Sous les yeux des jeunes aventuriers paralysés par la situation, le paladin réagit aussitôt et égorgea les créatures qui émergeaient innocemment de leur sommeil.
— Bougez-vous ! Nous devons vite les éliminer ! Lissandra, lance un flash !
Tremblant sous la pression de cette rencontre fortuite, l’élémentaliste s'exécuta avec le même sang-froid que sa coéquipière :
— Ô, Héméra... Bénis-moi de ta lumière divine et illumine l’obscurité de ces lieux... Lux Illuminare !
Le brutal éclat se diffusa dans l’ensemble de la pièce, révélant une bonne vingtaine de gobelins avachis par terre. Dans le feu de l’action, Clara décocha une flèche sur l’un d’entre eux. Malheureusement, celle-ci ne le tua pas sur le coup. Les hurlements du démon résonnèrent alors dans toute la salle et à travers les couloirs :
— GYAAAAAAAAAAH !!
— Putain ! C’est pas vrai ! beugla Artoria.
La responsable de ce chahut se sentait au plus mal à cet instant, les yeux écarquillés face à sa victime qui se tordait de douleur dans de légères effusions de sang noirâtre.
Cette scène catastrophique répandait peu à peu le doute et la terreur dans le cœur des jeunes aventuriers. Mais dans un élan de lucidité, Lissandra saisit une opportunité à prendre. Elle déploya sa voix avec plus d’intensité qu’à l’accoutumée :
— Re… Reculez tous !
Ses compagnons furent réactifs et s’écartèrent à la hâte au niveau de la ligne arrière. Tout en inspirant, elle tendit les mains en avant avec une grande concentration.
Je vous en supplie… songea-t-elle en priant les éléments.
— Ô, Gaïa... Bénis-moi de ta force destructrice et ensevelie mes ennemis sous une avalanche de roches... TERRA RUINAE !
Enveloppée d’un infime filet de poussière, elle abaissa les bras vers le sol, faisant aussitôt vibrer le plafond avec une puissante intensité. De larges blocs s’y décrochèrent soudain jusqu’à ce que la pièce s'effondre sur les gobelins dans un fracas détonnant. Son action fut brève. D’une efficacité redoutable.
Suite à ce revirement héroïque, un étrange ricanement résonna dans son esprit :
Ha ha ! Pas mal !
— Bien joué, Lissandra ! s’écria le groupe en saisissant leur sauveuse.
La jeune fille était rassurée de voir que tout le monde se portait bien. Cependant, une certaine confusion la frappa, que ce soit par cette voix intrusive dans sa tête ou bien les signes de faiblesse que son corps exprimait après les nombreux sortilèges qu’elle venait de lancer.
Malgré cet effluve de joie et les mines soulagées des aventuriers, Artoria gardait son sang-froid, les rappelant immédiatement à l’ordre :
— Restez sur vos gardes, il y en a peut-être d’autres...
Kevin avança alors avec prudence au milieu des gravats qui jonchaient le sol. La voie ayant l’air dégagée, il se tourna vers les autres en souriant :
— Vous voyez, ce n’était pas si terrible que ça !
Alors qu’il exprimait une assurance notable suite à cette victoire, les visages de ses compagnons se ternirent soudain devant lui. En observant leurs mines terrifiées, le guerrier ne put s'empêcher de regarder à son tour ce qui les effrayait tant. Et à sa plus grande stupéfaction, il aperçut l’abomination qui se tapissait dans l’ombre qu’il tutoyait. Tout d’abord silencieuse comme un chat, elle se présenta progressivement à lui, dévoilant sa carrure imposante et le tétanisant sous son aura démoniaque.
— Un… Un géant…
Sous ce bégaiement spontané, la créature attrapa le crâne du garçon et le décrocha du sol avec une facilité déconcertante.
— Que… Qu’est-ce que c’est ?! bégaya le paladin à son tour.
Sa taille avoisinait les deux mètres. Son visage était hideux. Sa musculature ridiculement tape à l'œil.
Lissandra ne réalisa sa nature qu’au bout d’un instant.
Non… C’est impossible…
En rejetant l’idée que ce puisse être le cas, elle répondit indirectement à la question d’Artoria :
— Un… Un hobgobelin !
— AAAARGH, AU SECOURS !! hurla le jeune aventurier en se débattant.
Lassé par ces gigotements désespérés, le démon écrasa son crâne d’une simple pression. L’écho propagé par ce geste brutal se voulut plus effroyable encore. Ses sonorités difformes brassaient la pièce d’un mélange de gémissements, d’os brisés et de cervelle broyée, clouant les camarades de la victime dans une impuissance totale.
Une fois le dernier soupir de Kevin rendu, il jeta sa dépouille sur le côté sans la moindre empathie.
— NOOON !!!
Folle de rage en apercevant le cadavre chuter sur les dalles crasseuses, Artoria se laissa emporter par ses émotions et chargea le hobgobelin sans réfléchir. En réponse à cette impulsivité soudaine, ce dernier l’accueillit dans une étreinte brutale et attrapa le bras armé qui le menaçait.
Un rapport de force s’installa entre eux deux, les immobilisant chacun avec une impressionnante ténacité. Mais dans un court battement, et sans que quiconque ne puisse réagir à nouveau, le démon brisa le poignet de sa nouvelle adversaire, tordant son gantelet par la même occasion.
Sous la pression contraignante et la douleur qui se répandait dans son bras, Artoria abandonna aussitôt l’épée qu’elle tenait en main.
— AAAARGH !
Son cri résonna dans la pièce, suivi d’un grincement de dents bien perceptible qui démontrait toute la souffrance qu’elle éprouvait.
Sans lâcher prise, le hobgobelin la souleva jusqu’à ce que ses pieds ne touchent plus le sol. À sa merci, il se mit à la renifler bruyamment de toute part, comme s’il cherchait à définir son genre. Une fois identifié avec certitude, il se débarrassa d’elle avec un coup de poing dans le ventre qui la projeta à l’autre bout de la salle.
Artoria enfin neutralisée, il ne tarda pas à regarder dans la direction des trois jeunes filles terrorisées qui stationnaient devant l’entrée.
L'apercevant approcher dans leur direction sans crainte, Clara finit par se ressaisir et décocha trois flèches à la hâte au niveau de son torse. Cependant, ces piqûres ne produisirent aucun effet notable mis à part l’enragé davantage.
Irrité par cette attaque spontanée, le démon se précipita aussitôt sur elle et l’agrippa par la jambe. Alors que la rôdeuse ne montra aucune opposition, il la frappa au sol avec une férocité extrême, brisant ses os dans un fracas qui l’était tout autant.
Le cri étouffé de Clara retentit à son tour dans toute la pièce avant qu’elle ne s’évanouisse. Un seul et simple coup eût suffi pour la soumettre à un état léthargique.
Observant la jeune fille étourdie par sa brutalité d’un air idiot, il la jeta vers un groupe de gobelins ayant survécu à l’éboulement. Tirés subitement de leur sommeil par les aventuriers, les petits démons la réceptionnèrent avec des gémissements de joie infâmes, remerciant ainsi leur congénère pour cette offrande inattendue. Inconsciente, Clara n’était plus en état de se débattre, laissant ces lâches arracher ses vêtements de cuir.
Que… Que font-ils ?! V-Veulent-ils l’achever ou bien…
Le corps de Lissandra ne répondait plus. Elle avait beau essayer de bouger, ce dernier ne voulait rien entendre à sa volonté. Elle était vouée à regarder ce qu’il se passait sans pouvoir agir comme elle le souhaitait. Les voir se comporter de la sorte lui rappela soudain l’anecdote terrifiante dont lui fit part cette même camarade sur les gobelins :
Est-ce que… Est-ce qu’ils vont la violer ?! M-Maintenant ?! Dans tout ce chaos ?! songea-t-elle en vivant cette scène comme un interminable cauchemar.
Située derrière elle, Nami montrait un état d’esprit similaire. Elle avait sombré dans le désespoir, tremblante, la tête entre ses cuisses et marmonnant :
— Je… Je ne peux pas… Ils sont… Ils sont bien trop forts pour de simples aventuriers comme nous !
Finalement, elle se releva avec précipitation, observant de nouveau la scène comme pour se rassurer de sa propre décision.
— Dé… Désolé !
Sur cette excuse spontanée qui en disait long, elle tourna les talons et s’engouffra dans le tunnel obscur par lequel ils étaient arrivés. Elle ne souhaitait pas les aider. Elle ne se sentait pas capable d’y arriver. La seule option qui s’offrait à elle était de s’enfuir quitte à abandonner ses compagnons.
Sa course maladroite résonna dans des échos distincts jusqu’à ce qu’un cri étouffé impose un long silence par la suite.
Pou… Pourquoi ? s’interrogea Lissandra avec une grande incompréhension devant cet abandon soudain.
Elle ressentait une forme de rancœur malgré sa gentillesse. Elle ne saisissait pas ce geste si lâche et si soudain qui ne faisait qu’empirer une situation déjà extrême. Cette remise en question fut tout aussi courte que le reste lorsqu’elle aperçut le regard noir du hobgobelin se plonger dans sa direction. L’élémentaliste savait qu’il la désignait comme la prochaine victime de sa liste. Mais avant que cela n’arrive, une violente migraine la frappa. Le destin semblait s’acharner sur elle et lui retirer toute opportunité, toute combativité quelle qu'elle soit.
Lissandra mit alors un genou à terre et serra les dents de douleur. Sa conscience s’altérait. Dans ce qui semblait être un évanouissement spontané, ressurgit au final une voix au timbre assuré :
— Pathétiques vermines...
Ses jambes ne vacillaient plus. Son corps avait repris ses droits. Il se releva dans une posture intimidante pour sa petite carrure. Ses yeux, quant à eux, ne représentaient plus rien de son innocence. Ils se voulaient à la fois sévères et effrayants. Cependant, personne ne pouvait le remarquer mise à part la créature qui lui faisait face.
Comme si le temps ralentissait, elle tendit ses bras vers lui un instant. Après une incantation muette, elle claqua des doigts avec un sourire carnassier.
— Aeris Inflammare !
Un intense jet de flammes submergea soudain le hobgobelin, vaporisant l’obscurité ambiante de la pièce dans des beuglements amplifiés :
— GYAAARGH !!!
Le démon, se montrant si fort et confiant jusqu’ici, se débattait comme une victime devant son bourreau. Sa chair flambait ardemment. Elle dégageait une odeur nauséabonde dans des crépitements infernaux. Néanmoins, cette attaque n’eut pas raison de lui. Il restait sur pied malgré toute la douleur qu’il exprimait.
Alors qu’il se consumait sur place, ce fut finalement Lissandra qui s’effondra au sol. Elle avait atteint sa limite.
Espérons qu’il n’y en ai pas d'autres...
— Ha ha… fit un rire saccadé un peu plus loin. Pas mal du tout...
La voix provenait de l’endroit où Artoria fut projetée. Celle-ci n’avait pas succombé à son étreinte brutale avec le hobgobelin. Se relevant avec difficulté, elle se rapprocha de lui en titubant, le bras ballant et encore sonnée par le choc de cette confrontation.
— C’est… C’est à mon tour, enfoiré !
Elle posa un genou à terre avec l’intention de lancer un sortilège. Cet acte irresponsable, au vu de son état, immergea le regard bleu de l’élémentaliste d’un intérêt soudain.
— Que fais-tu ? Tu n’es plus en état de te battre… supposa-t-elle avec un ton familier.
Artoria restait muette, mais le sourire qu’elle arbora soudain laissait à penser qu’elle prenait cela comme un défi. Elle rigola finalement, crachant une glaire gorgée de sang par terre.
— C’est ce qu’on va voir... mais avant de crever, j'emporterai cette saloperie de monstre avec moi !
Artoria imaginait ce démon responsable des troubles qui émergeaient de ce donjon. Elle était prête à se sacrifier pour régler le problème définitivement et sauver ses compagnons survivants. Cependant, il ne s’agissait que d’une idée préconçue. Cela ne reflétait qu’une nouvelle impulsivité aveugle de sa part.
Sans prendre en compte l’avertissement de Lissandra, elle commença à bredouiller une incantation :
— Ô, Héméra... Bénis-moi de ta lumière destructrice... entends mes prières et accorde-moi ta puissance... répands ta justice sur le monde et éclaire l’avenir de tes enfants... juge le mal et bannis-le à jamais de ces terres…
Les paroles singulières qu’Artoria exprimait rappelaient un vague souvenir à l’élémentaliste. Elle les avait déjà entendues quelque part. Cependant, ces mots reflétaient une maîtrise bien trop avancée pour un simple paladin.
— Lux... Dies... IRAE !
Sous cette incantation, un large cercle se dessina sous le hobgobelin. Les symboles qui parsemaient sa géométrie parfaite rayonnaient, illuminant la salle d’un éclat subliminal. Des vibrations frénétiques s'ensuivirent. Elles se faisaient ressentir dans toute la pièce, laissant présager le pire au point de penser que les lieux allaient imploser.
Le temps se figea de nouveau, dégageant un doux silence dans un chaos qui s’éternisait. Après ce calme dérisoire, un colossal faisceau de lumière jaillit soudain du cercle et pulvérisa la créature, projetant des monceaux de chair carbonisée aux alentours. Artoria prit le temps d’observer la disparition grotesque de son ennemi avant de tomber au sol comme une masse.
De son côté, Lissandra profita du spectacle avec un regard admiratif.
Cette jeunesse est toujours aussi idiote et prometteuse, songea-t-elle en ricanant devant l’incroyable puissance de cette novice aux portes de la mort.
Alors qu’elle pensait enfin pouvoir souffler, des petits gémissements démoniaques vinrent lui rappeler que le calvaire du groupe n’était pas terminé.
— Tsss…
Elle se releva tant bien que mal et se dirigea vers Clara, mais il était trop tard. Les gobelins avaient déjà commencé leur basse besogne en abusant de son corps.
Mmh… Lissandra pourrait y rester si je force davantage… Mais elle pourrait également récolter les lauriers de cette folie.
Le sort de la rodeuse lui importait peu, elle souhaitait seulement régler la situation avant de s’évanouir. Elle tendit alors la main vers eux avec nonchalance pour effectuer une nouvelle incantation instantanée :
— Ventus Secare.
Un large courant d’air pressurisé trancha la tête des petits démons d’un coup net et précis, les faisant taire dans les effluves noirâtres de leur propre sang. Sans montrer le moindre signe de joie quant à cette victoire éclair, elle posa un genou à terre, éreintée.
Voilà qui devrait suffire, mais…
Elle avait abusé de ses pouvoirs et en avait conscience. Prête à s’évanouir, des bruits de pas lourd résonnèrent soudain dans la pièce. D’un instinct alarmiste, elle tourna la tête dans la direction d’où provenait ces échos inquiétants.
Merde… Pas maintenant… Je vais…
Un second hobgobelin se présentait à l’endroit où le premier apparut. Mais à peine eut-elle le temps de le voir que sa conscience s’altéra de nouveau. Le visage de Lissandra reprit alors son expression naturelle et innocente.
J’ai… l’impression d’avoir dormi… pensa-t-elle en se tenant la tête.
Elle ne sentait plus son corps. Sa migraine et son état de fatigue était à son paroxysme. Elle ne voyait que des traînées de sang noires et de la chair calcinée aux alentours.
Que… Que s’est-il passé ?!
Désorientée, Lissandra aperçut finalement le démon qui se trouvait à quelques mètres d’elle. Elle pensait avoir affaire à celui qui brutalisa Artotia. Elle avait l’impression que sa perte de conscience ne dura qu’une fraction de seconde. Que rien ne se produisit pendant ce laps de temps. Et pourtant, l’état des lieux ne lui prouvait que le contraire.
Comme pour ignorer ce qu’elle venait de voir, elle regarda vers le couloir de sortie. Elle tentait de reprendre ses esprits, réfléchissant avec plus de lucidité et allant à l’essentiel :
Est-ce que... Artoria est vivante ?… Est-ce que... Clara va bien ?… Où est… Nami ?... Dois-je… fuir ?… Non... Je ne peux pas... Je ne veux pas...
Alors qu’elle se posait toutes ces questions, d’autres gobelins se présentèrent devant ses yeux éreintés. Ils sautillaient, jacassant et grimaçant dans un brouhaha constant.
Tous les espoirs ressentis par Lissandra pour cette nouvelle vie furent balayés en l'espace d’un instant. Sa vision se troublait progressivement, elle luttait pour ne pas s’évanouir de nouveau :
J’ai… J’ai sommeil… Non ! Ce… Ce n'est pas le moment !… Mais à quoi bon...
Une larme coula le long de son visage pâle. Ce sentiment distinct n'exprimait pas de la tristesse, mais juste une forme de résignation.
— Adieu… les amis…
*
Une voix grave et lointaine garda Lissandra éveillée :
— Le destin est vraiment capricieux...
Quatre yeux embrasés, tapissant l’obscurité du corridor, se rapprochaient avec une lenteur cadencée et menaçante. Elle pouvait entendre la lourde respiration d’une bête, peut-être celle d’un autre loup. Cette dernière se faisait de plus en plus forte, de plus en plus prononcée.
Malgré son état de faiblesse, l’élémentaliste envisageait encore le pire. Cependant, une lueur d’espoir survivait dans son esprit. Car cette voix, qui parvint jusqu’à elle du fin fond de ces ténèbres, lui semblait amicale tout simplement.