— Gabrielle —
Confiné ! Ce n’était pas du tout prévu. J’ai eu du mal à dormir lundi soir après l’annonce.
Mon réveil mis à 5 h pour mon train je bondis sur mes pieds. M’habille, prend toutes mes affaires, faites hier. Tout est prêt… Sauf le train. Sur mon téléphone la SNCF a annulé le trajet. Merde ! Comment je fais pour être au boulot à temps ?
J’appelle Adams, bien sûr ça ne répond pas. Je n’aime pas le savoir seul à Paris chez nous il n’est pas encore majeur. Mature certes, mais son père n’ait même pas dans la région. Ni dans le territoire, me semble t-il. Il se lèvera à 11h c’est sûr. Je fais quoi ? Avec le moins de bruit possible, alors qu’il fait encore nuit je panique un peu, respire, puis appelle mon taxi pour le décommander. Ça sonne dans le vide. Comment, quoi ? Je fais quoi maintenant moi dans ce trou paumé. Il n’y a personne que je connais qui à cette heure est réveillé. C’était sans compter, bien sûr, Omar. À moitié endormit en tee-shirt blanc XL et pantalon de pyjama, un peu perdu me regarde de l’étage.
— Vous tentez une fuite ?
— Je… enfin…
Oui en fait, mais ce n’est pas vraiment ça.
—J’ai mon poste à prendre à 9 h à Paris et mon fils là-bas aussi.
— Et alors ? Un imprévu ?
Il est gentil de se soucier de moi encore à moitié dans ses rêves. Je me force à répondre :
— Mon train est annulé le prochain et à 8 h 00. Je vais être en retard et l’agence de taxi ne répond pas.
— Mon plombier a fermé son entreprise.
Euh…ok, ah oui, je fis le lien avec son problème principal. Le dégât des eaux.
— Désolée pour vous. Vous allez faire comment ?
— Attendre 9 h 00 pour voir avec le logeur. Vous avez jusqu’à ce midi vous savez. Il vous suffit d’appeler votre boulot.
Je déglutis. Mouais, non. Aucune envie. Mais vu comment il me regarde de l’étage je me sens un peu forcer. Je compose le numéro. L’avantage c’est qu’à cette heure je vais juste laisser un message. Mais si je laisse un message on va me rappeler. Je me fige. Hésite, et passe sur ma messagerie internet. Un mail c’est mieux. J’entends un rire discret à l’étage. Je l’ignorais. Il m’a vu me dégonfler. Il devrait avoir mon patron pour voir. Plutôt que dire que je ne peux pas venir je pose un autre jour de congé de ma précieuse collection vacances. Ça de fait. Je verrais demain.
— Vous n’avez pas l’impression de sur paniquer ?
— J’aimerais vous voir avec un fils confiner ailleurs vous !
C’est ce qui m’inquiète le plus. J’ai haussé le ton. Plus un bruit là-haut. Je me retrouve donc avec une chaussure dans ma main, mon portable dans l’autre, la mauvaise humeur au ventre et un mec à l’étage. Super début de journée. En plus cinq heures c’est trop tôt pour prendre de bonnes décisions.
Soudain mon téléphone sonne, je décroche sans réfléchir, pressé que le son se coupe oubliant que mon voisin est déjà réveillé.
— Maman ?
— Qu’est-ce que tu fais réveillé à cette heure ?
— Bah, tu m’as appelé non ?
—Toi t’es encore sur un jeu à cette heure !!
Il rit, bâille :
— Si je réponds pas du tout tu ne me croiras pas.
— Non.
Je suis franchement agacée et avec mon fils je n’ai aucune timidité. Je le laisse seul quatre jours et il décale déjà ses horaires de sommeil. Une petite voix dans ma tête me rappelle qu’il n’a pas école. Mais je ne vais pas l’encourager même si j’ai fait pareil à son âge avec des livres.
— Alors, t’appelles pour quoi ?
— Oui, pardon, Adams, je galère à rentrer. Je vais faire mon possible dans la journée, mais je ne sais pas quand je rentre.
Il y a un silence. Je lève les yeux et vois l’autre géant accouder à la rambarde à m’étudier. Il ne peut pas retourner se coucher lui ? Réalisant que je dois avoir l’air pleine de défi je rougis aussitôt et détourne le visage pour me mettre à marcher dans le salon ma chaussure à la main l’autre abandonner dans l’entrée à sa place.
— Eh, eh maman. Respire. Ce n’est pas l’Apocalypse qui est annoncée. J’ai plein de conserves. Des devoirs de mon prof de maths qui ne nous lâche pas. Le plus important c’est ton taf…
— On s’en fiche de mon taf chéri.
— Whaou ! Un pas de géant dans ta vie spirituelle.
Je réalise ce que je venais de dire et rougis deux fois plus. Je ne serais jamais capable de le dire aux gens concernés.
— Bon. Maman : on attend la suite du déroulé, mais tu sais j’ai 17 ans presque 18 je vais m’en sortir. Fais-moi un peu confiance.
— Oui, je te fais confiance chéri. C’est moi qui suis… Enfin tu comprends.
— Mmmm. D’ailleurs mon anniv ?
C’est vrai c’est le 19 mars.
— J’essayerais d’y être Adams.
— Ok, ne panique pas maman. À moment exceptionnel expérience exceptionnelle. T’a qu’a essayer le télé-travail.
Voilà mon fils qui me donne des conseils de vie à 5 h 30 du matin.
— Bisous mon cœur.
— Ouais, bis m’an.
Il bâille encore.
— Et va te coucher !!
Je raccroche. Me rappelle que je viens presque de crier alors que le voisin est là et devient définitivement cramoisi. Me retourne, plus détendu, et sursaute. Omar est en bas de l’escalier. Tout mon calme part et sèchement je demande :
— Vous ne retournez pas vous coucher ?
— C’est mort. Vous voulez manger avant que je parte ?
Ah oui, lui il bosse.
—Je… euh… oui.
Voilà comment on se retrouve en face-à-face dans la cuisine avec moi une pomme et deux tartines, lui un café chaud.
Je finis par ressortir la tortue et toutes mes affaires. Il part au travail.
Voilà un jour de congés imprévus. Super. J’ouvre mon PC, déplie ma souris, prends une couverture parce qu’il ne fait pas très chaud et que je n’ai vue aucun radiateur, me fais chauffer du thé. C’est parti !
Les cryptages envahissent tout mon espace. De temps à autre je regarde mes notifications sonnantes annulant au fur et à mesure mes voyages. Finissant par me rendre blasée. Un tas de mouchoirs s’empilent sur la table. Toutes mes fiches personnages s’étalent sur le sol et la table, mon carnet de notes sur mes genoux.
On verra avec l’annonce de ce soir.
La porte claque. Je sursaute, lève le nez, les yeux fatigués avec mes lunettes qui me glissent un peu, ma couette et mes mouchoirs. Je dois avoir l’air d’une toute petite gamine emmitouflée avec des cheveux roux et des taches de rousseur. Il a l’air crevé. Je ne dis rien. C’est mieux dans ces cas-là. Les hommes de mauvais poil, il vaut mieux les éviter. Sans rien me demander après avoir posé ses affaires, il allume la télé sur le journal de 20 h 00. Je tourne ma chaise pour écouter les informations dont l’allocution du président qui est diffusé. La situation sanitaire et grave et se dégrade fortement sans parler de la pression des hôpitaux. On doit absolument ralentir la progression du virus.
Je serre les doigts sur mon carnet fermé, je n’aime pas du tout ça. Surtout le « Nous sommes en guerre » La guerre ce n’ait pas rien. C’est des morts, des blessés, des ennemies et des victimes. Des lois d’urgence, et des situations catastrophes. J’aurais dû rentrer à Paris. « l’ennemi est là, invisible, insaisissable et il progresse. » voilà ce qu’on peut en retenir comme dans son annonce du 16 mars.
Les mesures de restrictions sont prises pour les déplacements. Se protéger les uns les autres c’est un bon début. Même si je n’aime pas être enfermé je comprends l’état d’urgence et la raison de ce confinement, ce n’ait pas très soudain comme décision.
Toutes les frontières sont fermées pour une durée de 30 jours minimum. Les réformes en cours sont suspendues comme celle des retraites et surtout pour bien montrer la gravité de la situation, le second tour est reporté. Pour qu’un président reporte une élection, ce n’est pas rien.
Bien sûr le président soutient le personnel soignant et il fait bien voir le combat qui s’annonce. Ce qui me préoccupe le plus c’est les entreprises et les travailleurs, je suis soulagé quand il en reparle. Le président précise qu’aucune entreprise, quelle que soit sa taille « ne sera livrée au risque de la faillite » et qu’aucune Française, aucun Français « ne sera laissé sans ressources » et que le chômage partiel sera massivement élargi. Le journal de 20h reprend avec le nombre des morts, les personnes atteintes et les mesures qui sont en place depuis ce midi. Je suis nulle en chiffres, mais je les trouve déjà trop grands. C’est bien sûr la ruée vers les magasins alimentaires et… le Papier toilette ? Pourquoi ça ? Pourquoi le papier toilette ? Je veux dire, je comprends que ça peut devenir gênant. Mais ça ne se mange pas, ça ne soigne personne. Mourir, mais mourir propre du derrière où est l’intérêt ?
Mon voisin est encore plus sombre sans me demander mon avis il reteint le poste. Je voulais continuer à écouter et :
- Vous comptez laisser traîner vos mouchoirs longtemps ?
Je pique du nez, me mouche à nouveau et les jette gentiment à leur place attitrait : sois la poubelle de la cuisine.
Il se laisse tomber sur le fauteuil du salon. Je m’empresse de ranger mes fiches avant qu’il voie tout. Remonte tout en sécurité à l’étage et l’évite consciencieusement. Comme il a l’air au bout du rouleau, je me décide à faire le repas. Je ne sais pas ce qu’il mange et je veux éviter de le contrarier. Donc omelette, pâtes avec quelques légumes du frigo. Je devrais appeler le logeur moi aussi pour savoir jusqu’où on peut utiliser sa maison.
Je lui laisse son assiette dans la cuisine. File dans la douche et finie dans ma chambre soulagée. Sur le groupe messenger des collègues, ça discute à cent à l’heure. La connexion ici ne suit pas trop. En gros télétravail demain 9 h 00. Zou ! Au dodo. Une photo de mon fils, flageolais sandwich je lui envoie mes pâtes, œufs en retour. Cette situation ressemble à une mauvaise blague ou au début d’un film d’horreur. À quand l’attaque des zombies ?