Cela faisait une bonne heure que j’étais allongée dans mon lit, sans bouger, récapitulant les seize pitoyables années qui avaient été ma vie. J’en arrivais à mes années d’études à l’académie de magie de Clerfort.
Presque deux ans s’étaient écoulés. Avec la vie académique que je menais, je n’avais pas souvent eu l’occasion de voir Fallon, mon ami le demi homme. Et je n’avais récupéré que peu de souvenirs. Ils se comptaient sur les doigts d’une main, trois.
Le premier avait été provoqué par une explosion en alchimie, alors que je m’essayais à cette option. Elle s’est révélée hors de mes compétences et j’avais dû l’abandonner. Mais elle m’avait apporté des informations. Je m’étais vue avec Jori, essayant de crocheter la serrure d’une porte avant qu’il ne verse un liquide dedans et qu’elle n’explose. Il n’avait pas été long mais j’avais eu la confirmation d’avoir fait équipe avec lui. Lui et une autre fille, des cheveux courts, noirs, je l’avais déjà rencontrée. Lors de mon étrange expérience dans la forêt de Bolstrit.
Dans le second, à la suite d’une beuverie en compagnie de Léoni qui venait d’apprendre qu’il serait sacré Saint-Chevalier après avoir obtenu son diplôme de fin de second cycle, je m’étais vue fêter une victoire en compagnie de membres de l’Ombre. L’alcool coulait à flot, l’odeur était forte et tandis que je portais un masque, je n’avais rien consommé. J’avais discuté avec Jori qui m’avait félicité pour mon travail, sans en préciser la nature. Je sentais que j’avais été proche de lui sans en connaître tous les tenants et aboutissants.
Je ne savais toujours pas ce que je faisais pour l’organisation jusqu’à ce que mon instructeur de maniement à l’épée ne manque de m’embrocher par inadvertance et, qu’instinctivement je fis voler son arme dans les airs. Je m’étais alors vue attaquée par un homme et embrochée avant de graver une rune sur son front, le faisant brûler vif.
Rien qu’y penser me procurait des frissons. J’avais tué un homme, bordel de dieux. Je ne connaissais pas exactement les circonstances mais j’espérais avoir eu une bonne raison de le faire.
Aussi, durant ma première année, Léandre et moi avions mené une expérience.
Il faisait déjà nuit et le jardin préféré d’une certaine jeune fille n’était éclairé que par les plantes luminescentes qui s’y trouvaient. C’était d’une beauté à couper le souffle.
On pouvait apercevoir, à l'ombre d’un grand arbre, une jeune fille aux cheveux détachés, volant au vent. Elle regardait la beauté des lieux, perdue dans ses pensées. Dans son monde, elle ne vit pas arriver un jeune garçon muni d’un livre épais.
— Théa ?
L’interpellée tourna la tête vers le nouvel arrivant qui troublait l’ambiance paisible de l’endroit.
— Je suis là, chuchota-t-elle en réponse.
Elle se décolla de l’arbre pour approcher l’autre. Puis ils s’assirent dans l’herbe l’un en face de l’autre. Passant une mèche de cheveux derrière son oreille, Anthéa qui portait des vêtements légers, frissonna. L’air s’était refroidi lors du dernier quart d’heure et à rester sans bouger, elle commençait à le ressentir.
— Nous n’en aurons pas pour longtemps, lui assura le jeune prince.
Il posa l’ouvrage sur le sol et l’ouvrit à la page marquée. Il s’agissait d’un livre de magie. Il relut l’incantation, pour être certain de bien faire, puis posa son regard sur celui verdâtre de sa camarade.
— Tu es prête ?
Elle acquiesça. Elle n’avait pas besoin d’hésiter. Cette magie devait réussir. Elle ne voulait… Elle ne pouvait pas rester comme ça plus longtemps. Ses souvenirs devaient retrouver leur place et elle était prête à tout essayer pour ça.
— Bien, alors ferme tes yeux et concentre toi sur les quelques souvenirs que tu as déjà récupérés.
Il plaça ses mains contre les tempes de la jeune fille tandis que celle-ci obéissait. Après quelques secondes il soupira et abaissa à son tour ses paupières. Puis prononçant quelques mots dans la langue magique, ses doigts prirent une lueur bleuté et il rouvrit les yeux. Ils étaient d’un bleu luminescent comme celui de certaines fleurs du jardin.
— Mié mio, acheva-t-il de formuler.
De l’extérieur, il ne semblait rien se passer. Mais dans l’esprit de la jeune fille, celle-ci se retrouvait envahie des centaines de milliers de souvenirs qui composaient son histoire. Le jeune télépathe essayait de trier ceux qu’ils cherchaient mais il était assailli de toutes parts. Finalement, alors que sa cible semblait être encore plus focalisée sur ses souvenirs enfouis, la densité d’images, de sons et de sensations diminuèrent. Un frisson parcourut le mage. Une brume apparaissait à mesure qu’il s’enfonçait dans l’esprit de son amie. Bientôt, il ne percevait plus rien. Des sons sourds et des images floues lui parvenaient. Puis, alors qu’il se rapprochait de son objectif et qu’il pensait avoir repéré un indice, un flash le brûla et le força à s’expulser de l’esprit de la jeune amnésique.
Il sursauta et s’éloigna également physiquement de l’autre en reprenant sa respiration. Quant à elle, elle ne savait pas bien ce qu’il s’était passé et regardait son ami d’un drôle d’air. Dans l’incompréhension, elle voulut lui demander des explications mais il la devança à bout de souffle.
— Je n’ai rien pu voir. Et lorsque je pensais enfin avoir trouvé quelque chose, j’ai été complètement submergé par… un flot de magie. Je crois que c’en était.
Il la regardait de travers, les yeux grands ouverts, il ne revenait toujours pas de ce qu’il venait de se produire. Il n’avait jamais été exposé à un tel évènement. Il n’en avait également jamais entendu parler.
— Honnêtement, je ne sais pas qui a pu te faire ça, Anthéa. Mais je ne suis pas certain que cette personne ne te voulait que du bien.
Il se rapprocha à quatre pattes d’elle, remis de ses émotions et posa sa main sur la sienne. Il était déboussolé par sa nouvelle expérience mais il parvenait sans aucun mal à imaginer la détresse de son amie. Lâchée dans un monde où beaucoup semblaient vouloir sa mort alors qu’elle s’acharnait à comprendre pourquoi.
La tête baissée, ses cheveux cachant son visage, Anthéa fixait leur deux mains réunies qui pour elle signifiait beaucoup. Son ami était là pour elle et il ne semblait pas vouloir la lâcher malgré les mystères et les dangers.
— Merci, Léandre… murmura-t-elle.
Après cette tentative, nous n'avions rien tenté de plus. J’avais beau avoir demandé à Fallon à plusieurs reprises s’il ne pouvait pas m’en dire un peu plus mais il prétextait sans cesse avoir à faire ailleurs pour éviter la conversation. C’était également l’une des raisons pour lesquelles je n’avais eu que peu l’occasion de le voir pendant mes deux ans d’études.
Hormis cela, mon apprentissage de la magie avançait vite. Je terminais cette année le cursus général et serais bientôt libre de partir à la poursuite de cet assassin au visage balafré.
Je voulais bien admettre que j’avais peur. Je m’étais fait des amis, une famille et mon frère me laisserait difficilement m’en aller seule il-ne-sait-où. Et puis, affronter cet homme me paraissait être un grand défi.
Je soupirai alors que je me levai pour aller me préparer pour cette nouvelle journée. Je venais d’entendre les carillons matinaux de l’école sonner. Je devais aller manger avec Léandre et les autres.
En repensant à Thalion, j’avais surpris une conversation entre Albin et lui durant les dernières vacances, en mars, près de deux mois plus tôt.
Je m’étais levée en pleine nuit pour aller chercher une pomme. Il faisait sombre et frais. Ma main produisait une lumière de magie afin d’éclairer mon chemin sans réveiller toute la maisonnée. Alors que je parvenais dans la cuisine encombrée de l’ingénieur, des voix venant du jardin m’interpellèrent. Apercevant deux ombres noires dehors, j’ai éteint immédiatement ma magie et me suis approchée à pas de loup de la porte.
— Ils voudraient qu’on s’allie, déclara celui à la longue tignasse.
L’autre tourna la tête pour le regarder.
— Pourquoi donc ? Savent-ils quelque chose que nous ignorons ? demanda-t-il alors d’un ton surpris.
Cette voix, la jeune fille qui observait discrètement aurait pu la reconnaître entre mille. C’était son grand frère, Thalion. Le second devait être Albin, leur hôte. Mais une troisième personne se trouvait avec eux. De dos, grande, vêtue d’une longue veste noire, je ne pouvais deviner de qui il s’agissait.
— Apparemment, il y aura un nouveau programme. Tu entendras les sifflements. Reste sur tes gardes, ils pourraient bientôt avoir besoin de nous, l’informa alors l’inconnu.
Leur discussion ne s’était pas plus étalée. Je m’étais hâtée de remonter, en oubliant la raison pour laquelle j’étais descendue.
Je ne savais pas quoi en penser. Même après tout ce temps, c'était toujours aussi incompréhensible. Je n’avais pas osé en parler avec l'intéressé, de peur qu’il m’en apprenne plus. Je préférais rester dans le déni. Je ne voulais pas croire que mon frère pouvait être mêlé à quoi que ce soit. Par pitié.
Après cet événement, je m’étais doucement éloignée de lui sans faire attention. Je le ressentais depuis quelque temps. Depuis que pendant toute une semaine, nous ne nous étions pas dit un mot. Il y avait comme de la gêne entre nous. Sûrement autant de son côté que du mien. Je ne lui avais pas fait part de mes intentions, ni de mes flash mémoriels, même s’il y en avait peu.
Mais la fin d'année approchait à grands pas. Dans trois semaines, je serais partie à la chasse à l’assassin et à mes souvenirs. Alors je voulais rassembler les pièces de notre relation compliquée. Je ne savais pas comment m’y prendre mais peut-être que lui adresser la parole serait une excellente première étape.
Je posai mon visage dans l’eau du bac que je venais de remplir. L’eau glacée me piqua la peau et me permit de me réveiller. Je frottai mon visage avec mes mains avant de ressortir ma tête de l’eau. Quelques-uns de mes cheveux avaient trempé dans le bassin et étaient maintenant mouillés. J’attrapai ma serviette pour m’essuyer lorsque Clémie, ma camarade de chambre entra en trombe dans la salle d’eau.
— Théa !
Je plaquai, désespérée, mon visage contre le tissu. Je respirai profondément à l’intérieur avant de questionner celle qui attendait de savoir si j’allais l’écouter.
— Bonjour à toi aussi, Clem, lui répondis-je sobrement en continuant ma routine habituelle.
Depuis le départ de Pallone, notre troisième colocataire, à la fin de notre première année, nous étions restées à deux. De ce fait, nous avions commencé à passer toutes les deux plus de temps dans notre chambre et nous étions ainsi rapprochées. L’ambiance y était plus agréable qu’ailleurs.
— Oui, bonjour. Dis, tu savais que la classe inférieure Ténèse, venait assister à l’un de nos cours la semaine prochaine ? commença-t-elle à déblatérer. Oh, et Emery Floba, avec qui tu es en maniement à l’épée, vient d’être adoubé ! Il était tellement heureux qu’hier soir il a embrassé Sonie, de ma classe ! Une nouvelle élève de première année va rejoindre notre chambre aussi. Mais, ce n'est pas très intéressant. Et puis Elyssa, a demandé à Emery s’il voulait sortir avec elle mais il a directement refusé. Devant tout le monde ! La pauvre est allée pleurer toute la soirée après l’avoir vu embrasser Sonie…
Elle pinça ses lèvres, le regard pensif. Sûrement réfléchissait-elle aux quinze autres informations de la veille qu’elle avait eu le temps de récolter en ce début de matinée.
Ma toilette finie, je commençai à tresser mes cheveux, comme à mon habitude. Depuis mon entrée à Clerfort, j’avais dû apprendre à les faire toute seule et j’avais découvert que c’était d’une simplicité… À moins que cela n’eut été de la mémoire musculaire ? Ce n’était pas le plus important.
— Attends, tu viens de dire qu’on allait avoir une nouvelle fille dans notre chambre ? Fis-je après avoir digéré ses paroles.
— Ah. Oui. J’espère qu’elle sera gentille, balaya-t-elle d’un revers de main. Mais t’en penses quoi du reste ?
Clémie dans toute sa splendeur. Attirée par les ragots et commérages. L’opposé de ce qui m’intéressait. Si quelqu’un rejoignait mon espace personnel il fallait que je me réorganise.
Au moins pour mes sorties nocturnes dans le jardin.
— C’est super, Clem, lui dis-je en jetant ma tresse dans mon dos avant de passer devant la jeune fille pour récupérer mon sac. Je vais y aller. Ne tarde pas trop ici. Toi et ta ponctualité légendaire devraient être plus concentrées.
Ce n’était pas un reproche. Et elle n’avait jamais été blessée par une quelconque remarque de ma part. Peut-être n’écoutait-elle même pas. Peu m’importait. Je refermais la porte en sortant et me rendis dans un couloir opposé à la cantine.
Depuis le temps, j’avais commencé à emmener mon sac dès que je sortais de ma chambre pour ne pas avoir à y retourner. Et après m’être liée d’amitié avec une autre fille, je passais toujours la chercher pour aller manger avec d’autres élèves de notre année, deux garçons.
J’arrivais un peu plus loin dans un couloir adjacent quand une porte s’ouvrit.
De longs cheveux d’un noir profond, une peau aussi pâle que la lune, une longue cicatrice qui ne perturbait pas les traits harmonieux de son visage… Céleste, mon rat de bibliothèque préféré, sortit aussi calmement qu’à son habitude. Elle s’engagea tout de suite sur sa droite et ses petits yeux bruns en forme d’amande se posèrent sur moi. Aucune surprise n’était perceptible. Elle était comme ça. Mon petit rituel de l’attendre dans son couloir ne l’importait que peu. Elle n’était pas bavarde la plupart du temps mais j’apprenais beaucoup de choses à ses côtés. Elle ressemblait bien à Léandre, mon confident sur ce dernier point. Un sujet intéressant et c’était parti pour une bonne discussion.
Elle m’avait beaucoup aidée concernant un sujet qui m’avait effrayée lors de ma première année. Juste après les premières vacances d’octobre, notre classe avait commencé à suivre des cours particuliers sur les magies uniques. Chacun, une fois par semaine, nous avions cours en tête à tête avec notre professeur préféré, Valdenial, qui nous enseignait la pratique. Lors de ces entrevues, le professeur nous apprenait à manier notre magie unique et surtout, quels étaient les dangers auxquels nous pourrions être exposés. Une mauvaise utilisation, une surutilisation… Des choses dans ce genre-là.
Lors de mon tout premier cours, j’étais arrivée un peu perdue devant lui et je n’avais pas su lui expliquer quoi que ce soit. Mon cœur battait la chamade, je pensais qu’il aurait demandé au directeur de me changer de classe parce que j’étais dépourvue de ce qui rendait ma classe différente. Il avait alors sorti un dossier portant mon nom et, coudes sur la table, avait entamé une lecture silencieuse.
Elle commençait à avoir chaud et des sueurs froides parcouraient son corps. Ses mains devenaient moites tandis qu’elle jouait avec l’élastique à cheveux qu’elle portait toujours autour du poignet. Après quelques minutes, à moins que cela ne furent des secondes, il avait relevé la tête vers elle avec un sourire.
— Monsieur Salament a écrit ici que tu as été recommandée par un mage grâce à tes compétences particulières en matière de runes et de magie. D’après lui, bien qu’il n’en était pas certain, tes capacités dépassent de loin celles d’un mage ordinaire, commença-t-il.
Il posa les papiers sur le bureau qui se trouvait entre la jeune fille et lui. Il sortit une feuille du dossier et la fit tourner vers l’élève. Celle-ci se pencha en avant pour observer ce qu’il y était écrit.
— Comme tu peux le voir, il a fait mention d’une magie concernant la compréhension même de la magie. Il paraît que tu aurais fait montre de tes pouvoirs au directeur lui-même et qu’il a été époustouflé.
La jeune enfant restait perturbée. Elle pouvait lire le compte rendu de son examen pratique que Pierre Salament, le mage de génie qui dirigeait l’académie Clerfort, avait rédigé.
L’homme attendait qu’elle réagisse et se posa contre le dossier de sa chaise. Là, elle leva enfin les yeux vers lui, il devina qu’elle ne comprenait toujours pas.
— Ton apprentissage se déroule bien ?
Elle leva un sourcil, ne comprenant pas bien où son professeur souhaitait en venir.
— Oui, fit-elle sûre d’elle.
Anthéa n’éprouvait pas de difficulté particulière dans la pratique de la magie. Elle comprenait vite et, bien qu’elle peinait parfois, mettait en pratique ses connaissances. Elle n’était pas particulièrement bonne, mais elle n’était pas mauvaise, elle en était absolument certaine.
— Tes cours de runes et de limnéin également ?
Après une longue seconde d’hébétement, elle comprit enfin. Les runes étaient sa matière préférée, elle n’avait pas besoin de se casser la tête pour trouver un arrangement correct ou créer un cercle runique. Et puis, elle excellait en ce qui concernait de faire affluer son énergie à travers elles. Plusieurs fois, son instituteur l’avait complimentée.
— Tu comprends mieux ?
Elle hocha vivement la tête, les yeux grands ouverts. Elle n’en revenait pas que sa maîtrise de la matière était dûe à une magie unique. Elle pensait qu’une magie unique était tellement différente. A l’instar de son ami Léandre et sa télépathie, ou bien Félix et sa magie de protection. Ou n’importe quel autre élève de sa classe, possédant chacun une magie unique beaucoup plus concrète.
Elle ne pouvait pas se dire déçue, cela allait lui faciliter la tâche quant à ses projets. Mais par les dieux, cela expliquait tellement de choses !
Après m’avoir mise en garde sur les dangers qu’une magie unique pouvait engendrer, Nial m’avait congédiée, me demandant d’étudier correctement les runes et son langage et d’être prudente. Il m’avait également recommandé de continuer de venir à ces cours pour qu’il s’assure de mes progrès. Il disait ne pas pouvoir faire plus lors de ces séances, ma magie étant plus abstraite.
— Que comptes-tu faire ce soir ? m’interpella une voix douce et neutre.
Céleste qui marchait à mes côtés me regardait de son regard indescriptible habituel.
— Que veux-tu que je fasse ?
Elle haussa les épaules.
— Il risque de pleuvoir aujourd’hui, peut-être resteras-tu dans la bibliothèque pour une fois.
Elle n’attendit pas ma réponse et accéléra sa marche. Je la rattrapai sans rien dire. Pleuvait-il en ce moment ?
Depuis une longue année, j’avais commencé à subtiliser les livres des rayonnages pour les lire au calme dans l’un des jardins dont regorgeait l’académie. Je ne restais que rarement dans l’énorme salle qu’était la bibliothèque.
— Je ne sais pas encore. Je pense que je passerai dans ma chambre avant. J’ai combat cet après-midi donc j’irai sûrement me changer.
Léandre participait également avec moi aux leçons de combat à l’épée qui étaient communes aux deux années qui composaient le cursus général de l’académie. Ainsi, nous nous retrouvions cette année parmi les plus âgés de notre cours. Mais pas nécessairement les meilleurs. Je peinais quelques fois contre Léandre malgré qu’il prétendait que nous étions à armes égales. Ce n’était pas suffisant pour mes projets. Pourtant, je préparais depuis déjà un mois mon départ, la boule au ventre.
Il y avait un garçon dans notre classe, Rowen, qui souhaitait ardemment devenir Saint-Chevalier. Il était vraiment fort en tant que chevalier et il pouvait prétendre être aussi fort que nos instructeurs. Mais sa maîtrise de la magie ne suivait pas le rythme. Il avait beau posséder une magie unique très utile, il peinait à en maîtriser certains concepts.
Étant un petit groupe, nous avions pris l’habitude d’étudier ensemble mais certains étaient de vrais crétins et d’autres croulaient sous la masse de travail que nos professeurs nous demandaient. Et c’était souvent le cas de Rowen, Eyalla et Félix. Bosseurs et motivés mais en retard.
J’arrivais avec Céleste dans le réfectoire où nous prîmes place auprès de ceux déjà présents que nous avions repérés grâce à la forte voix d’un certain blond. J’ai nommé : Léoni, Kay, Thalion, Léandre, Liam et son ami, Anthone.
Je saluais le groupe d’un geste de la main. Léoni avait un pied sur le banc et était emporté dans un virulent récit chevaleresque sur la façon dont il avait secouru une jeune fille d’une terrible inondation la veille.
— Et puis, je vous jure, j’ai attrapé la planche et je me suis jeté dans la tempête. J’ai bravé les dangers qui rôdaient et une fois son sac à main retrouvé, j’ai fait demi-tour.
Il illustra ses propos en lançant son bras devant lui, manquant de toucher ses amis.
— Elle était tellement heureuse qu’elle m’a embrassé, finit-il par conclure en ricanant comme la bête farceuse qu’il était.
— Je plains toutes les filles qui t’admirent ou t’apprécient. Si seulement elles connaissaient tes véritables intentions… déplora Thalion que Liam approuva d’un soupir.
Avec le temps, j’avais fini par côtoyer un peu plus mon cousin et j’avais commencé à comprendre comment il était. C’était un gars silencieux que peu de choses perturbaient publiquement. Pourtant j’avais souvent eu l’occasion d’entendre de la part de Kay qui s’était rapproché de lui, qu’il se préoccupait beaucoup de ce que pensaient les autres. Altruiste et généreux, il était plutôt du genre à s’effacer et à analyser les autres.
A croire que tous les garçons de la famille étaient d’apparence froide. Même le duc Siméon, mon oncle, était effrayant sans le connaître.
Ce fut Léandre qui lança la discussion après les affabulations du comique de service.
— Hector me disait il y a quelques jours que le nouveau mage de la cour s'immisçait de plus en plus dans les affaires officielles du palais.
— Il a un air sournois, appuya Liam qui avait l’habitude de se rendre au palais les week-ends.
Léoni grimaça. Il appréciait bien des gens et en critiquait beaucoup d’autres mais les mages de ce genre ne lui plaisaient généralement pas. Étant proche du roi, le jeune chevalier prenait très à cœur ce qui le concernait.
Je n’étais pas très intéressée pour le moment par tout cela. J’allais bientôt partir pour un bon moment et me préoccuper des soucis nationaux n’était pas dans mes priorités.
— Fin bref, j’espère juste qu’il ne fera pas de vague, marmonna le prince avant d’enfourner son pain dans sa bouche.