Chapitre 7

Par Perle
Notes de l’auteur : Pas de trigger warnings pour ce chapitre, et ça va durer quelque temps !!

Je suis réveillée par la lumière du jour sur ma joue, brûlante. Je me retourne dans un demi-sommeil, m’empêtrant dans les draps. J’ai une lourde douleur dans les jambes, qui m’empêche de me lever. Je patiente. Au bout d’une heure elle s’estompe. En m’appuyant contre les murs du couloir, je vais prendre ma douche. Hier j’ai parlé avec Rose : je ne peux pas aller mal. Il faut que ça dure un peu, le bonheur qu’elle m’apporte.

 

Alors que je boutonne ma chemise, je reçois trois messages de Rose : « J’arrive plus tôt que prévu, dans une heure, mais c’est de la plus haute importance ! », puis « si tu as cours sèche », et enfin « j’espère que tu as bien dormi ». Le dernier me fait sourire mais les autres font battre mon cœur très vite. Je me demande ce qu’elle veut me dire. J’ai encore un peu de temps avant de savoir. Il faut que je m’occupe. Malgré la tension lancinante dans mes jambes, je décide de faire du ménage. Je lave les grandes vitres de ma chambre. Éléphant flotte derrière moi – en plein jour elle ne sort pas. Parfois elle s’approche puis recule dès que je me tourne vers elle, j’ai l’impression de jouer à un deux trois soleil. Elle me distrait comme elle peut. Elle me surprendra toujours. Plus que son intelligence, son immense sensibilité me fascine. Elle ne peut pas me regarder, elle ne peut pas me parler : pourtant elle communique avec moi puissamment. Ce qui nous relie est plus fort qu’un cri, plus beau qu’un clin d’œil (ce qui nous relie c’est un cœur).

Je m’assois dans la cuisine pour attendre et regarder le paysage. Ce qui nous relie c’est un cœur. Soudain je pense :

« Peut-être que c’est cela. Peut-être qu’Éléphant c’est ce que je ressens. Et s’il y a seulement Rose, qui a aussi un animal, c’est peut-être ce qu’on éprouve l’une pour l’autre. C’est peut-être une manière de nous lier plus intime que tout. »

Je m’en veux aussitôt. Nous nous connaissons depuis à peine une semaine. Elle ne peut pas être aussi importante. Elle m’est précieuse et elle me rend heureuse, mais beaucoup de personnes me rendent heureuse quand je ne coupe pas totalement les ponts avec elles parce que suite à l’apparition d’images monstrueuses je ne peux plus sortir de chez moi.

 

On frappe à la porte. Je cours ouvrir. Rose entre aussitôt, et derrière elle Céphée aussi. Elle me serre contre elle et me demande si je vais bien, mieux depuis hier. J’acquiesce. Elle se contente de cette réponse. Nous nous installons au salon, et je ramène mon ordinateur car elle déclare que c’est nécessaire. Elle s’enthousiasme :

– Estelle c’est vraiment incroyable ! Tu vas voir.

Elle lance la vidéo où on voit Éléphant voler entre les immeubles, et descend pour lire les commentaires.

– Regarde ! s’écrie-t-elle en m’en désignant un, aimé par plus d’une centaine de personnes.

Je me penche pour mieux lire. Il est écrit :

 

« Je crois que c’est là que je pourrai recevoir de l’aide… Je m’appelle Kévin et j’aimerais rencontrer la personne qui a pris la vidéo, ou quelqu’un qui connaisse cette méduse. Je sais ça semble fou, mais moi aussi, une tortue de mer est apparue dans mon appartement. Ça ne me dérange pas, elle est très calme et j’adore les tortues (c’est mon animal préféré !), mais elle est géante, sans yeux, et surtout je ne sais pas d’où elle sort. J’ai besoin d’aide. Voici une photo d’elle si ça peut être utile (et pour m’assurer qu’elle est bien réelle, que vous pouvez la voir aussi) »

 

Le dénommé Kévin joint en effet une très belle image d’une tortue immense, qui surplombe une table. Sa carapace est entourée d’un large anneau identique à ceux de Saturne, fait de roches nombreuses. Elle m’émerveille. Rose me donne un léger coup de coude pour que je continue ma lecture. Sous le commentaire de Kévin, une dizaine d’autres se déroulent, chacun racontant qu’il lui arrive la même chose, avec chaque fois des animaux différents. Je n’en crois pas mes yeux. Je me tourne vers Rose, éberluée, et balbutie :

– Donc… on n’est pas les seules ?

Elle fait non de la tête, un grand sourire déchirant son visage :

– Non ! Il y a plein d’autres gens ! Ils ont l’air d’avoir notre âge d’ailleurs, mais le genre n’importe pas. C’est à peu près la seule conclusion que j’ai pu tirer de tout ça.

J’efface vite l’amertume légère qui teinte mon esprit (nous ne sommes pas âmes sœurs, âmes célestes).

– C’est génial ! Il faut qu’on se rencontre. Plus on sera plus on saura.

Rose m’approuve.

– Et tu sais si c’est seulement ici ? En France ? Ou à l’étranger aussi ?

Elle hausse les épaules et cherche. Nous découvrons deux vidéos de mauvaise qualité, l’une d’un immense serpent en Corée, et l’autre d’une raie en Éthiopie. Nous espérions trouver plus de résultats, mais en fouillant dans les commentaires, nous découvrons de nouvelles personnes qui évoquent en anglais l’apparition d’animaux géants chez elles. Nous errons pendant une heure sur Internet en quête d’autres personnes qui partageraient notre expérience. Quand nous nous arrêtons, c’est seulement pour dire :

– Il faut qu’on entre en contact avec eux.

D’une même voix.

– Mais comment ? interroge Rose. On répond aux commentaires ?

– Non, fais-je en secouant la tête. On fait une vidéo, nous aussi. Avec Céphée et Éléphant. Et on donne rendez-vous aux gens qui habitent en France, quelque part.

Au fur et à mesure que je parle je me sens m’éclairer, je pétille dans les yeux de Rose. Elle réplique :

– C’est une idée géniale. Où ?

– Je suis sûre qu’Éléphant saura.

Il n’y a que Rose pour me suivre quand je fais autant confiance à une méduse. Elle ne rit même pas, elle hoche juste la tête.

– Ensemble on trouvera forcément la réponse à tout ça.

Elle est si déterminée qu’aussitôt je suis convaincue. Nous saurons tout bientôt (et peut-être même que je saurai tout, bientôt).

 

Rose doit rentrer chez elle. Nous avons décidé de tourner la vidéo demain et avons regardé un film ensemble. Il est un peu tard, un peu temps qu’elle retourne dans la chambre rose. J’aimerais bien qu’elle reste. Ce n’est pas que j’ai peur d’être seule. C’est autre chose. Elle met ses chaussures et me serre contre elle. Elle a beaucoup de force.

– C’était une bonne journée. J’espère que ça t’a fait du bien.

– Oui, vraiment. Toi aussi ?

– Moi aussi !

Elle monte sur le dos de Céphée. Le cerf tourne vers moi son visage étrange, aux orbites vides et aux bois immenses. Rose me sourit une dernière fois avant de partir. Elle me crie : « À demain Estelle ! » et ces mots suffiront à m’endormir ce soir.

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