Paupièresfermées sur le ciel, Darshan pleure sur son sort. La bulle develours noir portant la voûte céleste partage sa peine de cœur,sur elle ruissellent des astres fuyants accompagnés de traînéesscintillantes. Au milieu du désert Lybique, adossé au doigt dedieu, Darshan s'oublie, le temps passe, il accepte la morsure dusoleil dans l'espoir de réchauffer son cœur.
Lacoccinelle contrainte de quitter son jardin prépare sa diapause.L'hiver rôde, son lit l'attend dans la mousse sous des pétales defleurs fanées.
Juliefixe sa télé, elle regarde une série-fleuve dont elle a perdu lecours. « Tu ne rates rien, tu vaux bien mieux que ça, parcontre tu me sembles fatiguée, il faut que tu penses à prendre desvitamines » dixit Amélie qui reste pendue à son portable pourmaintenir son amie à flot. Elle, elle ne cherche qu'à fuir sadéception. Les dizaines d'épisodes manqués ne l'empêchent pasde chercher en vain dans le malheur de ces personnages torturés unparallèle réconfortant.
Lesoupirant souffle tout son soûl, la demoiselle panse ses sentimentsaprès s'être entichée du maladroit rêveur. Une larme ne fait pasune oasis, un glaçon au fond d'un mojito ne forme pas un iceberg surlequel se réfugier pour échapper à l'accablante chaleur d'unsoleil brûlant. Aux côtés de dunes dont chaque grain de sable seconsterne de vos choix il n'y a pas d'autre solution que se prendreen main.
Darshanvoit le désert fleurir sous l'averse. Julie renoue avec sonquotidien et accueille les brancards dans son service avec leur flotde patients. Le temps passe. L'un sans l'autre, ils sont tirailléspar un manque : un sentiment de gâchis. Jivan prie pour lesalut de son génie et partage avec lui ses prises le long duPeriyar.
Ensembleet pourtant si loin de l'autre, ils trompent l'ennui et leurssentiments. Il est là, le besoin impérieux de l'autre, l'incapacitéà s'oublier ne les lâchent pas.
Liqueurs et opiums ne suffiraient pas à mon sevrage après avoirété à son contact.
Je le sens, des années ne suffiraient pas à venir à bout de mesnuits sans songes. Mon rêve il est derrière les portes.
Julie part chercher l'électrocardiogramme dans la salle de dépôtdu service. Ses pas sont rythmés, sa marche militaire habituelle latransporte rapidement devant le local.
Faceà lui elle hésite, sa main doute, son bras s'avance lentement enfroissant sa blouse. Ses doigts fins se plient et de ses phalanges,elle frappe gentiment la surface de la porte et murmure :
Darshan, tu m'entends ? Est-ce que tu es là ?
Juliepatiente quelques instants, puis pousse la poignée avec le sourireniais d'une adolescente qui s'impressionnerait de par son ridicule.Julie récupère son appareil et reprend son service.
Darshanattise la braise du feu destiné à cuire leurs sardines. Friredu poisson : voilà le programme de la soirée.À cela il n'y a rien à ajouter, pas d'inspiration ni d'air ni dechansons pour le placide Darshan. La prunelle de ses yeux brilledevant le foyer.
Jivanassiste au départ, le ventre vide, de Darshan.
Tu veux faire un tour ?
On peut dire ça. Je veux tenter quelque chose. L'éternité est trop longue pour que j'y invite des regrets. Je t'emprunte de quoi écrire, je n'en ai pas pour longtemps.
Jivanne lui répond pas, tant la réponse est convenue et se contente deprendre le relais au feu.
Darshan écrit :
Nouset rien d'autre.
Toiet rien que toi.
Lesastres peuvent s'éteindre tant que je peux t'étreindre.
Jepourrais devenir muet si tel était ton choix.
Jesuis prêt à bouleverser la réalité, m'effacer n'est pas exclu,concevoir un monde nouveau non plus pour que l'on recouvre ce Nous.
Lesmots sont encrés : plus rien ne peut les effacer. Darshans'élance en enjambées vertigineuses jusqu'à son modeste cabanon àkayak. Ses lunettes rejoignent sa main puis la serrure du local.L'entrebâillement au pied de la porte s'allume et Darshan y glissesa déclaration.
Juliedans la salle de préparation voit jaillir de la fente de lapharmacie à morphinique, un papier dont les mots sèmentl'enthousiasme en elle. Mais elle s'y refuse. Ceci n'estque folie, je termine ma perfusion et je rentre, j'ai fait ma partd'heures supplémentaires.
Julies'engage sur le chemin pour rentrer, le mot serré dans sa main etcontre son cœur, elle marche au contact de la caresse estivale. Ellechange de trottoir et accélère en croyant vaguement avoir vu lachevelure ondulée du bohème de dos sur un banc. Trente mètres plusloin, elle court à la vue de Darshan, il porte à la main un paquetau ruban rouge. C'en est trop ! Il ne peut pas, iln'existe pas, je ne peux pas !
Auprochain croisement, il sort d'une voiture garée le long de la ruede Rungis. À peine est-il sorti du véhicule, qu'il pose genoux àterre et porte à hauteur d'épaule un petit paquet et son nœudrouge qu'il expose à la volonté de Julie ainsi qu'à la brise.
Lesannées forment des secondes, l'éternité se décline au pluriel etse bousculent dans de si petites vies. Le ruban de satin s'affole, ilne sait pas où donner de la tête au cœur du maelström. Lespossibilités défilent, les potentielles se bousculent à l'ombredes remparts haussmanniens.
Darshanreçoit la marque de dilection sur sa nuque. Un baiser pur, fraiscomme la rosée, l'a adoubé.
Sesyeux s'ouvrent, quittent les souliers de sa belle, remontent une robecrépue de la couleur de l'orange et larmoient au contact de sonregard perlé d'amour.
Ilsfont un pas vers l'autre. Julie prend le paquet et le tient derrièreelle puis fléchit en avant sous le poids de l'affection. Darshan sepenche vers elle et frôle de sa main le bras délicat qui s'élancevers lui.
Lecontact de leur corps éclipse tout Paris. Le trottoir se vide, lafrénésie des automobiles disparaît pour laisser la place. Il estimmense, leur amour les habillent d'euphorie, leurs sentimentstransis bouleversent l'ordre et réarrangent le monde avec plus debeauté.
Julieaime Darshan et Darshan aime Julie, ensemble ils conçoiventsecrètement la surprise de l'émerveillement quotidien.
Ilssourient, mais les dalles du trottoir de la rue de Rungis vibrentsous leurs pieds. Elles se fendent et laissent apparaître le linteaudu chemin de toutes les obsessions de Darshan.
Lelinteau s'accompagne d'une lanterne aux rayons pénétrants. Le boisest couvert de motifs à l'harmonie dépassant l'entendement. Saprésence dégage l'expression d'une force omnipotente. Darshanreconnaît l'accès vers son père qu'il a vu lorsqu'il a réaliséle mudrā. Julie est prise entre des feux contraires entre la peurface à un phénomène inconnu et l'aura apaisante que dégage laporte qui perce le trottoir et la tranquillité de la viemétropolitaine.
Lespassants s'arrêtent et observent, la circulation est à l'arrêt,les fenêtres débordent de curieux.
C'est mon père qui se tient derrière ces battants, explique simplement Darshan.
Tu veux certainement le rejoindre, répond Julie d'une voix voilée.
Je ne sais pas si je pourrais revenir.
Tu en as toujours rêvé, sinon tu ne te serais pas donné autant de mal pour me séduire... Ces mots sont prononcés sur le ton de la résignation sans qu'ils soient investis de conviction.
Darshanest traversé d'un rictus puis pose sa main sur l'éternel bois dupont menant vers l'éternel.
Père, je suis sûr que vous m'entendez, vous qui êtes omniprésent, vous connaissez mes sentiments plus que moi-même. Je vous remercie de m'avoir accordé ce dont j'avais besoin et non ce dont je rêvais, je fais ici le choix du sens et abandonne mes caprices. En faisant de moi un mortel, je vous prie de m'accorder la réalité d'un amour partagé avec l'intensité inestimable de chaque instant.
La stupéfaction n'a plus de limite pour Julie. Elle n'a pas le tempsd'aligner mots qu'un bruit sourd et puissant retentit. Il s'ensuitla chute de l'édifice de tous les enjeux qui ne laisse sur ce mondeaucune trace, pas même sa marque sur le trottoir de la rue Rungis.Un désintérêt fulgurant renvoie à leurs activités les passantsqui ne semblent guère avoir été marqués par les événements.
Il ne restent que le Bohème et ses deux pieds ancrés dans laréalité. Joint à lui, Julie gardera en tête cette part defantastique qui vient pourtant de disparaître. Ensemble ilsconvolent et composent avec la divine mélodie des aléas de la vie.
La terre tourne, les astres sont pris dans leurs cycles et çacontinue. Ne sentez-vous pas toujours cette distance qui se crée enfermant votre porte ? Y aurait-il une relève ?
Sobriété et grandeur ne sont quedes notions
La distance n'est qu'une histoire deperception.
Le plus beau des récits est uneanecdote.
Elle compose le quotidien, sans lesavoir on radote.
Tout autant de bègues que noussommes nous partageons ce goût commun exceptionnel pour l'affection.