Chapitre 7 — Le début de l'enfer

— Omar —

Les restrictions de déplacement sont de plus en plus sérieuses. Hier au travail, ils nous ont comme convenu, sommés de rester chez nous. Les avocats d’affaires ont pour ordre de reporter toutes leurs affaires, pour cause d’épidémie. Ils se justifient en affirmant que les différentes personnes concernées par les affaires seraient de l’impossibilité de se rendre au tribunal, les personnes jugées les premières. Il est désormais impossible de rendre visite à sa famille, sans raison valable. Ma colocataire n’a pas pu rentrer sur Paris malgré tous ses efforts. Vu l’état des choses aujourd’hui, je travaille en télétravail. Je prépare de futures affaires. Je suis installé dans ma chambre, mais la connexion ici n’est pas terrible. Gabrielle aussi travaille à distance, elle est cloîtrée dans sa chambre et ne semble pas porter beaucoup d’intérêt au monde extérieur.

Je crois qu’elle fait partie des gens stressés de la vie, qui paniquent dès qu’ils doivent parler aux gens. Je dois dire que comprendre cette peur pour moi est difficile. Je suis avocat s’il y a bien une chose dont je n’ai pas peur c’est parler. Hier soir, j’ai été un peu insociable, les nouvelles qui arrivent commencent à me mettre mal l’aise. Une peur invisible grandit en moi. Peur pour le monde, peur pour les gens, peur pour ma famille et peur pour moi.

Gabrielle se mouche tout le temps, je commence à douter qu’elle ne soit pas attente de cette maladie qui est dans toutes les bouches. Elle a peut-être le Corona. Cette idée m’obsède, mais je ne peux pas décemment lui poser la question. Je travaille, mais je n’y mets aucun cœur.

Je repense aux jours précédents et je réalise que la situation a dégénéré.

Il y a quelques jours, tout le monde se promener dans la rue et se soucier à peine de ce covid-19. Cela paraissait loin et pas vraiment notre problème. Bien sûr, j’entendais mes sœurs me rabâcher de faire attention. Désormais, c’est moi qui ai envie de leur crier d’être prudentes. Elles sont toutes deux en premières lignes. J’ai peur qu’elle ne l’attrape. J’ai peur de l’avoir attrapé.

Toute cette incertitude va me ronger.

Rester enfermer chez soi, c’est désormais le mot d’ordre. Je ne suis même pas chez moi, je suis dans un Airbnb. Je ne suis pas quelqu’un du genre à rester à la maison, la semaine je cours à droite à gauche et le week-end la plupart du temps je suis chez mes sœurs. Je n’ai pas vraiment de vie sociale en dehors de ma famille. J’ai quelques amis bien sûr. Mais seul, je suis perdu.

 

J’ai appelé le locataire de la maison. Il m’a informé qu’au vu de la situation nous pouvions rester Gabrielle et moi autant de temps que nécessaire. De toute façon, ce n’est pas comme ci ni lui ni nous avions le choix. Ce sont les consignes du gouvernement, il est interdit de quitter son lieu de quarantaine pour un autre. Et puis partir pour aller où, je n’ai pas d’appartement en l’état.

 

Je ne sais pas comment ne pas devenir fou. Je réalise que depuis hier, je ne me contente plus de penser à mes sentiments. Hier, j’ai attrapé une feuille et j’ai écrit quelques mots pour qualifier ma journée. Je suppose que c’est un moyen pour ne pas tomber dans la folie et relativiser la journée. Cela pourrait être un moyen de faire passer le temps.

 

Je commence donc aujourd’hui, dans un carnet qui me sert habituellement à rassembler les éléments d’une affaire à poser des mots sur chaque jour de confinement. Poser sur le papier les éléments de preuves de ma propre vie pour m’assurer que je suis toujours vivant.

 

Confinement Jour 2 :

Aujourd’hui, mes altercations sociales avec Gabrielle ont été presque nulles. Je suis descendu un peu avant midi pour préparer le repas. Sans nous consulter, nous avons lancé comme une garde alternée de la cuisine. Elle a fait le repas hier soir, ce midi c’est mon tour. D’ailleurs, je suis heureux qu’elle l’ait fait, j’étais épuisé. J’aurais été seul et cela aurait sûrement fini en paquet de chips.

Alors que je suis dans la cuisine depuis déjà une bonne demi-heure, je l’entends descendre par l’escalier qui craque. Elle semble surprise de me voir et perd encore tous ses moyens. Je commence à trouver difficile de la faire sortir de sa coquille. Il semble plutôt évident que l’on va devoir cohabiter pour une durée indéterminée. Je tente une approche :

— Bonjour Gabrielle ! Je suis désolée hier soir j’étais un peu ronchon, la journée a été longue et avec tout ce qui se passe. J’ai eu le locataire et nous pouvons rester ici, autant de temps que durera ce confinement m’a-t-il assuré. J’ai parlé tarif avec lui, il m’a assuré qu’au vu de la situation, il fera un geste commercial. Le télétravail s’est bien passé ?

 

Elle hésite puis me répond simplement :

— Oui et vous ?

Je lui propose aussitôt :

— On pourrait se tutoyer non ? Vu que visiblement on va devoir cohabiter quelque temps ?

Elle acquiesce tout bas :

— Oui si vous voulez… Si tu veux.

Elle s’assoit et mange sans vraiment décrocher un mot. Toujours aussi timide.

À la fin, elle m’aide à faire la vaisselle et remonte sans trop vraiment parler. Je commence à croire qu’elle a peur de moi et peur d’ouvrir la bouche en ma présence.

Le restant de l’après-midi se passe sans trop d’originalité.

Je reçois à 14 h un appel de ma mère. Elle est en Australie. C’est le pays où elle est née. Le pays qu’elle chérit. Elle est partie là-bas il y a deux semaines pour un voyage de visite à la famille. Mais je pense qu’en cette période de confinement, elle aurait préféré être ici avec nous.

Elle commence son appel tout paniqué, avec son accent anglophone quand elle parle français :

— Omar, Oh je suis tellement heureuse que tu répondes, j’essaie de tous vous appeler, je viens de raccrocher d’avec Ethan. Tu es le dernier que je n’avais pas eu. Comment vas-tu mon fils ?

Je veux à tout prix la rassurer :

— Maman, ne tant fait pas je vais bien.

Toujours aussi affolée, elle continue :

— Ta sœur Sidney, m’a dit que tu avais eu un dégât des eaux dans ton appartement, c’est réglé ?

Je sais que ce que je vais lui répondre va l’inquiéter :

— Non, le plombier ferme boutique au vu des circonstances et je n’ai pas réussi à en trouver d’autres. Mais je suis dans une location à la campagne. Un peu d’air frais ça va me faire du bien.

Je compte sur cette dernière phrase pour la rassurer un peu, mais elle ne paraît pas convaincue :

— Oui, mais tu es loin de tout. Tu es loin de tes sœurs et tu es seul, mon chérie.

L’esprit de famille, le clan était très important pour ma mère. « Le dicton la famille s’est sacrée » elle le prenait à bras-le-corps. J’ai toujours vécu très collée avec le reste de ma famille. Et ma mère ne fait que se désoler de me voir toujours seul sans une femme dans ma vie. Elle est persuadée que l’on ne peut pas être heureux seul. Je n’ai jamais vraiment eu d’histoire sérieuse. Pourtant, avec autant de sœurs, je ne raconte pas le nombre de rendez-vous foireux que j’ai dû supporter jusqu’à ce qu’elles capitulent, à ma grande satisfaction.

Je décide de révéler à ma mère que j’ai une colocataire dans la maison :

— Maman que je me trouve à la campagne ou bien en ville ne change rien, de toute façon, personne ne doit voir personne. Et puis ici, je ne suis pas seul, j’ai une colocataire dans l’Airbnb, elle s’appelle Gabrielle. Je suppose qu’elle serait capable d’appeler les secours si je tombe malade, c’est déjà pas mal pour une colocataire.

Elle semble un peu rassurée :

— Une colocataire ça c’est bien.

Aïe, je sentais dans la voix de ma mère que j’allais regretter ce que je venais de dire. Elle commence déjà à se faire des idées.

Je décide de l’amener sur autre chose :

— Et sinon comment tu vas toi maman ? Tu vas rentrer ou rester en Australie ?

— Je vais rester avec la famille, le rapatriement est devenu difficile, tu sais. Et puis, je ne suis pas complètement française, cela complique les choses. Je suis bien ici, la famille veille sur moi.

Je deviens plus grave :

— Fait attention à toi maman

— Toi aussi Omar.

Elle conclut :

— Bon, je vais devoir te laisser il est 22 heures ici.

— Oui, le décalage, j’oublie toujours. Je t’embrasse. À bientôt

— À bientôt mon fils.

Elle raccroche. Cet appel a réveillé la solitude en moi. Elle a raison. Mes sœurs et mes frères vont me manquer. L’isolement va me peser.

Mais personne n’a le choix et il reste toujours les réseaux sociaux et les appels WhapApps.

Espérons que cela suffira à combler le vide.

 

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez