Chapitre 7 : La couche

Notes de l’auteur : TW : relation sexuelle non consentie (oui, encore...)

 

La clairière chantait une mélodie sinistre. Des ronces grognaient et rampaient derrière les arbres argentés. Le ruisseau ne bondissait plus, mais se trainait tristement sur son limon boueux. Asha fixait le petit chat qui dormait au pied du grand chêne. En le comptant, il ne restait plus que cinq félins dans le Sanctuaire.

Elle ouvrit difficilement les yeux. Ses paupières semblaient scellées, peut-être était-ce pour le mieux. Mais les pleurs d’Eryn la convainquirent de se redresser, pâteuse.

— Asha ! sursauta Clervie qui tentait tant bien que mal de calmer sa petite-fille.

La Sylvienne balaya le décor d’un regard vitreux. Elle se trouvait dans sa maisonnette. Pourtant, quand elle avait perdu connaissance, elle fuyait les humains

— Amaya les a convaincus d’abandonner, expliqua Clervie. On avait un cheval, alors j’ai demandé à te ramener ici avec Eryn. Je ne m’attendais pas à ce que tu te réveilles si vite. On a à peine eu le temps de t’installer, Amaya vient juste de partir.

Asha ne répondit pas. Elle observait sa main. Quelque chose n’allait pas.

— Comment…

Clervie se pinça les lèvres. Elle percevait sa question et n’avait pas vraiment envie d’y répondre. Eryn interrompit l’échange silencieux en bondissant en direction de sa mère. Asha l’étreignit, incertaine. Elle avait cru la perdre, si fort qu’elle ne réalisait pas le contraire. La petite se calma immédiatement, réchauffant le cœur à sec de sa génitrice.

— Mes… mes phalanges me font mal, reprit-elle. Pourtant, d’habitude les douleurs disparaissent après une résurrection.

— Je… je ne peux pas trop t’éclairer à ce sujet. Tu as dû te faire mal en te battant.

— En me battant ?

— Oui, quand tu as vaincu les chasseurs.

Asha se figea, fixant le visage de Clervie qui se décomposa.

— Tu ne t’en rappelles pas, comprit cette dernière.

— Angelus m’a crevée l’œil, fit la jeune femme d’une voix blanche. Je pensais être morte à ce moment-là.

— Non… tu as repris connaissance, tu leur as mis une belle raclée avant que ta blessure ne te rattrape.

Asha baissa de nouveau la tête vers sa main.

— Pourtant, d’habitude, je reste consciente jusqu’au bout…

La fin de sa phrase se termina dans un soupir. Elle, elle avait battu une dizaine de chasseurs ? Toute seule ? S’il y avait pourtant un domaine où elle brillait par son incompétence, c’était bien le combat. Elle désespérait Aelig et Veleg, à l’époque de son entraînement.

— Tu vois ? s’enquit Clervie pour briser le silence.

Asha pivota vers elle son visage intrigué.

— Je veux dire… ton œil, il voit ? Tu m’as dit que les cicatrices de tes blessures mortelles restaient, j’avais peur que tu ne deviennes borgne… Surtout que ton œil, il est…

— Il est quoi ?

— Bleu. Tout bleu. Alors qu’avant, il avait de petites taches jaunes. Comme ton œil droit, quoi.

La Sylvienne posa une main frêle sur sa paupière gauche. Les reliefs d’une petite cicatrice ornaient son arcade sourcilière. Là où le couteau sacrificiel avait ripé.

Elle ferma son œil droit. Aussitôt, le monde changea. La pièce parut beaucoup plus claire, mais aussi beaucoup plus terne. Elle ne voyait plus les couleurs, en fait. Seulement les contours grisâtres du visage de Clervie.

Asha rouvrit l’œil droit, et sa vision redevint normale, y compris du côté gauche de son champ de vision. Pourtant, elle le sentait, les couleurs à cet endroit étaient inventées. Comme si son corps voulait cacher sa défaillance.

— Je vois bien.

Son interlocutrice se tendit.

— Je sais quand tu mens, tu sais. Je sais que tu me mens souvent. Et je sais que tu ne vois pas bien.

— C’est vrai, pardon.

Clervie fronça les sourcils.

— S’il te plaît, Asha… Je ne te demande pas te me faire confiances, je ne le mérite pas. Mais sois honnête avec moi. Avoue tes faiblesses, que je puisse t’aider.

Asha eut envie de fondre en larmes, mais elle ne laissa rien paraître.

— Ne t’inquiète pas, tant que je garde les deux yeux ouverts, ça va.

Sa mère sembla vouloir insister, mais elle se ravisa.

— Tu as dit que je me suis battue… reprit Asha. Est-ce que… est-ce que j’ai tué… des gens ?

Sa voix se brisa, les larmes se bousculaient sous ses paupières. Mais elle les retint, le regard accroché au mur pour éviter celui de son interlocutrice.

— Je ne les ai pas examinés mais… ils étaient tous vivants quand j’ai quitté Amaya. Beaucoup étaient conscients. Ils doivent être en train de ramener les blessés sérieux à Lulla.

— D’accord…

La Laevi déglutit, reprenant lentement le contrôle de ses émotions.

— Tu pourras les soigner ? demanda-t-elle à mi-voix.

Clervie changea de position, le visage fermé.

— Pour toi, je le ferai. Mais certains ne le méritent pas.

— Ce n’est pas une question de mérite.

— Je trouve que tu es beaucoup trop indulgente envers tes…

Eryn reprit ses pleurs à cet instant, interrompant le sermon de Clervie.

— Je crois qu’elle a faim, soupira la Sylvienne.

Elle en profita pour couper court à cette conversation. Elle ne savait pas si c’était parce que sa mère lui avait fait du mal, ou parce qu’elle ne voulait pas l’inquiéter plus.

 

*

 

L’herbe tendre était acérée. Le murmure doux des arbres, dissonant. Les feuilles flamboyantes semblaient peintes par du sang.

Kurtis frissonna, caressé par l’idée de renoncer. Revenir sur les lieux d’un crime aussi récent mettait son âme au supplice. Mais il chassa ses doutes et s’assit résolument au centre de la scène où Saoirse avait péri quelques jours plus tôt. Il devait connaître la vérité. Il était certain que Daïré n’était pas aussi coupable qu’elle voulait le prétendre. Elle n’en était pas capable.

N’est-ce pas ?

Il prit une longue inspiration. Il n’avait pas besoin de méditer pour trouver l’écho, les sentiments corrosifs des deux femmes faisait tourbillonner le Silh, brillant comme la lune sur le manteau sombre de la nuit. Il s’y glissa, retenant son souffle. Sans Hênora et son enseignement, il n’aurait pas eu la force suffisant pour s’effacer. Désormais, il goûtait une peau tremblante, tendue, raide.

Saoirse.

La vieille femme fixait sa nièce, dressée au-dessus d’elle. Daïré ne tremblait pas moins qu’elle. Une dague pendait à son bras incertain, tandis que son visage se déchirait entre plusieurs volontés contradictoires. Son corps, assailli par ces ordres opposés, était secoué d’avant en arrière. Saoirse eut de la peine pour sa cadette. Elle regrettait déjà d’avoir avoué son crime. Ce fardeau était trop lourd à porter pour sa nièce. Elle avait cru s’en délester, elle avait voulu se soulager. Immonde égoïste qu’elle était.

— Elle… elle m’a tout pris. Tu comprends ? Mon rang d’héritière de Moïa, mon céil… Je n’avais pas le choix. Elle… elle m’a volée ma vie. J’ai eu connaissance d’un certain enchantement… je… j’en ignorais les conséquences exactes. Elle devait juste sombrer dans la tristesse… je voulais qu’elle dise à Moïa de me nommer comme héritière, qu’elle abandonne son céil…

Saoirse se maudit sans pouvoir s’empêcher de prononcer ces mots. Bien sûr qu’elle tentait de se justifier. Qu’elle invoquait l’ignorance, les émotions. Mais la réalité était là : elle avait mené sa sœur au suicide. Et Daïré ne l’ignorait pas. Elle souhaitait la punir, sans doute le méritait-elle. Cette pensée la traversa au moment où sa pièce la frappa violemment. Elle retomba en arrière. Elle devait fermer les yeux, accepter. Pourtant quand elle vit la lame de Daïré levée au-dessus d’elle, elle eut un sursaut. Elle ne voulait pas mourir, pas ici, pas maintenant, pas alors qu’elle avait à peine atteint son rêve.

Saoirse se rebella, tentant d’attraper la dague de son assaillante. Elle ne comprit pas trop se qui se passa, mais soudain, elle ne vit plus rien d’un œil. La dague, elle voyait le manche dépasser depuis son œil valide. Elle comprit. Elle voulut retirer la lame, en vain. Elle se débattit, encore, mais ses forces l’abandonnèrent. Pourquoi tout était si sombre, tout d’un coup ? Pourquoi le…

Kurtis hurla, violemment éjecté hors de l’écho. Pourtant, la douleur demeura. Une souffrance monstrueuse, immonde, une douleur qui lacérait son âme, la brûlait, la dévorait. Qui secouait chaque parcelle de son esprit et de son corps.

Il mit longtemps à se remettre, tant qu’on vint s’enquérir de son état. Il ne put réfléchir à nouveau qu’au coucher du soleil.

Cette souffrance qu’il l’avait mis à terre, c’était la mort. Mais il devait y faire abstraction. Il devait penser à Saoirse. Jusqu’alors, personne ne savait pourquoi Daïré avait attenté à sa vie. La réponse était désormais claire. La victime avait été le bourreau de sa mère.

Kurtis se força à respirer calmement. Le lendemain se tenait le procès de l’Arsalaï. Voilà un élément à prendre en compte dans le jugement.

Il l’avait vu par les yeux de Saoirse. Daïré ne l’aurait pas tuée. Elle n’aurait pas abattu sa lame si la vieille femme n’avait pas tenté de la lui arracher.

Le jeune garçon souffla bruyamment. Il avait démêlé la vérité. L’obstacle à venir n’était pas moins ardu.

 

*

 

Trürig entra dans la chambre princière, les yeux respectueusement tournés vers le sol. Eldrid était déjà debout, assassinant du regard le mur en face d’elle. La sevrante déguisée s’inclina sans obtenir une œillade de l’Elvarienne, qui d’ailleurs s’empressa de quitter la pièce à la température glaciale. Les châteaux forts étaient difficiles à chauffer, sans aucun doute, mais l’atmosphère qui régnait dans cette chambre se faisait encore plus froide que le blizzard extérieur. Le lourd chambranle de la porte claqua derrière la princesse, réveillant Wilhelm qui grogna de toute la force de sa mauvaise humeur.

— Debout, ordonna Adhara en fermant la porte à clés.

Elle reprit son apparence originelle, ravie de pouvoir enfin faire travailler les muscles de son visage. Voilà six jours qu’elle dormait dans les dortoirs communs des serviteurs, six jours donc qu’elle devait garder son masque impassible. Elle n’avait pas beaucoup dormi, à vrai dire, craignant qu’on enlève le drap la recouvrant pendant son sommeil. Elle n’arrivait pas à maintenir l’illusion sans être consciente, comme elle le faisait avec la Cité des ombres, à des lieues de là.

— Hgmrmmhr… répondit le prince.

— Réveille-toi, on a des choses à faire.

Adhara était fatiguée, indéniablement, et elle comptait bien utiliser les dernières miettes d’énergie qui lui restaient pour se procurer du plaisir.

Wilhelm, malgré son réveil un peu brutal, paraissait du même avis. Il attrapa son amante par la taille pour la plaquer contre lui.

— Embrasse-moi partout, supplia-t-il, les traces de princesse-laideron me collent à la peau.

— On va voir ça.

Elle passa à l’attaque, arrachant la chemise de son partenaire pour le dévorer de ses baisers. Il répondit avec autant d’ardeur, retirant ses vêtements de servante pour promener ses lèvres sur la peau frissonnante.

— J’ai étudié la population locale… souffla-t-elle entre deux baisers. La rébellion n’est pas très populaire ici… La Trinité est largement acclamée…

Wilhelm glissa ses doigts dans la chair palpitante de la jeune femme.

— Nous ne pouvons pas… engager l’armée pour lutter contre Triliance… dans ses conditions… Le risque de révolte est trop grand…

Elle s’interrompit, ahanante. Elle agrippa les cheveux du prince.

— Changer les esprits est bien plus dur que de conquérir des pays… uh… Mais j’ai réfléchi à un plan et…

Wilhelm interrompit le plaisir, relevant sèchement la tête vers sa partenaire.

— J’aimerais faire l’amour, siffla-t-il. Pas comploter. En tout cas pas en même temps.

Elle leva les yeux au ciel.

— Le temps est précieux. J’essaie d’en gagner.

— Dis plutôt que ça t’excite.

— C’est ça, alors reprends et laisse-moi parler.

Le prince eut un rictus.

— Je vais te faire perdre le fil, je te préviens.

Elle sourit à son tour.

— Je n’attends que ça.

Elle eut envie de rire. Ça ne lui arrivait jamais avec Lohan.

Lohan. Cela faisait huit mois qu’il était parti vers le sud. Elle se rendit compte que c’était la première fois qu’elle y repensait. Qu’importe, elle s’était trouvée un remplaçant plus espiègle.

 

*

 

Valerio ne voulait pas être sobre. Il souhaitait se noyer dans l’alcool. Mais en face de la Grande Prêtresse, il n’avait pas le droit à l’erreur. Aussi avait-il toute sa lucidité pour subir la souffrance de ce moment.

Il poussa le battant doré du bureau, la lourde porte pivota sans un bruit, mais claqua bruyamment quand il la referma. Le son sec et lourd se dupliqua en écho le long des parois de marbre, jusqu’au siège richement décoré où était assise la personne qu’il haïssait le plus au monde. Auréolée par la lumière triomphale de vitraux, la Grande Prêtresse se pavanait dans une tenue aussi complexe qu’indécemment luxueuse qui gonflait sa silhouette jusqu’à la rendre terriblement imposante. Sa coiffe nattée de trois grand chignons surmontant son visage caché derrière un voile ciselé. Mais Valerio ne s’y trompait pas, il n’avait pas besoin de voir son sourire sardonique pour le ressentir dans sa chair.

— Mon cher mari, quelle agréable surprise, énonça-t-elle d’une voix mielleuse.

Il s’inclina brièvement.

— Pardonnez le temps que j’ai mis à vous rejoindre, je me remettais du voyage.

— Je comprends tout à fait. D’autant que vous étiez alité, il y a peu. Vous avez failli mourir, apparemment. Ç’aurait été tellement dommage.

Le jeune homme se tendit encore un peu plus. Dommage, oui, c’était le mot. Elle aurait perdu l’un de ses jouets favori, quel dommage. Peut-être aurait-il mieux valu qu’il périsse. La mort était mille fois préférable à ce qu’elle lui faisait subir.

— J’ai déjà lu vos rapports de campagne, continua la Grande Prêtresse de sa voix caressante. Je vous félicite pour vos conquêtes. Il y a encore beaucoup de travail, malheureusement. La population est loin de nous être soumise.

D’un point de vue extérieur, la voix de Callista semblait presque douce. Mais elle contenait en réalité de nombreuses ronces corrosives qui cisaillaient l’esprit de son interlocuteur. C’était la voix d’une monstresse qui tentait de se faire passer pour une reine.

— Je pense qu’il faut laisser faire le temps, avança Valerio.

— Mais pas seulement, vous en conviendrez.

— Certes. Dès le printemps j’irai là-bas pour…

— Non.

Il sursauta.

— Vous avez bien assez fait. Vous méritez un peu de repos. J’enverrai quelqu’un d’autre. J’ai une mission plus calme à vous assigner.

Valerio lutta pour ne rien laisser paraître.

Elle savait, elle savait. Elle savait qu’il tentait de monter des mouvements de rébellion à Heddish. Elle voulait l’en empêcher. Si elle y arrivait, alors tous les morts qu’il avait fait n’auraient servi à rien. Est-ce que Julius lui avait glissée cette idée ? Est-ce qu’un espion l’avait perché à jour ?

— Vous irez à Elvarri pour présenter vos hommages à la princesse Eldrid. Je viens de recevoir une lettre annonçant qu’elle est enceinte. Vous resterez jusqu’à son accouchement et baptiserez l’enfant. Le peuple elvarrien a besoin de voir que l’on prend soin de lui.

— Si je puis me permettre…

— Non, vous ne pouvez pas. Allons, soyez raisonnable. Vous savez que vous avez besoin de repos. Je ne voudrais pas que vous vous surmeniez.

Valerio se mordit la langue jusqu’au sang. Il s’inclina, retenant ses tremblements. Il avait été trop imprudent, il avait laissé trop d’indices quant à la nature de ses véritables intentions. Il mettait en péril tout son plan, et toutes les personnes qui en dépendaient.

— En attendant, venez avec moi. Nous avons un an de séparation à rattraper.

Sa gorge s’assécha. Bien sûr, elle n’allait pas le laisser partir si facilement. Elle devait le courber à sa volonté, le dominer, l’achever.

Il la suivit sans un mot à l’étage supérieur. Le dernier de la Grande Pyramide, la chambre des Artrês. Construit dans le prolongement triangulaire du bâtiment, il n’était fait que de vitraux représentant des scènes sacrées. La hauteur de son plafond, à son point culminant, dépassait celle de la salle du trône. Un petit escalier en colimaçon serpentait autour de son pilier central, menant à une terrasse extérieure au sommet de la pyramide, seulement surmontée par le drapeau de la Trinité. Seuls les Artrês et leurs trois servants pouvaient pénétrer dans cette pièce et admirer la vue imprenable que le verre teinté offraient au regard.

Callista l’attrapa par la main et le mena jusqu’au lit à baldaquin qui se lovait au pied du pilier. Rond comme toutes les couches des clercs, il était relativement simple comparé aux étoffes de la Grande Prêtresse. Mais aux yeux de Valerio, ses draps de soie blanche s’apparentaient à ses fers durs et rouillés.

Callista n’était pas que sa femme. C’était aussi sa tante. Pourtant, cela ne l’empêchait pas de jouir.

Elle pouvait avoir tous les jeunes hommes qu’elle voulait, des jeunes hommes bien plus beaux et doués que son neveu. Mais c’était lui qui lui donnait du plaisir. Parce que ce qu’elle aimait, c’était de le voir souffrir.

Et il souffrait.

Mais si son âme se révulsait, son corps, lui, répondait aux caresses. Quand venaient les baisers, il voyait son intimité se dresser avec enthousiasme pour s’offrir à un être qu’il abhorrait. Cette trahison charnelle grignotait ses nuits autant que la satisfaction qui luisait dans les yeux de la Grande Prêtresse. Il avait beau se vautrer dans d’autres bras plus chaleureux dès qu’il le pouvait, il gardait l’impression douloureuse que son corps ne lui appartenait pas. Il en venait à se demander s’il n’y avait pas quelqu’un, au fond de lui, qui aimait Callista. Il avait alors envie de mutiler cette enveloppe étrangère.

Sa tante gémit d’aise au sommet de son plaisir, avant de se laisser choir sur la couche. Son sourire pervers dirigé vers le ciel, elle soupira. Valerio, lui, gardait son visage plaqué contre le matelas. Elle était trop forte. Il n’arriverait jamais à la détrôner.

Sa plus grande frayeur remonta à la surface de sa conscience, saisissant son esprit éprouvé.

Peut-être ne parviendrait-il jamais à venir à bout de la Grande Prêtresse. Peut-être resterait-il à jamais son esclave.

 

*

 

Un feu crépitait dans la cheminée, accompagnant le bruit des couverts. Sa lumière chaude dansait sur les murs tout comme les effluves du repas dansaient dans l’air. Cette scène semblait si familière à Conan. Entre Alix et Feolan, il se sentait bien.

Ils devraient pourtant bientôt les quitter. Il avait pris une place dans un convoi de marchands qui partaient vers les montagnes. D’ici trois semaines, il serait à Guéron. Il pourrait alors savourer le même repas chaleureux avec les siens. Enfin, il l’espérait. Il avait la sensation tenace que cela était impossible.

— C’était très bon, déclara-t-il en reposant son écuelle. Tu cuisines très bien, Feolan.

— Je sais, répondit celui-ci avec un sourire faussement condescendant.

— Moi j’en veux encore ! s’écria Alix.

— Et le mot magique ? grinça Aquila.

— S’il te plaaaaaît !

— Bien.

— Quelle goinfre, commenta son père.

— Il faut bien qu’elle grandisse, fit Conan.

— À ce rythme, c’est en largeur qu’elle va grandir.

Elouan se mit à pleurer, il avait renversé de la purée sur le sol. Aquila se leva pour nettoyer tandis que Feolan calmait le petit. Une fois l’incident clos, Conan aida le couple à débarrasser.

— C’est quoi cette odeur ? remarqua Aquila quand sa fille passa devant elle.

— Quelle odeur ? feignit la gamine.

— Tu es allée te baigner dans le Scilicet, avoue.

— Mais… je…

— Combien de fois devrais-je te le dire ?! C’est dangereux ! Tu aurais pu te noyer !

Feolan soupira au milieu des cris.

— Il va falloir que tu te laves, fit-il une fois qu’Aquila eut fini son sermon. Tu ne sens pas très bon.

Son visage s’illumina.

— J’ai une idée ! Et si on allait tous aux thermes demain ?

Il se tourna vers Conan avec enthousiasme.

— Ça fera une sortie pour ton dernier jour à Rivola.

— Pourquoi pas…

— Tu n’as pas l’air partant.

— Je ne suis jamais allé aux thermes… il n’y en pas dans mon village.

— C’est parfait alors, ça te fera découvrir !

— Très bien, comme ça on pourra astiquer cette petite cracra, approuva Aquila en pinçant la joue de sa fille.

Conan sourit.

 

*

 

Les thermes de Rivola s’employaient à redéfinir la définition du mot « immenses ». Logées dans un bâtiments aux allures de palais, elles étaient pourvues de tous les types de bassins et de sauna. Chauds, froids, avec ou sans vapeur, en extérieur ou non, avec des fontaines, elles abritaient également un service d’hygiène pour le peuple, des douches et des laveries communes.

La foule se pressait entre les grands piliers de pierre en ce jour de repos. Conan resta collé à Feolan, mal à l’aise. Ils s’étaient séparés d’Aquila et des enfants qui se rendaient dans la zone réservée aux femmes. Le seul bassin mixte grouillait de familles, l’eau n’y était plus de bonne qualité.

Après s’être couverts d’un simple pagne de lin blanc aux vestiaires, ils pénétrèrent dans la partie humide du bâtiment. Les murs et les sol tapissés de mosaïques glissaient sous les pieds de Conan. Ce dernier fut bousculé par mégarde par un passant, et chuta. Ses genoux heurtèrent durement le sol.

— Ça va ? s’inquiéta Feolan en l’aidant à se relever.

— Ça va… Je vais avoir un beau bleu.

— Et toi, tu pourrais t’excuser ! gronda l’archiviste en direction du passant.

— Pardon, pardon, grogna ce dernier en s’éloignant.

Feolan lui asséna un regard noir.

— C’est bon, c’est rien, le reprit son ami. Tu peux me lâcher.

— D’accord, mais fais attention.

Le jeune père passa devant lui pour le guider dans les corridors carrelés digne d’un labyrinthe. C’est alors que Conan se figea.

Là, dans le dos de son hôte. Il y avait un tatouage.

Un renard, saisissant de réalisme.

Il avait déjà vu ce genre d’œuvre. Peut-être était-ce…

Son cœur rata un battement, avant de se mettre à cogner furieusement.

Les Sylviens.

Asha. Les rebelles. Ottia. Bion. La Cité des ombres. Maxima. La guerre. Asha.

— Bah alors, qu’est-ce qu’il y a ?

Conan hurla et se rua sur Feolan.

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