"Je sais pas si tu me détestes, ou si t'as juste envie de me tuer ?" me demande Julian, en train de galérer à repasser sa chemise - tant mieux, sale rat.
Non, en vérité, c'est sa franchise innocente que j'aime beaucoup. A me demander les choses qui le tracasse sans une once de vice ou quoi que ce soit. Et du coup, je peux lui renvoyer à la gueule tous les reproches que j'ai envie de lui faire. Il accepte - par lassitude, maintenant -, mais ne fait rien pour s'améliorer. Notamment quitter Kirsten.
"Y'a un peu des trois. J'te déteste, j'ai envie de te tuer, mais j'peux faire un effort pour te tolérer, toi."
Oui, je précise le toi, parce que franchement, y'en a pas beaucoup que je peux me piffrer. Bon, aucun des mecs de ma jolie blonde, en vérité. Juste lui.
D'ailleurs, je vais glisser quelques mots à son sujet. Ce n'est pas l'individu le plus important au monde, mais disons que... c'est un peu le gars qui m'a fait comprendre que, moi et ma Kir, c'était foutu de chez foutu.
En fait, je l'aime depuis que je suis très jeune - je me souviens le nombre de râteaux mémorables que j'ai pu me prendre, et surtout les moqueries de nos camarades. Elle répondait nonchalamment, avec son charme naturel, que c'était parce qu'elle me préférait comme ami, et qu'elle avait de la chance de m'avoir.
Ce n'était pas une super excuse, mais je pense que son regard et ses sourcils froncés valaient bien mille mots valables. Un caractère inatteignable.
Au milieu du primaire, jusqu'au collège, je l'ai aimée aveuglément. Quand elle a commencé à sortir avec des garçons, ça m'énervait - c'était ok, je pouvais pas l'empêcher d'avoir une vie amoureuse. Mais elle choisissait constamment des boulets, avec lesquels je finissais irrémédiablement par me battre - un mot de travers avec ma belle, c'était un poing entre les deux yeux.
Je me suis attiré de gros ennuis, et elle a arrêté de fréquenter les garçons pour m'éviter le renvoi définitif - j'ai presque un doute quant au fait que les professeurs ne s'en soient pas mêlés. Ils m'aimaient bien, parce qu'en vrai, j'étais pas mauvais élève, et encore moins perturbateur. Fallait juste pas effleurer, ne serait-ce que du bout du doigt, le cœur de ma meilleure amie.
Le lycée, j'ai réussi à me poser plus ou moins - je cherchais moins la bagarre, ou du moins, pas dans l'enceinte de l'école.
Son dernier copain, par contre, je pouvais pas me le pifrer. Un mec pédant à souhait, mais certes, avec de belles qualités : tout à fait charmant, intelligent, attentif... mais il me haïssait. Le problème, c'est que ma Kir ne l'a pas super bien vécu. Du coup, elle l'a quitté. Ca l'a rendue tellement malheureuse, bordel. Je m'en suis atrocement voulu.
Mais y'a deux ans, elle a fini par fréquenter Julian, son fiancé actuel. Pas le mec parfait, il a même tendance à un peu m'agacer, mais au moins, on a un terrain d'entente. Il me tolère, comprend notre amitié, même s'il me dit que, parfois, ça lui plaît pas forcément des masses que je sois accroché à elle comme une sangsue. Mais bon, quand j'ai droit à ce genre de remarques, c'est avec un petit sourire du type "mais bon, je t'en veux pas, parce que je sais qu'elle est à moi, nananère" - bon, la dernière phrase, c'est ma propre interprétation.
Du coup, j'ai fini par accepter. Ce fut difficile, mais... j'ai réussi.
Et aujourd'hui, je me retrouve à faire la nounou de Julian. Je suppose. Il m'a demandé de passer, alors que ma belle n'est pas là - ça m'énerve un peu, parce que je me suis fait avoir bêtement.
"Bon, t'accouches ?" je râle, affalé dans le canapé.
"J'aimerais demander Kirsten en mariage."
Ah, la douche froide.
"T'es déjà fiancé avec elle, ça te suffit pas ?"
"Je suis sérieux."
Je le regarde, gonflant mes joues.
"Et ? Tu veux que je te dise quoi ?"
"... c'est triste à dire, mais il me faut ton accord, pour ça."
Il garde son calme, l'enfoiré. Mais je sens que ça l'agace pas mal - bon, c'est compréhensible. J'ai rien à voir avec leur couple... mais bon, j'apprécie le geste.
"C'est Kirsten qui t'envoie ?"
"Non. Elle n'est pas au courant."
"... oh."
Ca m'énerve. Ca m'énerve, parce que je suis capable de lui répondre qu'il peut la demander en mariage sans souci. Parce qu'elle sera heureuse. Tellement heureuse que ça me convient - mais au fond de moi, il reste une petite douleur. J'ai appris à la faire taire pour lui, pour ce mec suffisamment prévenant pour prendre le risque de me voir refuser sa demande en mariage - bon, hors contexte, c'est à se méprendre comme phrase.
Mais... c'est comme se précipiter petit à petit vers le néant. Vers un chemin sans retour. Pour son bonheur, putain, pour son bonheur...
"Bien sûr que tu peux," je dis - avec la sensation qu'on me rappe la gorge de l'intérieur. Bordel, j'ai presque envie de pleurer. C'est stupide, une histoire d'amour à sens unique, pour laquelle on se bat depuis des années pour au final devoir accepter ça.
"Pardon. Et merci, Lukas."
Je ne réponds pas.
C'est vraiment un chic type. Plus que moi. Y'a pas à dire.
"J'vais y aller."
Putain, j'ai du mal à garder ma voix ferme. Je prends la direction de la porte, sans regarder derrière-moi. Voilà, c'est comme ça. C'est douloureux. Supportable, mais douloureux. C'est égoïste. Bêtement égoïste. D'un certain côté, j'ai hâte de l'entendre m'appeler, folle de joie. De l'autre, j'angoisse à cette idée.
Je pousse un long soupir.
Je vais rejoindre ma moto, sur laquelle je m'assois. Je regarde mon téléphone, cherchant le numéro de William. Ma main tremble. Tant pis. Je m'en contrefiche de ses indications de ne pas l'appeler. Je lance l'appelle dans une précipitation maladroite. Une sonnerie, deux. Trois...
Il décroche.
Mon cœur se serre.
"Allô ?"
"Je- je sais que tu veux pas que je t'appelle, mais..." Pourquoi lui, et pourquoi pas Eliott ? J'en sais rien. Là, sur le vif, c'est lui que j'ai besoin d'appeler. D'entendre sa voix, d'imaginer son sourire- j'ai un hoquet de sanglot. Non, non, j'peux pas me mettre à pleurer.
"Qu'est-ce qu'il se passe ?"
J'ai un rire triste.
"Julian va demander Kirsten en mariage."
Il a quelques secondes de silence. Je lui ai rabâché les oreilles, avec ma Kirsten. Donc pas besoin de lui expliquer que c'est un poignard directement enfoncé dans le cœur. Et encore, avec ça, j'aurais souffert deux secondes avant de crever d'une hémorragie. C'est moins douloureux.
"... tu veux qu'on se venge, et que je te demande en mariage avant ?"
"Pfff... idiot."
Je ne m'attendais pas à ça - mais ça a le mérite de m'arracher un rictus.
"On s'achète des grosses bagues fantaisies, ornées de vrais faux diamants. Elles seront tellement lourdes qu'on finira l'épaule déboîtée, mais on pourra se la péter grave."
"Pourquoi je t'ai appelé, au juste ?" je rigole, essuyant la larme qui roule le long de ma joue. Je suis pathétique. C'est pas nouveau, mais ça se confirme. "En vérité, c'est rien," je dis d'une voix cependant douloureuse. "Julian m'a demandé mon accord. Elle sera heureuse. Elle sera la plus heureuse. Mais- mais j'ai dû mal à encaisser..."
Ma voix faiblit. Je suis secoué par des sanglots silencieux.
Ca me fait mal. Parce que ça me rappelle simplement à mon amour sans retour, à toutes ces années à me raccrocher à des sentiments sans réponse. Et à me confirmer que je n'ai plus qu'à les balayer.
"C'est normal, Lukas. Tu veux qu'on se retrouve quelque part ?"
"Non. Ca m'a fait du bien de t'appeler, Will... merci. Désolé de t'avoir dérangé. Je dois rentrer, de toute manière."
"Avec plaisir. Ah- avant de raccrocher, tu veux qu'on se revoit cette semaine ?"
J'ai un sourire. Bordel, qu'est-ce qu'il est adorable.
"Quand tu veux."
"On pourrait aller quelque part ton prochain jour de repos, si ça te tente. Puis si tu veux passer à la maison pendant ta pause, demain-"
Il s'interrompt.
"Quoi ?"
"... ça serait plus simple que je vienne chez toi. Ouais. Demain, je viens chez toi. J'amène la play pour qu'on continuer à jouer," il déclare. "C'est bon ?"
"Est-ce que je peux refuser ?" je demande, reniflant.
"L'idée de consentement dirait oui, mais moi je dis non."
"Ah, alors si j'ai pas le choix. ... à demain, Will. Et... merci."
"A demain, Lukas."
Il ne raccroche pas. J'ai un sourire un peu bébête, avant de mettre fin à la communication, et prendre une longue inspiration. Je ne peux pas vraiment dire que l'avoir eu au téléphone m'a réellement fait du bien, mais ça a eu le mérite de me soulager un peu l'esprit.
Du coup, direction la maison. J'ai encore un peu de temps pour me requinquer pour reprendre le service de cet après-midi...
"Y'a la nouvelle, aujourd'hui," me chuchote Krista, comme si c'était une confidence. Je la regarde en fronçant les sourcils.
"Comment t'es au courant, toi ?"
"Eliott l'a dit hier, quand t'avais la tête dans les nuages, pauvre crétin."
J'ai une moue. Oui, bon, c'est possible que je sois un peu tête en l'air en ce moment. Entre l'annonce de Julian il y a une semaine, les centaines de questions que je me pose au sujet de William et de sa petite vie privée, et est-ce que mes poils de barbe verront le jour un jour, je suis pas mal préoccupé. J'ai vingt-quatre ans et oui, je me bats encore pour lutter contre cette absence de poils massive.
Oui, parce qu'au sujet de Kirsten, je n'ai pas eu de nouvelles. Alors soit il prépare les choses, et prend son temps, pendant que je meurs dans l'angoisse et que je crains le moindre appel de ma meilleure amie, soit il a changé d'avis pour me faire plaisir, et ne va pas tarder à la quitter.
J'ai bien le droit de rêver, non ?
Quant à Will, on continue à se voir régulièrement. Il arrête de me taquiner, soulageant clairement mon petit cœur de palpitation qu'il n'a pas à avoir. On passe notre temps à jouer, à discuter, à rigoler. Il vient à mes pauses, et on a prévu, attention... une virée à la plage. Alors franchement, j'ai pas compris le pourquoi du comment, vu le temps qu'il fait - certes, ça se réchauffe, mais pas assez pour aller tremper les pieds.
Mais il a décrété vouloir aller à la plage. Loin du monde, juste tous les deux. Pourquoi pas. Bon, il a aussi rajouté qu'il y avait un centre commercial pas super loin en voiture, auquel on pourrait passer avant.
De mon côté, j'ai discuté avec Kirsten, j'ai expliqué précisément la situation de William. Et son avis, c'est que je devrais demander des informations à mon oncle - à lui de choisir si c'est trop personnel pour que j'en sois au courant. Mais au moins... non, ce n'est que de la curiosité maladive.
J'attends encore un peu. Déjà faudrait-il que j'ai le courage d'amorcer le sujet avec lui - qui sait, peut-être m'en parlera-t-il librement ? J'ai de gros doutes, mais-
"Ca recommence, mec. Tu manques de sommeil ?"
"C'est toi qui me fatigue," je rétorque, enfilant mes chaussures. "T'es encore dans les mauvais vestiaires."
"Non, les miens ont déclaré la guerre au couloir, c'est donc impossible d'y accéder. Les frontières, tout ça."
J'ai un soupir. Alors elle, elle manque pas d'inspiration.
"Tu veux plutôt me mater en train de me déshabiller. Eliott avait raison quand il disait que t'allais tomber amoureuse de moi."
"... q- quoi ?!"
"Mais bon, c'est du voyeurisme, jeune fille."
"Espèce de tordu. Comment tu veux que je tombe amoureuse de toi ?"
Je fais mine de réfléchir.
"Voyons, j'suis beau garçon, j'suis adorable, j'ai une super moto, j'ai un corps de rêve-"
"T'as oublié ta modestie. Je prends la moto, mais pas le mec. Non, en vrai, c'est que j’voulais juste te dire ça. Mais bon, s'il faut s'acheter une paire de couilles pour te parler dans tes vestiaires, maintenant..."
J'ai un rire moqueur.
"Aller, le prend pas mal. J'm'en fiche que tu me mates, j'suis pas à ça près." Elle me semble plus épanouie en ce moment. J'ai un peu peur que ce ne soit qu'en surface, mais bon... à surveiller. "Elle s'appelle comment ?"
"Euh... Elise, je crois."
Ah, si. Ca me dit un peu. Eliott m'en avait parlé la dernière fois - apparemment, une femme plus âgée que nous, avec quelques soucis de son côté. Trop grande âme pour ce petit corps, Eliott.
"Depuis quand tu fais ta timide ?" je lui demande, un peu surpris.
"Non... c'est qu'en arrivant, elle m'a regardée bizarrement."
"... et donc tu penses qu'elle va se dire que t'es une nana complètement posée dans ta tête en allant te changer avec un mec ?"
"... oui ?" Silence. "Oh, écoute, je fais ce que je veux."
"T'as bien raison, va. Mais maintenant, il va falloir aller l'affronter."
Elle me fait une grimace. J'enfile ma dernière chaussure, avant de me relever, et lui faire signe de me suivre. Elle est déjà au comptoir avec Eliott, qui lui rappelle le fonctionnement.
"Elise, voici Lukas et Krista. Tu travailleras sur les temps où Krista ne sera pas là, donc vous ne vous verrez pas trop. Quant à Lukas, il est un peu chiant, mais c'est pas un mauvais bougre."
"Enchanté," elle sourit.
"Bienvenue dans l'équipe," je dis. "Du coup, elle est là pour voir le fonctionnement aujourd'hui ?"
"Ouais, ça t'évitera d'être seul si y'a un problème. Mais bon, elle va vite comprendre le système."
"Je vais faire de mon mieux."
Elle paraît assez timide, mais sérieuse.
"Lukas."
Il me fait signe de venir. Je regarde les deux filles, affichant un sourire suffisant.
"Ah, ça sent la promo ça," je fais, marchant à reculons pour rejoindre mon ami. Il me lance un regard interrogateur.
"J'ai une nouvelle employée et tu me parles de promo ? Tu crois encore au papa Noël."
"Oui, et alors ?"
"Pfff. Nan, sérieux. Quand c'est pas Krista, c'est toi. Qu'est-ce qu'il t'arrive ?"
Je me mords les lèvres. J'peux pas lui mentir, ni lui cacher quoi que ce soit. Ca m'embête un peu pour l'effet surprise, mais bon. C'est peu à côté de mon ressenti.
"Julian m'a dit qu'il allait demander Kirsten en mariage."
"... oh putain. Enfin, c'est super pour elle mais-"
"Oui, ça l'est." J'esquisse un sourire un peu forcé. "J'attends juste qu'elle me l'annonce. J'appréhende un peu. Après ça ira mieux."
"Et avec ton Willy ?"
...
Je détourne la tête, mal à l'aise.
"Ca n'a rien à voir."
"Pourquoi tu lui proposes pas de sortir avec toi ?"
J'ouvre la bouche pour l'envoyer chier - mais en fait, rien ne sort. Quant à lui, il exprime une mine satisfaite.
"C'est pas le but," je rétorque alors, gêné.
"Tu l'aimes bien, non ?"
"Je t'aime bien aussi, mais j'ai aucune envie de sortir avec toi," je grimace. "Puis je vais pas sortir avec lui pour tourner la page, c'est hyper glauque !"
Il se mord la lèvre. J'ai une grimace.
"... ça fait longtemps que t'es censé tourner la page, Lukas." Outch. "Désolé. J'en parlais pas dans ce contexte-là. C'est juste que j'ai l'impression que tu te mets des œillères parce que tu ne vois que Kirsten, alors que t'es complètement amouraché de lui."
Ca... j'en ai bien conscience. Ca fait même quelques temps que je m'en suis rendu compte - mais c'est exactement ce qu'il dit. Je n'ai que ma Kir en tête. C'est stupide.
Je ne réponds pas, haussant les épaules.
"Tu veux que j'aille lui parler ?"
J'ai une moue, blasé.
"Ca va, hein. J'ai plus dix ans."
"Pourtant, des fois, on dirait. Écoute, demande-lui. T'as rien à perdre. C'est un prostitué, il a dû entendre bien pire comme proposition."
J'ai un soupir.
"Non. Notre relation me plaît telle qu'elle est."
"Alors ça te fera rien s'il sort avec un autre gars ?"
"Il se tape des mecs différents chaque jour, déjà. Tu veux que ça me fasse quoi s'il a un copain ?"
"Tu passeras au second plan."
Touché.
"J'crois qu'on a du boulot," je lâche, tournant les talons. Bordel, il est obligé de m'en rajouter dans le crâne ?! C'est pas comme si j'étais déjà assez tracassé. De plus, l'idée de sortir avec William, franchement...
D'un côté, ça me vend du rêve. Après tout ce qu'il s'est passé, je ne peux pas nier qu'il m'attire, et que j'ai un attachement assez fort à son égard. Inconsciemment, j'entends bien que mes comportements vont dans ce sens-là. Je n'attends rien en retour de sa part - je veux juste profiter un peu de sa présence, de sa compagnie...
De l'autre, ça me fait carrément flipper. Parce que je me pose trop de questions. Et puis, ça reste un prostitué. Un gars qui couche avec d'autres gars contre de l'argent. Sans omettre que je l'aime tellement que j'aurais la sensation de tout risquer au moindre instant.
Je n'ai pas la relation que j'ai avec Kirsten. Je l'ai effrayé une fois. La deuxième fois, mes manipulations douteuses ne marcheront probablement plus.
Je surveille du coup de l’œil Elise, qui rencontre un habitué - j'entends ce dernier se réjouir de voir une nouvelle tête, tandis que Krista proteste en disant que c'est pas super sympa pour les anciens. J'ai un sourire, m'attelant moi-même à mon boulot.
Au moins, ça a le mérite de m'occuper l'esprit. Même si, au fond, je maudis un peu Eliott de m'avoir perturbé un peu plus avec des idées que je tentais de garder bien enfoui au fond de mon cerveau.
Et nous voilà au jour J, ce jour où je ne travaille pas, et que les horaires tardifs de mon blond préféré lui permettent d'avoir la journée de libre - même si sa journée commence à midi passé.
On s'est donnés rendez-vous sur son lieu de travail, étant donné que c'est sur le chemin pour se rendre à notre combo exclusif du centre commercial et de la plage. Ca nous permettra de continuer la route ensemble, m'a-t-il dit.
Ouais, bon, j'essaie de faire le mec un peu distant et compagnie, mais bordel, la conversation qu'on a eu avant-hier avec Eliott n'a toujours pas quitté la zone "angoisse" de mon cerveau.
Et elle se prononce un peu plus lorsqu'il arrive à ma hauteur, armé de sa jolie veste en jean - ça y est, les températures augmentent, on troque le cuir contre quelque chose de moins chaud ? En tout cas, sans être fan, ça lui va carrément bien.
"Ca me fait tellement plaisir de te voir," il me dit, m'attrapant dans ses bras - je suis un peu surpris, mais je le laisse faire. C'est pas super courant qu'il se comporte de la sorte, alors je lui laisse le bénéfice du doute - si c'est pour m'emmerder ou qu'il en a simplement envie. Mais vu sa manière de se blottir contre moi, ce n'est pas dans l'esprit du jeu.
"Qu'est-ce qu'il t'arrive ?" je lui demande, un peu inquiet. Je glisse une main entre ses omoplates, pour pouvoir remonter jusqu'à son crâne, et laisser courir mes doigts dans ses cheveux.
"J'ai passé une nuit infernale."
Une nuit infernale.
Je sens mon cœur se serrer douloureusement.
"Quelqu'un t'a fait du mal ?" je l'interroge, le repoussant par les épaules pour chercher son regard. Il a l'air surpris.
"Ah-... Lukas..."
Là, il a juste l'air de ne pas savoir quoi dire. Un peu désolé.
C'est vrai que j'ai du mal quand il s'agit de ce travail là.
"Tu peux me dire si t'en as besoin."
"Non. Regarde, je me sens déjà mieux." Il me fait un clin d’œil. "Mais j'apprécie le geste."
"Will- vraiment, si quelqu'un te pose souci-"
"C'est toi qui me pose souci, là." Je fronce les sourcils. Il me sourit, un peu moqueur. "Être avec toi me suffit. J'aurais pas dû te dire que j'avais passé une mauvaise nuit, c'est de ma faute. Mais c'est fini. Le bon côté avec ce boulot, c'est que les clients reviennent pas forcément. Ou pas tout le temps, du moins."
"T'en as des réguliers ?"
"Ouais. Ils sont cool, en général, parce qu'ils m'aiment bien."
J'ai une grimace. Bordel, j'y arriverai jamais.
Comment il le prendrait, si je lui demandais de sortir avec lui ? Tous les jours, il ne voit que des mecs qui en veulent à son cul, à ses services. Au final, je ne serais rien d'autre que l'un d'entre eux.
Stupide Eliott.
"Jaloux ?" il m'interroge, taquin. "C'est toi mon préféré pour le moment."
Qu'est-ce que je disais.
"Va te faire foutre," je crache, vexé. Ah, merde. Merde de merde ! Ca le surprend - mais quel con, c'est pas possible ! "Non- je- je voulais pas, pardon. Pardon Will."
"C'est pas grave," il me rassure, bien qu'un peu troublé par ma réaction. Je le vois bien. Enfin, c'est pas comme s'il pouvait lire dans mes pensées - sa remarque n'est vraiment pas arrivée au bon moment. "C'est à moi de m'excuser. C'était pas une blague marrante."
Je vais tout faire foirer, voilà tout. Cette sortie, que j'imaginais me faire du bien, me remonter le moral,... risque d'être un potentiel désastre si je me contiens pas un minimum. Et William est bien la dernière personne que j'aimerais blesser dans mon comportement.
Mais putain, je me sens encore plus paumé qu'avant.
"C'est pas ça- c'est- écoute, oublie. Je le pensais pas. Pas le moins du monde."
"Lukas, t'as pas à t'en vouloir, ok ? J't'assure que c'est pas grave. C'est aussi à moi de surveiller mes paroles. On va prendre la voiture, et on va aller passer du bon temps, d'accord ? C'est tout. Rien que toi et moi. Sans nos travail respectifs, sans Kir, sans personne."
Le voir aussi sérieux me troublerait presque. Mais j'ai un sourire, soulagé. Comment peut-il être aussi gentil et attentif ? Ce mec est une perle.
"Merci."
Il retrouve son sourire habituel.
On finit par se rendre en voiture, et l'ambiance retrouve rapidement son état normal. Ca aussi, c'est une chose que j'adore avec lui : quoi qu'il puisse arriver, il reste fidèle à lui-même. Taquin, souriant, doux, ... adorable.
La route est assez longue, mais avec un peu de musique et un karaoké foireux, on arrive à destination. Les centres commerciaux, c'est pas vraiment mon délire, mais c'était assez amusant. Il a acheté un cadeau pour son coloc, un jean usé plutôt canon. Et il est passé par la boutique de jeux vidéo. Sans surprise. J'en ai profité pour faire du repérage - je sais que Alex attend avec impatience un jeu, mais il n'est pas encore sorti. Et comme elle fête bientôt ses dix-sept ans, j'ai une idée de cadeau facile.
Enfin, s'il sort aux environs de la date clé, sinon, je suis foutu.
Puis on retourne à la voiture pour se rendre à la dite plage. On aura quand même passé un petit moment à se balader dans le centre commercial - j'en ai profité aussi pour m'acheter un T-shirt de super héros.
Il se gare au parking - l'air est quand même assez froid.
"T'as pensé à prendre ton maillot ?" je lui demande, alors qu'on sort de la voiture pour se diriger vers la plaine de sable.
"Non, je me baigne nu." ... le sérieux de sa réponse me laisse stoïque. "Lu'. Je ne suis pas aussi maso que tu le penses."
"... à me chercher, c'est croire."
"Aah, c'est une menace ?" Je lui lance un regard "devine". Il me souffle au nez, avant de me tendre la main. "Que serait une balade à la plage sans l'ambiance romantique qui en découle ?"
"Qui a demandé à ce que ce soit romantique ?" je lui rétorque, jouant le jeu. J'ai du mal à lui résister. Comme je l'ai déjà dit, je pense qu'il sait déjà les sentiments que j'ai à son égard - c'est pas possible autrement. Ou alors il se comporte comme ça avec tout le monde, et- en même temps, pourquoi je cherche l'exclusivité d'un mec qui ne me doit rien ?
Je m'agace tout seul.
"Moi." Il m'attire contre lui. "M'accorderiez-vous cette danse ?"
"Tu m'as amené ici pour danser ?"
"J't'ai amené ici pour te faire rêver, mon prince," il me susurre, corrigeant la position de mes mains. "Ou peut-être est-ce un désir égoïste. Qui sait ?"
Il relève la tête vers moi, affichant un magnifique sourire.
"Je sais pas danser," je grogne, hésitant à me détacher de son emprise - parce que, d'un côté, j'ai envie de continuer à le voir avec cette expression.
"Un pas en arrière quand moi j'en fais un en avant, puis on réunit les deux pieds, on pose. Puis un pas en avant, quand moi j'en fais un en arrière, et on réunit de nouveau, on pose. On essaie ! Un- "
Maladroitement, j'esquisse son mouvement en allant vers l'arrière.
"Deux."
Son pied se met parallèle au sien sans se poser entièrement. Je fais de même de mon côté, le regardant dans l'incompréhension la plus totale. Pourquoi on fait ça ?
"Trois." Il pose. "Un..."
Son pied recule.
J'ai un soupir, secouant négativement la tête.
"Aller. Quand tu auras saisi le truc, tu verras comme c'est agréable."
"Tu m'amènes dans un magasin," je commence, faisant un effort pour suivre ses gestes. "Tu me fais danser. Tu as quelque chose à me reprocher ?"
"Tais-toi."
En vrai, je râle, mais... cette proximité ne me dérange pas. Sentir sa main dans le creux de ma taille, l'autre se mêler à mes doigts... je t'ai amené ici pour te faire rêver. Il mène son rôle à la perfection.
L'apprentissage continuera encore un petit moment, jusqu'à ce qu'il déclare une pause - dommage, j'y prenais goût. Mais c'est vrai que, aussi minime ça puisse sembler être, ça demande de l'énergie.
"Ma meilleure amie m'avait appris la valse, au lycée. En me disant que ça me servirait un jour. Il me fallait bien une excuse pour le faire, non ?" On se rapproche un peu plus de la mer, avant de s'asseoir dans le sable. Je fais courir mes doigts entre les centaines de grains. "Je veux en savoir plus sur toi," il me dit, soudainement.
"J'ai pas une vie passionnante, tu sais."
"Ta couleur préférée ?"
"... le gris."
"Ta nourriture préférée."
"J'aime bien la cuisine asiatique."
"Tes parents ?"
"Ca va."
"Tes amis ?"
"Kirsten et Eliott. Et toi ?"
"... je sais pas si je peux considérer Dave comme un ami. Sinon, j'ai mes collègues avec qui je m'entends bien. Notamment Mike."
"T'es déjà tombé amoureux ?"
Il ne me répond pas immédiatement. Il semble réfléchir sur la réponse qu'il va me dire.
"Peut-être plus jeune, vaguement. Mais pour un gars, ça a été une pure admiration. Par contre, qu'est-ce que j'étais con, à cette époque. J'étais capable de tout faire pour lui - et jusqu'à encore peu", il rigole, mal à l'aise.
"Comment ça ?"
"Disons que c'est à cause de lui que je me suis retrouvé dans le milieu de la drogue et de la prostitution."
...
Il me regarde dans une interrogation silencieuse. Est-ce que je veux en savoir plus ? Putain, oui. Est-ce que je serais capable d'encaisser ? J'en sais rien.
"Je t'écoute."
"En vérité, y'a pas grand chose à raconter. J'ai commencé à me droguer assez jeune, et j'ai fini par dealer avec lui - j'étais parti de chez mes parents pour vivre chez lui, j'avais dix-huit ans, j'étais encore dans mes études, c'était plus simple de vendre de la came plutôt que de me trouver un boulot. Et au moins, je ne lui devais rien."
"Tu sortais avec lui ?"
Il secoue négativement la tête.
"Non. Mais ça n'allait pas à la maison. Dès que j'ai eu l'âge de partir, je suis parti. Et- ... à vingt ans, comme tu sais- c'est grâce à lui si j'ai pu sortir. Il a payé ma caution. Du coup, faut bien que je lui rembourse," il m'explique. "C'est là qu'il m'a foutu dans le réseau de la prostitution."
"J'hallucine..."
"J'avais le droit de refuser, tu sais. Il m'a forcé à rien. J'aurais pu refuser qu'il paie ma caution, j'aurais pu refuser de rentrer là-dedans... mais j'voyais les choses que par lui. C'était Damien. Je l'ai connu, j'étais encore au collège. Il m'a beaucoup soutenu. C'est pas un mauvais gars."
Je me mords la lèvre, incapable de le regarder dans les yeux. Quand il me parlait de se prostituer pour le fric, il ne mentait pas tout à fait : c'est bien pour l'argent, mais dans le but de rembourser une dette possiblement immense.
"Je pensais pas- je suis désolé, Will."
"T'excuse pas. Je sais que tu te poses des tonnes de questions, et c'est normal. Alors j'espère avoir résolu une partie du mystère qui plane sur ma tête," il me taquine.
"... merci."
"J'te dégoûte toujours pas ?" il rigole.
Je voudrai toujours de toi, Will. Quoi qu'il arrive.
"Bien sûr que non," je dis, avant de le regarder dans les yeux. Ca lui a demandé des efforts, de me raconter tout ça. "Jamais, Will."
"Merci."
J'ai le cœur qui part en vrille, je crois. J'ai envie de l'embrasser. De lui dire que je l'aime. De le rassurer, d'une certaine manière.
"On va tremper nos pieds ?" il me propose alors, sortant soudainement du contexte. Ca a le mérite de me refroidir - heureusement.
Il attrape de nouveau ma main. Notre après-midi passera avec une rapidité surprenante, entre les rires, les moments de complicité à faire chavirer mon cœur, et la longue balade au bord de la mer, nos mains liées sans décréter un sens particulier à ce geste.
Puis on a repris la voiture. On s'est arrêtés sur le parking de son bar. Il a coupé le contact. J'allais sortir - il m'a attrapé le bras pour m'arrêter dans mon mouvement.
"Merci pour aujourd'hui," il m'a dit, avant de venir déposer un bref baiser sur la commissure de mes lèvres.
Je suis resté un peu con, avant de lui sourire. Ca a semblé lui satisfaire, puisqu'il est sorti de la voiture, et m'a raccompagné jusqu'à ma moto. Un simple au revoir, et j'étais de nouveau sur la route, seul, et une mimique probablement stupide accrochée au visage.
Lulu est trop chou
Eliott est trop chou
Julian, qui demande l'accord du meilleur ami de sa chérie avant de la demander en mariage, est trop chou
Damien... COMBO BREAKER è.é
Je trouve que Will est vraiment arrivé au bon moment dans la vie de Lukas, il est temps que celui-ci se détache de Kir qui fait sa vie de son côté. et bien sur, Lukas est arrivé au bon moment dans la vie de Will... enfin, quelques années plus tôt, ça aurait été mieux, peut-être... mais c'est pas trop tard ! Ils sont trop touchants tous les deux <3
Merci de ton commentaire <3