Chapitre 6

Par Froglys

Je m’entraînais aux runes, ma matière favorite, quand mon rat de bibliothèque préféré arriva sur le banc face à moi. Elle me sourit et, passant un doigt sur sa cicatrice, s’assit. Un tic que j’avais remarqué au fil de nos rencontres entourées de livres.

— Comment vas-tu ? murmura-t-elle presque moins froidement qu’à l’accoutumée.

— Tu savais que les runes était une magie propre aux humains ?

Elle secoua la tête.

— Moi non plus. Je ne savais même pas que les humains étaient porteurs de magie avant que les démons ne nous l’offrent.

— Et, à quoi cela t’avance de savoir ça ?

Je levai un sourcil, surprise. Que voulait-elle dire ?

— Rien. C’est simplement intéressant. Tu ne trouves pas ?

Elle ne répondit pas, se contentant d’un haussement d’épaules avant d’ouvrir l’un de ses livres et de se plonger dans sa lecture.

Une heure passa pendant que je finissais l’ouvrage que j’avais emprunté. Alors que je tournai la dernière page, je sentis quelque chose me tapoter l’épaule. Je détachai mon regard de la rune dessinée sur le papier et regardai derrière moi. Léandre se tenait là.

— Je peux te parler une minute ?

Je me levai, saluant d’un signe de tête mon amie avant de m’éclipser avec lui. Il me guida un peu plus loin entre les rangées de livres avant de s’arrêter.

— J’ai pu parler à mon frère, murmura-t-il. Il pense avoir le livre idéal concernant les souvenirs.

Je m’apprêtais à lui reprocher d’avoir parler de mon problème à quelqu’un mais il me stoppa en posant un doigt contre mes lèvres.

— Je ne lui ai rien dit. Simplement que je souhaitais essayer d’en savoir plus sur la lecture de souvenirs oubliés ou flous.

Ce n’était toujours pas convenable à mes yeux mais je décidai de passer outre. Il me fallait faire confiance à Léandre. Il portait tous mes secrets et, jusqu’à maintenant, il l’avait fait avec brio.

— L’as-tu ?

Il secoua négativement la tête.

— Il n’est pas à la capitale en ce moment. Il m’a dit qu’il pourrait être de retour dans un mois.

— Tant que ça ? m’exclamai-je légèrement trop fort et Léandre me fit signe de baisser d’un ton.

— Les mages de clan doivent exécuter des missions pour gagner leur vie et malheureusement, la sienne est longue et loin.

Je soupirai, j’allais encore devoir attendre avant d’avoir des réponses.

— Sinon, c’est qui la fille avec qui tu étais ?

Perplexe, je levai un sourcil.

— Une élève de première année.

— Son nom ?

— Céleste. C’est tout ce que je sais. Elle n’est pas très bavarde.

Mon ami se renfrogna.

— Qu’y a-t-il ?

— Non, rien, grommela-t-il avant de me contourner pour s’en aller. A plus tard.

Léandre et ses cachoteries. C’était sérieusement barbant. Je râlai intérieurement avant d’aller ranger mes affaires et de sortir de la bibliothèque, préoccupée. Maudit prince…

 

Les jours passèrent. La vie à l’académie était plutôt calme et reposante. Mes journées oscillaient entre les cours, mes amis, la bibliothèque et le jardin sous le balcon de ma chambre. Je ne croisais que rarement les filles avec lesquelles je logeais mais cela me convenait parfaitement. La furie était toujours aussi furieuse et l’autre, bavarde et excitée.

Je manquai de tomber sur quelqu’un en me rendant à mon prochain cours. Mon dos tapa le mur alors que je tentai de l’esquiver. Je fermai les yeux sous le choc. Mon souffle se coupa un instant, une plainte s’échappa de ma bouche.

— Aïe… fit une voix familière provenant de ma victime.

Rouvrant les yeux, je découvris avoir marché sur Félix, un de mes camarades de classe. Les cheveux en bataille et l’uniforme mal arrangé, il semblait pressé. Debout, il me proposa sa main que j’acceptai avec plaisir.

— Je… je suis… dé… déso… désolé, balbutia-t-il en se grattant l’arrière du crâne. J’espère que tu ne t’es pas fait trop mal.

Une grimace décorait son visage. Il paraissait sincèrement embarrassé.

— Non ! Pas du tout. Regarde, tout va bien, le rassurai-je en exécutant un petit tour sur moi-même.

Je ris alors qu’il joignait ses mains pour s’excuser à nouveau. J’aimais bien ce garçon. Il était honnête, pur et généreux. Mais c’était dommage quand je le retrouvais auprès de personnes qui profitaient de lui. Pourtant, il semblait heureux à leur côté.

— J’ai oublié mon manuel et le prof ne va pas être content si je me pointe en retard à son cours.

Je hochai la tête, m’écartant pour le laisser passer.

Il était vrai que notre professeur de limnéin n’était pas un type commode. En parlant de lui, je le vis justement sortir de sa salle et guetter les alentours. Sûrement n’y avait-il encore aucun élève arrivé. Son regard se posa sur moi et il leva les bras au ciel avant de les laisser tomber. C’était un geste qu’il faisait souvent pour montrer son exaspération.

Je me hâtai de le rejoindre pour éviter qu’il ne hurle le retard des autres. Je lui fis un sourire d’excuse avant d’entrer dans la pièce. Au sommet d’une des tours composants l’académie, la salle était vaste et éclairée ici et là par quelques bougies.

La pièce était composée d’une dizaine de tables autour desquelles se trouvaient six chaises chacune. Les cours de langue se déroulaient souvent en groupe, permettant de partager ses idées et d’essayer celles des autres. Lors de notre dernier cours, nous avons dû réaliser chaque proposition de sort proposée durant le cours. Nous avions dû rester une heure supplémentaire ! Quel enfer !

Lors de notre premier cours, le professeur nous avait expliqué ce que je savais déjà de Fallon. Le limnéin, tiré de l’ancien langage des démons, était utilisé pour pratiquer la magie. Et également qu’il existait des sorts basiques à apprendre par cœur et pour les plus complexes, il fallait composer nous mêmes.

Ainsi, il nous avait donné à apprendre une liste infiniment longue des sorts les plus employés. Puis il nous apprenait au fur et à mesure à les traduire. Les bases de la magie reposait essentiellement sur l’association des mots, nous avions commencé à incanter de nouveaux sorts en modifiant légèrement ceux que nous connaissions déjà.

Certains résultats s’étaient retrouvés infructueux tandis que d’autres avaient fonctionné ou… tourné à la catastrophe.

— J’ai cru que le prof allait me tuer, souffla une voix qui arrivait sur le siège à côté de moi.

Ses cheveux blonds étaient mouillés de sueurs et collaient à son front. Il reprenait difficilement son souffle. Il posa brutalement son sac sur la table, devant moi.

— Où étais-tu ?

— Kay avait un problème de papiers, soupira-t-il.

— Je croyais que son contact s’était occupé de tout pour qu’il puisse s’inscrire.

— L’administration a demandé au directeur pourquoi Kay n’était pas dans notre classe malgré sa condition magique.

Je levai un sourcil. Parlait-il de sa magie unique ?

— Je me demandais aussi pourquoi il n’était pas avec nous, lui révélai-je.

Il se frotta les yeux. Rougis, il me dévisagea de ses yeux bruns.

— Il parait qu’il a demandé expressément à Pierre de ne pas être entrainé sur sa magie unique et apparemment il en a jugé de même. Il la maîtrise suffisamment pour ne pas être jugé comme un danger. Mais cela ne plaît pas à tout le monde.

Il fronçait les sourcils et parlait de manière rude.

Parce que moi j’étais considérée comme dangereuse ? Mais où allait le monde ?

— Honnêtement, je fais confiance à Léoni. Mais parfois, j’ai du mal à comprendre. Clerfort est un lieu pour apprendre la magie, alors si Kay n’en a pas besoin, pourquoi est-il ici ?

Il soupira à nouveau et posa sa tête dans sa main. Il avait vraiment l’air épuisé.

— Ça te dit qu’on aille dans un grand arbre après les cours ?

Un petit sourire se dessina sur ses lèvres. Il connaissait mon goût spécial pour les arbres et les plantes. Parfois il venait m’y retrouver les soirs alors que je lisais.

— Avec plaisir.

— Et t’as pas intérêt à faire du bruit, j’apprécie la tranquillité, rétorquer-je pour le détendre.

Le rire qu’il me dévoila me fit penser à celui d’une autre personne.

— Tu sais, j’ai remarqué quelque chose, commençai-je. Parfois, Léoni et toi réagissez de la même manière face à une situation. Pourtant quand je pense à vous deux, je vois bien deux personnes aux personnalités distinctes. Tu es sérieux, jovial et calme alors que lui est dramatique, enjoué, surjoué même je dirais.

Son sourire se contrit, je n’avais pas l’habitude de le voir comme ça. Encore moins lorsqu’il s’agissait de ce garçon aux blagues douteuses.

— Léo a… hésita le jeune prince en s’éclaircissant la gorge. Il a vécu certaines choses qui… l’ont poussé à montrer aux gens cette facette de lui. Quand je l’ai rencontré pour la première fois, il venait tout juste d’obtenir un tuteur.

— Léoni était orphelin ? demandai-je surprise.

— Ce ne serait pas exact de le dire comme tel mais, oui.

Je ne le savais pas. Je m’en voulais un peu. Je m’étais fait une idée fausse du jeune garçon. J’avais imaginé qu’il venait d’une famille noble et qu’il faisait ses études de chevalier au palais. Cela aurait beaucoup expliqué son lien avec Léandre et les autres.

— Comment était-il au début ?

Léoni m'intéressait, il était mon ami et il avait beaucoup participé à me garder en vie. Je lui en étais tellement reconnaissante envers lui et son humour.

A contre attente, le visage de mon interlocuteur s’éteint presque. Il fixait la table mais je pus apercevoir une lueur triste brillant dans ses yeux perdus dans le vide.

— Très renfermé, peu excessif, toujours sur la défensive. Il est resté pendant près d’un an dans cet état.

Il se coupa. J’avais l’impression que le sujet était compliqué. Peut-être n’était-ce pas pour le mieux qu’il m’en parle.

— Si tu ne…

— Jusqu’à la mort de sa tutrice, reprit-il en une grande inspiration. Un Saint-Chevalier mort en mission. Ça a été soudain, personne ne s’y attendait. Et Léoni a changé du tout au tout et on s’est beaucoup rapprochés. Mais je n’ai jamais su ce qu’il s’était passé.

Il respira et posa ses yeux dans les miens. Il sourit à nouveau faiblement et passa une main dans sa nuque.

— Tout ça pour dire que même si Léoni paraît aux premiers abords peu sérieux et imprudent, il reste un mec qui ne relâche jamais son attention parce que pour jouer un rôle comme le sien, il en faut du talent.

Ses yeux clamaient le respect et l’admiration qu’il éprouvait pour son ami. Je pensais qu’il devait être celui qui en était le plus proche. Pourtant celui avec qui notre cher troubadour était toujours fourré était mon frère. Thalion. Un homme froid et distant dont les rires étaient rares.

Un claquement de main nous interpella et nos têtes se tournèrent à l’unisson vers le devant de la classe où se tenait l’homme qui s’occupait de notre enseignement de limnéin.

— Maintenant que tout le monde est là malgré leur retard…

Il lança un regard noir à l’ensemble de la classe. Je n’étais même pas fautive.

— Nous allons enfin pouvoir commencer. Sortez vos listes et dites-moi où nous nous en étions arrêtés.

D’un commun mouvement, toutes les têtes se baissèrent vers leur sac, les miennes étaient déjà sorties. Puis des bruits de feuilles se firent entendre et un bras, toujours le même, se leva.

— Odile, fit notre professeur après un temps à guetter d’autres bras se lever.

Malheureusement pour lui, chacun d’entre nous se reposait sur elle. Notre élève studieuse qui nous permettait de faire les limaces.

Guol. Le sort de marque. Il permet de…

— Je suis sûr que quelqu’un d’autre pourra compléter, la fit taire notre instituteur.

Son regard traversa la pièce, il s’arrêta un instant sur moi et je crus avoir à parler. Heureusement, ce fut un autre nom qui sortit de sa bouche.

— Félix, faites-nous donc l’honneur de nous ressortir votre dernier cours. J’imagine que vous l’avez appris ? le nargua-t-il.

C’était vraiment malsain. Il savait très bien qu’il faisait partie de ceux ayant le plus de difficultés. Surtout dans son cours, il était souvent troublé dans les langues écrites. Il disait que lire était ce qui s’avérait le plus compliqué pour lui.

Le pauvre, assis à côté de moi, tenta de s’y retrouver dans ses feuilles de cours.

— Je… euh… c’était… pour… euh…

Il arrêta de fouiller dans ses affaires désormais en désordre sur la table. Ses mains tremblaient alors qu’il essayait de garder contenance. Ses yeux luisaient.

— Peut-être que si vos affaires étaient mieux ordonnées, vos cours seraient mieux appris, rétorque vicieusement le professeur.

Mais qu’il était horrible ! Je me levai, prête à reprocher son comportement à l’homme, mais Léandre posa sa main sur la mienne. Il faisait bouger sa tête de droite à gauche.

— Tu ne devrais pas, chuchota-t-il.

— Mais pourquoi ?

Son regard se posa sur notre ami. Je tournai la tête vers lui, il tremblait toujours mais sa panique était redescendue, il allait pouvoir répondre au professeur.

— Je crois qu’elle sert à faire tenir quelque chose…

— Mais encore ? siffla la voix de son ennemi.

Il semblait chercher ses mots, et finalement, il donna une réponse convenable.

— Pour faire perdurer un sort. La rune de Guol correspond à celle de l’infini.

Ses paroles semblèrent être les bonnes parce qu’il se détourna de lui.

— Aujourd’hui nous verrons le mot suivant. Plo. Littéralement, briser. Il n’est que peu utilisé parce qu’il ne s’agit pas du sens physique de briser. Cela parle plutôt de barrières mentales. Les télépathes se servent souvent de ce sort avant de pratiquer, pour rendre l’esprit de leur cible plus accessible.

Il reluqua chacun d’entre nous de son air autoritaire et hautain.

— Je vous prie de réciter en silence ce mot dans votre tête. Imprégnez-vous de ce que je viens de vous dire et quand vous vous sentirez prêt, entraînez-vous avec l’un de vos camarades, dit-il lassement avant d’aller s'asseoir à son bureau et se plonger dans un vieux livre poussiéreux et usé.

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