Natasha s'empressa de retirer ses jambes et de se redresser, elle paraissait aussi mal à l'aise que moi. Mauvaise première impression on dirait, que ce soit autant pour elle que pour moi.
— On dirait une tueuse à gage, chuchota-t-elle en fixant un point devant elle. Une très belle tueuse à gage.
Je me retournai en la menaçant du regard. L'entendre s'extasier sur ma progénitrice me donnait des sueurs froides.
Je levai les yeux en m'efforçant de garder un visage impassible. En effet elle était comme je l'avais imaginé, sauf que ses cheveux était coupés en un carré plongeant. Je les imaginais longs un peu comme une combattante effarouchée, ou une indigène. Elle portait une tenue très sérieuse et sombre : chemisier bleu nuit, veste et tailleur noir. Pour ma part je trouvais que ça faisait trop ressortir son teint pâle, mais il semblait que Natasha n'était pas de cet avis.
Isabelle Wilkerson se rapprocha jusqu'à se planter devant moi en me toisant. Son regard me faisait penser à celui que je lançais en tirant la chasse d'eau pour évacuer le fruit de mon indigestion dans la cuvette. Sale comparaison, mais très appropriée pour la situation. Insultant, certes, mais prévisible venant de quelqu'un comme elle.
Il n'est parfois pas nécessaire de vivre avec une personne pour la connaître.
— Natasha Berry, salua-t-elle diplomatiquement mon amie avant de me regarder. Rachael.
Je fronçai les sourcils.
— C'est Rachel, répondis-je du tac au tac. Juste Rachel. Jamais Rachael.
Encore une fois elle me regarda comme une créature dégoûtante.
— C'est moi qui t'ai donné ce prénom. Je voulais que ça soit Rachael.
— Gloire à Dieu Hallelujah, m'exclamai-je. Je m'appelle quand même Rachel.
Natasha gloussa ce qui fit rappeler sa présence à ma mère.
— Mademoiselle, est-ce-que vous pouvez nous laisser seules, s'il vous plaît ? J'aimerai m'entretenir avec en privé avec... Rachel, lui dit-elle d'un ton sans appel.
— Inutile Nath', on va dans ma chambre, pestai-je en me levant. On se voit plus tard.
Je traversai la cour sans vérifier si elle me suivait. Après tout, si elle jouait les Ninjas, elle pouvait bien suivre sa bonne à rien de fille, non ?
Je m'engoufrai dans le bâtiment en ignorant les regards des étudiants autour de nous qui chuchotaient d'excitation en voyant ma mère, et je me dépêchai d'ouvrir la porte de ma chambre.
En l'ouvrant je me mis à me maudire : je n'avais pas rangé mon coin, et les vêtements de la soirée d'Adrian, qui datait s'il y'a trois semaines, étaient encore accrochés aux ceintres sur l'armoire (comme si ça m'aurait tué de les mettre dedans).
Je me mis à essayer de ranger un peu mon lit, en vain, tandis que ma mère refermait la porte. Cela ne m'aurait même pas surpris qu'elle prenne un spray désinfectant pour se nettoyer la main.
Je me tournai donc vers elle et la vis observer les lieux. Elle prit une grande inspiration avant de parler.
— Voilà donc ce que tu partages avec Mademoiselle Hudsun, fit-elle remarquer.
— Oui.
Mon manque d'éloquence ne sembla pas la perturber.
— J'ai entendu dire que tu t'étais améliorée en cours ces derniers temps.
— Ouais, soufflai-je. Je me suis améliorée en cours... ces derniers temps, tentai-je.
Elle posa son regard sur les vêtements accrochés sur l'armoire.
— Tes tenues sont telles qu'on me les avait décrites.
Je ne jugeai pas nécessaire de lui faire remarquer qu'on me les avait offerts et que je ne les avais, par consequent, mis qu'une seule fois. Pas plus que de lui dire qu'elle était aussi détestable que « je » me l'étais décrite.
— Je suppose que tu n'es pas là pour parler de mes goûts vestimentaires, lâchai-je.
— Non en effet il est trop tard pour cela (je fis la grimace, qu'est-ce-qu'elle sous-entendait ? )
Si je suis là aujourd'hui, en dehors de cette absurde réunion je veux dire, c'est surtout pour voir comment tu vas.
Je pouffai, en voilà une bonne blague. Et puis quoi encore ? Elle allait m'apprendre comment on faisait des bébés ? Comment faire les nœuds de mes baskets ?
— Je sais que c'est dur à croire mais...
— Non tu crois ? marmonai-je.
— Mais j'ai une bonne raison d'être venue uniquement maintenant.
Je n'en doute pas, charogne.
— Une remise en question ? tentai-je.
— Comme tu le sais, commença-t-elle en ignorant ma remarque. Tu es en dernière année, durant celle-ci chaque dhampir sera affilié à son vampire. Je suis venue pour... t'inculquer un peu les bases.
M'inculquer les bases ? Là voilà qui jouait les mères poules ! Retenez-moi où j'allais l'enlacer avec tellement de tendresse que je lui en briserai les côtes.
— Attends, l'arrêtai-je avec un sourire crispé. Tu te moques de moi ? Tu n'as jamais été là pour moi et là, tu viens comme une fleur en prétendant être venue dans mon intérêt ? (J'avais pointé mon doigt contre mon torse en disant cela, quoi que un peu trop fort) Je suis peut-être fainéante, mais pas stupide et j'ai horreur qu'on se moque de moi. C'est précisément ce que tu es en train de faire. (je soufflai bruyamment) Tu vois, je n'ai plus le souvenir de ton visage lorsque j'étais enfant. Rien d'étonnant, étant donné la façon dont tu t'en es allée. Mais je sais très bien de quelle façon tu fonctionnes, toi, et toutes les personnes dans ton genre. Tu es venue ici pour la simple et bonne raison que tu crains que je salisse ton image de gardienne impeccable. Mais tu sais ? Ta visite ne changera rien à mes projets. Alors si la honte que je t'inspire te force à faire tout le trajet que tu n'as manifestement jamais daigné faire en traize ans, j'ai le regret de t'annoncer qu'encore une fois, ce que tu fais es inutile.
Nous sommes restées là à nous regarder en chien de faïences pendant d'interminables secondes avant qu'elle ne daigne répondre.
À contre cœur, elle se décrispa.
— Tu as entièrement raison. Je ne suis pas venue exactement pour ça. Seulement, contrairement à ce que tu penses ce n'est pas une question d'image. Je suis réellement inquiète pour toi. Je n'ai pas... la fibre maternelle, hésita-t-elle. Mais je n'en reste pas moins ta mère. Nous vivons une guerre perpétuelle contre les loups garous et le monde n'est pas aussi tendre que ce que tu te prêtes à croire. Là dehors les gens ne sont pas tes amis
J'étais sur le point de riposter quand elle m'arrêta.
— Je sais. Mais ce que je veux dire, c'est que n'importe quelle personne que tu rencontres, là dehors, es un ennemi potentiel.
— Tu ne m'apprends rien, marmonnai-je. Encore une fois.
Elle croisa ses mains en commençant à faire les cent pas.
— Cette année est particulière Rachael, commença-t-elle. Alors il faut redoubler de prudence
—Particulière ? demandai-je. Qu'est ce que tu veux dire
Elle balaya ma question de la main avant de poursuivre.
— Nous sommes des dhampirs, Rachel, nés pour protéger les vampires et tuer tous les loups garous. Sans exception, ajouta-t-elle en me regardant droit dans les yeux.
Je ne comprenais pas pourquoi elle me faisait tout un sermon à propos de quelque chose que je savais déjà. Mais je devais l'amadouer, même si c'était puéril et que ça me coûtait cher de le dire.
— Maman ? dis-je pour la première fois en référant mon envie de vomir.
Je distinguai dans ses yeux qu'elle fut émue que je l'appelle de cette façon
—Pour quelle raison est ce que tu as voué ta vie à la destruction des loups garous ? Tu aurais pu rester sur place comme la majorité des gardiens au lieu d'aller sur le terrain. Alors pourquoi ?
Elle s'arrêta de marcher pour regarder une photo de moi avec Ariadne sur la commode.
— Trop peu de gardiens se risquent à combattre les lycanthropes. Nous sommes une infime partie à rejoindre le bataillon. La majorité d'entre nous travaillent en tant que défenseurs, où ils ne sont pas exposés au danger direct. De ce fait, trop peu d'entre nous reçoivent les enseignements de combat appropriés. Nous manquons trop d'effectif. Si l'on continue de cette façon, surtout après nos échecs répétitifs et à la perte de nos membres, nous ne serons pas capables de riposter en cas d'attaque.
Je commençai à jouer avec l'anneau de ma bague tant les rouages de mon cerveau commençaient à rouiller.
— Pourquoi ne pas donner le même enseignement à tout le monde dans ce cas ? proposai-je.
Elle arrête d'observer la photo pour s'appuyer sur la dite commode.
— Les ordres viennent d'en haut, Rachel. C'est ainsi que nous avons réussi à garder notre espèce en vie pendant tout ce temps et à nous éviter l'extinction, expliqua-t-elle. Seulement, comme je viens de le dire, nous sommes trop peu nombreux. Et nos ennemis se multiplient si vite. Nous devons rester concentrés. Voilà la raison de ma venue.
Tout à coup, tout s'éclaira et je compris.
— Tu veux que je rejoignes le bataillon, conclu-je
— Écoute... tu as du potentiel. J'ai reçu tes bulletins. Tu as des capacités physiques incroyables, ton état d'esprit, ta motivation et...
— Ça va, la coupai-je sèchement. Ne te force pas, tu ne trouveras pas plus à dire de moi que ce qu'il y'a écrit sur ces foutus papiers.
Elle se rapprocha doucement de moi, sentant que je perdais patience.
—C'est important, je ne serai pas là sinon (tiens donc...)...Nous serons ensemble, tenta-t-elle.
Je ris jaune en me mordant la lèvre. Évidemment on crèvera ensemble.
— Alors c'est ça ton argument ? « Nous serons ensemble » ? Tu n'es pas crédible. Et ne me dis pas que tes « missions » t'empêchaient de venir me voir. Parce qu'étrangement, tu es la seule à t'en être passée. Tu veux juste récolter les lauriers. Un parent sensé protège son enfant, tandis que toi tu me pousses à aller me faire tuer pour je ne sais quelle raison ! dis-je en haussant le ton.
— Nous devons les combattre ! C'est notre destin ! cria-t-elle également.
— J'en veux pas ! Je ne le ferai pas ! Rien ne nous pousse à le faire !
Un silence s'installa pendant plusieurs minutes qu'elle passa à me regarder comme si elle essayait de me sonder et de lire en moi.
—Ne redis plus jamais ça tu m'entends ? finit-elle par dire. Rachel, je te l'interdis.
Je soupirai en contractant la mâchoire.
— RACHAEL ! Tu ne mesures pas la portée de tes paroles. Ce que tu dis pourra être retenu contre toi et tu pourras même en subir les conséquences.
— Quoi ? m'insurgeai-je. N'importe quoi.
— Plusieurs actes de trahison ont été recensées et nous n'avons jamais trouvé de coupable. Nous avons une taupe depuis bien longtemps, ce que tu dis est très grave et pourrait te conduire à ta perte. Avec ce que tu dis... tu deviens la suspecte idéale. Garde tes idéaux pour toi, et fait ce que le conseil demande. Nous devons combattre et nous le ferons, point final.
— Et si je refuse ? lançai-je.
Elle haussa les sourcils mais se reprit.
—Tu te chargeras de leur défense
— Non.
Elle ne comprit pas et me regarda.
— Et si je décidais de m'en aller ?
Évidemment je ne le ferai pas, je disais uniquement pour lui faire comprendre mon point de vue. Et quoi qu'il arrive, je n'aurais nulle part où aller. Je crois.
Ma mère parut scandalisée et se remit à faire les cent pas.
— Écoute moi. Écoute, dis-je en la suivant. Qu'est ce qui te dit que nous sommes dans le bon camp ? Qu'est ce qui te dit que nous ne faisons pas une erreur ?
— Rachel...
—Tu y as déjà réfléchi ? Hein ? Nous nous combattons depuis bien trop longtemps. Et si de leur côté ils pensaient exactement comme nous ? Que c'était nous les mauvais ?
— Arrête ça, m'ordonna-t-elle en s'arrêtant, me poussant à faire de même.
— Est ce que quelqu'un a déjà pensé à leur parler ? Avec un porte parole ? En faisant une... trêve ? N'importe quoi qui ne requière pas tous ces siècles de violence et de massacre
— S'il te plaît, murmura-t-elle le corps crispé.
— En réalité nous portons les mêmes préjugés sur eux que les humains sur nous. Et je suis convaincue que c'est la même chose pour eux. Les vampires et les loups garous ont toujours été ennemis. Quelqu'un connait-il juste exactement la bonne raison ?
Ma mère soupira bruyamment en se massant les tempes.
— Nous avons évolué, nous, les vampires, et nous sommes adaptés à la société en nous reproduisant avec les humains. Aucun de nous ne pensait cela possible et pourtant c'est arrivé. Pourquoi pas eux ? Je suis sure qu'ils...
— RACHAEL ! hurla-t-elle si fort que je sursautai en me cognant le coude. Je t'interdis formellement de dire un mot de plus. Ce n'est pas croyable, je te l'interdis. Ce que tu dis... ce que tu penses... c'est aberrant. Tu ne peux pas, tu n'as pas le droit de dire ça.
— Le droit ? On parle de droit ?
— Ce n'est pas si simple ! Ce que tu dis est très dangereux. Tu remets en cause l'histoire même de cette haine qui perdure entre nos deux camps
J'étais sur le point de parler mais elle me dit le geste de me taire.
— Même s'il est bon que tu te poses ces questions, fais le dans d'autres circonstances, cette façon de penser est une qualité que tu dois exploiter mais pas comme ça. J'espère qu'un jour tu oublieras ces idées, conclut-elle en allant s'assoir. Ça en revanche, je le dis uniquement pour toi.
Je serrai la mâchoire, encore une fois et poussai un faible grognement.
— En as-tu parlé à quelqu'un ? me demanda-t-elle brusquement.
— Je... (j'allais dire non mais je me rappelai brusquement que je l'avais dit à quelqu'un... merde) Oui.
Elle se leva pour me tenir les épaules.
— Qui ? Qui est-ce ? Quel est son nom ?! Je veux son nom.
— Détends toi il ne dira rien, il pense la même chose que moi.
Elle me lâcha en tournant en rond.
— C'est un garçon, évidemment, j'aurais dû m'en douter... « il pense la même chose » dis-tu ? Si tu ne veux pas me dire son nom, j'interrogerai tous les garçons jusqu'à le trouver moi-même, menaça-t-elle en se dirigeant vers la porte.
— Attends ça va ! me résignai-je. Mason ! Il s'appelle Mason, t'es contente ? Laisse le maintenant. S'il avait voulu le dire il l'aurait déjà fait tu ne crois pas ?
Elle me regarda, furieuse, très furieuse.
— Tu ne lui diras rien ? C'est promis ?
Encore une fois, elle ne répondit rien.
— S'il te plaît, me forçai-je à dire, mâchoire crispée.
Elle hocha la tête puis sortit en trombe.
Après sa sortie, je téléphonai à Ariadne en lui racontant l'histoire. Etrangement, elle ne paraissait pas surprise "C'est ta mère, rien d'étonnant" me dit-elle. Elle n'avait pas tord, je savais maintenant de qui je tenais ce sale caractère.
Juste après, en me rongeant les ongles, j'envoyai un SMS à Mason. J'étais sûre que je finirai par le regretter, mais j'étais trop angoissée par ce que ma mère pourrait faire.
— Je dois te parler. Urgent.
Chose à laquelle il répondit très vite.
— Moi aussi. Cabane. 20 minutes.
Je soupirai en me demandant pourquoi j'étais sortie cette nuit là.
Comme prévu, je me dirigeai vers le coin qu'il m'avait montré quelques semaines de ça.
Je suis arrivée la première et me suis adossée à l'une des poutres qui maintenait la cabane.
Après un moment d'attente (que j'ai trouvé très long) j'ai entendu le bruit de craquement de feuilles, signifiant que quelqu'un venait pas ici. J'ai relevé la tête et surprise pour personne : C'était bien Mason.
Il avançait vers moi, les yeux rivés sur son téléphone, sourcils froncés avant de les relever et de me lancer un sourire gêné auquel j'ai répondu par un signe de la main.
— Salut, a-t-il dit en arrivant à ma hauteur.
— Salut, répondis-je en sentant mon rythme cardiaque s'accélérer étrangement. Tu voulais me parler de quelque chose ?
Il se frotta l'oreille, visiblement mal à l'aise, et je distinguai pour la première fois son piercing noir.
— Ouais. Sauf si tu veux commencer, répondit-il avec un sourire qui dévoila sa fossette.
Je me tortillai, mal à l'aise. Je ne savais pas trop comment lui poser la question sans avoir l'air d'une petite fille capricieuse et méfiante.
Comme je mettais du temps à répondre, il essayait de sonder mon regard, un sourire en coin.
— Je n'ai pas de pouvoirs de télépathie, Rachel. rigola-t-il.
— Je voulais savoir si tu avais parlé à quelqu'un de ce que t'avais dit le jour où on est venus ici.
Il fronça les sourcils, et pendant un instant, j'ai eu peur de l'avoir froissé. Mais finalement, il se détendit et me regarda chaleureusement. Et sans qu'il ait à répondre je poursuivis :
— Je suis désolée. Ça va probablement te causer des ennuis. Ma mère est venue...
—Pour la journée réservée aux parents ?
Je hochai la tête.
— Et j'ai dit quelque chose qui ne lui a pas plu. Elle veut s'assurer que je ne l'ai dit à personne de... compromettant, tentai-je en le regardant.
— Ça se comprend, dit-il en se massant la nuque. Je croyais que tu n'avais jamais vu ta mère ?
Je haussai les épaules.
— C'est le cas.
— Oh, c'est plutôt... tendu, pour une première rencontre.
— Ça...
Il se tut pendant quelques secondes avant de reprendre.
— Je ne l'ai dit à personne.
— Je sais, lui souris-je.
Il sembla à la fois soulagé et surprit que je le croie aussi facilement. Je ne savais pas pourquoi non plus.
— Concernant Jess, et ce qui s'est passé la dernière fois...
Je secouai la tête.
— Ne t'en fais pas, j'étais ivre. Dieu seul sait ce que je fais dans ce genre de moments.
— Tu étais en colère contre moi, non ? (Il marqua une pause) Je veux dire, après que je t'ai dit de garder notre rencontre secrète.
J'allais répondre, mais j'avais oublié ce détail. J'avais sans doute été convaincue que ça me causerait des ennuis. Enfin, je crois.
— Ne t'en fais pas pour ça aussi. Je m'étais levée du pied gauche. Ce n'était pas mon jour visiblement, souris-je.
Il me rendit mon sourire et ce fut à mon tour d'être mal à l'aise.
— Seulement vingt-quatre heures après notre rencontre il a fallu qu'on se retrouve dans une situation malaisante.
— Je ne trouve pas ça malaisant, au contraire.
Je fronçai les sourcils.
— C'est le début d'une belle et longue amitié, dit-il en portant une main à son cœur.
— N'importe quoi !
Je lui assénai une tape sur le torse en me disant qu'il avait peut-être raison.
Nous sommes restés ainsi plusieurs minutes à discuter avant que je ne songe à rentrer, non pas par envie, mais parce que je devais retourner voir ma « mère ». Il me promit de me raconter ce pourquoi il avait voulu qu'on se rencontre une prochaine fois.
— Attends, m'arrêta Mason.
Je me retournai.
— J'ai des autorisations de sortie, commença-t-il. Ça te dirait de faire un tour ?
Je fis mine de réfléchir un instant avant de répondre.
— Je te tiens au courant.
Il répondit par un air outré qui me fit éclater de rire. Puis je me dirigeai vers le bureau de la directrice dans lequel ma mère devait très certainement m'attendre.
Le rendez-vous a été barbant, Mme Colman n'a pas arrêté de déballer toutes les « catastrophes » que j'avais pu causer, et je l'écoutais d'une oreille distraite. Ma mère, comme elle me l'avait fait comprendre, trouvait cette rencontre parents-professeurs stupide, cela ne m'étonnait pas d'elle, mais en même temps, me rassurait : je n'aurais pas à me faire sermonner comme mes autres camarades sur « l'image que je donne à mes professeurs ». Malgré tout, elle faisait bonne figure, dos droit, jambes croisées, menton relevé, tout d'un geôlier royal.
Un peu après avoir exposé à quel point j'étais une épouvantable élève, la Colmane nous a tendu des papiers que ma mère ne se donna même pas la peine de regarder. Il s'agissait des affiliations possibles pour dhampirs après avoir obtenu le diplôme de fin d'année, dont elle m'avait vaguement parlé plus tôt dans la journée.
Quelque chose m'interpella et je préférai m'adresser à la directrice plutôt qu'à ma mère, qui avait malgré tout, beaucoup plus d'informations à m'apporter.
— Il y'a la catégorie des Défenseurs et de la Garde. Ce n'est pas la même chose ? demandai-je perplexe.
Mme Colman croisa ses mains devant son menton en jetant un regard dédaigneux à la feuille, comme le ferait une comptesse attendant qu'on lui baise les pieds.
— Les Gardes sont des dhampirs réservés uniquement à la famille Royale (elle lança un regard à ma mère) Elle ne savait même pas ça ?
J'étais sur le point de l'envoyer sur les roses quand ma mère me devança.
— Tout comme vous n'aviez pas l'air de savoir qu'une nouvelle catégorie avait été ajoutée.
Étrangement, je sentis une pointe de fierté en la voyant prendre ma défense. Mme Colman fut également prise de court, puisque qu'elle
resta plusieurs secondes sans parler a faire passer sa langue sur ses lèvres.
Finalement, ma mère reprit la parole et se tourna vers moi une étrange lueur dans le regard.
— Je ne t'en ai pas parlé mais (elle regarda la proviseur), après le Bataillon, les Défenseurs et la Garde, ils ont ajouté les Messagers.
Mme Colman fronça les sourcils en s'adressant à ma mère :
— Vous devez faire erreur. Je n'ai pas été mise au courant, dit-elle en tapotant ses angles manucurés sur le bureau en bois.
— Parce que vous n'êtes pas habilitée pour, répondit-elle sans la regarder. Cette décision est principalement la raison pour laquelle je suis devant vous.
—Pourquoi faut-il que tu lui en parles de vive voix ? demandai-je.
Ma mère déplia sa jambes pour la croiser dans l'autre sens avant de me répondre.
— Je n'ai pas posé la question.
Mme Colman plissa les yeux, suspicieuse, mais ma mère ne s'en préoccupa pas.
— Le travail du Bataillon est de combattre les lycans, mais pas de les pister. Seulement, cela est nécessaire pour les suivre à la trace et prévoir leurs actions. Le travail des Messagers sera entre autres, de récolter des informations qui pourront être utiles au Bataillon, de trouver leurs tanières (elle secoua la tête) et tout ce qui s'en rapporte (elle reporta son attention sur la proviseur) Entre autres.
— La suite a été épuisante, je préfère ne pas relater les faits dans leurs moindres détails. Isabelle et Clara se sont engagées dans une gueguerre de connaissances pathétique qui ne faisait que me rappeler l'horreur de la vie en communauté, je n'étais là que pour arbitrer et c'en était épuisant.
— Après ça, ma mère me parla pendant un moment du travail de Messagers, et je commençai à trouver ça intéressant.
Finalement, elle n'était pas allée voir Mason, et n'en avait pas l'intention, estimant (de toute évidence) que j'étais assez grande pour savoir à qui faire confiance. Je trouvai ça plutôt paradoxal compte tenu de ce qu'elle m'avait dit plus tôt dans la journée.
Finalement, elle regagna ses appartements avec sa démarche de dominatrice impériale, prétextant une charge de travail importante.
Vers deux heures, je décidai enfin qu'il était temps de me laver. Quand je me rendis dans ma chambre pour choisir mes vêtements, mon portable clignotait sur ma table de chevet. J'avais fait en sorte de « l'oublier » toute la journée parce que je ne voulais pas répondre à Ariadne, craignant qu'elle m'emmène de force vers ses parents, mais j'étais consciente que j'allais devoir finir par l'affronter.
Finalement, avant de verrouiller mon téléphone, j'ai pensé à Mason et à sa proposition de sortie. Je décidai alors de lui envoyer un message :
— OK.
J'étais sûre qu'il comprendrait.
Je suis alors entrée sous la douche, attachant mes cheveux qui n'avaient pas encore atteint le seuil de gras que je jugeai critique. J'avais dû y passer environ une demi-heure, à fredonner The Girl U Want. Après être sortie, serviette de bain autour de moi, je remarquai que mon téléphone venait tout juste de se verrouiller. En le prenant, je trouvai (sous l'amoncellement d'appels d'Ariadne, de messages de Natasha et étrangement de ceux de Sydney) un appel de Mason, et un message qui l'accompagnait.
— Concert de Crazybomb ce soir. Je t'invite. Ça te dit ?
Je lui avais parlé de ce groupe lors de notre rencontre, cela faisait partie des nombreux sujets de conversation que l'on avait abordé. Et le voilà qui me proposait d'y aller.
Si ma mère ou encore Ariadne l'apprenaient, elles ne me lâcheraient probablement jamais la grappe. Mais peu importait.
Je soupirai et répondit :
— C'est beaucoup trop cher, même pour un millionaire refoulé comme toi.
— Ne t'inquiète pas. L'argent n'a pas d'importance. Tu viens ou pas ? m'écrivit-il quelques secondes plus tard.
Après quelques secondes de réflexion, je me dis que si je survivais au Bataillon ou au Messager, mon salaire rapporterait assez pour le rembourser. Alors je répondis :
—Oui, mais ne prends pas ça pour acquis ;)
— Je ne vois pas de quoi tu parles :D
Je souris. Cet émoticone me faisait toujours rire.
— Dans une demi heure, dehors ?
Je regardai l'horloge. Cela me laissait très peu de marge mais comme il m'invitait, c'était lui qui voyait.
Je commençai à me préparer et décidai de mettre un jean et un sweat rouge, inutile de faire dans le détail.
En sortant de l'académie, sous le regard méfiant des gardiens (j'avais parfois l'impression qu'ils s'attendaient à ce que je sorte des bombes de mes poches et que je me fasse sauter comme un kamikaze), je vis une Jetta noire non loin. Je commençai d'abord par chercher Mason du regard, puis haussai les épaules, fatiguée de me compliquer la tâche.
Je m'approchai de la voiture et les vitres de celle-ci se baissèrent. Dès que je vis je me sentis immédiatement à l'aise, et vaguement contente.
Je fis le tour du véhicule pour m'installer sur le siège passager.
— Salut, me lança-t-il avec un large sourire lorsque j'entrai dans sa voiture.
L'autoradio diffusait un morceau de Bob Marley et, à la lumière de la lune, je remarquai qu'il s'était verni les ongles en noir.
— C'est pourquoi ? demandai-je, amusée en regardant ses ongles.
— Il éclata d'un rire mélodieux avant de regarder ses ongles.
— L'ennui, la fatigue, la faim, l'impatience et (il se tourna vers moi) le style. (Je secouai la tête et il en profita pour redémarrer)
— Merci.
— Pour ?
L'air perplexe, il tourna le volant avant de s'élancer dans la nuit.
— Pour le concert. De garder le secret. D'être sympa.
— Ah ça ! rit-il. Pas de problèmes, crois-moi.
— Ça ne veut pas dire que je ne dois pas t'en être reconnaissante, soulignai-je.
— Très bien, concéda-t-il avant de me jeter un regard tendre et amusé qui me fit détourner le regard. Alors de rien.