CHAPITRE 5 et 6 : Menace imminente

CHAPITRE 5

 

 

Tiana arborait une arcade sourcilière tuméfiée. Elle leva vers son frère un regard rouge et humide, et devant sa stupéfaction, elle expliqua :

— C'est Donall, le petit frère d'Elisaé. Il m'a pourri la journée et m'a attendue à la sortie de l'école.

Une colère froide mêlée de culpabilité infiltra Ander, toujours muet. Elle reprit :

— J' me suis pas laissée faire, et il va s'en souvenir longtemps, son entrejambe aussi !

— Je suis tellement désolé, j’aurais dû me douter que sa famille allait vouloir se venger.

— Te sens pas coupable ! Elisaé t'a fait renvoyer, et elle a voulu te démolir la tête à coup de pavé, j’ai tout entendu hier !

— Va falloir que tu arrêtes de m’espionner, lâcha Ander, agacé, ce qui arracha un sourire espiègle à Tiana. On va devoir faire attention, Elisaé a aussi deux grands frères, ils pourraient intervenir.

— Qu'ils viennent ! On a d’jà étalé les autres ! répondit-elle.

— Ils sont plus costauds ! Je les ai déjà vus l’attendre à la sortie de mon école ! rajouta Ander. De vraies têtes de petite frappe.

Inquiète, l'adolescente fixa son frère :

— Et toi ! S’ils viennent te cogner ?

— J’vais plus en cours… Ils ne peuvent pas connaître mes projets, et je ne crois pas qu’ils prendront le risque de venir à la maison. T'inquiète, c'est toi qu’a un cocard !

La jeune fille toucha en grimaçant la bosse sanguinolente. Une lueur d'espoir dans le regard, elle questionna Ander :

— La magie peut me soigner ? T’en as discuté avec Pitare ?

Il raconta les prouesses du biomancien avec la patiente amputée des doigts. Il assura à sa sœur qu’avec un entraînement magique, elle aussi en serait capable, mais Tiana s’assombrit :

— Je ne peux pas aller chez Pitare. Si papa venait à le savoir...

— Je vais t'entraîner. Suis-moi, la rassura Ander.

Apaisée, Tiana sourit enfin. Une fois assis en tailleur face à face dans sa chambre, Ander lui expliqua tout ce qu'il savait : comment pratiquer la méditation, invoquer le frisson, la manière de lancer un sortilège... La jeune fille buvait ses paroles.

 

Ander était en train de travailler sa dissertation quand Jord rentra du travail, plus fatigué que jamais. L’adolescent resta planqué dans sa chambre même pendant le repas, de peur de se confronter à son père. Aussi Jord raconta à Tiana, pendant qu’ils mangeaient, comment il avait dû se défendre contre toutes sortes d'accusations lancées contre lui et son fils. Les événements de la veille avaient rapidement fait le tour de la ville : le maire et la garde étaient venus l’interroger. Sa main bandée avait attiré les regards. Tiana essaya d'adoucir son père en relatant l’avancée de la dissertation, sans succès. Le repas se termina dans une ambiance de marbre.

Le lendemain, dès qu'il entendit sa famille quitter la maison, Ander sauta de son lit. Lavé et changé, il déjeuna en vitesse, jeta un coup d’œil par la fenêtre pour vérifier que la voie était libre, puis sortit direction l'office du magicien. À peine avait-il fait quelques pas qu'il stoppa net : jaillissant d’un buisson, les deux grands frères d'Elisaé lui firent face, grimaçants de haine. Le plus vieux, un grand roux constellé de taches de rousseur, serrait les poings. L’autre, petit mais trapu, avait des bras puissants et noueux :

— On va t’péter la gueule, taré !

Paniqué, Ander marcha à reculons, cherchant désespérément un passant pour appeler à l'aide, mais la rue était déserte. Il devait gagner du temps :

— Elle m’a balancé un pavé ! J'ai fait qu’me défendre !

— Menteur ! hurla le rouquin.

— Elle m’a insulté ! A insulté ma mère ! rétorqua Ander.

Le gros costaud s'avança, de plus en plus teigneux :

— T’as explosé sa main !

— Je n’ai pas voulu ça, la magie s'est déclenchée toute seule ! protesta Ander.

— Maudit sorcier ! éructa le buffle, portant un coup terrible dans le foie d'Ander. Le souffle coupé, la bouche béante et aphone, il s'effondra sur le sol, plié en deux.

— Debout, déchet ! beugla son agresseur.

Perclus de douleur et nauséeux, un voile sombre tomba sur ses yeux. La brute lui envoya un coup de pied en plein plexus.

— Crève, vermine !

Il allait mourir sous leurs coups, rien ne les arrêterait. Au comble de l’angoisse, il tremblait, son cœur allait exploser. Impitoyables, ses agresseurs recommencèrent, encore et encore :

— Ça c’est pour Elisaé ! Ça pour le p’tit frère ! Ça pour ta sale magie ! Et ta sœur aussi va payer, on va…

Au bord de l'inconscience, Ander n’entendit plus rien. Aveuglé de larmes, il se contractait à l’extrême pour encaisser une nouvelle avalanche de coups, mais elle ne vint pas. Seuls le silence et le calme répondaient à ses gémissements. Était-il mort ? Ouvrant enfin ses paupières gonflées, il assista à du jamais vu : Le rouquin était quasiment immobile, figé dans son élan. Le trapu, lui, avançait son poing vers le dos d'Ander à une vitesse ridicule. De leurs bouches tordues s’échappaient des filets de salive en apesanteur, bavant comme les escargots qu’ils étaient devenus. Ander esquiva sans problème, et se traîna sur le trottoir malgré la douleur. Il prit alors conscience de son frisson magique, plus intense que d’habitude. Il tourna la tête vers ses agresseurs qui le regardaient, ahuris, leurs membres semblants toujours en suspension dans l'espace. Ander reprit son souffle, se massa le ventre et les côtes. Se relevant, il étudia ses deux adversaires au ralenti. Il toucha leurs bras, leurs visages, leurs cheveux... Les réactions étaient longues. Pensant à la riposte de Tiana sur Donall, il décocha un coup-de-pied dans les testicules des deux pantins abasourdis. Ils ne tardèrent pas à se rouler par terre, lentement, bras entre les jambes. Leurs plaintes sépulcrales s’étiraient. Satisfait, Ander les abandonna et reprit sa route. En quittant la rue, il sentit le frisson s'estomper. Alors les deux tortionnaires poussèrent enfin des hurlements de douleur et de dépit de leurs voix libérées du sortilège. Tentant de leur porter secours, des voisins perplexes affluèrent près des deux victimes, mais Ander était déjà loin.

Pitare sentit le jeune homme blessé et se précipita à sa rencontre :

— Ander !

— J’me suis fait attaquer… les frères de la fille…

Le magicien l’aida à entrer et l’installa doucement sur la natte. Puis le guérisseur posa ses mains sur la poitrine de l’adolescent et ferma les yeux. Le jeune homme sentit une irritation parcourir tout son corps, comme si un insecte fouillait ses organes. Pitare diagnostiqua :

— Rien de cassé. Par contre, des contusions, quelques légers saignements. Reste bien immobile.

L’« insecte » procéda par étapes : poumons, dos, intestins, cœur... À chaque stop, Ander sentait une chaleur qui le soulageait. Au bout d'une demi-heure, exténué, Pitare ramena les mains :

— Ça va mieux ?

Le jeune Palladim se redressa progressivement, puis assura :

— J’me sens encore un peu engourdi, mais ça va.

— Tes hématomes sont presque résorbés, demain tout cela ne sera plus qu'un mauvais souvenir.

— Merci beaucoup, Maître. Je vous paierai...

— Pas d’argent, fais juste en sorte de bien travailler ta méditation. On reporte ta leçon du jour, j'ai besoin de repos...

Pitare esquissant un mouvement vers son lit, Ander le retint par la manche :

— Attendez ! Je crois que j'ai encore lancé un sortilège… involontaire…

Inquiet, le magicien souffla :

— Je t'écoute.

Le jeune homme raconta en détail l’embuscade. Quand il décrivit le ralentissement du temps sur ses deux bourreaux, Pitare pâlit, puis s'exclama :

— Par tous les Esprits-sorciers du Panthéon ! Es-tu sûr que ça venait de toi ? Il y avait peut-être un autre magicien à proximité...

— C’était moi, j’ai senti le frisson. Quand le phénomène s'est arrêté, le temps a repris son cours normal, garantit Ander.

— C'est impossible, IM-POS-SI-BLE ! Et tu ne contrôlais rien ?

— Non, je me suis même aperçu du frisson à posteriori. Mais ça m’a sauvé la vie, ils m’auraient battu à mort…

Pitare s'assit lentement, essuyant une sueur glacée sur son front :

— Ça devient insensé ! Ralentir le temps est une faculté liée à la spatiomancie. C'est la plus complexe et la plus risquée des disciplines magiques, et le sortilège que tu as lancé est d'un niveau bien trop élevé pour un débutant, ou même pour la plupart des magiciens ! C’est trop dangereux !

— Pourquoi, Maître ?

— Les spatiomanciens sont capables de ralentir, stopper ou accélérer le temps. Ils sont aussi aptes à contracter, dilater ou plier l'espace, intimement lié au temps. Tu comprendras que beaucoup d'apprentis ont laissé leur vie pour s’y être essayés… Une légère désynchronisation temporelle suffit à entraîner la mort...

Ander était bouche bée. Pitare acheva :

— Ceux qui manipulent l’espace risquent le démembrement, voire l’implosion. Une téléportation mal aboutie, c’est la moitié du corps éparpillé à l'autre bout de la planète !

Terrorisé devant de tels pouvoirs et des risques encourus, le jeune Palladim demanda :

— Maître, vous voulez dire qu'il y a très peu de spatiomanciens dans le monde… ?

— Bonne analyse, dit Pitare en souriant. Les risques encouragent peu cette vocation. Le plus célèbre et le plus puissant des spatiomanciens se nomme – ou se nommait - Akinéour, j'ai étudié son histoire et son parcours à l'académie. Sa renommée lui a valu de rejoindre le conseil des mages d'Atartica.

— Il est encore en vie ?

— Si c’est le cas, il doit être très vieux maintenant, répondit le biomancien. Mais c'est un Scovien, à l'origine. Espérons que, s'il est encore vivant, il n'aide pas nos ennemis...

Ander imagina un instant des hordes de Scoviens téléportés par milliers dans les rues de Danecan. Le pouvoir de la magie s’avérait inconcevable et il mesurait l'étendue de son ignorance. Il voulut en avoir le cœur net :

— Maître, il y a d’autres disciplines ?

— Sept au total, tu en as déjà appréhendé quatre : La biomancie que je pratique. Tu as des dispositions pour la radiance. Tu as expérimenté contre ton gré la télékinésie sur la fille en lui brisant la main et la spatiomancie sur tes agresseurs. Plus tard, on verra les trois autres : transmutation, neuromancie et spiritisme.

— Pourquoi ne pas m’avoir parlé de tout cela auparavant ?

Le regard du Honkonien se fit sombre :

— Ander, il faut apprendre à marcher avant d’être capable de courir. Il faut savoir parler avant d’apprendre de nouvelles langues… Je n’aurais jamais imaginé que tu puisses brûler ainsi les étapes. Ce n’est pas l’ordre naturel des choses...

Ander tressaillit, une subite nausée lui retournant l’estomac. Pour la première fois, il eut peur de lui-même. Pitare compléta :

— À Honkone, quelle que soit l’école, il peut se passer de nombreuses années avant qu’un élève n’effleure seulement une autre discipline que la sienne…

Il se leva difficilement, comme si trente ans de plus affligeaient soudainement son corps :

— Je dois me reposer avant mon prochain rendez-vous, sinon je ne serai capable de rien.

— Oui, je comprends, s'excusa Ander.

— Mais je t'avertis, tu vas devoir absolument éviter toute situation dangereuse ou stressante à l'avenir. Tu m'as bien compris ?

— Oui, Maître.

— Reviens demain matin, nous reprendrons l'entraînement.

En sortant de chez Pitare, le jeune Palladim était bouleversé. Il ne savait pas s’il devait se considérer comme un surdoué de la magie ou un monstre, surtout après le mal qu’il avait involontairement causé. Les révélations du magicien, et sa réaction, étaient terrifiantes. Ander pensa à sa mère. Si elle avait été présente, aurait-elle pu l’aider ? Aurait-elle su ce qu’il se passait ? Avait-elle aussi vécu cette différence ? Il fut tenté un instant de demander à son père s’il avait eu vent de ce type de pouvoirs chez Cassie, mais il y renonça vite.

Une tension palpable agitant la rue coupa court à ses pensées. Soucieux, les gens marchaient vite, des groupes se formaient. Il approcha de cinq adultes fébriles et les écouta discrètement. Ils échangeaient sur leur possible départ précipité de la ville :

— … Je t’assure que c’est vrai ! Les crieurs sont en train d’annoncer partout la nouvelle !

 — La flotte scovienne au large de Danecan… La guerre… je n’arrive pas à y croire. Je pars pour Nouque sans tarder !

Le cœur d'Ander fit un bond. On y était.

 

 

 

 

 

 

 

 

CHAPITRE 6

 

 

Ander se hâta de rentrer, traversant des rues bondées de familles avec carrioles et bagages. Les étals de nourriture étaient pris d'assaut par ceux qui étaient déterminés à rester, au milieu des rondes incessantes de la garde civile. Des hommes clouaient des planches à leurs fenêtres, des femmes chargées de bouteilles s’approvisionnaient aux puits, leurs bruyants enfants contaminés par la tension ambiante. Des chariots remplis d’armes et de barils de poudre allaient et venaient, et leurs escortes bousculaient sans vergogne la populace sous tension. La chaleur de la journée exacerbait les odeurs rances de sueur et de peur. Sur la place principale, Ander fit une halte devant un crieur public martelant sans relâche son antienne apaisante:

"Oyez ! En ce jour de Jupiter de la sixième décade de l'an 1451, sous l'égide du conseil municipal de Danecan et selon le commandement de Notre Bon Roi Jorvassine, la guerre contre Scovia est déclarée ! Une flotte armée a été repérée et débarquera demain sur nos côtes. Il est demandé à toute la population de conserver son calme, et d’œuvrer dans l'ordre et la discipline. Toutes les dispositions sont prises pour repousser cette invasion, l'armée nous garantit une victoire sans dommage. La suprématie technologique Canamérienne vaincra les vieilles superstitions magiques scoviennes. Vous ne pouvez quitter la ville qu’en étant en possession d’un sauf-conduit délivré par la mairie. Le couvre-feu est instauré dès ce soir. Les écoles ne seront pas fermées demain et tous les élèves devront s’y rendre. Tous les conscrits sont convoqués à la caserne. Pendant toute la durée du conflit, le saccage et le vandalisme opportuniste seront sévèrement punis. Louons Notre Bon Roi Jorvassine et continuons à lui accorder notre confiance. »

L’adolescent s’éclipsa, écœuré par cette propagande. La population était prise en otage par l’aveuglement « du Bon Roi Jorvassine », qui, en persécutant les magiciens, et en mettant ses sujets en danger par excès de confiance, ne valait pas mieux que les Scoviens. Néanmoins, bonne nouvelle : La garde laisserait Ander tranquille, elle avait mieux à faire…

 

Une fois chez lui, il s'exerça à la radiance, jusqu'au retour de sa famille. Tiana avait bien sûr appris la nouvelle à l'école et Jord reçu sa réquisition comme pompier pour le lendemain. Une fois à table, l'adolescente confia son angoisse :

— Papa, pourquoi on ne s’en va pas de Danecan, comme beaucoup d’autres ?

— Nous ne sommes pas des fuyards ! T'as pas à t'en faire, le port est blindé de canons, y'a des arquebusiers partout ! Les Scoviens et leurs bateaux vont tous sombrer dans l’estuaire avant même d’atteindre le port !

— Même avec leur magie ? balbutia-t-elle.

Jord lui répondit par une grimace de dédain.

— Tu seras où demain, p'pa ? s'inquiéta Ander.

— Je resterai en ville, éloigné du port, te tracasses pas, souligna le père aux deux enfants, loin d'être convaincus.

— Pourquoi les scoviens nous attaquent, Papa ? demanda Tiana.

— Tu n’as pas encore appris ça à l’école ? Ça fait longtemps que Valdo III, le Roi de Scovia, provoque Jorvassine et revendique certaines terres Canamériennes. Et notre embargo sur tout produit magique a attisé sa haine. Sans parler des navires Canamériens mystérieusement disparus dans les eaux frontalières, ou des emprisonnements abusifs de nos concitoyens sur leurs terres. Mais avec leur projet de débarquement chez nous, le conflit est désormais devenu une guerre. Les fous…

Jord broya dans son énorme poing un quignon de pain rassis :

 — Ils ont perdu d’avance ! Technologiquement, nous sommes la nation la plus développée au monde !

 

Leur sommeil fut agité, comme pour la plupart des citadins. Au matin, fatiguée, Tiana se rendit à l'école malgré la menace, c'étaient les ordres. Jord rejoignit l'équipe des pompiers et Ander alla chez Pitare comme prévu. Mais dès qu’il le sentit approcher, le magicien le sermonna en déboulant de chez lui :

— Tu aurais dû rester chez toi ! La guerre est proche !

— Maître, avec ma famille absente, mon père mobilisé et injoignable, j’pouvais pas rester tout seul !

— Je refuse de prendre ce risque, je ne suis pas ton père ! Les usages chez moi à Honkone sont différents, pas question qu'un enfant soit loin de sa famille en temps de crise. La loi est stricte.

— On n’est pas à Honkone, et j’suis plus un enfant ! rétorqua Ander.

— Tu n'es pas majeur, espèce d'inconscient ! Les leçons de ces derniers jours ne t'ont pas suffi ? Tu veux prouver quoi ? Que ton courage et ton entêtement t’autorisent à braver le proviseur, ton père, la garde civile... et maintenant moi !

Surpris par la réaction du magicien, ses yeux s'embuèrent de honte :

— Excusez-moi, Maître. Je vous ai mis dans l’embarras, j'ai pas réfléchi...

— Bon... De toute façon c’est trop tard, tu es là, je n’ai plus le choix. Tu es probablement plus en sécurité avec moi qu’à l’école…J'ai vu qu'elles étaient restées ouvertes... C'est consternant...

— Ma sœur y est, s'alarma Ander.

Pitare secoua la tête :

— Jorvassine va regretter son aveuglement. Danecan est un avant-poste privilégié, nos soldats vont se faire écraser par les troupes scoviennes. Elles vont envahir rapidement la ville, et d'ici ce soir, Valdo III y aura installé un de ses généraux.

Ander n'en crut pas ses oreilles :

— Comment vous savez ça !

— Je connais leurs tactiques. Mon pays a subi un lourd conflit contre Scovia quand j'étais plus jeune. C'était une des raisons de mon exil. Mais maintenant je suis ici chez moi.

— Et s'ils s'en prennent à vous ! Vous êtes le seul magicien de la ville ! s’inquiéta Ander.

Le biomancien fit un geste évasif :

— Je sais me défendre. Au pire je serais recruté de force.

— Et mon père, ma sœur !

Ander était bouleversé. Tiraillé entre le besoin d’être auprès de sa famille ou de rester avec Pitare. Ce dernier tempéra :

— Les écoles sont loin du port, voyons comment évolue la journée, nous agirons en conséquence. On va en profiter pour t'entraîner. Y’a rien de mieux à faire...

 

 

Ander acquiesça et s'installa. Mais, préoccupé, ses performances magiques furent médiocres. Il finit par baisser les bras :

— C'est mauvais... à côté des puissants sortilèges qui se déclenchent malgré moi !

— J'imagine que c'est frustrant. Mais n'en sois pas si fier, tu connais les dangers, avertit Pitare.

Le jeune homme se leva et fit les cent pas dans la salle :

— À votre avis, Maître, je pourrais lancer des sorts des trois autres disciplines ?

— Tu le souhaiterais, Ander ? lança le magicien, incisif.

L'ambitieux adolescent rougit jusqu'aux oreilles, mais tenta de reprendre la main :

— Pardonnez-moi Maître, jusqu'à présent mes pouvoirs involontaires m'ont été très utiles. J’pourrais les utiliser contre les Scoviens !

— Sans contrôle ? Comme quand tu as blessé ton père et la fille ? ironisa Pitare.

— C'était pour me défendre ! Si j’fais face à l'ennemi, le danger pourrait provoquer les sortilèges ! On vaincrait grâce à moi !

— Ça suffit ! Tu pourrais mourir avant même d'avoir le sentiment d'être en danger !

Le biomancien fulminait. Le jeune homme était allé trop loin, et ses excuses furent balayées de la main :

— Ander, si tu persistes dans cette voie, je ne t'enseignerai plus rien !

Le jeune Palladim reçut la menace comme un uppercut et se ratatina sous l'avalanche de sermons qui suivit. Quand Pitare se calma, il consentit à révéler à Ander que son utilisation involontaire des trois autres disciplines était envisageable. Il en fit une rapide description :

— La transmutation permet au magicien de modifier, créer ou ressentir des éléments, des alliages, ou des artefacts, mais je vois mal comment cette magie plutôt artisanale pourrait t'aider en situation de crise. En revanche, les neuromanciens peuvent affecter les champs cérébraux : hallucinations, manipulations, télépathie, voire asservissement à haut niveau. Enfin, le spiritisme est la magie de la divination et de la prophétie. Les maîtres parviennent parfois à communiquer avec l'au-delà.

Ander en eut le tournis. Il se demanda si ses incontrôlables talents pourraient l'amener à communiquer avec sa mère, vivante ou morte... Mais Pitare le devança :

— Neuromancie et spiritisme sont des magies très dangereuses, presque autant que la spatiomancie. Violer la psyché, ou franchir les frontières du présent et du vivant, ça peut rendre… fou à lier... Alors je te suggère désormais de m'écouter et de mettre en pratique mes recom...

Le bruit d'une explosion fit trembler le sol et les murs. Ander et Pitare se plaquèrent au sol. Quand la secousse reflua, ils se précipitèrent dehors, où un terrifiant spectacle les attendait...

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Elka
Posté le 23/10/2020
Salut salut !
Je reviens ici pour un commentaire bien plus court puisque... je rejoins tous les points soulevés par MayPhoenix. J'ai vu que tu y as répondu, mais dis-toi que si on est (au moins) deux à tiquer sur pas mal de choses, c'est qu'il doit y avoir une façon de tourner la situation qui correspondrait mieux :) Son commentaire est très clair et précis, j'ai pas besoin de tout répéter.
J'insiste sur le point qui m'a vraiment gêné dans ce chapitre : l'absence de savoir théorique d'Ander. Que Pitare ne soit pas le meilleur maître qu'il aura, je trouve ça chouette. Néanmoins, c'est le premier qu'il a, et le premier magicien accompli qu'on découvre.
Pour toi, il est au moins certain qu'Ander devrait connaître les différentes disciplines de magie. Qu'il ne se rende pas compter que telle chose est une démonstration de spatiomancie ou autre, et que ce soit Pitare qui le lui apprenne, ça va. Mais il devrait avoir des bases solides tout de même.

Pour le soucis de tourner un peu en rond (c'est vrai que c'est répétitif : voir Pitare, méditation, Pitare se repose, conflit, réaction magique, voir Pitare, Pitare se repose...) je pense que tu devrais fusionner les chapitres deux et trois. Ne faire qu'une attaque qui dégénère, peut-être ?
Il faudrait une situation d'attaque, qui amène à une discussion avec Pitare avant d'embrayer sur le début de la guerre. Ca collera à ton premier chapitre dynamique et rythmé !

A bientôt !
Kevin GALLOT
Posté le 25/10/2020
Re !
Merci pour ton retour, oui Pitare ne s'attendait pas du tout à ce qu'Ander développe ces pouvoirs étranges, d'où son soucis de se concentrer sur la radiance et de ne pas dévoiler le reste (on est dans un pays qui déteste la magie) enfin c'est clair pour moi evidemment mais je comprends que ce soit obscur pour d'autres à ce moment. La suite peut expliquer ceci je pense.
Pour le fait de tourner en rond, c'est par soucis d'apporter des éléments au fur et a mesure surtout par rapport a la magie, pour ne pas noyer d'un coup sous les infos. Surtout que comprendre ce systeme de magie est la base pour la suite, néanmoins je vais tenter de revoir ça. Merci !!
MayPhoenix
Posté le 15/10/2020
Voici mon commentaire. C'est dans la lignée des chapitres précédents mais deux choses me chiffonent un peu: l'impression de ne pas avancer dans l'intrigue (même si la fin du chapitre 3 permet de s'attendre à ce que l'intrigue commence vraiment) et l'impression de tourner en rond pour l'apprentissage d'Ander par Pitare. Tu trouveras de plus amples remarques sur le personnage de Pitare plus bas.

J'espère que mes remarques ne te sembleront pas trop dures. J'essaie d'être le plus juste possible. Sinon, pour le positif, l'écriture est toujours aussi fluide! :)

Remarques sur le vocabulaire:
- Je sais que le langage familier est fait exprès mais ça me perturbe un petit peu dans la lecture, surtout quand l'article manque: "Peuvent pas connaître mes projets, y savent pas où on habite. " par exemple.

- "Par tous les sorciers du panthéon !" Attention avec le mot "panthéon" et ce qu'il signifie: à partir de l'étymologie grecque c'est "tous les dieux". Puisque je connais bien le domaine de la religion grecque, sache que "panthéon" en tant que temple dédié à tous les dieux est assez rare (il s'agissait plutôt, dans l'Antiquité grecque, de sanctuaires panhelléniques, c'est-à-dire des sanctuaires dédiés à un ou quelques dieux (jamais tous, les Grecs étaient plus complexes que les romains) mais qui accueillaient TOUS les grecs de toutes les cités). Est-ce que cela implique que la sorcellerie est une forme de divinité? Ou alors que certains sorciers sont si puissants qu'ils sont considéré l'égal de dieux? Y a-t-il des dieux et des religions dans ton monde, ou uniquement la sorcellerie? (Attention, religion et mythologie sont différents!) Ce sont toutes des questions qu'il faut te poser et considérer, pas uniquement pour le worldbuilding mais aussi parce que "panthéon" est un de ces mots qui, quand on connait sa signification et ce qu'il implique, peut cacher un pan entier de worldbuilding à ajouter ou à expliquer.

- "Spatiomancie" donc la magie de l'espace? Qui influence l'écoulement du temps? Ou est-ce que tu voulais plutôt utiliser spatio-temporel? Est-ce une magie qui influence sur le temps, sur l'espace, ou les deux en même temps? [PS: la réponse se trouve justee deux phrases plus loin dans ton texte, désolée, mais je t'ai laissée toutes mes pensées] Si les deux (temps et espace) sont des magies différentes, je te suggère chronomancie ou qqc comme ça pour le temps. Ou alors, si la magie est spatio-temporelle, trouve un autre terme parce que "spatiomancie" sous-entend l'espace uniquement.

Remarques sur le texte (forme, intrigue):
- Ander qui est menacé parce que qqn n'aime pas sa magie et ne peut pas le voir, pour qu'il provoque un autre acte magique pour s'en sortir et envenimer les choses, commence à être répétitif. On a ce genre de scènes à chaque chapitre, voire plusieurs fois par chapitre. Autre chose dans cette scène me dérange: jusqu'à présent à chaque fois, Ander sentait la magie grandir et exploser mais là, rien?

- "Maître, il y a d’autres disciplines ?" OK, alors à ce point de l'histoire, on sait qu'Ander a suivi l'apprentissage de Pitare depuis un moment, voire des années. J'imagine que Pitare lui aurait enseigné la théorie avant la pratique. COmment se fait-il qu'Ander ne sache pas une telle chose, qui semble être l'une des bases de la magie? Je comprends que tu essaies d'étendre ton univers et donner des explications au fur et à mesure, mais on a du mal à croire qu'à ce moment 1) Ander ne savait pas les différentes disciplines 2) qu'il n'ait pas déjà posé la question avec ses sortilèges inattendus précédents. Encore une fois, on a l'impression de tourner en rond avec l'avancement de l'intrigue et la découverte de l'univers. Peut-être qu'on peut apprendre les disciplines quand Ander utilise un sort inattendu au début et qu'il se dit "oh, un sort de [discipline]? Je ne devrais pas être capable de faire ça!" et qu'il en discute de suite avec Pitare au lieu de tourner en rond et de n'apprendre que des miettes. Une autre question me taraude depuis le presque-début:si c'est si inattendu qu'Ander puisse utiliser des sorts de plusieurs disciplines à une telle puissance, pourquoi Pitare ne fait-il rien? Ce serait moi, j'aurais déjà cherché à comprendre ou aider, ou envoyer l'apprentis vers qqn qui saurait mieux que moi (ce qui ferait aussi avancer l'intrigue). Et en finissant le dialogue, Pitare va de nouveau se reposer et demande à Ander de revenir le lendemain... C'est à croire que Pitare le fait exprès pour provoquer les sortilèges et causer une scène/catastrophe/évènement qui forcera Ander à agir, poser des questions, chercher des réponses, et faire avancer l'intrigue. On en est à 3 chapitres et j'ai l'impression qu'on est toujours au même stade qu'au début.

- "En sortant de chez Pitare, le jeune Palladim sentit dans la rue une tension palpable. Soucieux, les gens marchaient vite, des groupes se formaient. Il approcha de cinq adultes fébriles, échangeant bruyamment sur leur possible départ précipité de la ville. Il les interrompit :

— Excusez-moi, mais que se passe-t-il ?

— La flotte scovienne ! Au large de Grinlandia ! Rentre vite chez toi mon garçon !"

Ce paragraphe me dérange pour deux raisons principales: 1) malgré lé fait qu'il ait été en danger maintes fois à cause des gens qui le connaissent et connaissent sa magie, il va leur parler, ce qui est dangereux et contre les indications d'Ander d'éviter le stress. Il pourrait très bien entendre que Scoviens arrivent en écoutant les conversations sans intervenir. 2) A la description initiale, on a juste l'impression que les adultes discutent des deux adolescents qui ont été attaqués, ils sont fébriles, oui, mais on ne ressent pas la panique d'une attaque imminente. Et deux phrases plus loin, on apprend que les habitants préparent une fuite? Ajoute peut-être plus de détails sur la scène pour qu'on ressente le sentiment de précipitation et de panique dès le début. De plus, si des soldats arrivent et que les gens se préparent à la fuite, il y a plus urgent que de faire la queue pour la nourriture. On peut trouver de la nourriture sur le chemin, ou des vols renforceraient la panique mais il y a des contradictions dans ton texte entre des actions paniquées et des actions "normales" et civilisées.

- La guerre est déclarée? J'avais cru comprendre qu'il y avait DEJA la guerre depuis un bon moment, que le conflit était la raison du racisme anti-magie que subit Ander?

Je suis surprise qu'Ander soit resté tranquillement chez lui en attendant sa famille. Il aurait pu aller chercher sa soeur à l'école par sécurité? Jord est pompier? Ou c'est juste dans le contexte de la guerre?

Maintenir l'école en tant de guerre me parait assez... mauvais comme idée du gouvernement.

Remarques sur les personnages:
- Au chapitre précédent, Tiana ne voulait pas faire de la magie. Elle a déjà changé d'avis si vite?

- La réaction de Pitare est surprenante, même si c'est les habitudes de chez lui, il a une réaction assez violente et il passe d'un rejet presque agressif d'Ander à des excuses en 5 phrases. ....Est-ce vraiment le meilleur moment pour entraîner Ander à la magie? Je trouve que les choix de Pitare sont questionnables. Au lieu de sermonner Ander et ses questions (justifiées) il devrait lui enseigner correctement, ne pas menacer de ne plus l'enseigner...
"Quand Pitare se calma, il consentit à révéler à Ander que l’utilisation involontaire des trois autres disciplines était envisageable. Il en fit une rapide description :" N'oublie pas le "show don't tell"; là, tu expliques ce que Pitare est sur le point de dire. De plus, ce sont des avertissements qu'il aurait déjà dû partager avec Ander dès qu'il avait commencé à dévoiler ces sortilèges incontrôlables.


Toujours spécialiste du cliffhanger, à ce que je vois? ;)
Kevin GALLOT
Posté le 16/10/2020
Salut Mayphoenix, merci pour toutes ces remarques et tous ces conseils ! Pas de soucis pour l'aspect critique que tu emploies, je ne te jugerais jamais pour ça.
Jord est un père assez brut, d'où son langage familier.
Pour le panthéon, oui c'est volontaire, les Honkoniens ont une approche assez divine de l'origine de la magie, mais ce n'est pas plus développé dans ce tome. ça le sera dans les suivants.
Concernant la spatiomancie, oui l'espace est intimement lié au temps d'après la relativité générale d'Einstein, et dans mon monde, la magie suit malgré tout des logiques scientifiques dans certains aspects, dont celui-là. (comme la radiance qui crée des lumières d'abord rouges qui suivent ensuite le spectre visible pour la cohérence scientifique).
Concernant Ander, oui son dernier sort n'a pas été senti à cause de la douleur et sentant sa derniere heure arrivée. J'ai trouvé plus logique que quelqu'un roué de coups oublie le reste.
Pitare se concentre sur l'enseignement de la radiance, predisposition d'Ander. C'est une caracteristique Honkonienne de se concentrer sur une discipline en éludant les autres. Mais Ander étudie depuis peu en réalité.
Ander accoste les gens car ce quartier est éloigné du centre ville. la ville est très grande, tout le monde ne connait pas Ander. Les reactions de la population sont disparates, certains paniquent, d'autres ont confiance en l'arsenal Canamerien.
Le racisme antimagie est du a Jorvassine, le roi canamerien. La guerre n'etait pas declaree avant, je ne parlais que de tensions et de "conflit".
Concernant Ander qui reste chez lui et l'école, tes remarques sont décrites dans le chapitre suivant; bien vu.
Pitare a sa propre culture et réagit en consequence, c'est un asiatique, et ce n'est pas un très grand magicien. Ce n'est pas le meilleur des maîtres qu'Ander aura dans l'histoire. Il a ses defauts.
Merci pour tes pertinentes remarques, j'en tiens compte. j'espere que le chapitre suivant te plaira davantage, l'intrigue et l'action y sont plus rapides.
A+
MayPhoenix
Posté le 16/10/2020
Je vois que tu réponds à toutes mes remarques. C'est bon à savoir, en tant que lectrice, pour lire la suite, cependant, si j'ai de telles question et de telles remarques qui ont besoin d'éclaircissements et d'explications, peut-être faudrait-il que ton texte soit un peu plus détaillé pour que les lecteurs soient moins confus.

J'ai aussi commenté le chapitre 4 à l'instant! Bon travail!
sifriane
Posté le 05/10/2020
Salut Kévin,

Je suis d'accord avec les autres commentaires, ce chapitre est très bon. Les explications sont claires et on est pas submergé d'informations.
Ce que j'apprécie particulièrement c'est que tu vas à l'essentiel, pas de descriptions interminables où de fioritures.
Et cette fin de chapitre....Nikel
Kevin GALLOT
Posté le 05/10/2020
Salut sifriane, merci beaucoup ! Oui j'ai appris à aller à l'essentiel dans ce premier roman, j'ai beaucoup coupé pour donner cette version là. Très heureux que ça te plaise !
A+
Romiklaus
Posté le 13/09/2020
Ces fins... mais alors ces fins ! Ne nous laisseras-tu jamais nous reposer ? Continueras-tu sans cesse de nous tourmenter ?

Plaisanterie mise à part, j'ai vraiment apprécié ce chapitre, notamment la liste des différents types de magie et leurs caractéristiques. Le fait de diviser les explications à leur propos évite la sensation d'exposition et c'est agréable. En revanche, j'ai bien l'impression que la magie n'est pas si limitée que ça finalement. Les perspectives d'utilisation sont immenses ! Si jamais Ander arrive à toutes les maîtriser, il est clair qu'il deviendra inarrêtable.

De même, la bataille qui s'annonce (qui a déjà commencé devrais-je dire) m'intrigue énormément. Comment les Scoviens combattent-ils ? Combien de magiciens ont-ils avec eux ? Quelle est leur véritable puissance ? Qui de la science ou de la magie l’emportera ? Que de questions dont j'espère trouver les réponses dans les prochains chapitres.

Le "jour de Jupiter de la sixième décade de l'an 1451" révèle que le calendrier des Canamériens n'est pas le même que le notre. Cela m'intéresse et me force à me poser encore plus de questions.

Je lirai donc la suite avec grand intérêt !
Kevin GALLOT
Posté le 14/09/2020
Salut Romiklaus. Merci pour ce commentaire toujours aussi plaisant ! Oui j'ai volontairement divisé les explications sur la magie pour ne pas alourdir et noyer le lecteur, merci d'avoir confirmé mon impression. Pour les pouvoirs d'Ander, je ne dirais rien, au risque de spoiler l'intrigue principale du roman :D je te laisse découvrir, mais on aura jamais affaire à un gosse invincible, je te rassure. Les pouvoirs des mages peuvent être grands, mais toujours limités en "endurance".
A bientôt pour la suite !
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