CHAPITRE 7
Au loin, une colonne incandescente s’élevait dans les airs, depuis la côte. Ils virent une deuxième explosion à proximité, avant d’en entendre le vacarme et d’en ressentir les effets. Imperturbable, le magicien scrutait les deux piliers de feu :
— Ils sont là. Ils viennent de détruire les deux forts qui encadraient l’estuaire. En moins d'une minute, on vient de perdre la moitié de nos défenses.
Fasciné et terrifié, Ander se demanda si cette attaque fulgurante était l’œuvre d’un seul sorcier. Dans l’air grondaient aussi les roulements des tirs de canons canamériens, ponctués d’autres explosions et de panaches sombres. Secoué, le jeune homme écoutait les explications de son impassible maître :
— Ils font exploser nos pièces d’artillerie restantes. Les Scoviens ont probablement placé des télékinésistes à la proue de leurs navires, pour dévier les projectiles. Ils ont toujours la même stratégie pour détruire un bâtiment : Plusieurs radiants - des pratiquants de la radiance - unissent leurs pouvoirs, créant une chaleur intense sous les fondations. Cela fait exploser la structure. Mais l’effort est tel que ces radiants en sortent exténués, incapables de continuer la bataille. Pour l’artillerie, c'est probablement plus simple, ils leur suffit d’invoquer une flamme dans le baril de poudre de chaque canon. L’effort magique ne coûte presque rien. Pour tuer un arquebusier, c’est la même méthode en enflammant la poire à poudre de sa ceinture.
Ander eut un frisson d’horreur en imaginant l’agonie des pauvres arquebusiers, et il réprima un haut-le-cœur. Il pensa à sa sœur bloquée dans son école, sans protection, et à son père expédié au port pour combattre l'incendie. L'angoisse le saisit. La rumeur des cris de la populace ne cessait d’augmenter. Les explosions et les pluies de cendres se multipliaient, maintenant illuminées d'éphémères lueurs bleutées. Pitare ne put s'empêcher de commenter ce nouvel élément, sans se rendre compte que le jeune homme était au bord du désespoir :
— Ils ont déjà débarqué. Les télékinésistes ont dû unir leurs efforts pour propulser rapidement leurs navires sur les quais où nos hommes affrontent les Scoviens. Comme l’infanterie et la cavalerie ne disposent pas de poudre, la manœuvre pour les radiants consiste à les électrocuter à distance, d’où les lueurs bleues.
La scène ressemblait à un orage sans précipitations. Le ciel s'assombrissait, les explosions rappelaient le tonnerre, et la base des nuages de fumées changeait de couleur au gré d'une métamorphose stroboscopique, belle en d'autres circonstances. Ander observait les tentacules de ce gigantesque amas céleste pénétrer les rues, gagnant en longueur, en volume. L'odeur de brûlé atteignit ses narines, anéantissant ses derniers remparts de raison. Il s'élança dans la rue, seulement guidé par l'envie de retrouver et sauver sa sœur. Pitare, obnubilé par le paysage chaotique, mit quelques secondes à se rendre compte du départ du jeune homme. Il s'élança à sa poursuite en criant :
— Ander, NON ! REVIENS !
Dans les rues saturées de bruit, de peur et de fumées, c'était l'effervescence : citadins courant en tous sens, enfants pleurant, cavaliers au galop surgissant des carrefours, chariots bloqués par la foule et tentant de forcer les passages… D'autres gens se barricadaient chez eux, tentant d’effacer la guerre. Tout le monde se plaquait un tissu sur le visage pour ne pas s'asphyxier. Pitare slalomait entre les pauvres gens, essayant de ne pas perdre de vue son protégé se ruant vers l'école de Tiana. Bientôt, Ander dut stopper sur la place du marché car, de l'autre côté, le combat faisait rage. Les soldats de Danecan tentaient de bloquer l'avancée des Scoviens affluant depuis l'avenue du port. La différence entre les deux armées était absolue : Canamériens en armures, vêtus des couleurs rouges et blanches de leur pays, se défendant avec épées, hallebardes ou arquebuses. En face, Scoviens arborant tenues légères bleues et noires, dépourvus d’armures, voire d’armes pour la plupart. Pourtant, l'armée de Danecan reculait, harcelée par un déluge de foudre et de feu. Des soldats étaient propulsés en l'air, cambrés à s'en briser les vertèbres, parcourus de spasmes et de lueurs bleutées. D'autres couraient en hurlant, la tunique en feu. La place du marché sentait la chair grillée, la terreur et la mort. Ander allait reprendre sa route, quand une main ferme agrippa son écharpe. Il se débattit et tenta de se dégager avec furie.
— Ander ! C'est moi, Pitare ! Arrête !
L’adolescent reconnut enfin le magicien se protégeant de son autre main, inquiet d’une fulgurance incontrôlée de son élève. Pitare ordonna :
— Viens ! On retourne là-bas ! On fuira dans la forêt !
— Non, pas sans Tiana !
— Pauvre fou, tu vas te faire tuer !
— Tant pis, j'y vais !
Ander se dégagea, puis se jeta de nouveau dans une course effrénée. Le biomancien se rua à sa suite. Les Scoviens se rapprochaient, continuant d'écraser les Canamériens, réduits à de petits groupes, dans un combat de rues. Ander assista même à d'éphémères corps-à-corps. Il faillit trébucher maintes fois sur des cadavres, intacts ou carbonisés, dont l’atroce odeur se mêlait aux fumées âcres et toxiques qui infiltraient ses poumons. Un éclair fusa au-dessus de sa tête. Attaque ou sortilège perdu ? Peu importe, l'école de Tiana n'était plus très loin. Encore une rue. Il atteignit le carrefour, et s'arrêta net.
Les yeux exorbités, la poitrine en feu, il tomba à genoux en hurlant.
L'école n'était plus qu'un immense brasier...
Tiana… Nooon… Pitié…
Ander, anéanti, s’écroula. Plus rien n'avait désormais d'importance. L’idée de sa propre mort l’effleura. La ville entière ne serait bientôt plus qu’un charnier. Les larmes inondèrent son visage, sa tunique. Tout autour, il entendait en sourdine les échos de la guerre : explosions, cris, éclairs... Mais le silence en venait à bout. Ses sens déclinant, secoué de spasmes, il sombra dans une quasi-inconscience.
Des bras le saisirent et le secouèrent :
— Ander ! Réveille-toi !
Il devina un visage flou au-dessus de lui.
— Ander, allez ! Reste pas là !
La forme lui plaqua une main sur le front. Il sentit un fourmillement dans son crâne, qui lui stimula l’esprit et la conscience. Revenant à la réalité, le jeune homme reconnut Pitare, dévoré d’inquiétude, qui assena :
— Filons d'ici !
Aidant Ander à se relever, le biomancien indiqua le parc boisé à proximité de l'école :
— On se cache là-bas !
Épuisés, ils se traînèrent jusqu'au lourd portail de fer entrouvert. Mais avant de l'atteindre, un soldat de Danecan en déboula, terrifié. Son poursuivant, un radiant scovien, surgit à son tour et propulsa un éclair mortel sur le malheureux. Ander et Pitare se figèrent. En les apercevant, l’ennemi sursauta. Il les interpella dans leur langue, sa voix rauque roulant les R :
— Un magicien Honkonien ! Quelle surrprrise !
Il s'approcha lentement d’eux, arrogant, faisant danser son tabard de velours noir bordé de bleu marine. Une dague battait sa hanche, tenue par un harnais de cuir usé par les batailles. Sa joue droite était entaillée, du sang maculant sa barbe. Pitare se campa devant lui, les mains imperceptiblement levées. Le radiant scovien éclata d'un rire méprisant :
— Tu es biomancien, Honkonien. Tunique verrte… Inoffensif…
— Laissez-nous ! Je veux juste emmener cet enfant en sécurité.
— Change ton prrogrramme, guérrisseurr. Tu vas me suivrre.
Pâlissant, Pitare temporisa :
— Je ne suis pas un sorcier compétent ! Je ne vous serai pas utile...
— Silence ! Nous manquons de biomanciens. Magie de femme…
— Laissez-moi mettre le garçon en sécurité, et je vous suivrai, tenta de négocier Pitare.
— Insiste encorre, Honkonien, et je tue le gamin. Tu n’aurras ainsi plus à t’en soucier.
Le Scovien leva la main en direction d'Ander, qui, sentant sa propre mort plus proche que jamais, eut l’impression que son cœur allait exploser dans sa poitrine. Paniqué, Pitare s'interposa, les bras levés :
— D'accord ! Arrêtez !
Pitare jeta un regard désolé vers Ander et lui chuchota :
— Sauve-toi, mon ami. Pardonne-moi...
L’immense soulagement d’Ander fut vite remplacé par une colère froide, un envahissant sentiment d’injustice. D'abord Tiana, ensuite Pitare... Son père, peut-être mort aussi. Il se retrouvait abandonné, seul, livré à lui-même. Qu'avait-il à perdre de plus ? Sa vie ? Elle n'avait plus de sens... Il refusait de se cacher, de fuir. Il voulait venger Tiana, Pitare, les victimes de cette guerre... Avant que son maître ne parte, Ander interpella le Scovien en désignant l'école en feu :
— Pourquoi détruire une école ? Tuer des enfants innocents ?
L'ennemi fut stupéfait, mais moins que Pitare, le sommant du regard de se taire. Le Scovien ironisa :
— L'enfant sans défense parrle ! Prrovoque ! Idiot, c'est la guerrre, ton école a rreçu un éclairr perrdu ou un soldat en feu !
Il éclata d'un rire gras. Sous le regard noir de Pitare le suppliant mentalement d'arrêter, Ander rétorqua :
— C'était l'école de ma sœur ! Vous l'avez massacrée ! Vous méritez de tous mourir, sales chiens de Scoviens !
Furieux, le radiant fit jaillir ses mains vers Ander qui, dérisoirement, se protégea de ses bras. Comprenant avec effroi que le garçon allait succomber, Pitare s'interposa. Tout alla très vite. Entre les mains du Scovien, la terrible lueur bleue enfla et fusa vers le thorax du jeune Palladim, qui se sentit subitement envahi de fourmillements dorsaux. Une partie de l'éclair frappa Pitare qui tomba dans un cri. Le reste du faisceau électrique s'enroula et tournoya autour des bras levés de l'adolescent, sans dommage. Hurlant de rage, le radiant tendit davantage les bras et redoubla d'effort pour pulvériser l'impertinent, qui luttait toujours plus contre l'énergie belliqueuse. Mais le tourbillon de foudre grossissait, inoffensif. Épuisé, en nage et les veines turgescentes, le Scovien peinait à maintenir son flux et paraissait sur le point de défaillir. Saisissant l'occasion, Ander retourna instinctivement l'anneau scintillant contre son ennemi. Dans un tonnerre et une lumière de fin du monde, le radiant décolla du sol, carbonisé, et s'écrasa quelques mètres plus loin.
Haletant, le jeune homme se précipita sur Pitare et plaqua l'oreille contre sa poitrine. Elle se soulevait à peine. Il lui cria dessus, le secoua, le gifla même, sans succès. Pleurant à chaudes larmes, il enlaça son maître et oublia le cours du temps.
Alentour, les résonances de la guerre s’estompaient. La fumée épaisse et âcre entourait encore Ander, toujours prostré depuis… Depuis quand ? Peu importait. L’adolescent attendait sa mort, résigné, l’appelant même de ses vœux pour mettre fin à sa souffrance, à sa solitude, à son désespoir. Il ne guettait même pas l’arrivée de son futur meurtrier, mais préparait mentalement la plus terrible des malédictions.
Du coin de l’œil, il aperçut un soldat canamérien à travers l’opacité des fumées. Le soldat, bien que blessé, dégageait des gravats pour extraire un civil et le mettre à l’abri. Cette vision secoua Ander. Comment pouvait-il attendre ainsi la mort et se laisser aller au désespoir, alors qu’il était sain et sauf ? A défaut de se battre, il pouvait agir pour les victimes, rendant ainsi hommage à son Maître.
Sa décision était prise, mais il fut coupé dans son élan par des voix ennemies qui se rapprochaient. Il se releva, traîna péniblement le corps de Pitare dans un buisson du trottoir pour le dissimuler, puis se réfugia dans le parc. À travers la végétation, il surveilla une maigre troupe Scovienne traversant le quartier avant de s’effacer dans une ruelle.
Soudain, dans son dos, un bruit insolite et un courant d'air frais le firent sursauter et se retourner. Mais rien, le parc était vide. Plissant les yeux, il devina une zone d’air se contractant quelques mètres devant lui. Une vision déformée comme à travers une loupe en suspension. Accompagné d’un étrange écho, un vent froid grandissant s'échappait de ces remous aériens, lui fouettant le visage. Il se tassa encore plus dans la végétation et attendit. Le phénomène d’abord insondable atteignit une taille humaine, l'intérieur de la faille sphérique devenant inexplicablement distendu. Dans un bruit de coup de tonnerre, une femme en fit irruption, chancelante, comme ivre. Elle s'écroula dans l'herbe du parc, puis s’ébroua en se redressant. Ander la détailla : La quarantaine belle et élégante, de longs cheveux blonds, vêtue d'une tenue blanche aux épaulières et baudrier argentés. Elle parut se concentrer, puis se tournant brusquement vers le fourré où se cachait Ander, elle courut vers lui. La panique le submergeait à nouveau quand elle écarta les branches :
— Ander !
Elle lui tendit la main.
— Ander, vite, venez avec moi !
Il hésita. L'inconnue n'avait pas l'air hostile. Mais comment pouvait-elle connaître son nom, son visage ? Cependant, sans préavis, elle lui saisit le bras et l'amena de force vers la bulle encore ouverte. Ander résistait plus par désir d'explications que par peur :
— Qui êtes-vous ? Où va-t-on ?
— À l'abri ! On parlera après !
— Et Pitare ! Attendez !
Trop tard... Leurs deux corps tombèrent dans l'énorme bulle en suspension. Ander vécut alors une incroyable et horrible sensation. Il eut l'impression d'être en chute libre dans un sablier géant, dont les parois reflétaient des images distendues et mouvantes du parc et d'un autre endroit qui ressemblait à une grande salle. D'abord nauséeux, les maux de tête suivirent. La femme à côté de lui était soumise au même calvaire. Le décor emmêlé et instable s'équilibra, Ander ralentit et retrouva une progressive pesanteur normale. Il orienta ses pieds, sans succès, vers le carrelage soudainement apparu, et s'étala sur le sol dur et froid en percutant la femme. En se redressant, il fut soumis à un violent tournis. Son estomac se retourna, déversant son contenu sur le sol immaculé. Paralysé par ses vomissements spasmodiques, il fut incapable de regarder autour de lui. Il perçut malgré tout une voix d’homme :
— Enfin le voilà…
CHAPITRE 8
— Allons-y, emmenez-le. Occupez-vous aussi de Ligi et d'Anisha.
L’ordre inflexible de l’homme fit cesser le brouhaha d'une dizaine de voix inconnues d’Ander. Engourdi par les dalles froides du marbre blanc, le jeune homme se sentit soulevé et allongé dans un brancard par des bras puissants. L’effroyable tournis et sa fatigue l’empêchaient encore d’ouvrir grand les yeux, mais de brefs coups d’œil entrouverts lui firent deviner un étrange environnement. Son brancard semblait léviter et avancer seul, sans l’aide des silhouettes d’hommes qui l’encadraient. Deux autres brancards contigus progressaient en flottant dans l’air. Après une série de couloirs faiblement éclairés par d’exotiques lampes, il fit irruption à l’extérieur, sous un ciel crépusculaire couronné de l’ombre d’imposants bâtiments. On le fit entrer dans l’un d’eux et transporter jusqu'à un lit, soulageant enfin son corps meurtri. Des mains chaudes et douces se posèrent sur sa tête, dissipant peu à peu son malaise grâce à une sensation similaire aux soins de Pitare.
Vertiges et nausées ayant enfin disparu, il parvint à maintenir les yeux ouverts. Une femme brune lui souriait. Ander allait lui parler, mais elle retira ses mains pour s’occuper, juste à côté, de la femme qui l'avait fait voyager dans l'étrange bulle. Tout autour, d'autres lits étaient alignés. Il étudia cette immense salle qui ressemblait à un hôpital au sol carrelé de blanc, encadré de murs de pierres claires s'élevant très hauts et soutenant une coupole décorée de mosaïques. D'imposantes fenêtres en ogive laissaient les dernières lueurs du jour caresser les lieux, peinant à réchauffer un air suave où pointait une odeur d'encens. Autour des alités, des femmes s'affairaient, toutes engoncées dans la même tenue : robe verte à manches longues et col montant, ourlé de blanc. Un étrange symbole triangulaire ornait tous ces uniformes.
En retrait, deux gardes impressionnants, tout d’un blanc argenté vêtus, le veillaient. Plus loin, un groupe d'hommes et de femmes – aux uniformes assortis – chuchotaient, lui jetant des regards furtifs. Constatant son rétablissement, l'un d’eux, grand, barbe et cheveux mi-longs grisonnants, se dirigea vers lui. Ander remarqua son sourire désolé, accentué par la profondeur du bleu de ses yeux. Sa riche tenue – finesse des liserés et ourlets, large collier et bagues scintillant, fine couronne d'argent gravée – indiquaient son importance. Ander eut une impression de déjà-vu…
Le personnage s'inclina :
— Bonjour Ander. Bienvenue à Oulane, la capitale de Kanera. Nous sommes ici dans le dispensaire biomancien royal. Nous nous rencontrons pour la première fois et, il y a peu, j'ignorais encore ton existence et celle de ta sœur...
— Ma sœur ! s’écria le jeune homme en se redressant. Elle était à l'école ! Je n'ai pas pu la sauver ! Je...
— Calme-toi, elle est ici avec nous, en sécurité, et ton père aussi.
Apaisé, Ander se sentit submergé par une houle de bonheur. S'il n'avait pas été aussi intimidé par cet homme, il l'aurait serré dans ses bras. L'étrange personnage continua :
— Deux de mes conseillers ont été missionnés pour vous récupérer, toi et ta famille, en Canamérie. Ligi, notre spatiomancien, a ouvert le portail vers Danecan et, forte de sa maîtrise de la biomancie, Anisha a réussi à vous repérer et à vous ramener.
Il lança un regard plein de fierté aux deux magiciens, récupérant de leurs dépenses magiques répétées dans les lits jouxtant celui d’Ander. Les questions se bousculant dans sa tête, le jeune rescapé évoqua d'abord son angoisse pour Pitare. L'homme se rembrunit :
— Hélas, nous ne savions pas. Ligi est sans force suite à l'ouverture des portails, et c’est le seul Maître spatiomancien assez compétent que j’ai sous la main. Impossible aujourd'hui de tenter quelque chose pour ton ami. Nous essaierons un nouveau sauvetage demain… S’il n’est pas trop tard…
Affligé, Ander se demanda par quel miracle Pitare pourrait survivre jusque-là. L'homme changea rapidement de sujet :
— Je ne me suis pas encore présenté. Je suis Kolyan Vélès, le Roi de Kanera.
Bien qu’impressionné par le titre et n'ayant jamais entendu ce nom-là auparavant, Ander ne fit rien paraître. Apparemment vexé, l'homme compléta :
— Je suis le frère cadet de Calicia Vélès.
Sans réaction de l'adolescent, Kolyan, de plus en plus mal à l’aise, expliqua :
— Calicia Vélès, ma sœur et légitime héritière du trône, a disparu de Kanera il y a des années. J'ai récemment appris qu'elle avait vécu incognito en Canamérie et y avait fondé une famille. Elle a probablement caché son identité derrière son diminutif...
— Cassie, souffla Ander, à l’unisson de Kolyan.
Cassie, sa mère ! Une princesse ! Il n'en crut pas ses oreilles. Son cœur s'emballant, il se redressa complètement sur le lit, fixant le Roi de Kanera :
— Vous… vous êtes mon oncle...
L’homme hocha la tête, son triste sourire s’illuminant un instant de joie.
Une heure plus tôt, Ander était désespéré, seul, pensant que toute sa famille avait péri. Sans nouvelles de sa mère depuis ses cinq ans, voilà qu'un étranger, Roi d’une terre inconnue, évoquait une parenté étroite avec elle. Il était en même temps excité, tourmenté et allégé d’un poids…
— Ander... reprit Kolyan, la voix tremblant d’émotion. Ta mère, Calicia, est ici, dans cet hôpital... Elle est... hélas… mourante.
Quoi ? Non, ce n’est pas possible…
Ses poumons lui semblèrent se changer en un bloc de roche, et une boule se forma violemment dans son ventre, réveillant sa nausée.
Sa mère disparue... enfin retrouvée... puis agonisante... D’abord tétanisé de stupeur, il s’effondra en pleurs, étranglé de sanglots. Le Roi de Kanera s'approcha, posant une main voulue réconfortante sur son épaule. Ander se jeta alors dans les bras de Kolyan et lâcha la bride à son désespoir. Sur la réserve un bref instant, l'homme lui rendit son embrassade malgré son statut, faisant fi de toute étiquette. Des larmes silencieuses glissèrent également de ses royales joues pour finir dans les cheveux bruns de son neveu.
— Nous devrions la rejoindre, murmura-t-il. Ta famille est auprès d'elle et ils se font du souci pour toi.
Soutenu par Kolyan, Ander s’engagea dans un large couloir, croisant le groupe d'hommes et de femmes de haut rang déjà aperçu les yeux braqués sur lui, avant d’atteindre une porte imposante. Un garde les fit entrer dans une riche chambre de soins où trônait un unique grand lit, entouré de fauteuils. Jord et Tiana en jaillirent, yeux rouges, mines sombres, pour serrer Ander dans leurs bras.
— J'ai eu si peur ! hoqueta Tiana, se soudant à son frère.
— Moi aussi petite sœur… Je suis… complètement déboussolé, souffla-t-il d’une voix chevrotante.
Silencieux, Jord, ses deux enfants collés à lui, embrassa le front de son fils. Le géant dissimulait mal sa culpabilité rétroactive. Ander l’étreignit avec chaleur en retour, montrant qu'il lui pardonnait tout. Puis il posa enfin les yeux, non sans difficulté, sur la femme allongée, inerte, dans le lit. Sa mère avait terriblement changé en dix ans d’absence. On lui en donnait trente de plus. Pourtant l'adolescent la reconnut instantanément. Il s'approcha, une main en contact étroit avec le collier d'or et la pierre bleue. Ce bijou n'était plus le dernier lien à sa mère, elle était là devant lui, en chair et en os…
Pour combien de temps ?
Calicia respirait difficilement, chaque inspiration finissait en un sifflement pénible. Où était passée son épaisse chevelure blonde désormais pauvre, blanche et terne ? Elle entourait désormais un visage émacié aux cernes cyanosés, à la peau tavelée de marques brunâtres. Ander toucha la joue si froide et transparente de sa mère où se dessinait un fin réseau de capillaires foncés.
Il l’observa longtemps, les traits crispés, agités de tics. Ses larmes coulant à flot s’insinuaient parfois dans sa bouche tordue, mais bientôt, les yeux froncés, il se tourna vers son oncle :
— Je ne comprends pas... Vous êtes capables d'ouvrir des portails, de détecter à distance, de soigner... Je ne sais presque rien de votre royaume, mais vous semblez maîtriser la magie...
Le jeune homme, haletant, le visage fou de douleur, pris une grande inspiration et cria :
— Alors pourquoi vous n'arrivez pas à sauver ma mère !
Jord et Tiana furent secoués d’une nouvelle crise de larmes. Abattu, envahi par l’empathie qu’il éprouvait pour son neveu, Kolyan répondit :
— Je suis sincèrement désolé Ander… la biomancie peut soigner les maladies et les blessures physiques, apaiser l'esprit aussi, mais reste inefficace contre les dégâts dus à certaines magies, surtout… quand ils ont été prolongés… pendant des années...
— Des années ! Que voulez-vous dire ? tonna le jeune homme.
Embarrassé, Kolyan se tourna vers Tiana et Jord pour trouver du soutien, mais eux aussi attendaient des explications. Ander insista :
— Par pitié ! Dîtes-nous ce qu’il s’est passé.
— Calicia a été… capturée par les Scoviens, peu après vous avoir quittés, il y a dix ans. Nous n'avons pu la délivrer qu'il y a trois jours.
— C'est... c'est horrible ! gémit l'adolescent.
Kolyan était livide :
— Je te jure que nous avons tout fait pour la libérer dès que nous avons appris sa détention. Des centaines d'escarmouches, infructueuses... Seul le contexte de la guerre en Canamérie a pu assez détourner l'attention des Scoviens pour qu'on réussisse. Elle n'a pas beaucoup parlé depuis, mais elle nous a rapidement révélé votre existence en Canamérie, votre maison à Danecan, et nous a suppliés de vous protéger tous les trois...
La haine d'Ander envers les Scoviens atteignit son paroxysme. Au contraire, Jord gémissait, en proie à une grande souffrance intérieure. Tiana pleurait toujours, en soutenant son père dont la carrure de géant contrastait avec cette rarissime démonstration de faiblesse. Kolyan continua, toujours ravagé :
— Elle a été torturée par la neuromancie… mais elle aurait résisté toutes ces années... n’aurait rien divulgué… Un vrai miracle...
— Divulgué quoi ? hoqueta Ander.
— Je l'ignore... C’est ce qu’elle nous a dit… Peut-être des informations sur nos défenses.
Bien qu’accablée de tristesse, Tiana demanda :
— Combien de temps… il lui reste ?
— Le lien entre un neuromancien et sa victime demeure très fort après des années. Le briser reste fatal. Le seul moyen de prolonger sa vie serait de la renvoyer à son bourreau… C’est bien sûr inenvisageable…
Une mort rapide ou une lente agonie…
Ander crut vomir. Une telle injustice le foudroyait. Mais il lui manquait encore trop d'éléments pour comprendre. Une rafale de questions assaillit Kolyan. Pourquoi avait-elle fui sa patrie ? Puis quitté Danecan ? Et sa capture ? Le Roi obtempéra en donnant des détails :
— Notre mère et se nommait Plimée, elle a vécu le même calvaire que Calicia, un emprisonnement en Scovia quand nous étions enfants. Nous étions anéantis, surtout Calicia qui était plus âgée que moi, mais plus fragile. La guerre faisait rage, et quand les troupes scoviennes ont franchi nos frontières puis approché notre capitale, Calicia a quitté le pays en secret. Bien que nous ayons repoussé nos ennemis, et tué leur Roi Valdo II, ma sœur n’est jamais revenue. Dix ans plus tard, nous avons réussi à libérer Plimée, dans un état similaire à celui de Calicia aujourd'hui.
Ander entendait parler de Plimée, sa grand-mère, pour la première fois. Plimée et Calicia avaient vécu le même drame, par les mêmes tortionnaires. Son imagination s’emballa.
Et si… cette malédiction s’avérait héréditaire ?
Kolyan continua :
— Je pense que Calicia a dû apprendre la libération de sa mère et a souhaité la revoir. Peu après, Valdo III, alors nouveau Roi de Scovia, m'a informé qu'il détenait ma sœur, dont je n'avais pas eu de nouvelles depuis dix ans. Un choc pour moi ! Il me proposait un échange délirant...
Ander se rappela des paroles de sa mère, liées à son départ. « Régler des affaires de famille... ». Elle ne les avait donc pas abandonnés. Kolyan appuya cette hypothèse en parlant de la relation très fusionnelle entre Plimée et sa fille. La nécessité pour Calicia de revoir sa mère avait été trop forte.
— Son enlèvement s’est sûrement produit en pleine mer Artique, commune aux trois pays, Kanera, Scovia et la Canamérie. Et son identité a probablement été découverte par la milice neuromancienne de Scovia.
Maudissant les Scoviens une énième fois, Ander posa des yeux humides sur sa mère immobile. Il aurait voulu la réveiller, l'embrasser, lui sourire, combler ce vide de dix ans avec mille questions... Le visage convulsé de chagrin, il serra avec précaution le corps frêle, sa joue brûlante rencontrant celle, glaciale, de Calicia. À ce contact, elle entrouvrit les yeux sur ce visage qu’elle n’avait jamais oublié. Voyant ses lèvres remuer, Ander rapprocha son oreille pour capter le faible murmure :
— Ander... Mon fils.
Il n'osait pas se relever ni la regarder. Immobile, il se contenta de s’accrocher à cet embryon de voix, de crainte qu'il ne s'échappe.
— Vous m'avez tellement manqué... Toi… Ta sœur… Ton père... Grâce à vous... j'ai supporté ces effroyables années.
Personne autour ne perçut l’échange si ténu. L'adolescent, tétanisé, buvait cette voix si douce que des années de séparation n’avaient pas effacée. Le visage d’Ander n’était plus que détresse.
— Je suis... si... vous ai abandonnés... pour… eu tort... Pardonnez-moi...
Il se serra encore plus contre elle, les mots étant superflus pour lui signifier son pardon, son amour. La voix de sa mère devint un souffle:
— Prends garde… un traître... Scovia… après toi... comme moi... comme Plimée... toi… le suivant... ennemis... veulent... ton pouvoir…
Ce furent ses derniers mots. Calicia n’était plus.
Peut-être que certains moments pourraient être étendus pour qu'on ait plus d'émotions qui passent. Par exemple, quand Ander fait face à l'école dévasté, ou quand il passe d'un état de "ma vie n'a aucun sens" à "je vais me venger" en 2 phrases. Il faudrait étoffer un peu plus le côté émotionnel de ces scènes-là, sinon on a l'impression de passer rapidement, comme s'il tournait la page en quelques secondes.
Je ne suis pas sûre d'être fan du doublement de r pour le roulement. Si on sait qu'ils roulent les R, comme tu le précises, pas la peine d'ajouter un deuxième r.
Je ne sais pas si c'est normal mais il y a des mots avec des lettres barrées?
"Engourdi par la froidure du marbre blanc des dalles" "froidure=Grand froid de l'hiver." Je pense que juste "le froid" serait suffisant.
"Les questions se bousculant dans sa tête, le jeune rescapé évoqua d'abord son angoisse pour Pitare. " Show don't tell. Tu racontes ce qu'Ander demande au lieu de rajouter une ou deux phrases qui permettrait de donner un rythme plus soutenu au récit et éviter le 'tell'.
Woah, les révélations et les émotions s'enchaînent.
Tu écris bien les scènes d'action et les dialogues mais pour les scènes qui devraient être chargées d'émotion, on dirait que tu essaies de passer par-dessus le plus vite possible. Ca donne l'impression d'un premier draft sur lequel tu n'as pas re-travaillé comparé au reste.
"Sans nouvelles de sa mère depuis ses cinq ans," et quelques paragraphes plus tard "Sa mère avait terriblement changé en dix ans d’absence." Peut-être que c'est parce que je lis en petits bouts et que ça a été expliqué plus tôt, mais elle a disparu il y a 5 ou 10 ans?
"Ander avait crié sa dernière phrase. " Encore une impression de tell au lieu de show. Tu pourrais finir la phrase en question avec un verbe de parole qui exprime le fait qu'il crie.
"Une rafale de questions assaillit Kolyan. Pourquoi avait-elle fui sa patrie ? Pourquoi avoir quitté aussi brutalement le foyer familial ? Et sa capture... ? Le Roi obtempéra en donnant des détails :"
"Kolyan parla de la relation très fusionnelle entre Plimée et sa fille. L’occasion pour Calicia de revoir sa mère avait été trop forte. Son enlèvement s’était sûrement produit en pleine mer Artique, commune aux trois pays, Kanera, Scovia et Canamérie. Et son identité rapidement découverte par les neuromanciens de Scovia."
-> Ce serait plus intéressant et plus intense en dialogue plutôt qu'en paragraphe expéditif.
Le chapitre est bien mais il y a quelques moments (que j'ai cité plus haut) où on a l'impression qu'ils ont été moins travaillé. Pareil pour le personnage du roi, il a l'air d'accepter tout ça (sa soeur disparu, retrouvé, un neveu et une nièce, la mort de sa soeur etc.) plutôt bien mais l'absence de dialogue et de descriptions de ses réactions émotionnelles rendent difficile l'interprétation du personnage.
Concernant le côté émotions, je vais étoffer oui, je suis d'accord.
J'aimais bien cet effet de doublement de RR, mais peut-être est-ce superflu
"Je ne sais pas si c'est normal mais il y a des mots avec des lettres barrées?" je vais corriger ça, c'est des reliquats de beta lecture
"Engourdi par la froidure du marbre blanc des dalles" "froidure=Grand froid de l'hiver." Je pense que juste "le froid" serait suffisant. >>> Ok je suis d'accord je change
"Sans nouvelles de sa mère depuis ses cinq ans," et quelques paragraphes plus tard "Sa mère avait terriblement changé en dix ans d’absence." >>> Depuis ses 5 ans et en 10 ans d'absence, comme Ander à 15 ans on est bon
"Ander avait crié sa dernière phrase. " >> Ok je vais changer
"Une rafale de questions assaillit Kolyan. Pourquoi avait-elle fui sa patrie ? Pourquoi avoir quitté aussi brutalement le foyer familial ? Et sa capture... ? Le Roi obtempéra en donnant des détails :"
"Kolyan parla de la relation très fusionnelle entre Plimée et sa fille. L’occasion pour Calicia de revoir sa mère avait été trop forte. Son enlèvement s’était sûrement produit en pleine mer Artique, commune aux trois pays, Kanera, Scovia et Canamérie. Et son identité rapidement découverte par les neuromanciens de Scovia."
-> Ce serait plus intéressant et plus intense en dialogue plutôt qu'en paragraphe expéditif.
>>>Ma première version était plus fournie à cet endroit, je vais tenter de faire un compromis
Merci beaucoup ! A+
Encore un bon chapitre, avec de l'action, des révélations.
Mais, j'ai trouvé que tu allait trop vite quand Ander pense que sa soeur est morte, que son père probablement, et qu'il était seul au monde. Plus d'émotions auraient étés un plus je trouve.
Ce qui me fait penser à l'ensemble du texte. Je trouve Ander sympathique mais peut-être gagnerait-il en profondeur si il était un peu plus torturé par ce qui lui arrive. Après tout c'est la magie qui lui a enlevé sa mère, il pourrait avoir quelque rancoeur...