chaque mouvement, contrôler les émotions des humains, améliorer mes sens, faire appel à ma mémoire parfaite.

- Tu es déjà bien informée, constata-t-il. Mais avant cela, tu dois intégrer les règles.

- La paix, la descendance et la sécurité, cita Mariam.

Tybald cligna plusieurs fois des yeux, surpris.

- J’ai lu le livre des origines, précisa Mariam.

- Oh ! Excellent ! répondit le professeur, clairement ravi. Ceci dit, comme tu n’es pas au contrôle, une quatrième loi s’applique sur toi : l’interdiction de quitter l’école.

- Non, répondit Mariam.

Le professeur se crispa.

- Ce n’est pas une quatrième loi. C’est juste une conséquence de la sécurité. Si je sors sans être formée, les humains me repéreront, rompant l’invisibilité.

- Tu es vraiment bien informée.

Mariam garda le silence.

- L’école ne propose pas d’heure de cours, précisa Tybald. La volonté de te contrôler doit venir de toi. Promène-toi, observe, regarde, interroge, discute et la connaissance viendra. Cela prendra du temps alors ne te mets pas trop la pression. Tu as des questions ?

Mariam secoua négativement la tête alors Tybald s’éloigna. Mariam se mit dans un coin d’un grand hall très passant et se figea, observant immobile, écoutant, lançant ses oreilles et ses yeux loin, enregistrant un maximum de choses.

Elle perçut des cours donnés à d’autres élèves, des discussions banales, des réunions d’avertis présidées par Gilles d’Helmer où tout le monde donnait son avis, ressortait mécontents et dans lesquelles aucune décision ne se prenait jamais.

Gilles restait très en retrait. Curieuse, Mariam passa beaucoup de temps à l’observer. Elle découvrit un homme très triste, abattu, moralement à plat, distant, lointain, renfermé. Elle eut la très nette impression de voir Lord Kerings et cela la fit frissonner.

Il passait beaucoup de temps seul à marmonner, à frapper des cailloux, à ronchonner, à pleurer aussi. Mariam en eut pitié. Nul ne venait le soutenir. Dès qu’un averti approchait, Gilles reprenait constance, cachait ses émotions, se redressait et assumait son rôle de guide. Pour Mariam, il était clair qu’il n’avait pas envie de l’être et que ce titre le minait.

- Bonjour, Mariam.

- Bonjour, Yanis, répondit la jeune Vampire.

Le professeur tiqua, clairement surpris qu’elle connaisse son nom.

- J’écoute, indiqua Mariam qui discutait avec ce formateur pour la première fois.

- C’est une excellente chose. Voilà qui nous rassure un peu… juste un peu. Voilà Mariam, cela fait un an que tu es parmi nous et nous aimerions faire un point, savoir où tu en es. Cela te convient-il ?

- Si vous voulez, répondit Mariam en haussant les épaules.

Elle rajusta sa position puis entreprit de se curer les ongles.

- Quelqu’un va dire ton prénom puis un mot. Répète-moi le mot.

Mariam attendit un instant puis répéta « Champignon » en soupirant. Yanis cocha une case sur le bout de papier qu’il tenait sur un socle dans sa main droite. Mariam leva les yeux au ciel. Yanis portait des vêtements gris très laids. N’y avait-il pas de stylistes parmi les avertis ?

- Quels sont les derniers mots que le professeur Tybald t’a dit l’an dernier ?

Et ses chaussures ! Des babouches colorées ! Quelle horreur !

- Il m’a demandé si j’avais des questions, répondit Mariam.

- Ses mots exactes ?

Son visage glabre aux cheveux noirs bien taillés proposaient des lignes harmonieuses.

- Tu as des questions, répéta Mariam en modifiant ses cordes vocales afin de parler avec la voix du professeur.

Elle imita même son intonation. Yanis sourit, amusé, puis cocha plusieurs cases. Ses mains offraient des ongles limés.

- Peux-tu paraître humaine ?

Mariam se mit à respirer avec répétition et plus seulement pour parler. Son cœur battit régulièrement. Elle cligna des yeux et bougea imperceptiblement d’un peu partout, un humain éveillé n’étant jamais vraiment au repos, même assis.

- C’est excellent, dit Yanis épaté. Pas parfait, mais c’est très bien. Pour une petite aussi jeune, tu es plutôt douée. Tu ne t’es jamais nourrie depuis ton arrivée.

Il parlait espagnol, la langue des temples, que Mariam avait apprise en quelques heures après son arrivée, ravie que sa mémoire lui offre cette possibilité.

- Je n’en ai pas ressenti le besoin, précisa Mariam. Je ne suis guère active.

Un homme de taille moyenne, le visage rond marqué de nombreuses rides, portant une chemise colorée légère ornée d’élégantes broderies traditionnelles, apparut. Lui, contrairement à Yanis, savait s’habiller. Sa peau dorée par le soleil lui conférait une aura chaleureuse. Cet homme avait, sans nulle doute, vécut des aventures et partagés de merveilleux moments en famille. Mariam s’en fichait. Ses yeux écarquillés, ses pupilles dilatées, son cœur proche de la rupture, les larmes, la respiration saccadée, les mots suppliants sortant de sa gorge entre deux hoquets, il luttait contre le Vampire dans son dos le maintenant de force.

- Peux-tu le calmer ?

- Non, Yanis, je ne peux pas. Je ne sais pas faire.

Il y avait des leçons portant sur ce sujet mais Mariam refusait de les entendre. Elle avait pour créateur le maître en la matière. Elle voulait recevoir cet enseignement de lui et de lui seul. Yanis annota sa feuille puis demanda :

- Accepterais-tu de te nourrir devant moi ?

Mariam hocha la tête.

- Pourrais-tu essayer de ne pas le drainer de son sang ?

Mariam acquiesça. Elle mordit sa victime au bras, but une gorgée puis retira ses dents.

- Extraordinaire ! Tu es extrêmement douée !

- Si vous le dites, répondit Mariam.

Elle voulait partir, rejoindre Dracula. Elle approuvait le ressenti de Stiny. Cet endroit puait. Trop de dissensions, trop de rancœurs, pas assez de solidarité. Chacun faisait ce qu’il voulait sans s’intéresser à ses voisins. Les disputes étaient nombreuses, les rixes quotidiennes.

- Tu as mordu combien d’humains avant d’arriver à l’école ? s’exclama Yanis, la fixant comme un poisson dans son bocal.

- Un, répondit Mariam, et je ne l’ai pas drainé de son sang non plus.

Yanis ouvrit de grands yeux ébahis. Il se reprit et cocha une case mais visiblement, il n’en revenait pas.

- Tue-le, demanda Yanis en désignant l’homme.

Mariam posa son regard sur lui et ce qu’elle ressentit la prit au dépourvu. L’amour pour cet homme venait de la transpercer. Elle ressentait le besoin de prendre soin de lui, de le protéger, de…

- Tu as trop attendu avant de lui retirer son cœur. Maintenant, tu vas devoir tuer un petit avec qui tu t’es liée. C’est plus difficile. Tu n’as pas eu ce problème lors ta première morsure ?

- Un autre Vampire l’a tué pour moi, supposa Mariam qui n’y avait même pas prêté attention.

- Oh. Personne d’autre que toi ne se chargera de celui-là. Tu dois apprendre à le faire. Tu vas beaucoup te nourrir avant de savoir contrôler ton venin. On ne peut pas toujours le faire à ta place.

- Comment suis-je censée m’y prendre ?

- Enfonce ta main dans son abdomen et arrache-lui le cœur.

Mariam vit l’homme la supplier des yeux. Elle sentit son âme hurler. Elle hésita.

- Plus tu attends et plus le lien se renforce. La pénibilité ne fera qu’augmenter. Ce lien-là est puissant, très puissant et loin de diminuer, il se raffermit avec le temps. C’est d’ailleurs une des raisons pour laquelle cette école a été créée. Puisqu’aucun formateur n’est ton créateur, il nous est plus facile d’être objectifs.

- Et de tuer un petit trop lent à se contrôler ?

- Il n’y a pas de temps limite, précisa le formateur. Simplement, après un moment variable selon les gens, l’école paraît vraiment petite et l’élève rêve de liberté. Il tente de s’enfuir et se fait tuer. C’est inévitable, malheureusement.

- Combien des apprentis de cette école finissent de cette manière ?

- Trois sur quatre, annonça froidement le formateur.

Ce lieu brillait avant-tout pour son taux d’échec. C’était désespérant ! Mariam rêva une fois de plus à son créateur. Lui saurait l’amener au contrôle. Elle soupira. Il était occupé. Il découvrait son créateur, un monde entier. Enfin libéré de ses démons, il s’ouvrait telle une fleur à l’aube.

Mariam se mit à trembler. Son petit la suppliait des yeux et des mots. Elle enfonça son bras dans son torse, découvrant que c’était excessivement facile. Le formateur annonça :

- Tu es trop basse. C’est la rate que tu tiens. Remonte. Le cœur est plus gros et plus haut… sous les côtes… oui, c’est ça. Tiens le fort et tire.

Mariam fit ce qui était attendu d’elle et son petit se figea avant de disparaître en fumée, ne laissant derrière lui que ses vêtements. Mariam avait un goût amer dans la bouche. Elle n’aimait pas du tout faire ça.

- Personne n’apprécie. C’est pourquoi il est très agréable d’apprendre à contrôler son venin et arrêter de transformer à chaque morsure. De plus, cela permet de cesser de gaspiller la nourriture.

Mariam hocha la tête.

- Je ne me suis même pas rendue compte que je mettais mon venin en lui, maugréa-t-elle.

- Contrairement à tout ce qui est dit, le sang n’est pas ce qui attire le plus un Vampire. On peut rester des siècles sans en boire, en mangeant seulement de la nourriture classique. D’ailleurs, tu veux un marshmallow ?

Mariam comprit que le test continuait. Elle n’en avait pas envie mais se força tout de même à en prendre un, à le mâcher puis à l’avaler. Elle n’en ressentit aucun dégoût ni aucune gêne. Elle avait vu pendant des années des Vampires se nourrir normalement et apprécier. Elle n’avait aucun a priori négatif sur le sujet. Elle n’avait juste pas envie de manger là, sur le moment.

Yanis annota sa petite feuille puis leva les yeux sur elle en souriant.

- Ce qui est insurmontable pour un Vampire, c’est de cesser de procréer. D’ailleurs, il est interdit d’interdire la procréation.

Agapè, que les Aars nommaient sine condicione, pensa Mariam. Cela avait plongé Dracula dans ses abîmes de mélancolie dont seule la création de Mariam l’avait extirpé. Elle l’avait libéré, lui permettant de s’ébattre librement tandis qu’elle restait ici, enfermée sur l’ordre de Chris qui ne voulait pas qu’un boulet s’immisce entre lui et son petit enfin retrouvé. Mariam se força à ne pas pleurer. Elle ne voulait pas craquer devant cet averti.

- J’espère qu’il est clair pour toi qu’on ne veut pas t’interdire de procréer mais bien que tu contrôles ce moment.

Mariam hocha sobrement la tête.

- Parfait, conclut Yanis. Tu es très douée. Bravo. Continue comme ça.

Mariam eut envie de le frapper. Elle s’en fichait de sa reconnaissance. Elle voulait celle de Dracula, pas celle d’un formateur averti. Heureusement, Yanis s’éloigna tout guilleret. Pensait-il vraiment que cette école était à l’origine de son évolution rapide ? Mariam secoua la tête et se replongea dans ses observations, changeant souvent de point de vue.

Gilles restait son sujet principal. Elle passa beaucoup de temps à le regarder. Elle se sentait proche de lui d’une manière indéfinissable, comme s’ils étaient jumeaux, proches émotionnellement.

Elle se donna comme mission de l’étudier afin de le comprendre. Sans pouvoir s’expliquer pourquoi, elle voulait l’aider, lui rendre le sourire, lui tendre la main afin qu’il cesse de se noyer, lui tendre une corde pour qu’il puisse sortir de ce trou profond et sombre où il était tombé.

Aucune leçon ne permettait d’apprendre à ne pas transmettre son venin et elle ne voulait pas écouter comment contrôler les émotions humaines si bien que cette école ne lui apporta plus rien. Elle écoutait vaguement, de temps en temps, des leçons sur les modifications d’apparence afin de paraître humain ou augmenter ses compétences personnelles.

Elle passa ainsi quatre-vingt-dix pourcents de son temps à observer Gilles. Il ne sembla pas s’en rendre compte. Il y avait beaucoup de monde et le guide se trouvait souvent sous le regard des siens. Ainsi, les yeux d’un petit ne le troublèrent pas.

Il fallut pas moins de sept mois à Mariam pour comprendre pourquoi elle se sentait proche de Gilles. En prenant l’apparence du maître de l’Atlantide partit s’évader en forêt, elle entra dans son bureau, y trouva ce qu’elle cherchait, parcourut les lignes qui lui confirmèrent qu’elle avait vu juste, puis ressortit tranquillement.

Lorsque Yanis revint vers elle pour le bilan annuel, Mariam lui indiqua :

- Je ne me suis améliorée ni en contrôle des émotions, ni en capacité à retenir mon venin. Par contre, j’aimerais parler à mon créateur.

- Tous les petits veulent parler à leur créateur, répliqua Yanis. Si tu es ici, c’est qu’il ne veut pas entendre parler de toi. Accepte-le.

Yanis s’éloigna sans un mot supplémentaire. Mariam serra les dents de rage. Un simple coup de téléphone suffisait. Pas besoin qu’il se déplace non plus ! L’année suivante, Mariam précisa :

- Je ne veux pas lui demander de m’enseigner. J’ai compris qu’il ne voulait pas. J’ai juste besoin de lui parler.

- Donne-moi ton message et je le lui transmettrai.

« Et mon cul ? » pensa Mariam qui lui envoya un regard noir pour seule réponse. Chaque année, Yanis vint la voir et chaque année, Mariam répéta sa demande, ne recevant que refus sur refus. Ces années ne furent cependant pas perdues car Mariam les mit à profit pour réfléchir.

Finalement, elle se décida. Elle prit l’apparence de Gilles d’Helmer lui-même, qu’elle connaissait par cœur à force de le regarder, et sortit de l’école par la grande porte. Nul ne tenta de l’en empêcher. Nul ne la poursuivit. Cela lui sembla bien trop facile.

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