Chapitre 7

Gabriel abandonna ses pensées plus qu'indiscrètes pour se concentrer sur son environnement. Il cherchait le numéro de la salle indiquée par son emploi du temps. Il gravit les escaliers et parcourut le premier étage, les yeux rivés sur les murs et les portes. Il ne voulait croiser personne du regard. C'était sa hantise. Il finit par s'accoler contre le mur de sa classe. Au bout de quelques minutes, il vit Charlotte apparaître au bout du couloir.

La jeune fille avait rassemblé ses cheveux en un chignon qui lui allait plutôt bien. Coiffée ainsi, son visage paraissait plus fin et son cou plus long. Malheureusement, sa démarche hésitante et ses traits tirés lui enlevaient le moindre charme qu'elle aurait pu exulter. Il était évident pour le garçon qu'elle manquait de confiance en elle. Et il n'était pas la personne la plus à même pour l'encourager sur l'estime de soi. ça serait hypocrite de sa part de l'aider sur cette voie alors qu'il était incapable de prendre lui-même ce chemin. Sa blessure était encore loin de se résorber après tout. Il ne pouvait pas subir son fardeau et porter celui des autres. Il était suffisamment égoïste pour n'endurer que sa peine.

La rouquine finit par se rapprocher de lui. Elle hésitait à prendre la parole,de peur de le brusquer. Elle voyait son nouveau camarade comme un animal effrayé qui avait besoin d'être apprivoisé. Finalement, elle se décida d'employer la formule de politesse la plus banale au monde :

- Salut, ça va ?

Elle se maudit intérieurement après cette question. Charlotte se demandait où elle avait la tête. Il n'y avait pas plus cliché que ce qu'elle venait de dire. Gabriel, quant à lui, hésitait à répondre. Il pouvait très bien l'ignorer. Ou il pouvait lui parler. Au moins, cela lui éviterait une situation bien plus gênante encore.

- Oui, ça va. Tu n'aurais pas une sœur par hasard ? Demanda-t-il l'air de rien alors qu'au fond de lui, il aspirait à la vérité. Il était curieux de connaître la réponse.

- Comment tu sais ça ?

Elle semblait surprise par sa question. Après tout, elle ne l'avait jamais rencontré jusqu'à hier. S'il avait été un ami de sa sœur, elle s'en serait souvenue. Les personnes avec qui elle traînait d'habitude était du genre inoubliable... Et pas dans le bon sens du terme. 

- Je l'ai vu quand elle est venue te chercher. Vous vous ressemblez beaucoup.

- Vraiment ? C'est la première fois qu'on me dit ça...

Elle affichait une mine sceptique quant à ses dires. Clara était bien plus jolie qu'elle ne l'avait jamais été. Tous les garçons tombaient sous son charme contrairement à Charlotte qui les faisait fuir bien malgré elle.Son corps réduisait le moindre espoir amoureux. Plusieurs fois déjà, elle pensait avoir trouvé la personne avec qui elle pourrait partager des moments d'amitié et d'amour, mais ces personnes se rétractaient toujours quand il était question d'ajouter une étiquette sur ce qu'ils étaient. Elle avait compris qu'ils avaient eu honte de s'afficher avec plus gros que soi. Tous ses espoirs s'étaient anéantis et elle n'aspirait désormais qu'à de simples amitiés.

La sonnerie retentit et ils pénétrèrent dans la salle. Gabriel évita tout contact visuel pour se concentrer sur sa table. Il avait retiré sa capuche afin d'éviter la moindre remarque du professeur. Il ne voulait pas s'attirer l'attention et les réprimandes de ce dernier. Sans un mot de sa part, il s'installa au fond de la salle, une place qu'il convoitait depuis la matinée précédente. Charlotte, quant à elle, s'assit sur le pupitre accolé au sien.

Il ne le montrait pas mais il était rassuré par son entreprise. Au moins, il n'y avait aucun risque à ce qu'il soit à côté de quelqu'un qu'il ne connaissait ni d'Eve ni d'Adam. Puis il se rendit compte du fond de ses pensées : il commençait à apprécier la compagnie de la jeune fille ! Cela faisait si longtemps qu'il n'avait pas eu d'amis. De l'angoisse mêlée à une joie indescriptible le tenaient en grippe. Il ne savait pas comment agir. Il ne savait pas ce qu'il devait dire. Il était complètement perdu. Ces sentiments furent bientôt ensevelis par une angoisse habituelle. 

- Ses cours sont chiants à mourir, commenta-t-elle alors que l'enseignant commençait à expliquer le programme de l'année. Tu veux faire un pendu ?

La jeune femme ouvrit un petit cahier où quelques dessins y étaient griffonnés. Il remarqua un petit tatouage sur son poignet gauche. Une petite rose aux ronces acérées. Il était étonné de voir quelqu'un d'aussi jeune marqué à l'encre indélébile. Cependant, il ne lui posa aucune question. Il ne voulait pas faire preuve d'indiscrétion. À la place, il secoua la tête pour accepter sa proposition. Ils passèrent l'heure à s'affronter sur différents jeux.

 

***

 

Pendant la pause, Charlotte lui proposa de faire un tour dehors. Les rayons du soleil caressaient la peau des deux jeunes. Gabriel se surprit même à fermer les yeux pour profiter de sa chaleur. Des années qu'il n'avait pas profité de cette manière, et la raison lui sauta presque au visage quand il rouvrit les paupières. Son regard croisa celui d'une fille qui lui était plus ou moins familier. Ses traits lui disaient vaguement quelque chose. Un souvenir fugace lui revint à l'esprit qu'il tenta d'oublier aussitôt.

Ces yeux bleus, ils les avaient déjà rencontré, et malheureusement, pendant l'un des pires moments de sa vie. Elle avait été présente lors de cette journée au collège. Elle l'avait vu et elle avait fait comme tous les autres.

Il rentra précipitamment à l'intérieur du bâtiment. Le jeune homme sortit son téléphone pour appeler sa mère. Il ne pouvait pas rester ici. Il était si angoissé qu'il en tremblait. Il n'était plus capable de contrôler les réactions de son propre corps.

Une sonnerie... Puis trois. Elle ne répondait pas. Et il ne savait plus quoi faire. Il lança un regard à la ronde et remarqua le spectacle qu'il semblait donner aux autres. Il réajusta nerveusement sa capuche. Les mains tremblantes, il se dirigea derechef vers la sortie. Il rentrerait à pied s'il le fallait.

- Qu'est-ce qu'il t'arrive ?

Charlotte. Il avait complètement oublié cette dernière pendant sa mini crise de panique. 

- Je dois y aller...

Il était sur le point de s'enfuir quand elle le retint par le poignet. Il scruta sa main comme si c'était le diable en personne. En dehors de sa famille, personne n'avait osé le toucher. Il trouvait la sensation étrange. Elle avait les mains douces et un touché plutôt agréable, même si cela le mettait très mal à l'aise. En avisant sa réaction, elle desserra sa prise pour lui lancer un regard gêné.

Elle voyait bien que ce contact le perturbait. Elle se dit qu'elle n'aurait pas dû franchir la distance physique aussi abruptement. Mais elle ne pouvait pas laisser son nouvel ami dans cet état de détresse. 

- Aller où ? On a encore cours.

Charlotte ne comprenait pas les raisons derrière ce changement de comportement. Ils étaient sortis prendre l'air. Ils commençaient tout juste à profiter du soleil quand elle l'a senti s'éloigner d'elle. Elle avait besoin d'en savoir plus. Il ne pouvait pas la laisser dans le flou.

- Je suis désolé mais on ne se connaît pas assez pour que j'ai à m'expliquer auprès de toi, lui répondit-il sèchement.

La panique et la peur lui faisaient dire des choses qu'il ne pensait pas forcément. Mais sur le moment, il était bien trop occupé à tenter de joindre sa mère. Cette dernière refusait toujours de lui répondre. Il resserra sa prise sur son téléphone. Pourquoi... Se demanda-t-il. Pourquoi n'était-elle pas là quand il avait besoin d'elle ? Ce silence lui donnait envie de se cacher dans un coin sombre et de ne plus jamais en sortir. Il avait l'impression de retourner dans le passé. Gloria n'était pas là. Elle n'avait jamais été là pendant son enfance. Et maintenant qu'il retournait à l'école, elle allait l'abandonner de nouveau...

Ce flot de pensées sombre fut bientôt interrompu par la sonnerie de téléphone. À la vue du visage souriant de Gloria, il ne put s'empêcher de souffler un bon coup. Il décrocha sans plus attendre :

- Qu'est-ce qu'il y a, mon chéri ? Un problème ? Demanda-t-elle inquiète.

- Je... Il faut que tu viennes me chercher.

- Gaby, je ne peux pas. Explique-moi ce qu'il se passe.

Gabriel ne pouvait pas lui dire qu'il voulait fuir son passé. Sa mère voulait justement qu'il le combatte, qu'il aille de l'avant. Mais cela ne pouvait se produire en un simple claquement de doigts. La réalité était bien plus difficile à affronter et malheureusement, il était toujours pieds et poings liés à son vécu.

- Je ne me sens pas bien.

Les tremblements dans sa voix étaient à peine perceptible. Il avait appris à cacher ses émotions afin de ne pas alerter son entourage. Grâce à son jeu d'acteur, il était parvenu à écourter ses visites chez le psychologue. Depuis, il était devenu un véritable maître dans l'art de paraître. Son existence entière était fondée sur des faux semblant et parfois, il ne savait plus déterminer lui-même ses propres émotions.

- Ne me fais pas ça, s'il te plaît... Je veux juste que tu aies la vie de n'importe quel jeune homme.

Il traduisait ses mots par : "Je voudrais juste que tu sois normal".Oui, parce qu'il ne l'était pas, "normal". Il n'était pas comme ses cousins qui enchaînaient les soirées et la bière, il n'était pas comme son frère qui collectionnait les petites-amies comme on pouvait collectionner les pièces de monnaie. Il n'était pas ce genre de personne et il ne le deviendrait jamais.

- Tu sais bien que je ne suis pas normal, maman, alors arrête de me forcer à être quelqu'un que je ne suis pas, répondit-il avant de raccrocher.

Il avait la respiration hachée et l'envie subite de pleurer. Gabriel renifla un bon coup puis réajusta ses lunettes. Il ne pouvait pas craquer. L'endroit n'était pas propice à un ballet de larmes et de mouchoirs. D'autant plus qu'il n'avait aucune raison de craquer : il avait déjà affronté pires situations. Ce n'était pas des mots maladroits qui allaient le chambouler plus qu'il ne l'était. Du moins, c'est ce qu'il essayait de se persuader. Il était plus facile de se répéter ce genre de discours en boucle que de les appliquer sur sa propre personne.

Sa mère tenta de le joindre à nouveau mais il laissa l'appel sans réponse. S'il avait été impulsif comme Raphaël, il aurait très bien pu quitter l'enceinte de l'école pour aller faire un tour en ville. A la place, il se rendit en classe en compagnie d'une Charlotte plus que silencieuse. Ce cours-ci risquait d'être très long pour le jeune homme dont le regard resta rivé sur sa table pendant l'heure qui suivit.

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