Chapitre 7

Se garer en ville relevait du miracle, mais il parvint à trouver une place dans une rue adjacente à celle du bar dans lequel se présentait le groupe.

Il faisait toujours frais le soir, et je me remerciai d'avoir mis un sweat-shirt.

Comme d'habitude, il y'avait beaucoup de monde et un brouhaha insupportable en provenance du bar, le Flying Bull. Comme le reste des commerces à proximité étaient fermés a une heure aussi tardive, les néons et les projecteurs en provenance de celui-ci attiraient sans détour l'attention des passants. La musique entraînante et la queue de personnes bousculant presque le videur n'y étaient pas pour rien.
À la vue du nombre de spectateurs présents à l'intérieur, je me résignai à devoir rester debout au fond. Mason me prit alors par la main et nous nous faufilâmes à travers la foule. Ce contact me parut très étrange, peut-être parce que je n'en avais pas l'habitude.

Nous nous faufilâmes à travers la masse de personnes qui s'étaient agglutinées autour de la scène, et, grâce à Mason, arrivâmes aux premiers rangs. Mais malgré ma grande taille, les brutes qui m'entouraient ne cessaient de me bousculer, et comme toujours, dans ce genre de situations, si je ne voulais pas briser les épaules de ces sauvages en les repoussant, je devais passer outre. Je me laissai faire et perdis l'équilibre. Mason me rattrapa habilement et je me retrouvai plaquée contre son torse, l'un de ses bras autour de ma taille. Mon cœur se mit à battre plus rapidement tandis qu'il me regardait avec un sourire rassurant l'air de dire « ça ne me dérange pas ». De cette façon personne ne me bouscula, comme s'il avait créé une sorte de périmètre artificiel épargné par la pression générale. Mais malgré tout, je ne pouvais m'empêcher de me sentir embarrassée.
Je ne pus m'attarder sur cette pensée puisque le groupe fit son apparition et, comme je ne l'aurai jamais cru possible, le brouhaha augmenta en intensité, mais heureusement, il fut vite couvert par la voix du leader du groupe et de ses accompagnateurs.
Pendant toute la durée du concert, je n'ai pu faire abstraction des battements anormalement irréguliers de mon cœur et de l'odeur de pomme acidulée provenant de mon nouvel ami. Il ne chancela pas une seule fois et ne manifesta même pas l'envie de me lâcher, ce qui me flatta bizarrement.

Quand les spectateurs commencèrent à se dissiper, j'en profitai pour me dégager de son étreinte et je le vis me regarder étrangement. Je ne su comment interpréter ce regard. Finalement, il me tendit la main, et je trouvai normal de la prendre, en lui rendant le sourire qu'il me faisait.

Au moment de sortir, j'eus comme une étrange impression de déjà vu. La même que lorsque j'étais dans la cabine d'essayage ou lorsque je me suis endormie dans l'amphithéâtre. Puis, dans un coin du bar, adossé à un mur, je le vis : le même garçon, Isaac. Je lâchai brusquement la main de Mason et me fendis un chemin jusqu'à lui, je m'attendais à ce qu'il disparaisse, un peu comme dans ces films où le personnage principal doit retrouver quelqu'un mais le voit disparaître subitement dans la foule. Mais cela ne se produisit pas. Il était toujours là, les cheveux toujours longs, certains devant ses yeux, mais je remarquai en me rapprochant de lui, qu'il avait placé ses cheveux derrière son oreille gauche, et qu'il portait un piercing noir. Il se fendait parfaitement dans la masse avec son jean noir et sa veste en cuir de la même couleur, à croire qu'il travaillait pour un Cartel gouvernemental dangereux.

Arrivée à sa hauteur, il me considéra gravement de son regard clair étrangement familier, mais avec une pointe d'amusement. Sans savoir si mon rêve était réel ou pas, je pris ma voix la plus prétentieuse en le regardant de bas en haut :

— Ne cherche pas à me retrouver, c'est tout bonnement im-pos-sible, l'imitai-je.

Pendant quelques instants je cru m'être trompée et être passée pour une demeurée, mais il se retint de rire en levant les yeux au ciel.

— Tu avais l'air d'avoir complètement zappé mon existence, souligna-t-il, un sourire en coin qu'il essayait de retenir.

— J'avais d'autres choses à faire (Je me raclai la gorge) Sinon, sympa le (je montrai mon oreille) piercing.

Je me retins de rire en le voyant me regarder comme si j'étais folle.

— Je sais, j'ai la classe (il sourit de toutes ses dents et j'eus une étrange sensation au cœur, comme si je le connaissais)

Je pris une profonde inspiration.

— On ne s'est pas déjà rencontrés quelque part ?

— Apparement, sinon tu ne serais pas devant moi, me dit-il en haussant un sourcil, le regard amusé.

Je continuai a avoir cette sensation qui me comprimait la poitrine, me la tordant en me donnant presque envie de pleurer, sans que je ne comprenne pourquoi.
Je crois que c'est pour éviter cela que je tendis ma main lentement vers lui. Il la vit arriver et son sourire s'envola, mais n'essaya pas de m'en empêcher. Tout en la regardant se rapprocher je le vis contracter la mâchoire et me regarder, je n'arrivais pas à déterminer ce que j'y voyais réellement. C'était comme si ses émotions étaient aussi confuses que les miennes. Puis lorsque ma main se posa sur sa joue chaude, d'étranges frissons le parcoururent et je vis un voile de tristesse se déposer sur ses yeux. Sans que je ne comprenne pourquoi, sa tristesse me percuta de plein fouet. Il prit une inspiration et fut sur le point de parler lorsqu'une main se déposa sur mon épaule. Je repris alors possession de mes moyens et retirai ma main de sa joue. Mason était devant moi, une lueur à la fois inquiète et soulagée dans le regard.

— Bon sang, je croyais que tu t'étais faite écraser. Je m'attendais à te retrouver à moitié morte par terre, me dit-il en secouant la tête.

Je lui sourit en me tournant vers lui.

— Je suis malheureusement encore en vie, tu n'auras pas l'occasion d'assouvir ton fantasme en appelant les pompes funèbres.

— Pourquoi ce serait un fantasme ? me demanda-il mi-amusé, mi-effrayé.

— C'est le fantasme de tous les mecs de l'académie, dis-je en haussant les épaules, un sourire aux lèvres.

Il éclata de rire, ce qui fit agrandir mon sourire avant de remarquer la présence d'Isaac, qui se tenait là avec le même visage inexpressif que d'habitude. Mais bizarrement, les deux garçons se regardèrent avec méfiance.

— Ton pote ? me demanda-t-il en parlant d'Isaac.

J'étais sur le point de dire non, mais comment aurais-je pu expliquer que j'étais allée vers un inconnu qui m'avait attendue devant une cabine d'essayage et que j'avais revu en rentrant dans un rêve. Alors j'acquiesçai avec hésitation.

— Euh, ouais, dis-je en me tournant vers lui pour capter son regard. C'est Isaac. (il détacha son regard de la foule avant de le reporter sur moi) Isaac, voici Mason.

Les deux se regardèrent un instant, pas avec animosité, mais pas avec sympathie non plus. Un peu l'air de dire « je t'ai à l'œil ». Puis Isaac parla en premier tout en gardant le regard rivé sur Mason.

— Salut.

— Salut, dit Mason. Joli piercing. Et jolie veste. T'es cheveux aussi sont pas mal, puis ta couleur d'yeux est... cool (il me regarda en souriant, fier de son ramassis de bêtises et baissa son visage vers le mien, ce qui eu le mérite de me couper la respiration. Mason le remarqua puisque son sourire s'envola. Il était sur le point de sortir une ânerie mais s'arrêta et me regarda intensément. Son visage n'était qu'à quelques centimètres du mien et je pouvais sentir son souffle chaud caresser mon visage. Il me sembla l'avoir vu baisser les yeux vers mes lèvres, mais je n'en suis pas sûre. Je vis du coin de l'œil Isaac se gratter la tête, ce mouvement nous sortit de notre torpeur et Mason se releva, mal à l'aise. Puis après quelques secondes recouvra son sourire jovial habituel) Vous avez la même couleur d'yeux. Elle est sympa.

Isaac et moi considérâmes Mason comme s'il s'agissait d'un enfant hyperactif avant de nous regarder. Isaac avait les yeux plutôt clairs, mais je n'arrivais pas à distinguer leur réelle couleur.  Mais je décidai de donner du crédit à cet idiot.

— Bon, dit Isaac. Je vais devoir y aller, ravi de vous avoir vu.

Puis il s'éloigna. J'ai voulu le rattraper, mais il avait déjà disparu dans la foule.

Après cela, nous sortîmes dans la nuit et je resserrai mon sweat contre moi et rabattis la capuche sur ma tête. D'ordinaire, la fraîcheur de l'air était la bienvenue après avoir sué à grosses gouttes dans une salle pleine à craquer, mais pour l'heure je voulais juste me blottir sous ma couette.

— Alors, ça t'a plu ? s'enquit-il tandis que nous nous dirigions lentement vers sa voiture.

— Oui, répondis-je en souriant. Et toi ?

— Bien sûr.

Après un bon concert, je ressentais toujours un merveilleux bien-être, comme une poussée d'adrénaline, l'affolement en moins. Une fois dehors, j'avais l'habitude de parler à toute vitesse du spectacle, des gens, de tout et de rien.
Pourtant, ce soir-là, je demeurai silencieuse. Des milliers de pensées que j'avais envie de partager se bousculaient dans mon esprit, mais très peu d'entre elles étaient liées à la performance des musiciens, c'est pourquoi je préférais garder le silence.

— Tu le connais depuis quand ce type ?

Nous étions presque arrivés à la voiture, mais il s'arrêta, le regard dans le vague et les mains profondément enfoncées dans les poches de son jean.
Il me jeta un coup d'œil, comme pour vérifier que je l'écoutais toujours. Sous ma capuche, je levai les yeux sur lui et remarquai son sourire en coin.

— T'as l'air d'avoir froid, me dit-il. On devrait y aller.

— Pas plus longtemps que toi, répondis-je franchement.

— Tu sais, commença-t-il. Je ne voulais pas te vexer la dernière fois (comme je fronçais les sourcils, il s'expliqua) le lendemain de notre rencontre, quand tu m'as proposé de sortir et que j'ai refusé prétextant que ça devait être «confidentiel » (il émit des guillemets à l'emploi du mot)

J'étais surprise qu'il remette le sujet sur le tapis. Je lui avais déjà dit que j'avais réagi excessivement même si je ne savais pas pourquoi. Me répéter ne servirait à rien alors je tentai une autre approche.

— Pourquoi ? demandai-je.

— Pourquoi quoi ?

Je tournai les yeux vers la plaque d'immatriculation de la voiture intitulée ZRV • 7245 avant de reporter mon attention sur lui.

— Pourquoi tu ne voulais pas que ça se sache ?

Tout à coup, la perspective qu'il ait pu avoir honte d'être vu avec moi me traversa l'esprit et une sueur froide me traversa l'échine.
Je vis Mason frotter nerveusement son pouce à son index, ce que j'identifiai comme un toc, comme s'il avait peur de ma réaction.
Finalement, il reporta son attention sur moi en m'adressant un sourire empreint de... tendresse ?

-Pas pour les raisons que tu crois, dit-il en se rapprochant de moi. Écoute Rachel, j'ai vraiment envie d'être ami avec toi. Seulement, il faut que tu acceptes qu'il y'ait des choses qui te paraîtront étranges et dont je ne pourrai pas te parler. (Il secoua la tête) je ne te dis pas ça pour paraître énigmatique, parce que ce n'est pas du tout mon genre. Peut-être celui de Jess, mais pas le mien. (Il prit une inspiration) Écoute, je n'ai pas envie que tu fasses de fixations là-dessus, dis toi juste que c'est... normal.

J'avais envie d'insister, ce qu'il venait dire venait d'autant plus d'attiser ma curiosité, mais je pris sur moi. Je pris un ton qui se voulait détaché et hochai la tête.

— Très bien, ça me va.

Il parut incrédule, et même considéra quelques secondes.

— C'est tout ?

Je haussai les épaules.

-Tu ne veux pas que je pose de questions, je n'en poserai pas (Même si ça me brûlait la gorge) Tu as bien le droit d'avoir tes propres secrets. Aussi secrets soient-ils, conclus-je avec un sourire.

Il parut soulagé, et je vis dans son regard qu'il m'était reconnaissant de ne pas insister. Puis, après de longues secondes qu'il avait passé à me fixer, il se racla la gorge en me tendant de nouveau la main pour nous diriger vers la voiture.

Une fois arrivés devant l'académie, je lui dis « à plus » en descendant de la voiture. Il se contenta de me faire un signe de la main en retour, puis disparut, sans doute pour garer sa voiture.

Arrivée dans ma chambre, je vis qu'Ariadne manquait à l'appel, mais cela ne m'étonnait pas étant donné qu'elle passait le plus clair de son temps avec son copain. Je pris une douche rapide, enfilai des sous-vêtements et un pyjama propre avant de me glisser dans mon lit avec un soupir d'aise.
Alors que j'étais sur le point de m'endormir, ma porte s'ouvrît à la volée, avec une violence telle que la poignée laissa une marque dans le plâtre du mur.
Je me levai d'un bond, empêtrée dans ma couette, l'esprit embrumé. Je m'efforçai de me concentrer sur la silhouette floue de ma meilleure amie qui se tenait sur le seuil, les mains sur les hanches et le regard paniqué.

— C'est pas vrai ! s'écria-t-elle en se ruant vers moi. Où est-ce que tu étais passée ?! Je n'ai pas arrêté de t'appeler et de t'envoyer des messages et voilà que tu disparais au beau milieu de la nuit !

Je tentai tant bien que mal de me concentrer sur ses paroles, mais j'avais l'impression d'avoir la tête resserrée dans un étau, ou comme on dit « la tête dans le cul ».

— Ari, commençai-je, la voix pâteuse. Ce n'est pas la première fois que je disparais pendant la nuit.

— Toute une journée !

—Eh ! m'insurgeai-je. C'est toi qui étais absente pendant la journée. J'étais ici, moi.

— Ah ? dit-elle avec une voix étrange. Nous y voilà. Tu admets donc m'avoir évitée.

Trac nard.

— Mais non ! J'étais avec ma mère et puis avec Clara. Et de toute façon on s'est parlées au téléphone juste après, je n'ai donc pas disparu, et donc pas évitée.

Elle se rapprocha de moi et planta ses poings sur le lit, de part et d'autre de ma taille en me fixant.

— Tu m'as évitée, articula-t-elle lentement.

Je ne savais pas quoi répondre, puisque c'était vrai. Alors je lui lançai un regard qui se voulait désolé, mais je ne suis pas sure qu'elle l'ait interprété comme tel.
Elle finit par s'assoir sur mon lit, me jetant un regard contrit.

— Je sais que le fait de rencontrer mes parents te stresse. Mais ils t'aiment beaucoup, et avec le temps tu devrais l'avoir compris, me lâcha-t-elle.

Ariadne me connaissait comme personne, et je n'avais pas la tête à la contredire, à la place je me laissai retomber sur l'oreiller.

— Je ne vais pas te forcer, mais ils finiront par t'avoir.

— Pas si je cours vite.

— Sauf si je sème des obstacles un peu partout sur ton chemin.

— Tu anticiperais ma fuite ? demandai-je en haussant un sourcil.

— Évidemment ! Pour qui tu me prends ? Je saurai où tu te rendras avant même que tu ne le décides toi-même.

— Ça, c'est effrayant, dis-je avec une mine faussement affolée.

Nous nous sommes regardées quelques instants avec d'éclater de rire. Passer du temps avec elle me manquait.

— Sinon, me dit-elle. Qu'est-ce que tu as fait ce soir ?

Je la regardai avant de fixer un point derrière elle. Je n'aimais pas lui mentir, mais j'avais fait une promesse à Mason. Alors j'optai pour un semi mensonge.

— J'étais chez un garçon.

Ariadne me regarda un peu suspicieuse.

— Qui ça ?

— T'as pas envie de le savoir, lançai-je.

Cette remarque eu le mérite de la faire sourire mais elle ne lâcha pas l'affaire pour autant.

— Oh que si ! Alors ?

— Un nouveau (comme elle fronça étrangement les sourcils je poursuivis) On a fait connaissance.

— Lequel ? continua-t-elle d'insister.

— Il y'en a beaucoup, tu sais. Je doute que tu le connaisses. (Elle claqua ses ongles sur les côtés du lit et je me mis à réfléchir à toute vitesse) Il s'appelle Ethan.

Qui aurait cru que connaître ce prénom me serait un jour utile ?

Elle me regarda quelques instants faisant mine de réfléchir puis me jeta un regard inquiet.

— C'est bien ce que je craignais. C'est un coureur de jupons, Rachel.

Je haussai les épaules, un sourire en coin, et elle me donna une tape sur l'épaule.

— Je ne sais pas pourquoi je me fatigue, rigola-t-elle.

— Moi non plus, répondis-je avec un sourire.

 

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