Je me rends vite à l'appartement avant la tombée de la nuit. Je tente discrètement de me glisser dans ma chambre pour éviter de tomber sur les « sœurs infernales » et ce n’est pas une chose très évidente, ni facile. J’ai du mal à ralentir mes pas parce que je m’affaibli par la fraîcheur qui me fait incessamment trembloter et l'humidité de mes vêtements, encore trempés, défiant ainsi ma coordination et menaçant de me faire trébucher. Un acte qui risquerait paradoxalement d'attirer l'attention de mes chères colocataires.
Je suis buté des deux côtés.
Quelques instants après, je réussi tout de même à me retrouver dans ma chambre. Les cheveux davantage mouillés par le bain chaud que je prends après m'y être faufilé, le reste de mon corps perdu dans un peignoir à soixante-dix-neuf francs, tout droit sorti du marché opus, je suis pensif.
Angela et moi sommes restés à parler pendant une trentaine de minutes seulement mais ça me parut être une éternité et je souhaitais que cela reste comme tel. Nous rions de tout et de rien. Des bonnes vannes de notre enfance compliquée aux vicissitudes de notre quotidien actuel. Ce dernier a débouché sur la vie amoureuse de ma récente et nous avons fini par en parler. Un événement important la stressait énormément : son éminent mariage. Parler de ça m’a brisé un sourire que j’ai fini par retrouver quand j’ai eu l'opportunité inédite de la câliner. Angela était en proie au stress de son union et avait besoin de réconfort. J'étais là pour elle.
Telle que je l’avais toujours rêvé.
Plus tard, alors que la situation s’est décontractée et que nous étions sur le point de se prendre dans les bras à nouveau, elle a reçu l'appel d'un certain Jonathan, son mari. Ce dernier lui a dit qu'il était garé devant le portail du lycée et qu’il l’attendait. Le guignol a prétexté s’être déplacé pour venir sauver sa femme de la menace du temps. Il s’est pointé au bahut sous la pluie, jouant au romantique avec son tailleur italien, un bouquet de roses à la main comme pour signifier qu'il ne comptait pas vaciller sur le chemin de la conquête de sa promise - Du moins, pas avant que le mariage n’ait lieu – Angéla l’a rejoint et il l’informa d'un dîner en amoureux qu'il l’avait concocté dans le jardin de leur villa.
L'abruti de service !
Le temps était très favorable pour un instant romantique, en plus. Notre instant romantique à elle et à moi.
Je me suis contenté de rester à les observer depuis la fenêtre de la surveillance où Angela m’a laissée et supplié d'acheminer le trajet. C'était très contrariant et en un instant, les trente-trois minutes de complicité et d'euphorie qu’elle et moi avons partagée avaient disparus sous les piétinements des gouttes de pluie. Et, la vie a repris son cours.
…
- Hey ! Qu'est-ce que tu...
Les idiotes !
Alors que je suis en train d'essuyer le reste de mon corps embué par l'eau de ce bain qui m’a fait le plus grand bien – Le travail incomplet de ce peignoir bon marché - cette insolente de Gisèle et son ombre de sœur ont inopinément ouvert la porte de ma chambre comme si elles étaient venues pour me demander de leur rendre des comptes.
Ce n’est pas le moment pour discuter là, les filles.
Je me sens médusé par la honte et paralysé par la colère. Il n’a fallu qu'une poignée de seconde s'écroule pour que les deux sœurs prennent collectivement l'initiative de s'extirper de mon espace. Moi, je ne peux même plus réagir après cette scène. Je ressens comme une sorte de timidité intransigeante à la fois stimulée par le comportement rageur de Gisèle, qui a fait ses preuves à plusieurs reprises, et influencée par le caractère de mon corps désarmé.
Au salon, la tension est glaciale, presque givrée. On dirait que l'atmosphère habituelle s’est gelée et a fait place à un Iceberg qui fait de nous, impuissants, ses prisonniers. Personne ne parle plus. Soit nos bouches sont cadenassées par l'électrification frigorifique du moment, soit que les mots n'osent pas foulés le sentier du monde extérieur, restants ainsi agrippés aux gorges de toutes leur force. La seule chose qui est présente est la distance entre nous. Gisèle et Sabrina sont assises dans leur coin en me lançant de petits regards craintifs, insistants, espiègles, et moi tétanisé et embarrassé, je suis coincé sur mon bon vieux canapé au rebonds ruinés, à m'interroger sur la véritable nature de l’attention de ses deux damoiselles.
Sont-elles intimidées par la « vérité surprenante » qu’a révélée ma corpulence dévêtue ? Dégoûtée par la vérité insignifiante qui lui est légitime ? Ou alors, juste gênées d'y avoir été exposées ?
Mystère et boule de gomme !
Quoiqu'il advienne, je pense que mes prochains jours dans cette maison ne vont pas être forgés au même fer que les précédents.
Ça c'est sûr !
…
Pendant que je tente si bien que mal de m'endormir avec le souvenir idyllique de ma journée au lycée pour éviter de penser au fiasco qui s'en est suivi, une petite lueur laisse croître son reflet à l'opposé de ma chambre, détournant ainsi toute mon attention.
Quand je fais le pénible effort d'effectuer le réflexe d'un regard interrogateur en direction des lieux, la porte se referme précipitamment. Je vais vérifier s’il y a quelqu’un dehors.
Personne n'y est.
Ça doit encore être ces satanées souris.
« Bon, je vais me coucher. Demain, c'est le jour où j'ai le plus de classes à tenir ».
…
- Réveille-toi.
Mais, quelle est cette voix si plaisante qui tente de me sortir du sommeil ?
Dites-moi que c’est Angéla, s’il-vous-plaît.
- Réveille-toi.
- Gi… Gigi ? Mais, qu’est-ce que tu fais là ?
- Laisse-toi faire.
Cette cinglée de Gisèle essaie de me retirer le pantalon. C’en est moins un avant qu'elle ne réussisse à toucher ce qu'il ne faut pas toucher.
- Sors de ma chambre, Gisèle.
- Laisse-toi faire, Sébas, insiste-t-elle. Je ne te ferais rien de mal.
Mais, t'es folle ma vieille.
Bon, ce n'est pas que l'envie ne me prend pas. Au contraire, j'aimerais peut-être bien. J'en mourrais d'envie, je dirais même. Seulement, Gisèle n'est pas une femme très sûre pour moi. Que ce soit émotionnellement parlant ou même, et surtout physiquement. C’est le genre de fille qui aime à multiplier les partenaires sexuels et moi, je n'ai pas l'intention de prendre le risque de coucher avec elle.
Je peine à me retenir. Mais bon, quand on n’a pas encore connu de femme, s'abstenir n'est pas la chose la plus difficile à faire.
- J'ai dit, sors Gisèle.