Il me faut un certain temps pour retrouver mon calme après ma sortie de l’hôpital. J’observe mes mains qui tremblent encore sous le coup de l’émotion. C’est la première fois que je parviens à tenir tête à Tellin de cette manière. D’habitude, je n’arrive jamais aller jusqu’au bout de mon geste. Une terreur profondément ancrée me stoppe systématiquement dans mon élan et la fin, c’est chaque fois pareille, c’est mon supérieur qui gagne. Aujourd’hui, c’est différent. J’ai surmonté cette peur pour enfin aller de l’avant. Toutefois, je ne peux qu’à me réjouir à moitié. Ma situation va se compliquer et j’ignore comment. Tellin comme le maréchal n’abandonnera pas aussi facilement. Le major l’a confirmé, je leur suis encore utile. Pourquoi ? Le doute m’envahit. Le Projet 66 ? Certainement. Tout en méditant, j’aperçois Vincent que je me dépêche de rejoindre. Après m’avoir fait rentrer dans son cabinet. Je lui relate les derniers évènements concernant Hans. Son expression se fait plus dure quand je mentionne l’acte manqué de mon compagnon. Il pose une main presque paternelle sur mon épaule.
- Ne t’inquiète pas, Elena. Je vais m’en occuper. Toi retourne travailler. Je te tiens au courant.
- Merci, Vincent.
Après l’avoir salué, je sors du centre de soin et me dirige vers mon bureau. Ce n’est que devant celui-ci que je me rappelle Isis. Je l’avais complètement oubliée. À la hâte, je me rends dans l’aile où nous dormons. J’ai à peine effleuré la porte de la chambre de mon aide de camp qu’elle s’ouvre. Isis se trouve sur le pas de la porte. Elle fixe le sol. Je m’apprête à m’excuser en croyant l’avoir inquiété par mon absence, mais je me tais en remarquant ses yeux rougis. Elle s’avance puis referme derrière elle. La porte close, elle m’adresse enfin la parole :
- Que faisons-nous aujourd’hui ?
Le ton qu’elle emploie m’interpelle. Il a dû se passer quelque chose pendant mon absence ou je dois me faire des idées. Bien que préoccupée pour la jeune fille, je ne parviens qu’à répondre :
- Tu dois être affamé. Allons manger.
- Ça ira, je n’ai pas faim.
Je hoche la tête.
- Comme tu voudras, dans ce cas direction mon bureau.
Le trajet se fait en silence. Nous arrivons au QG où il y fait relativement calme. Soudain, l’alarme se déclenche et nous nous retrouvons dans le noir. Je suis trop surprise pour paniquer. Encore ? En si peu de temps. Quelqu’un s’agrippe à ma manche.
- Qu’est-ce qui se passe ? demande d’une petite voix Isis.
Je lui serre la main pour l’apaiser. On allume une lampe de poche. Tout le monde est aux aguets. Si ce sont les rebelles qui sont la cause de cette coupure, ils sont peut-être déjà dans la base. J’aurais préféré qu’Isis ne soit pas dans un endroit aussi exposée, mais impossible de l’amener dans une zone plus sûre. Autant qu’elle reste près de moi. L’alarme hurle toujours. Puis d’un coup, tout s’arrête. Les lumières reviennent et le silence se fait. Je remarque que le QG s’est rempli. Nous nous fixons plein de doutes. Que se passe-t-il à la fin ? D’autres membres de la base arrivent. Je commence à étouffer dans cette salle. Le temps passe sans qu’aucun ordre ne nous soit transmis. À l’évidence, les rebelles ne sont pas ici. La tension monte. Chacun est de plus en plus nerveux. On parle. On dit que les chefs ne vont pas tarder à arriver, mais j’ignore si cette rumeur est crédible. Je voudrais me renseigner, mais impossible pour moi de le faire avec Isis. Je prends donc mon mal en patience. Après une éternité pour moi, on annonce Tellin. Trop petite, je ne le vois pas pénétrer dans la pièce. Je garde toujours Isis près de moi.
- Cette ordure a été prise en flagrant délit ! déclare notre supérieur.
Le silence lui répond.
- Colonel Darkan, appelle-t-il.
Les soldats se retournent vers moi puis s’écartent. Un couloir entre moi et Tellin se forme. Je le vois enfin, mais je remarque surtout le garçon qu’il tient par les cheveux. Isis émet un bruit étouffé. Elle doit connaitre la victime. Pour ma part, il ne me dit encore rien.
- Approchez, m’ordonne le major.
J’avance mécaniquement. Il y a trop de monde pour lui désobéir. Personne ne parle. On n’entend que mes chaussures claquées sur le sol. Lorsque j’arrive face à lui, il reprend la parole :
- Sentence n°4.
Les personnes dans la salle forment un cercle autour de nous. C’est la procédure lorsque la sentence 4 est prononcée, tout le monde doit regarder. Cet espace qui m’étouffait me glace désormais le sang. J’abaisse la tête et croise les yeux de ma victime. Il semble complètement perdu. Pour quelqu’un qui vient de commettre un méfait, je trouve sa réaction plutôt étrange. Soudain, je le reconnais. C’est l’aide de camp de Bévier. Je relève la tête. J’observe Tellin et comprends. Voyant que je ne bouge pas, il demande :
- Avez-vous oublié la procédure, colonel ?
Bien sûr que non ! n°1 : Travail supplémentaire, sentence n°2 : l’emprisonnement, sentence n° 3 : sanction corporelle, sentence n°4 : la mort, autrement dit une balle dans la tête. Toutefois, je ne comprends pas pourquoi cela doit se faire maintenant et surtout ici. Tellin se rapproche et me murmure à l’oreille :
- C’est lui ou ton aide de camp.
Il recule. Je vois clair dans son jeu. Il a de nouveau un coup d’avance sur moi. Je croyais avoir le temps avant qu’il agisse, mais je me fourvoyais. C’était lui l’alarme. Avec cette exécution, il fait d’une pierre deux coups. Il se débarrasse d’un poids dérangeant en la personne de l’aide de camp de Bévier et il a sa vengeance sur moi. Il a compris que mon autre point faible est Isis et il compte bien s’en servir pour me mater. Je bouillonne de rage. Que j’exécute ou non ce garçon, la conséquence sera la même. Je vais perdre Isis. Jamais, elle me pardonnera ce geste. Toutefois, mon choix sera toujours le même. Tant pis s’il est à ce point égoïste. Avec lenteur, je me place derrière le condamné. Il tourne la tête et me voit sortir mon arme de mon étui. Il devient pâle puis se met à crier son innocence. D’un geste, Tellin m’ordonne d’en finir. Je pose le canon de mon arme sur sa nuque. Avant de tirer, je m’abaisse à sa hauteur et lui murmure :
- Désolé, jeune homme, que ce soit moi ou un autre, tu es de toute façon condamné. La seule chose que je peux t’offrir est une mort rapide et sans douleur.
- Crève, me maudit le captif.
Le coup part. Cela s’est terminé aussi sec que cela avait commencé. Le corps s’affaisse par terre. Le sang s’étend déjà de plus en plus sur le sol. Je croise le regard d’Isis. Comme je m’y attendais, il m’achève, car j’y vois une terreur tournée non pas vers la base, mais vers moi.
Bon courage pour la suite!
Juste pour la partie sur Vincent, cela se passe un peu juste avant que Vincent aille voir Hans (chapitre précédent). Elena ne sait encore rien de ce que les deux hommes se sont dits. Elena n'est pas encore au courant pour le remède. Je voulais montrer dans ce passage que Vincent représente bien un allié de poids pour le couple. Il les aidera à trouver une solution. J'espère que la suite continuera à te plaire. Merci pour ton commentaire ! :-)