Je suis retournée dans mon bureau. Depuis que le secrétaire du maréchal est venu, c’est comme si je bouillais de l’intérieur et, pourtant, je n’ai jamais eu les idées aussi claires. Quand il m’a apporté l’ordre de mission, j’ai vu rouge. À aucun moment je n’ai pensé aux conséquences de mon acte. Avec ce qui s’est passé la veille, j’aurais dû me montrer plus prudente. Tellin a explicitement menacé Isis et il continuera à le faire. Néanmoins, je ne regrette rien. Je soupire longuement pour calmer les battements de mon cœur affolé. C’est juste que je ne peux plus supporter qu’il fasse appel à moi comme si de rien n’était. Maintenant que Hans est contaminé par le projet 66, je suis incapable de tuer les cobayes de la section spéciale comme avant. Je dois avouer que ces derniers temps, j’avais plus de mal à accomplir mes missions. Non pas que c’était plus difficile, mais au plus je m’interrogeais sur le sens de mon travail, au plus je me rendais compte de l’anormalité de la situation. Toutefois, il a fallu que Hans soit impliqué pour que je me rebelle. D’un côté, je trouve cette mentalité tellement égoïste. Savoir que mon compagnon pourrait être à la place des cobayes a été comme un déclic pour moi. On frappe à ma porte. Sans grande surprise, c’est Tellin qui débarque. Son expression est indéchiffrable. Il se place devant moi.
- Tu penses vraiment que tu es en droit d’exiger quoi que ce soit ? s’enquiert-il lentement.
- À l’évidence, non puisque tu me le demandes.
Il fait claquer sa langue puis déclare :
- Dans ce cas !
Il empoigne mon épée qui se trouve près de l’entrée et me la jette au visage. Je l’attrape in extremis avant qu’elle ne m’atteigne.
- Tu vas me faire le plaisir de te rendre immédiatement à la section médicale.
Je déglutis avant de lui répondre sans équivoque :
- Je n’irai pas.
Mon regard est rivé dans le sien pour lui prouver que je ne céderai pas. Mon supérieur ignore ma remarque et déclare froidement :
- Ne me faites pas répéter mon ordre, colonel.
Je n’arrive pas à réprimer un frisson. Cela faisait longtemps que Tellin n’avait pas utilisé mon grade de cette manière. Ne me voyant pas bouger, le major se place à mes côtés et m’empoigne par le col de mon uniforme. L’instant d’après, il me soulève et me jette en avant. Je me retiens de justesse de ne pas tomber. La voix de Tellin s’élève derrière moi.
- Estime-toi heureuse que le secrétaire du maréchal soit venu m’en parler avant. Notre chef aurait été beaucoup moins clément. Contrairement à moi, il ne t’aurait accordé aucune chance pour te rattraper.
Je lui lance un regard noir parce qu’il croit que je vais le remercier. En me dépassant, il me fourre dans les mains l’épée qui était restée sur ma table, puis ouvre la porte de mon bureau.
- On y va et n’essaye pas de t’éclipser. Je n’hésiterai pas à utiliser la force s’il le faut, m’avertit-il.
D’un pas résigné, je m’avance, car il est tout à fait capable de mettre sa menace à exécution et surtout je sais que je n’ai aucune chance de lui échapper. Il se colle à mes talons. J’ai vraiment la désagréable impression d’avoir un chien de garde prêt à me mordre au moindre faux pas. Je dois me contrôler pour ne pas laisser la rage me submerger. J’ai beau réfléchir, je ne trouve aucune solution pour me sortir de là. Les couloirs défilent sous mes yeux, mais je ne les vois pas. Ma foulée est lourde, presque mécanique. Nous parvenons rapidement à la section médicale et encore plus devant la porte de la section spéciale. C’est le vide dans ma tête, avec pour unique pensée : je ne veux pas. L’entrée s’ouvre. Je contemple l’intérieur de la pièce le regard perdu. Je n’y arriverai pas. Une main me pousse dedans de force. L’instant d’après, je suis seule, piégée. Un signal sonore retentit. Les cobayes vont bientôt faire irruption dans la salle. Mes poings se serrent et ma mâchoire se contracte à m’en faire mal. Alors que d’habitude, j’empoigne aussitôt mon épée, ici je demeure inerte. J’en suis incapable. Je relève la tête et aperçois les cobayes qui pénètrent dans la pièce. Malgré mon refus d’agir, mon cerveau analyse tout de même la situation. Deux prototypes ratés, l’un est un homme de haute stature avec du sang au coin de la bouche, l’autre est une femme plus petite borgne dont le visage est ravagé par les malformations. 6998 et 7563. Tous les deux jettent des regards perdus avec leurs yeux qui ne reflètent que la folie. Ils ne vont pas tarder à s’en prendre à moi. C’est toujours plus facile de les achever dès qu’ils entrent quand ils sont encore trop désorientés. Une coupure nette à la gorge et c’est fini. Que ce soit le trajet que je vais emprunter, les attaques que je vais réaliser, tout dans les moindres gestes se pensent et se construisent dans ma tête. Il ne reste plus qu’à exécuter. Le seul bémol, c’est que je ne le ferai pas. Une larme coule le long de ma joue. Qui suis-je pour les tuer ? Je détourne mon attention des victimes d’Assic pour la porter sur le major bien à l’abri derrière sa vitre qui ne me quitte pas des yeux. D’un signe, il m’ordonne de m’activer. Je n’ai pas d’ordres à recevoir de lui. Je dégaine mon épée. Un hochement d’approbation de sa part. Ma lame tombe au sol. Le bruit métallique sonne étrangement en moi. J’ai fait mon choix. La dureté du regard de mon chef cède la place à l’incompréhension. Un hurlement est poussé par l’un des deux cobayes. Il semble si lointain à mes oreilles. Quelque chose me percute de plein fouet et je suis projetée à terre. Mon corps heurte douloureusement un mur et je m’affaisse. Péniblement en récupérant mes esprits, j’écarte mes paupières. Mon cœur manque un battement quand je découvre la femme au-dessus de moi. L’odeur de mort, pourriture et excrément, qui émane d’elle me retourne l’estomac. Mes membres sont pris de spasmes. Même en étant pleinement conscience des conséquences de mes actes, il m’est difficile de rester sans rien faire, car au fond de moi, je n’ai qu’un désir : survivre. Mes doigts se crispent sur le sol pour m’interdire de revenir sur ma décision. Le visage de Hans m’apparait. Je te demande pardon, Hans. Il se peut que je ne revienne pas, mais je suis certaine que tu comprendras mon choix. Je soutiens le regard de mon adversaire avec toute la détermination dont je suis capable. L’autre cobaye ne doit pas être bien loin.
- Je suis désolée, murmuré-je.
Pendant une fraction de seconde, j’ai l’impression que la femme marque une pause et qu’un éclat de lucidité traverse son unique prunelle. Je n’ai pas le temps d’en voir plus que deux détonations explosent dans la pièce. Les lèvres de mon opposante s’écartent sans qu’aucun son ne sorte avant que celle-ci bascule lourdement sur le sol. Un silence macabre envahit les lieux. Je me redresse et contemple incrédule les deux corps immobiles des victimes d’Assic baignant dans leur sang. Ils sont… morts ? Ce n’est qu’à ce moment-là que je remarque Tellin se rapprocher de moi à grands pas. Il se campe à mes côtés.
- Vous me décevez, Colonel.
- Tu as tiré, dis-je d’une voix blanche.
La température semble se refroidir d’un coup et des tressaillements incontrôlables s’emparent de mes mains. Cela ne peut pas être vrai. Le major me saisit sans douceur et me redresse de force.
- Attendez-vous à payer le prix de votre insubordination, m’avertit-il en ignorant ma remarque. Le maréchal et moi-même en avons plus qu’assez de vos frasques puériles.
Sa menace me laisse de marbre.
- Tu as tiré, répété-je sur le même ton.
Je repense à ma discussion avec Hans d’il y a quelques mois lorsqu’il m’avait appris pour le coup de feu dans les couloirs. J’ai toujours refusé de le croire. Je ne pouvais pas accepter que depuis six ans, j’avais risqué, je ne sais pas combien de fois, ma vie pour rien. Tellin s’obstine dans son mutisme et m’oblige à me diriger vers la sortie. Je me dégage de son emprise et accours vers la femme. Je tombe à genoux devant elle. La tache écarlate continue à s’étendre sous elle. Le liquide chaud effleure ma peau. J’ai un brusque mouvement de recul.
- Elena, gronde Tellin dans mon dos.
Il m’est facile d’entendre au son de sa voix qu’il est à deux doigts de perdre patiente.
- Pourquoi m’avoir menti ?
Face à son silence, la colère explose soudain en moi.
- POURQUOI ?
L’écho de mon rugissement résonne dans la pièce. Mon cœur martèle ma cage thoracique. Les doigts du major agrippent mon chignon et il m’intime à croiser son sombre regard.
- Obéir à ses supérieurs sans poser de question est le rôle de tout soldat, me dit-il en insistant bien sûr chaque mot. Tâche de t’en souvenir.
Par le passé, je me serai terrée dans un coin face à cette expression terrifiante de Tellin, mais désormais il n’y a que la haine qui persiste. Je me dégage et le gifle. Le coup est parti tout seul. La peau de Tellin rougit instantanément. Incertain, il appose sa main sur sa joue que j’ai sali du sang de la victime d’Assic. Tout mon corps tremble. Je serre les poings pour retenir les larmes qui risquent de jaillir à tout moment.
- Ce que vous me faites accomplir ici, ce n’est pas le rôle d’un soldat, articulé-je avec difficulté. Comme les cobayes, vous ne m’avez jamais traitée comme un être humain. Je suis et ne resterai qu’un pion jetable pour vous. C’est pour ça que j’aime Hans. Lui au moins me considère telle que je suis, mais ça m’étonnerait que tu puisses le comprendre toi et ton égoïsme !
J’ai littéralement craché ma dernière phrase. Tellin ne réagit pas. Il me regarde abasourdi. Sans me préoccuper davantage de lui, je tourne les talons et m’éloigne. J’ai désormais la certitude que j’ai fait le bon choix.
Elle s'inquiete au debut des consequences pour Isis de son insubordination. C'est un fait qu'elle ne peut pas esperer proteger Isis ou Hans a moins d'obeir sans rien dire, et ils ne veulent certainement pas etre la raison de son absence de reaction.
On se demande bien sur la raison de leur mensonge sur le role qu'Elena devait jouer avec son epee. Ca remonte a loin puisque son pere lui a ordonne de s'exercer avant meme qu'elle n'integre l'armee. On s'attend a ce qu'elle pose la question a Tellin - tout comme on s'attend a ce qu'il lui demande comment elle a compris.
je n’aie plus peu supporté > je ne peux plus supporter
toi et ton égocentrisme. > il me semble que "egocentrisme" est bien trop doux et civilise pour etre utilise dans un moment de colere et pour quelqu'un qui a un cote monstrueux comme Tellin. On s'attend plutot a ce que Elena dise "toi et ta cruaute / ton egoisme / .... ?
En tout cas, je continue a suivre cette histoire avec grand plaisir. Bon courage pour la suite!