Je quittai non sans regret l’énorme paquebot le lendemain matin à l’aube. J’y avais vécu des heures agréables, et j’avais fait la connaissance des deux seuls amis que j’avais au monde à l’exception d’Ezéchiel, Alma et son frère.
Le bateau mouilla dans le port de moyenne importance d’une île paradisiaque. Dès que j’eus franchi la passerelle, je montai dans un taxi pour me rendre à l’aéroport. J’achetai un billet d’avion et grimpai à bord d’une navette qui me transporta sur le continent. Du terminal où j’atterris, je pris une correspondance qui m’amena à destination en fin d’après midi. J’avais choisi un hôtel proche de la localisation des bureaux d’InvestMed, où je me rendis en taxi depuis l’aéroport. Nous traversâmes des rivières grises et des bras de mer sur des ponts à étages, roulâmes le long d’autoroutes qui ne cessaient de s’enrouler autour d’échangeurs complexes puis au milieu d’avenues bordées d’immeubles tous plus hauts et plus impressionnants les uns que les autres. La circulation était dense et le taxi se faufila habilement entre les voitures et les bus. Au terme d’un trajet labyrinthique dans le brouillard de la pollution urbaine, il me déposa au pied d’un building pyramidal dont le sommet se perdait dans les nuages. L’hôtel était un palace prétentieux, mais il était bien situé. La chambre était sans âme, sans charme, le mobilier était quelconque, les tableaux aux murs hideux, mais tout respirait la propreté et la salle de bains fonctionnelle empestait les produits de nettoyage. Pour donner l’illusion d’un accueil chaleureux, une touche exotique et bio avait été ajoutée, un petit bouquet de lavande avait été déposé sur l’un des oreillers du lit.
Après avoir déposé mon bagage, je descendis dans le lounge et commandai une légère collation et un thé. En mangeant, je parcourus les journaux posés sur les tables basses, à la recherche de nouvelles de mon pays. Dans la pile de journaux étrangers, je dénichai une édition d’un magazine local vieux de deux jours, où je ne trouvai aucune information ni sur Ezéchiel ni sur Anchise. C’était désormais de l’histoire ancienne, je ne saurais jamais ce qui était arrivé à Anchise, qui m’avait accueillie si inopinément chez lui. Bozon avait peut-être des nouvelles de mes deux compagnons, je lui en demanderai.
Après la collation, je quittai l'hôtel et fus assaillie dans la rue par le bruit et l’intensité du trafic. Klaxons, hurlements, crissements de pneus, la foule se bousculait autour de moi et ma tête se mit soudain à tourner au milieu de tout ce monde hyperactif. J’avisai un grand magasin sur le trottoir d’en face et me dirigeai vers le feu rouge pour traverser au passage piétons. Quelques instants plus tard, je pénétrai dans le calme feutré d’un temple de la beauté et du glamour. Vagabondant au milieu des rayons ultra chics, je cherchai un moyen de changer mon apparence. Cette fois pas de vintage bon marché, je pouvais dépenser ce que je voulais, une paire de solaires chères ne m’arrêterait pas !
Des bijoux ostentatoires et des lunettes voyantes devraient focaliser les regards chez InvestMed pour éviter la mémorisation de mes traits. Je choisis un collier de perles de verre précieux bleu nuit, parsemé de paillettes, avec un fermoir en or à porter sur le devant, dont la beauté prouvait que ce n’était pas du toc. Il tombait parfaitement sur ma gorge. Je le porterai avec un chemisier en lin blanc fluide aux longues manches seyantes qui me tendit les bras sur son cintre, une jupe étroite en laine fine coup de coeur et des escarpins vertigineux qui me faisaient des jambes interminables. Une paire de lunettes sévères en écaille de tortue et aux verres légèrements teintés compléterait ce look de femme executive.
Mes achats emballés dans divers sacs à l’effigie du magasin, je sortis à nouveau dans l’avenue et marchai le long du trottoir assez longtemps, jusqu’à une boutique d’électronique qui vendait tout pour réparer la moindre panne chez soi. L’endroit n’était pas grand, bâti tout en longueur et en hauteur, sur trois étages. Je déambulai dans les rayons jusqu’à ce que je trouve ce que je cherchai : un micro espion miniature sans fil avec récepteur, si petit qu’il pourrait être dissimulé dans un stylo. Grâce à cette merveille de la technologie, je pourrais écouter et enregistrer à distance et en temps réel toutes les conversations captées par le micro espion. Le prix astronomique de cette petite chose ne m’arrêta évidemment pas, Bozon aurait approuvé mon achat. Je complétai mes courses en ajoutant plusieurs stylos de différentes tailles. Nantie de tous mes sacs, je quittai le magasin et hélai un taxi.
Il me déposa à l’entrée d’un parc au nord de la ville, où j’allai marcher pendant une bonne heure pour me détendre. Des femmes promenaient leurs bébés dans des landaus ou des poussettes, des gens marchaient en tenant leurs chiens en laisse, d’autres lisaient leurs journaux sur des bancs ou nourrissaient les canards et canetons qui peuplaient le lac. Une effervescence bon enfant régnait à cette heure de fin de journée, et mon coeur fondait devant toute cette guimauve quand je tombai sur un marchand de glaces. Allais-je couronner cette balade par un cornet parfumé ou résisterais-je à la tentation ? Bien évidemment je renonçai et ce dernier sacrifice sonna le glas de ma promenade. Il commençait à faire frais et je gagnai la sortie du parc pour reprendre un taxi et rentrer à l'hôtel.
A peine arrivée dans le hall avec mes paquets, je fus prise en charge par un liftier qui porta mes sacs jusqu’à l’entrée de ma chambre. Je lui laissai un pourboire et pénétrai dans la pièce. J’appelai aussitôt InvestMed pour convenir d’un rendez-vous. Je me fis passer pour une journaliste du Cedar Tree Daily Tribune qui enquêtait sur des start ups talentueuses. La femme qui me répondit m’indiqua que je serai accueillie le lendemain matin à dix heures, dans leurs locaux.
J’avais à peine raccroché le poste fixe de la chambre que le téléphone de Bozon se mit à vibrer. Je répondis tout de suite.
-- Bozon ?
-- Bonsoir Avellana, vous êtes bien arrivée ? demanda-t-il
-- Oui, je suis dans la chambre d'hôtel, je viens de prendre rendez-vous avec InvestMed comme journaliste d’un obscur quotidien de province, The Cedar Tree Daily Tribune. L’assistante ne m’a posé aucune question, ce sera demain matin à 10h.
-- Où êtes-vous allée chercher un pareil nom de journal ? questionna-t-il d’un ton amusé
-- Ne vous moquez pas, j’aime les cèdres et je déteste les vandales qui font du mal aux arbres, répliquai-je. Le nom m’est venu à l’esprit immédiatement.
-- Désolé, je ne pensais pas vous offenser, toutes mes excuses, dit-il. Il existe vraiment ce journal ?
-- Bien sûr, que croyez-vous ? J’assure toujours mes arrières ! J’ai acheté de quoi me déguiser en journaliste et essayer de passer plus ou moins inaperçue, afin qu’ils soient incapables de me décrire précisément s’ils devaient le faire, racontai-je.
-- Bien, vous m’enverrez une photo que je vous donne mon avis, dit-il en riant. Hélas, vous n’êtes pas le type de personne que l’on oublie.
-- Ne dites pas ça, ma couverture serait fichue, répondis-je, j’espère être transparente, tellement commune qu’on ne me remarque même pas. Je n’ai pas envie de rire, je joue un jeu périlleux.
-- C’est vrai, fit-il en redevenant sérieux, je ne devrais pas en rire. Mais avec vous les choses s’organisent si facilement et si efficacement, j’en oublie presque la dangerosité de la mission.
-- Croyez-moi, je vais trembler très fort demain. J’ai encore le souvenir des faces de gangsters des tueurs de FinanDev. J’aurai toujours peur de voir l’un des employés d’InvestMed sortir un revolver et me menacer, poursuivis-je.
-- Je ne veux pas que vous vous sentiez si misérable, dit Bozon à l’autre bout du fil. Si vous voulez tout arrêter, c’est encore possible, nous n’avons rien engagé.
-- Mais bien sûr que si Bozon, répliquai-je, nous n’allons pas renoncer et laisser tomber maintenant. Demain je vais chez InvestMed, et je compte bien récupérer des informations. J’ai prévu ce qu’il faut pour ça, vous serez surpris. Vous penserez à moi, le rendez-vous est fixé à dix heures.
-- Entendu, je vous appelle demain soir. Je sais que vous êtes ingénieuse et déterminée, vous avez toute ma confiance.
-- Comment va Alma ? demandai-je avant qu’il ne raccroche.
-- Sa mère et elle sont bien arrivées. Elle me manque déjà, avoua-t-il.
-- Bonne soirée Bozon, à demain, répondis-je.
-- A demain Avellana.
Avant de me coucher, je fis plusieurs tests avec les différents stylos en glissant le petit micro espion à l’intérieur du tube. L’un des stylos était parfait, beau, féminin et suffisamment rebondi pour dissimuler parfaitement le micro. Je fis quelques essais pour vérifier le bon fonctionnement, mais je ne fus pas déçue. La qualité supérieure du dispositif me garantissait qu’il serait opérationnel pour être utilisé le lendemain chez InvestMed.
Je dormis d’un sommeil agité et me réveillai avec une mine affreuse. Impossible de jouer une femme executive avec des cernes violets sous les yeux et la peau grise, on ne me laisserait pas passer la porte d’entrée chez InvestMed. Même mes cheveux étaient ternes et hirsutes, ils avaient poussé depuis la coupe massacre sans plus pouvoir être domptés. J’étais de très mauvaise humeur et parcourus la plaquette de l'hôtel à la recherche d’une solution. Mon angoisse se dissipa quand je lus que je pouvais faire appel à un service de mise en beauté qui se déplaçait dans les chambres. J’appelai aussitôt la réception et commandai une prestation immédiate.
Miranda arriva cinq minutes après mon appel avec un petit chariot couvert de tous les produits de beauté et ustensiles de soins possibles et imaginables.
-- Ne me dites rien, fit Miranda en approchant. Elle se mit à tourner autour de moi, fit pivoter son petit chariot et semblait chercher l’inspiration en bousculant ses flacons et lotions.
-- J’ai un rendez-vous d’affaires dans une heure, finis-je par dire devant son indécision. Faites le maximum pour que je sois présentable, c’est important.
-- Je vais commencer par le vernis à ongles. Comment serez-vous habillée ? demanda-t-elle.
Je désignai mes vêtements pendus sur des cintres, jupe, chemise et veste ajustée.
-- Bien, assez classique finalement, dit-elle. Allure sévère, il faut une touche de fantaisie dans le maquillage pour réhausser.
-- Non, pas de fantaisie, répliquai-je, d’accord pour un vernis mais sobre, un rouge pas trop agressif.
-- Entendu, répondit-elle en s’asseyant devant moi sur un petit tabouret.
Elle commença par une manucure qui dura vingt minutes. Je commençai à m’énerver car je trouvais qu’elle perdait trop de temps, mais le résultat était encourageant, mes ongles étaient habilement peints d’une couleur cerise seyante. Elle passa ensuite au nettoyage du visage qu’elle enduisit ensuite d’abord d’une crème hydratante fluide, puis d’une légère couche de fond de teint bonne mine. Les cernes et la peau grise avaient pratiquement été gommés. Elle ajouta sous les yeux de l'anti cernes pour faire disparaître tout à fait l’impression de fatigue. Elle poursuivit par l’application de poudre légèrement rosée pour donner un éclat lumineux, un travail au crayon sur les sourcils, du fard à paupières et un trait d’eye liner avant de passer à la touche finale, le rouge à lèvres cerise mat, d’abord au crayon puis avec un pinceau. Enfin elle brossa les cheveux longuement pour leur donner un peu de volume en pulvérisant un jet de laque entre chaque balayage.
Tandis qu’elle opérait la transformation de mon visage, je me regardais dans la glace posée devant moi et ne me reconnaissais pas. Je ne m’aimais pas dans ce déguisement, ce n’était pas moi, mais cela ferait l’affaire pour mon entrevue chez InvestMed.
-- Qu’en pensez-vous ? dit-elle en reculant pour mieux apprécier l’effet de son travail.
-- C’est parfait, répondis-je. Toutes les traces de mauvaise mine ont disparu, je me sens une autre femme.
-- Vous êtes splendide, fit-elle avec un grand sourire. Voulez-vous que je vous aide à passer votre chemise pour ne pas la tacher ?
-- Non, merci Miranda, je vais me débrouiller maintenant, vous avez été merveilleuse, ajoutai-je en glissant un billet dans sa main.
Elle m’adressa un grand sourire et hocha la tête pour confirmer sa satisfaction.
-- Avez-vous un peu de démaquillant pour mon retour à l’état naturel ? demandai-je en riant.
-- Bien entendu, dit-elle en trouvant sur son chariot un petit flacon échantillon et une pochette de boules de coton qu’elle me tendit. Voici tout ce qu’il vous faudra.
-- Un grand merci, vous m’avez sauvé la vie !
-- C’est l’un des côtés sublimes de ce métier, répondit-elle, le pouvoir de transformer une femme en une créature exceptionnelle !
-- N’en faites pas trop, eus-je envie de lui dire, mais bien évidemment je m’en abstins et la raccompagnai elle et son chariot à la porte. Je lui donnai à nouveau un généreux pourboire avant de refermer le battant derrière elle..
Il était quasiment l’heure du rendez-vous, aussi je me dépêchai de passer la chemise et d’attacher le bon nombre de boutons pour que mon collier soit mis en valeur sur ma gorge, enfilai la jupe, les bas, les escarpins et la veste cintrée. J’attrapai la besace profonde en cuir naturel, ornée de quelques colifichets dorés, qui me servait de sac à main et quittai la chambre. Dans la glace de l’ascenseur j’ajoutai les lunettes censées me donner l’air intellectuel. Je jetai un dernier regard pour vérifier la cohérence de l’ensemble dans les miroirs du hall de l'hôtel, ma panoplie de parfait imposteur était désormais complète et je sortis dans la rue.
Après quelques minutes d’une marche hasardeuse sur mes stilettos dont la hauteur était beaucoup trop ambitieuse pour mes capacités, je pénétrai dans le hall de l’immeuble quasiment voisin de l’hôtel, où se trouvaient les locaux d’InvestMed. Un ascenseur m’emporta à une vitesse vertigineuse jusqu'au quarantième étage, et les portes s’ouvrirent sur l’open space où travaillaient les équipes laborieuses de la start up. Plusieurs personnes levèrent les yeux de leurs ordinateurs pour me faire un signe de tête poli, mais la plupart continuèrent leurs tâches sans m’accorder le moindre intérêt. J’y vis une certaine analogie avec l’ambiance qui régnait chez FinanDev. Une assistante dont les escarpins étaient tout aussi hauts que les miens mais dont la démarche était beaucoup plus assurée m’emmena en se dandinant jusqu’au bureau du directeur. Elle toqua à la porte et m’introduisit dans la vaste pièce. Le boss se tenait debout, appuyé négligemment sur un coin de son bureau, beau gosse, jeune, avec des yeux bleus qui pouvaient certainement devenir de glace si on osait le contredire, les cheveux clairs coiffés en arrière sur un large front, une barbe naissante faussement négligée, et bien sûr le sourire de charme du tueur.
-- Mademoiselle Avellana Champsaur, bienvenue chez InvestMed, dit-il en se redressant et en me tendant la main. Asseyez-vous, je vous en prie.
-- Bonjour, je vous remercie de me recevoir et de me consacrer quelques instants, répondis-je.
-- Vous ne me dérangez nullement, j’ai toujours du temps à consacrer à une jolie femme, surtout lorsqu’elle vient m’interviewer sur le business de ma société, ajouta-t-il en retournant s’asseoir derrière son bureau.
Machinalement mes yeux parcoururent le plateau de bois vernis où étaient savamment posés quelques livres et objets à côté du PC portable. Rien qui montrât une occupation acharnée au travail, sauf erreur de ma part. Je m’assis sur l’un des fauteuils qui faisait face au bureau et posai mon sac à main par terre. Tout en le fouillant, je sortis discrètement le stylo muni du micro espion que je laissai tomber sous le bureau et le poussai du bout du pied jusqu’à ce qu’il soit devenu invisible. En même temps je pris un stylo et un bloc, j’avais préparé quelques questions anodines sur les start up et m’apprêtai à les poser.
-- Monsieur … , commençai-je.
-- Jack Maxence, dit-il. Appelez-moi Jack, je déteste les relations trop formelles. Nous sommes une start up ! Que souhaitez-vous savoir exactement ? Vous me paraissez bien jeune même si le maquillage vous vieillit de quelques années.
Ouch ! c’était une fine mouche et j’étais démasquée, mon déguisement de femme executive ne l’avait pas trompé, je devais changer mon discours. Evidemment ! C’était un requin de la finance, il ne se laissait pas avoir par une couche de crème et un peu de blush, j’aurais dû m’en douter. Je décidai de jouer la carte de la naïveté, en général les hommes appréciaient d’avoir l’air beaucoup plus intelligent que leur interlocutrice. En cet instant, j’avais presque perdu tous mes moyens.
-- Désolée du subterfuge, dis-je, je viens d’être diplômée et j’essaie de me faire connaître en faisant des piges pour les journaux. J’écris des articles sur les sujets tendance et je tente de les vendre à diverses rédactions.
-- Et ça marche ? demanda-t-il d’un air dubitatif et moqueur.
-- Pas encore, je n’ai toujours pas percé, la concurrence est féroce dans ce domaine, c’est pourquoi je vous suis reconnaissante, car si je présente un sujet sur votre société, il attirera forcément les regards des médias, ce sera un bon point pour ma carrière, répondis-je en souhaitant intérieurement que cette couverture soit plus crédible que la précédente.
Et puis tout ce qui comptait était la dépose du micro espion, car bien évidemment je n’espérais pas qu’il me dirait quoi que soit d’intéressant sur ses affaires occultes.
-- Une petite histoire sur la genèse d’InvestMed, quelques chiffres, notre stratégie à court et moyen terme et une visite de nos locaux avec la rencontre de quelques collaborateurs, ça vous convient ? je donne un coup de pouce à votre carrière là ! ajouta-t-il avec son sourire carnassier.
Il regarda sa montre et son sourire disparut.
-- Je vous ai consacré cinq minutes, vous prenez la plaquette en sortant de mon bureau, vous serrez quelques mains en regagnant l’ascenseur et dans cinq minutes vous avez quitté les lieux, dit-il d’une voix qui n’attendait pas de réponse, bien différente du ton chaleureux du début de l’interview. Et maintenant excusez-moi, j’ai du travail.
Sans la certitude de la publication d’un article flattant sa réussite dans un quotidien prestigieux, je n’étais plus qu’une quantité négligeable à ses yeux. L’assistante qui m’avait donné le rendez-vous n’avait pas dû se rendre compte que le Cedar Tree Daily Tribune n’était pas un journal glorieux. Au fond de moi, je n’étais pas mécontente de cette mise à la porte, car mes questions étaient trop banales et n’auraient trompé personne. Je me levai, ramassai mon sac et fis un petit signe de tête, mais il ne me regardait déjà plus. C’était très humiliant, mais je ne ressentais pas de honte face à un être aussi détestable.
-- Et abandonnez les talons trop hauts, vous ne savez pas marcher avec, me fit-il sans lever les yeux de l’écran de son ordinateur avant que j’arrive à la porte de son bureau.
Je sortis et fermai le battant sans bruit, ravalant tout de même ma fierté devant tant de goujaterie. La traversée de l’open space au milieu des employés qui me regardaient soit d’un oeil compatissant soit d’un sourire moqueur ne fut pas un moment très agréable, mais cela dura moins d’une minute. La porte de l’ascenseur s’ouvrit et je m’y engouffrai sans attendre. J’avais dans mon sac une paire de ballerines plates que j’enfilai après avoir retiré les escarpins.
Dans le hall d’entrée, je croisai un jeune homme d’allure sympathique qui semblait m’attendre et m’aborda poliment.
-- Bonjour ! Vous aviez rendez-vous avec Jack le tueur ? me demanda-t-il. Je suis descendu boire un café.
-- Vous m’avez vue ? répondis-je, il m’a fait subir la pire humiliation de ma vie.
Ce n’était pas tout à fait vrai, mais il semblait avoir envie d’engager la conversation et il m’apporterait peut-être des informations sur InvestMed.
-- Voulez-vous que nous prenions un café ou un thé ? proposa-t-il, pour vous remonter.
-- Volontiers, répondis-je.
-- Suivez-moi, il y a un endroit sympa au coin de l’avenue. Je m’appelle Trevor, ajouta-t-il.
Je n’étais pas tout à fait certaine de sa sincérité, la coïncidence était trop fortuite. ll venait certainement de la part de Jack pour en savoir davantage sur moi et sur mes objectifs. Je décidai de poursuivre le rôle de la jeune pigiste en quête d’un bon article. Trevor fut charmant, empressé, aimable, tout le contraire de Jack. Mais il en fut pour ses frais, je ne dis rien de plus. Aussi nous nous séparâmes sans attendre et il remonta faire son rapport à son boss : rien à signaler, du moins je l’espérais. Naturellement il ne m’apprit rien, ce qui confirma mes soupçons.
Je hélai un taxi et lui fit faire le tour du bloc pour qu’il me dépose à l’arrière de l'hôtel, devant l’entrée des garages. Si Trevor surveillait mon départ, il ne me verrait pas rentrer à l’hôtel, ce qui n’aurait certainement pas manqué d’exciter sa curiosité à mon sujet, le prix d’une chambre dans ces lieux étant inaccessible pour une simple pigiste. Le chauffeur soupira devant la petitesse de la course, mais je lui donnais une bonne somme en argent liquide qui le fit taire. Il redémarra en s’excusant avec profusion.
De retour dans ma chambre, je commençai par un démaquillage complet, suivi par une douche brûlante. J’enfilai un jean et un tee shirt blanc tout simple. Je retrouvai mon look passe-partout, loin de la sophistication d’Avellana Champsaur dont la brève existence était terminée.
Puis j’activai le micro espion en mode veille, il se mettrait en marche dès qu'il y aurait un son au dessus de 45 décibels dans le bureau de Jack, et je mis les écouteurs. Il n’était même pas onze heures, je m’étais absentée moins d’une heure. Quarante cinq minutes plus tard, le micro se déclencha et j’entendis absolument tout ce qui se passait dans le bureau de Jack, exactement comme si j’étais à côté de lui.
Le téléphone portable sonnait et Jack répondit.
-- Allô Astrid, ça va ? dit-il.
Astrid ! la soeur de Vincent ? je ne comprenais pas ce qu’elle disait, mais j’en savais déjà beaucoup rien que d’avoir entendu son prénom.
-- Tu es ici ? s’écria Jack, déjeunons ensemble ! il est bientôt l’heure, je vais demander qu’on nous réserve une table chez Mandillard. As-tu un rendez-vous cet après-midi ? Nous pouvons aussi déjeuner dans mon bureau … et nous ferons monter un plateau déjeuner.
De mieux en mieux … ils se connaissaient intimement … Vincent savait-il que sa soeur était l’amie du directeur de l’une des start up qu’il avait attaquées ? La suite était encore plus intéressante.
-- ...
-- Non, je n’ai pas encore réussi à décrypter les codes, poursuivait-il. Il me faudrait du temps et je n’en ai pas. Et je n’ai pas de temps à perdre à jouer à un jeu stupide.
-- …
-- Y passer la nuit ? tu n’y penses pas, j’ai mieux à faire ! et il éclata d’un rire méchant.
-- ...
-- Oui, c’est vrai, j’aurai bien besoin de cet argent. Les montants à investir sont tellement élevés que cette somme ne serait pas de refus.
-- …
-- Non je ne prends pas cette histoire au sérieux. Qui est ce Bozon dont personne n’a jamais entendu parler ? poursuivit-il en s’énervant davantage. Les gens qui se cachent comme lui ne me font pas peur, c’est un couard.
-- …
-- Non, je ne crois pas qu’il mettre sa menace à exécution.
-- …
-- FinanDev ? il a balancé le scandale du Brandifon ? alors FinanDev est éliminé de la course ? Incroyable !
-- …
-- Brandifon ? PJ ne t’a pas raconté ? FinanDev avait fourni des fonds de source douteuse, pour ne pas dire blanchis, au Laboratoire BrandiLab pour produire une molécule en quantité industrielle et inonder le marché. Sauf qu’il s’agissait de la copie quasiment conforme d’une molécule qui existait déjà, dont les effets secondaires néfastes avaient été prouvés, et interdite sur le marché. Autrement dit, la molécule dangereuse a été rhabillée et vendue sous un autre nom, le laboratoire qui l’avait mise au point était bien évidemment dans la confidence et avait été grassement payé par les fonds rassemblés par FinanDev pour céder ses formules à BrandiLab. C’est une belle histoire, tant qu’on ne se fait pas prendre.
-- …
-- Mais je ne risque rien chérie, j’ai assuré mes arrières, ce Bozon ne peut rien contre moi, il ne peut pas être au courant.
-- …
-- Je te dis que c’est du bluff. Il devait avoir des informations sur FinanDev, mais crois-moi, InvestMed est blindé. J’y veille personnellement.
-- …
-- J’en suis certain, ne n’inquiète pas. Comment va PJ ?
-- …
-- Très bien. Je prends une table à l’Impérial ? pour treize heures ?
-- …
-- Bon tant pis, déjeuner chez Mandillard alors ?
-- …
-- Décidément, tu n’es pas très coopérative aujourd’hui !
-- …
-- Tu passes me voir quelques minutes ?
-- …
-- Je t’attends, c’est parfait, je vais faire monter quelque chose de chez Mandillard, on déjeunera en vitesse dans mon bureau, et j’en profiterai pour te montrer une ou deux petites choses qui te plairont, j’en suis certain.
-- …
-- A tout de suite.
J’étais abasourdie. J’entendis Jack poser son portable et contacter son assistante au téléphone pour commander une collation chez le traiteur. Le menu était naturellement somptueux, avec du champagne et des framboises.
J’appelai aussitôt Bozon. Je devais absolument lui raconter tout ce que j’avais entendu.
-- Bozon, dis-je, j’ai placé un micro espion dans le bureau de Jack, le président de InvestMed. Astrid et lui se connaissent très bien.
-- Je ne suis pas surpris, je m’en doutais. Elle est envoyée par PJ.
-- Oui. Et ils savent pour le scandale FinanDev. Ils vont déjeuner ensemble dans quelques minutes, ajoutai-je..
-- Nous avons donc la preuve du lien de ma soeur avec les start up, au moins InvestMed. Je ne crois pas que Jack soit sa seule victime. Séduire les hommes, c’est un moyen pour elle d’être au cœur des affaires. Les hommes ne lui résistent pas. C’est pour ça que PJ l’emploie.
-- Que dois-je faire maintenant ? demandai-je
-- Vous avez enregistré la conversation ?
-- Bien sûr. Je vous l’envoie, fis-je
-- Ce sera une pièce supplémentaire au dossier, répondit-il.
-- Astrid est au courant de l’existence de Bozon et du chantage, vous le saviez ? ajoutai-je.
-- Non, nous ne parlons jamais affaires Astrid et moi. C’est intéressant d’apprendre que Jack Maxence lui en a parlé. Cela prouve qu’ils se connaissent très bien.
Il devait être blessé. Le fait de savoir que sa soeur était totalement impliquée dans les scandales qu’il combattait le touchait profondément, je le sentais dans sa voix. Il pensait sûrement aussi à Alma qu’il voulait tant protéger. J’attendis qu’il reparlât et me tus.
-- Vous pourrez écouter leur conversation quand Astrid sera dans le bureau de Jack ? reprit-il
-- Oui bien sûr, le micro espion a encore de l’autonomie.
-- Le principe ne me plait pas, mais nous apprendrons peut-être autre chose. Je voudrais savoir ce qu’ils complotent.
-- Vous croyez qu’ils sont sur une affaire particulière ? demandai-je.
-- Pas nécessairement, mais nous avons besoin d’en savoir plus sur ce qui se trame. On ne peut pas combattre ce qu’on ne connaît pas, qu’en pensez-vous ? dit-il
-- Absolument, répondis-je.
J’entendais bien qu’il était perturbé. Jusqu’à présent il avait joué dans sa cour avec ses informations glanées sur internet, tout comme moi. Mais désormais nous affrontions la réalité et elle pouvait faire du mal.
-- J’ai encore une question, poursuivis-je.
-- Oui, fit-il
-- Qui connait la véritable identité de Bozon ?
-- Alma, vous et moi.
-- Vous en êtes bien certain ? demandai-je
-- Sauf si vous en avez parlé à quelqu’un, oui. Alma ne me trahira jamais.
-- Bien évidemment, je ne vous trahirai pas non plus. Bozon, je vous laisse, dis-je, je vous rappelle après l’entrevue.
-- A tout à l’heure Avellana.
Je remis les écouteurs et attendis que le micro espion se réactive. Il était bientôt treize heures et Astrid ne devrait plus tarder. Pour patienter, je surfais sur internet à la recherche de photos de tabloïds. Il était vrai qu’Astrid défrayait la chronique, elle était reconnue comme une redoutable femme d’affaires, mais elle ne négligeait pas le côté représentation et posait au milieu de ses amis et amies dans tous les événements et fêtes de la bonne société, habillée chic ou glamour mais toujours attirant les regards par sa beauté et son insolence. Curieusement, elle protégeait sa vie privée car aucune photo intime n’apparaissait, rien au sujet de sa famille ni de ses petits amis. Elle payait peut être les paparazzi pour avoir la paix.
Un déclic se produisit et le micro se déclencha. Dans le bureau de Jack, quelqu’un avait frappé à la porte et il vint accueillir la jeune fille.
-- Astrid, tu es enfin là ! Tu m’as tant manqué ! dit-il
-- Tu exagères ! répondit-elle en riant, nous nous sommes vu il y a quelques jours.
-- Le temps passé sans toi me parait trop long, je pense à toi sans cesse, ajouta-t-il.
-- Moi aussi, mais j’aimerais que tu t’occupes également de notre affaire.
-- Comme tu vas vite, s'exclama Jack, d’abord pensons à déjeuner, ensuite nous parlerons business, mais auparavant je voudrais t’offrir ceci.
-- …. Wow ! c’est magnifique Jack ! tu ne devrais pas, je ne t’ai rien promis, dit-elle. Nous n’avons même pas d’histoire ensemble, ce n’est pas une seule soirée au restaurant qui compte ….
-- Disons que c’est un petit présent en attendant …
-- En attendant quoi ? reprit-elle. Je suis jeune Jack, et je n’ai pas envie de me fixer tout de suite, j’ai plein de projets en tête. C’est beaucoup trop tôt.
-- Qu’est-ce que cela empêcherait ? poursuivit-il, d’un ton agressif.
-- Cela empêcherait tout au contraire, je devrais rester avec toi tout le temps, te rendre des comptes et tu croirais avoir des droits sur moi. Je tiens à ma liberté, dit-elle.
-- C’est trop long Astrid, j’en ai assez d’attendre.
-- J’ai encore besoin d’un peu de temps, ajouta-t-elle d’un ton cajoleur. Et puis nous verrons, mais je n’ai pas encore envie de m’engager avec quelqu’un.
Astrid jouait à un jeu dangereux car cet homme ne paraissait pas avoir envie d’être patient, il la voulait à ses pieds. Je réalisai qu’elle le rendait fou en se refusant à lui, il ne supportait pas qu’elle lui résiste.
-- Jack, je suis venue aussi pour que nous parlions affaires. J’ai peu de temps tu le sais, reprit-elle.
-- Tu as toujours trop peu de temps pour moi, ça m’ennuie beaucoup Astrid. Déjeunons d’abord.
-- Je n’ai pas faim, toutes ces émotions m’ont coupé l’appétit, répondit-elle.
-- Comme tu voudras. Qu’attends-tu exactement de moi ? rugit-il
-- Tu as récemment vu mon père et vous vous êtes mis d’accord sur un montant pour notre grand projet. PJ voudrait savoir ce qu’il en est de ton côté ? as-tu avancé, es-tu d’accord avec sa proposition ? Il s’énerve car il n’a aucun réponse de ta part, et il trouve le temps long. Tu sais que PJ n’est pas quelqu’un de patient, expliqua Astrid d’un ton conciliant.
-- Tu crois que je ne le sais pas ? répondit-il sèchement, c’est lui qui t’a envoyée ou bien c’est toi qui es venue de ton plein gré ?
-- Je dirais … un peu des deux, j’avais envie de te revoir, mais tu connais PJ, il me harcèle du matin au soir. Aussi j’ai pris le premier avion pour venir te voir et avoir ta réponse en direct. Il veut vraiment savoir s’il peut compter sur toi, sinon il ira voir ailleurs.
-- J’ai besoin de réfléchir encore, dit Jack, j’ai reçu des menaces, je dois faire attention pour ne pas me compromettre.
-- Excuse moi de te le dire franchement, fit Astrid d’un ton coupant, c’est bien trop tard pour te préoccuper de ta réputation, tout le monde te connaît sur la place.
-- Occupe toi de tes affaires Astrid, en matière de business je n’ai de conseils à recevoir de personne.
-- Alors, quelle est ta réponse, Jack ? tu renonces ? questionna-t-elle.
-- Je ferai savoir ma décision à PJ dans quelques jours, répondit-il.
-- Très bien, dans ce cas au revoir Jack. J’attends ton retour. D’ici là, nous n’avons plus rien à nous dire et je m’en vais, tu comprends bien pourquoi.
Visiblement ni l’un ni l’autre n’avait envie de faire de concession. D’amical et même léger le ton du début de leur rencontre était devenu cassant, ils étaient en plein combat et aucun des deux ne voulait céder du terrain. Astrid rompit finalement le dialogue houleux. Elle reposa le cadeau sur le bureau avec un bruit sec, ramassa son sac et quitta le bureau en claquant la porte.
Après son départ, Jack dut saisir un objet lourd qu’il lança avec un cri de rage contre le mur et brisa une glace ou une vitre. Il appela aussitôt Trevor qui accourut en quelques secondes, il ne devait pas être loin..
-- Trev, je veux que tu la suives immédiatement, je veux savoir où elle va, s’écria Jack.
-- Entendu.
-- Fonce !
J’entendis la porte à nouveau se refermer et le silence se fit dans le bureau. Puis Jack demanda qu’on lui servît le repas qu’il avait commandé chez Mandillard et pendant un long moment le silence régna dans le bureau. Le cliquetis du clavier d’ordinateur et un juron ou deux furent les seuls bruits qui troublèrent le calme.
Trois quart d’heure plus tard, Trevor rappela mais je ne compris de leur dialogue que ce que disait Jack.
-- ...
-- Trevor, où est-elle ?
-- ...
-- Elle prend un avion ? Pour quelle destination ?
-- ...
-- Elle va directement chez Moneyable après être venue me voir. Elle me prend vraiment pour un imbécile ! Et dire qu’elle croit que je suis à ses ordres … elle me le paiera.
-- …
-- Tu rentres, je n’ai pas besoin d’en savoir plus.
Le silence retomba à nouveau, puis Jack se mit à hurler en jetant des objets ou même un fauteuil par terre. Soudain il s’arrêta net.
-- C’est quoi ça ? dit-il, … C’est quoi ce stylo qui dépasse sous mon bureau, là ? … c’est un stylo de femme … Astrid l’aura laissé tomber de son sac. Attends un peu,
Et j’entendis le bruit du corps du stylo qui était dévissé, j’éloignai les écouteurs de mes oreilles pour ne pas être assourdie. Avant d’aller les noyer sous un jet d’eau pour détruire tout lien avec moi, j’eus le temps d’entendre les derniers mots de Jack.
-- Un micro espion … non, mais qu’est-ce qu’elle croit ! Je la tuerai un jour !
Jack se méprenait, Astrid n’était pas celle qui avait déposé le micro espion sous son bureau, mais bien évidemment je n’irais pas le détromper. Et son erreur l’empêcherait de chercher plus loin l’origine du micro, d’ailleurs il l’avait probablement écrasé sous son pied de rage, détruisant toute preuve de remonter jusqu'à moi.
Je savais quant à moi quelle serait ma prochaine étape : Moneyable était l’une des sept start up restant sur la liste de Bozon. Astrid cherchait désespérément de l’argent pour financer un projet d’envergure. J’appelai aussitôt Bozon pour lui raconter l’échange de sa soeur avec Jack Maxence et sa prochaine destination. Bozon était d’accord avec moi, Moneyable avait besoin d’une petite visite.
-- Ce projet est celui dont je vous ai parlé, dit Bozon avant de raccrocher. Vous voyez qu’il ne s’agit pas d’une utopie, rien n’arrêtera PJ si nous ne nous mettons pas en travers de sa route. Bon voyage.
Je rassemblai mes affaires et quittai l’hôtel en moins d’un quart d’heure. Au pied de l’immeuble je hélai le premier taxi que j’aperçus. Il se rangea le long du trottoir et je hurlai à l’oreille du chauffeur tant il y avait de bruit dans l’avenue et en glissant dans sa main une liasse de billets.
-- A l’aéroport s’il vous plaît ! Faites vite, suppliai-je, je suis très en retard.