Chapitre 7

Par Notsil

À peine Kenog parti, Axel ferma les yeux, chercha à trouver ce mystérieux « centre intérieur ». La blague. Son Feu, il le situait parfaitement dans l’ensemble de son corps. Il bougeait sans cesse. Impossible de parler de « centre ».

Et puis les directives restaient franchement floues.

Pourtant, Axel voulait s’appliquer. Comprendre ce qui s’était passé, d’où venait ce vent. Il ne voulait pas revivre cette impuissance, ni l’horreur qui l’avait saisi quand son pouvoir lui avait échappé. Que venait faire le Vent dans cette affaire ?

Le Feu lui était aussi naturel que respirer. Il vivait avec depuis toujours ! Il faisait partie de lui. Jamais il n’avait eu besoin de le contrôler spécifiquement. Avec le Feu, tout était si… naturel. Intuitif.

Comment avait-il pu faire appel à un autre élément sans s’en rendre compte ? C’était contre-nature.

Une brise légère l’effleura.

Axel ouvrit les yeux.

À côté de lui, Nicoleï ne méditait pas. Axel retint un soupir. Évidemment. Qu’attendre d’autre d’un Envoyé qui avait à peine atteint la première Barrette ? Elle symbolisait pourtant l’Impatience, le premier défaut à perdre.

À croire que Nicoleï n’avait pas compris le but premier des Épreuves.

Puis Axel réalisa que son compagnon d’infortune affichait un sourire sous ses airs concentrés. Et devant lui, une feuille virevoltait.

La brise n’était pas naturelle. La jalousie le tirailla quand il s’aperçut que Nicoleï avait une meilleure maitrise que lui sur le Vent.

Nicoleï remarqua qu’il le regardait et afficha un air volontairement supérieur.

Cette fois c’en était trop.

Axel lui rendit son sourire, tendit un doigt vers la feuille, qui s’embrasa aussitôt. Bien fait !

— Hé ! T’avais pas le droit de faire ça !

Axel se contenta de hausser les épaules.

— Tu me déconcentres avec tes tourbillons. Kenog a dit de méditer, pas de jouer avec le décor.

— J’affinais ma technique ! s’insurgea Nicoleï.

— Ce n’est pas ce qu’il nous a demandé.

— Et alors ? Tu crois que je n’ai pas cherché à améliorer mon contrôle, depuis le temps ?

— C’est dangereux !

— Tu parles ! Tu as peur, c’est tout.

— Moi, peur ?

Ses ailes s’était relevées sous l’outrage. Nicoleï n’avait pas vécu la moitié des combats auxquels il avait participé !

— Je n’ai pas peur de tes flammes !

Un ruban de flammes s’enroula autour de ses doigts. Il allait rabattre son caquet à ce gamin arrogant, autant être clair dès le début.

— C’est ça que vous appelez obéir ?

Axel fit volte-face. Le rouge colora ses joues et ses flammes disparurent. À ses côtés, Nicoleï n’en menait pas large non plus. Une mince satisfaction.

Bras croisés, un pli de contrariété barrant son front, Kenog ne cachait pas son mécontentement.

— Je pensais pouvoir vous faire confiance. N’êtes-vous pas Massiliens ? J’ai fait l’erreur de ne pas préciser que vous deviez jurer ou un truc comme ça. Soyez assurés que je ne la referais pas. Donc. Il y a des feuilles dans le jardin. Je veux que vous les rangiez dans le compost, dit-il en désignant un abri formé de planches disjointes, avec un couvercle monté sur des gonds.

Soulagés d’échapper à une punition plus lourde, ils s’empressèrent de marmonner humblement leur accord.

— Je n’ai pas fini, coupa Kenog. Pour cette tâche, vous n’utiliserez ni outils ni Don. Je veux votre parole ?

Frustré, Axel marmonna son accord, ne ressentit aucune satisfaction quand Nicoleï accepta du bout des lèvres.

— Vous mangerez quand le jardin sera parfaitement propre, ajouta Kenog.

Cette fois, Nicoleï ne put se contenir.

— Quoi ? Mais c’est impossible ! Nous n’aurons jamais fini ce soir !

— Il fallait y réfléchir avant de désobéir, rétorqua Kenog avec un sourire torve. Je ne saurais trop que vous conseiller de vous y mettre sans tarder. Amélia n’aime pas qu’on rentre tard, et elle ferme son auberge à clé une fois la nuit tombée.

— Mais… commença Axel.

— Inutile de perdre du temps à protester ? Au travail.

Le peintre claqua la porte de son atelier derrière lui. Morose, Axel considéra le jardin, qui lui parut soudain bien plus vaste. L’arbre planté au centre semblait les narguer, avec ses feuilles aux reflets mordorées, qui se détachaient de temps à autre pour venir tourbillonner sur le sol herbeux.

Nicoleï lui retourna un regard noir.

— Tout ça c’est de ta faute !

— Ma faute ? s’insurgea Axel. C’est toi qui as commencé !

—Tu es venu mettre le feu à ma feuille ! Ose le nier !

—Tu étais en train de désobéir à Maitre Kenog !

— Et alors ? Je n’ai pas à t’obéir !

— Je n’ai pas envie d’être puni par ta faute !

— Nous sommes punis par ta faute, siffla Nicoleï. Tu es incapable d’être discret !

— Et toi tu n’es qu’un gamin immature incapable de respecter une consigne simple. C’est comme ça que tu espères progresser sur la voie des Mecers ?

— Dis celui incapable de trouver un Compagnon pour se lier !

Axel serra les poings. Il n’allait pas se laisser insulter de la sorte par un Envoyé dont c’était la première mission sans Messager ! Le jour où il trouverait son Compagnon, il lui demanderait des excuses.

Axel réalisa que si Itzal le voyait en ce moment, il lui adresserait une remontrance à côté de laquelle celle de Kenog ferait pâle figure. Il était ici pour apprendre à maitriser son Don, pas pour se disputer avec Nicoleï. En plus, il n’y avait rien d’honorable à humilier plus faible que soi.

Mais ce qu’il se montrait agaçant !

Ou alors peut-être était-ce un autre message d’Itzal ? Pour le motiver à partir pour de bon en quête d’un Compagnon ?

Car Axel n’avait aucun doute, s’il avait été Émissaire, nul doute que Nicoleï se serait montré plus respectueux.

D’ailleurs, peut-être qu’Itzal et Ishim s’attendaient à ce que ce soit lui qui montre l’exemple. Il n’était plus un gamin. Axel s’efforça de calmer sa respiration, de chasser la colère de son esprit. La punition imposée par Maitre Kenog était certes injuste, mais se disputer sur les responsabilités de chacun n’était qu’une perte de temps. Ce n’était pas comme ça qu’ils avanceraient.

— Tu comptes pérorer encore longtemps ou venir m’aider ? lança Axel.

Nicoleï souffla, d’une façon suffisamment bruyante pour qu’Axel comprenne qu’il ne le faisait pas de gaieté de cœur, puis vint s’agenouiller à ses côtés.

Attraper une feuille, puis une autre, et encore une autre. Il y en avait tant ! Essayer d’amasser de grandes brassées se révélait contre-productif : trop de feuilles s’échappaient ensuite lorsqu’ils allaient les porter dans le bac de compost.

La tâche paraissait juste sans fin. Le silence s’étira entre eux, alors qu’ils effectuaient les mêmes tâches mécaniques. Une chose était certaine, ce travail ne nécessitait aucune réflexion, laissait l’esprit au repos, libre de se questionner sur des choses plus importantes. Comme l’intérêt de ce travail inutile. Maitre Kenog ne lui avait pas paru particulièrement cruel. Ses assistants avaient le sourire, ne paraissaient pas le craindre. Et si les Messagers Itzal et Ishim lui avaient confié leurs Envoyés, eh bien… ce ne pouvait pas être pour le seul bénéfice de leur apprentissage du Vent. Il y avait bien d’autres Maitres, et ils auraient certainement pu en trouver sur Massilia.

Axel ne comprenait toujours pas pourquoi ils étaient là. Massilia aurait été un meilleur choix. Avec ses montagnes, ses forêts de résineux… le Vent et le vol étaient étroitement associés. Ils auraient certainement mieux pu apprivoiser leur élément dans les airs.

La luminosité diminuait, leur estomac gargouilla plusieurs fois. Axel plissa les yeux. Les Massiliens étaient connus pour avoir une bonne vue, et les Mecers liés augmentaient encore leurs capacités. Mais ils n’étaient qu’Envoyés, et même avec leur excellente vision, discerner les feuilles sur le sol devenait difficile.

— Je ne vois plus rien, marmonna Nicoleï. Et j’ai faim.

— Moi aussi, soupira Axel.

À tâtons, il détecta d’autres feuilles, continua sa fouille méthodique à quatre pattes. S’il avait fait jour, ils auraient pu avoir une meilleure visibilité sur leur avancée.

— À ton avis, on a tout ramassé ?

Une pointe d’espoir s’entendait dans sa voix.

— Je crains que non, soupira Axel de nouveau. Tu peux oublier le repas de ce soir.

— Vraiment ? gémit Nicoleï. Mais j’ai tellement faim !

— C’est le but. Tu crois vraiment que Kenog pensait que nous pourrions réussir avant la nuit ?

— Mais….

— Et même dans ce cas, qu’il nous précise qu’Amalia fermait son auberge à la nuit tombée était un indice supplémentaire.

Nicoleï ne répondit pas, cette fois.

— Ne me dis pas que tu n’as jamais dormi à la belle étoile ? le taquina Axel.

— Bien sûr que si, lui retourna Nicoleï, maussade. Je m’en fiche de dormir dehors. J’ai juste faim.

— Je n’ai rien vu de comestible dans le jardin.

— Tu as fait attention à ça ? dit Nicoleï, surpris.

— Évidemment, fit Axel en haussant les épaules.

Il fit un aller-retour jusqu’au bac, y glissa ses feuilles. Impossible de voir si l’une d’elle s’était renvolée au passage.

— Je propose qu’on s’arrête là, proposa-t-il. Je ne vois plus rien.

— D’accord. Tu crois vraiment qu’il nous a enfermés dans le jardin ?

Axel gloussa.

— Enfermés ? Nicoleï, nous pourrions nous envoler.

— De nuit ? C’est dangereux.

— Mais faisable. Après, je te l’accorde, rien ne nous y oblige. Et je pense qu’il est plus prudent de rester ici.

Nicoleï se rangea à son avis.

— Tu crois qu’il nous ouvrirait, si on le lui demandait ?

— Nous n’avons pas terminé. Que crois-tu que soit sa réponse ?

— Tu as raison, soupira Nicoleï.

Axel frissonna. L’automne n’était pas la meilleure des saisons pour une nuit à la belle étoile. Et vu qu’elles n’étaient pas visibles, des nuages étaient donc présents pour la nuit. D’un côté, cela éviterait aux températures de trop baisser, de l’autre… eh bien, être réveillé par une averse en pleine nuit n’avait rien d’agréable.

Les deux Envoyés se blottirent dans leurs ailes, et cherchèrent à trouver le sommeil. S’il avait suffisamment chaud pour être confortable, le grondement sourd de son estomac le tiraillait, et Axel espéra réussir malgré tout à trouver le sommeil.

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