Nina ouvrit les yeux.
Un silence pesait dans l’appartement. Trop profond. Comme si l’air lui-même s’était figé. La sensation était familière… oppressante. Mais elle ne savait pas pourquoi.
Elle tourna la tête.
Julien dormait paisiblement à côté d’elle. Son souffle était lent, régulier. Normal.
Pourtant, quelque chose clochait.
Elle se redressa lentement, jetant un œil au réveil.
5:00.
Un frisson remonta le long de sa colonne vertébrale. L’espace d’un instant, elle eut l’impression d’avoir déjà vécu ce moment. De l’avoir ressenti ailleurs. Ou peut-être… à un autre moment.
Elle secoua la tête. Ce n’était qu’une impression, un simple hasard. Rien de plus.
Elle se leva et se dirigea vers la salle de bain.
La lumière du miroir s’alluma automatiquement. Elle se regarda.
Fatiguée. Les cernes plus marquées que d’habitude. Ses traits crispés.
Elle passa une main sur son visage. Inspirant profondément, elle tenta d’évacuer cette sensation de flottement, ce malaise diffus qui s’accrochait à elle depuis leur retour.
Puis elle cligna des yeux.
Son reflet ne suivit pas immédiatement.
Elle recula d’un pas, observant son propre visage avec attention. Non, c’était impossible. Juste une illusion. La fatigue.
Mais alors qu’elle s’apprêtait à détourner le regard…
Elle remarqua autre chose.
Le miroir. Il n’était pas exactement le même.
Elle le connaissait par cœur. Chaque éraflure, chaque imperfection. Pourtant, quelque chose dans sa forme, dans la manière dont il captait la lumière, était différent.
Elle se retourna lentement, scrutant la salle de bain.
Tout était à sa place. Et pourtant…
Un bruit la fit sursauter.
Un murmure. Faible. Presque imperceptible.
Elle se figea, écoutant attentivement.
Puis plus rien.
Elle déglutit et sortit précipitamment de la salle de bain.
Julien était maintenant assis au bord du lit. Il fixait un point invisible sur le mur, les épaules légèrement voûtées.
— Julien ?
Il tourna la tête vers elle. Trop lentement.
— Ça va ? demanda-t-elle.
Un silence.
Puis il sourit. Un sourire fatigué, mais sincère.
— Oui… Juste un mauvais rêve. Rien de grave.
Nina hocha la tête lentement, mais quelque chose dans sa posture, dans la manière dont il parlait, était… légèrement différent. Comme un détail imperceptible qui échappait à son esprit.
— Quel genre ?
Julien fronça les sourcils, cherchant ses mots.
— Je… Je ne sais pas. Je crois que j’étais ailleurs. Quelque part où… quelque chose me regardait.
Elle sentit son estomac se tordre.
Elle aurait voulu lui dire quelque chose, lui poser une question. Mais un blocage inexplicable l’en empêcha.
Au lieu de ça, elle se força à sourire.
— Ce n’était qu’un rêve.
Elle s’entendit prononcer ces mots. Mais elle-même n’y croyait pas.
Des indices s’accumulent
Les jours passèrent, et Nina continua d’observer des anomalies. Rien de flagrant, mais des détails.
Des souvenirs décalés. Des conversations légèrement différentes de ce qu’elle se rappelait.
Une sensation de redite dans certains moments. Comme si des fragments de sa vie s’étaient réarrangés sans qu’elle puisse mettre le doigt dessus.
Une nuit, elle alluma la radio.
Du grésillement.
Puis une voix. Faible, tremblante.
— …ne pas oublier…
Son propre souffle se bloqua. Elle connaissait cette voix.
La sienne.
Elle éteignit brusquement l’appareil, son cœur battant à tout rompre.
Il se passait quelque chose.
Mais quoi ?
Elle avait l’impression d’être piégée dans un espace qu’elle ne comprenait plus.
Et le pire ? Julien aussi.
Sauf que ce n’était peut-être pas Julien.
Une anomalie persistante
Nina prit une décision.
Elle retourna voir Langlois.
Lorsqu’il ouvrit la porte, il lui lança immédiatement un regard grave.
— Qu’est-ce qui ne va pas ?
Elle sentit un poids dans sa poitrine, une angoisse sourde qui ne la quittait plus.
— Julien… Il y a quelque chose qui ne va pas.
Langlois garda le silence une fraction de seconde. Puis il la fit entrer, refermant la porte derrière elle.
Son bureau était un champ de bataille de notes, de vieux livres ouverts, de papiers éparpillés. Il lui tendit un carnet, un document qu’il avait retrouvé parmi les dossiers classifiés.
Nina parcourut les lignes.
23 novembre 1954 : Effets d’altération des sujets exposés.
« Certains semblent légèrement… désynchronisés. Comme s’ils n’appartenaient plus tout à fait à leur réalité d’origine. »
Elle sentit sa gorge se serrer.
— Alors… ce n’est pas lui ?
Langlois inspira profondément.
— Peut-être que si. Peut-être que non. Peut-être que ce qui est revenu essaie encore de se stabiliser.
Nina ferma les yeux un instant.
Elle savait ce qu’il sous-entendait.
Julien n’était plus le même.
Mais… Et si ce n’était pas lui ?
Et si ce qui était revenu n’avait pas totalement terminé de prendre sa place ?
Une question sans réponse
Cette nuit-là, Nina resta éveillée longtemps.
Julien dormait à côté d’elle.
Sa respiration était normale. Son corps, son odeur, tout en lui était parfaitement fidèle à ce qu’elle connaissait.
Et pourtant…
Son regard glissa vers le réveil.
5:00.
Un léger grésillement résonna dans la pièce.
Elle ferma les yeux.
Le lendemain matin, en se réveillant, elle trouva cinq traces de pas humides sur le sol de la chambre.
Des empreintes.
D’abord nettes, puis s’effaçant lentement, comme si elles n’avaient jamais existé.
Elle ne se souvenait pas qu’il ait plu la veille.
Elle s’accroupit lentement, tendit la main… et frissonna. Le sol était sec.
Et lorsque Julien ouvrit les yeux, il sourit. Pas immédiatement. Pas comme un réveil normal. Un sourire qui prit forme lentement… comme s’il l’apprenait en même temps qu’elle.
J'ai beaucoup aimé la phrase de chute. La tension demeure dans ce chapitre où les indices s'accumulent, ça risque de donner d'autant plus de poids aux révélations qui s'annonce. L'idée des pas humides est particulièrement marquante.
Tu décris très bien le malaise ambiant de la narratrice, qui ne se fonde pas sur grand chose de concret, mais qu'elle est incapable de chasser. Très curieux de voir si Langlois pourra l'aider, ou pas...
Petite remarque :
"Le miroir. Il n’était pas exactement le même." -> il avait changé ? pour avoir une tournure plus directe et éviter la répétion avec même, qui revient 2 lignes plus bas
Un plaisir,
A bientôt !