- « Nous avons eu un livre de la bibliothèque, se lance cette fois Anne. Que pensez-vous de la jeune fille moderne ? L’auteur, une femme, critique la jeunesse d’aujourd’hui des pieds à la tête, sans vraiment complètement reléguer tous les jeunes au rang de bons à rien. Au contraire, elle pense que si la jeunesse s’en donnait la peine, elle pourrait construire un vaste monde, un monde plus beau et meilleur, que la jeunesse en possède les moyens mais qu’elle s’occupe de choses superficielles sans accorder un regard à ce qui est réellement beau. Dans certains passages, j’avais la forte impression que l’auteur m’adressait directement ses reproches et c’est pourquoi je veux me mettre complètement à nu devant toi et me défendre de ces attaques. »
Muet, Adolf ne fait pas mystère de mal supporter sa sensation d’être pris en étau entre deux précepteurs. Il manipule nerveusement son téléphone et juge insupportable de devoir sans cesse être assommé, mais, au moment où Anne dit d’elle-même qu’elle a un trait de caractère particulièrement marqué chez elle, sa connaissance d’elle-même, parce qu’elle étudie chacun de ses actes comme s’il s’agissait de ceux d’une étrangère, sans aucun préjugé et avec recul, qu’elle s’observe avec impartialité et se juge sévèrement, Adolf veut en partie se reconnaître dans ce comportement. Quand il était jeune, il se prêtait la même qualité, la même certitude à propose de lui-même, et il lui semble qu’il a été empêché de poursuivre son chemin par la suite, que rien de ce qui a suivi n’a finalement été de sa faute.
- « Je m’aperçois de plus en plus à quel point les paroles de papa étaient justes : "Chaque enfant doit s’éduquer lui-même". »
La maxime blesse sa mémoire, car son père à pratiqué avec lui l’exact contraire. Pour panser cette blessure, il jette un regard sur son costume militaire et se met à le caresser comme on caresserait un ami qui vous a sauvé la vie… mais qui vous l’a peut-être aussi un peu gâchée.
- « Les parents ne peuvent que donner des conseils ou de bonnes indications, mais le développement ultime de la personnalité d’un individu repose entre ses propres mains, précise Anne. Fondamentalement, l’enfance est plus solitaire que la vieillesse. Nous, les jeunes, nous avons deux fois plus de mal à maintenir nos opinions à une époque où tout idéalisme est anéanti et saccagé, où les hommes se montrent sous leur plus vilain jour, où l’on doute de la vérité, de la justice et de Dieu. Les problèmes nous assaillent, des problèmes pour lesquels nous sommes peut-être beaucoup trop jeunes, mais qui pourtant s’imposent à nous jusqu’au moment où nous croyons avoir trouvé une solution, le plus souvent inefficace face aux armes qui la réduisent à néant. Voilà la difficulté de notre époque, les idéaux, les rêves, les beaux espoirs n’ont pas plus tôt fait leur apparition qu’ils sont déjà touchés par l’atroce réalité et totalement ravagés. C’est un vrai miracle que je n’aie pas abandonné tous mes espoirs. »
- Moi aussi je me suis fait tout seul et je me suis accroché à mes idéaux et à mes espoirs pendant longtemps ! commente Adolf.
- « Je les garde car je crois à la bonté innée des hommes. Il m’est absolument impossible de tout construire sur une base de mort, de misère et de confusion. Je vois comment le monde se transforme lentement en un désert, j’entends toujours plus fort le grondement du tonnerre qui approche et nous tuera, je ressens la souffrance de millions de personnes et pourtant, quand je regarde le ciel, je pense que tout finira par s’arranger, que cette brutalité aura une fin, que le calme et la paix reviendront régner sur le monde. »
- Pff… Tout ça c’est d’un puérile finalement !
- Chut ! Tais-toi ! J’en ai marre de toi, maintenant ! le commande fermement Saint Nicolas, le faisant aussitôt pâlir de colère.
- « En attendant, je dois garder mes pensées à l’abri. Qui sait, peut-être trouveront-elles une application dans les temps à venir ! »
- J’ai beau savoir ce qui va bientôt advenir d’elle, je n’ai pas envie qu’elle meure, moi, cette gamine !
Adolf n’a pas écouté, il est resté sur son envie de réagir à l’ordre qu’il a reçu de se taire, aussi ne s’émeut-il pas du destin que vient de dévoiler Saint Nicolas au sujet d’Anne.
- « Superbes nouvelles ! se réjouit-elle soudain. On a tenté d’assassiner Hitler ! »
Son enthousiasme offense instantanément Adolf. Au même moment, son téléphone se met à diffuser sans prévenir un opéra de Wagner, La chevauchée des Walkyries. Le son est fort, il a le réflexe de tendre son bras pour maintenir l’objet loin de lui en plissant les yeux.
- La chevauchée des Walkyrie ! s’écrie Saint Nicolas en surjouant une fausse satisfaction, tandis que, de son côté, Anne continue de s’exalter :
- « Et pour une fois, il ne s’agit pas de communistes juifs ou de capitalistes anglais, mais d’un général allemand de haute lignée germanique ! »
Adolf voudrait baisser le son de la musique mais il ne sait pas comment faire. Il inspecte l’écran sur lequel il peut lire une référence à Wagner et le titre de son opéra, et où se côtoient des symboles géométriques que les personnes de son époque ne peuvent pas connaître puisqu’elles n’avaient pas encore été inventées. Il n’a pas l’intuition de les toucher.
- « La providence divine a sauvé la vie du Führer et, malheureusement, il s’en est tiré avec seulement quelques égratignures et des brûlures. » regrette Anne.
Les doigts crispés sur son smartphone, Adolf presse sans le faire exprès sur le bouton qui fait augmenter le volume sonore et s’exaspère que dans le haut-parleur, l’orchestre tout entier lui hurle les notes de chaque instrument.
- « Plusieurs officiers et généraux de son entourage immédiat ont été tués ou blessés. Le principal auteur de l’attentat a été fusillé. »
- Comment est-ce qu’on arrête cette chose ? exige de savoir Adolf en haussant le ton.
- Interrompre Wagner ? Tu n’y penses pas ! lui répond Saint Nicolas avec un air moqueur. Du Verdi ou du Gounod, j’aurais compris puisque tu n’aimais pas, mais Wagner ?
- « Voilà tout de même la meilleure preuve que de nombreux officiers et généraux en ont assez de la guerre et aimeraient voir Hitler sombrer aux oubliettes. »
- Éteins moi ça ! insiste nerveusement Adolf en tendant un bras raide en directions de Saint Nicolas.
- Mais non ! C’est de la musique sacrée ! C’est toi-même qui l’as dit !
- « Chère Kitty, la politique devrait en fait constituer un très gros chapitre de l’histoire écrite de notre clandestinité, mais comme, personnellement, le sujet ne me préoccupe pas spécialement, je l’ai laissé de côté. Le fait qu’il existe une foule de conceptions différentes sur la question est évident, que l’on en parle beaucoup en ces temps difficiles de guerre est logique, mais… que l’on se dispute tant à ce sujet est tout simplement idiot ! »
- Cette musique me rend fou ! rugit Adolf.
- « Ici, à l’Annexe, les espoirs en ce qui concerne la politique sont toujours les mêmes. Les optimistes et les pessimistes, et surtout n’oublions pas les réalistes, donnent leur avis avec une énergie infatigable, et comme pour tout, chacun pense qu’il est le seul à avoir raison. Depuis tôt le matin jusqu’à tard le soir ! »
- Je n’en peux plus ! Stop !
- « Et le plus beau, c’est qu’ils ne s’en lassent jamais ! »
- J’ai dit STOP ! beugle Adolf en projetant finalement le téléphone sur le sol.
Sous la violence du choc, l’écran tactile du téléphone se marbre d’éclats, mais l’œuvre de Wagner joue toujours sa cavalcade endiablée.
- « Hier, le ministre Bolkesteyn a dit sur Radio Orange qu’à la fin de la guerre on rassemblerait une collection de journaux et de lettres portant sur cette guerre. Pense comme ce serait intéressant si je publiais un roman sur l’Annexe ! »
Cramoisi de colère, Adolf se met à piétiner violemment Wagner avec le talon de sa botte militaire jusqu’à en faire de la bouillie électronique, tandis qu’Anne s’exalte à l’idée d’écrire jusque dans les moindres détails son expérience, dans le but d’informer les gens sur les horreurs de la guerre perçues à travers le prisme de sa clandestinité.
Au plus grand soulagement d’Adolf, Wagner finalement se tait. Ne règne plus que le silence. Le visage blême et les yeux fixes, Saint Nicolas le dévisage avec insistance. Adolf observe d'abord sans ciller les débris de son téléphone sous sa botte, puis redresse la tête et sourit, avant de réaliser qu’il stupéfait Saint Nicolas. Sans se démonter, le visage encore empourpré mais heureux, il déclare en expirant bruyamment :
- Ah ! Enfin un peu de calme !
- « Quelqu’un qui rougit s’excite encore plus en s’échauffant et perd vite ses moyens ! » se moque Anne.
- Et bien toi, on ne peut pas dire que tu sois nomophobe ! Commente Saint Nicolas. Bon, nous n’avons plus rien à faire ici ! déclare-t-il ensuite froidement. Je vais te ramener d’où tu viens. Mais avant tout, écoute bien ceci !
Adolf le toise et, tout en adoptant une posture qui montre qu’au fond de lui il se fiche à l’avance de ce qu’il va entendre, déclare avec arrogance :
- Tu as raison ! Partons d’ici ! Car à quoi ça a servi, tout ça ? Hein ! Dis-moi !
Saint Nicolas se met à imiter son attitude boursouflée :
- "La pensée d’une quelconque dictature m’aurait apparu comme un crime contre la liberté et contre toute raison !", dit-il.
Adolf reconnaît là une de ses phrases, mais ne bronche pas.
- C’est pourtant ce que tu as fini par mettre en place, Adolf ! Un crime contre la liberté, contre l’humanité et contre la raison !
Instinctivement, Adolf renâcle avec morgue. Le regard et le ton de voix de Saint Nicolas se font alors impérieux :
- Nous sommes début août 1944, vers dix heures du matin, impose-t-il à l’imagination de l’ancien Führer, une voiture vient de s’arrêter devant l’immeuble où nous nous trouvons. Un officier SS en uniforme en descend, accompagné par trois civils armés et au service de ta police. Il sait où il va. Il se dirige droit vers la porte-bibliothèque devant toi.
Adolf constate en effet que de l’autre côté, on s’agite. L’officier SS que vient de mentionner Saint Nicolas crie des ordres. Il exige qu’on ouvre la porte. Il y a des bruits d’outils, des coups de marteaux et des secousses, tout le chambranle tremble et, dans un nuage de poussière, la porte s’ouvre enfin. Apparaît l’officier SS Silberbauer qu’Adolf ne connaît pas personnellement. Il a les oreilles décollées, le visage légèrement asymétrique et les cheveux coiffés vers l’arrière. Il se tient parfaitement droit, il fait un pas en direction de l’Annexe mais n’entre pas. Il semble dévisager son Führer mais ne le salue pas. Adolf attend de lui son « Heil Hitler ! » réglementaire, mais celui-ci ne vient pas. Au contraire, Silberbauer, entrant finalement dans l’Annexe, se poste à quelques centimètres de son chef suprême sans lui adresser le moindre regard. Puis, il se met à crier des ordres qui font sursauter Adolf. Aussitôt ses hommes courent se poster un peu partout dans la cachette. Dans les étages, les pleurs angoissés de certains membres de l’Annexe se mélangent aux protestations de ceux qui s’estiment inutilement malmenés. Dans la pièce contiguë à la salle d’eau où Adolf a soulagé Kitty avant de la faire pleurer, c’est la chambre d’Anne, dont Adolf ignorait jusque là l’existence. On informe l’officier SS que le père de cette dernière s’y trouve, auprès des siens. L’information stupéfait Adolf qui se demande si Saint Nicolas était au courant qu’ils étaient là. L’officier traverse d’un pas vif la salle d’eau et pénètre dans ladite petite chambre. Aussitôt, il interroge presqu’en criant ce chef de famille clandestin, dont il ne semble pas croire les réponses puisqu’il vide par terre, et sans ménagement, une sacoche en cuir qu’il pensait être pleine de bijoux, contrairement à ce qu’on venait de lui assurer. Elle ne contient que des feuilles de papier, des livres et un journal intime qui n’intéressent pas le SS. Il veut uniquement les bijoux. Et l’argent aussi. Comme on finit par les lui indiquer, il veut maintenant savoir depuis combien de temps tout ce petit monde vit reclus dans cette cachette. Deux ans. Incrédule, on lui fait remarquer sur le mur à côté de lui de nombreux traits horizontaux, écrits à l’encre violette, qui montrent que les enfants ont grandi. Il ne commente pas. Il donne simplement l’ordre aux clandestins de rassembler leurs affaires. Il leur octroie cinq minutes pendant lesquelles il dialogue un peu avec le père d’Anne. Il est surpris d’apprendre que ce dernier est un officier vétéran de la Première Grande Guerre ayant servi dans l’armée de terre allemande. Puis, l’ordre est donné d’embarquer tout le monde dans des camions pour être, plus tard, interrogés. L’officier SS ressort de la chambre, passe à nouveau devant Adolf sans le voir, et se poste sur le palier devant l’Annexe pour attendre les clandestins. Au moment où Anne et toute sa famille sont sur le point de franchir la porte de leur minuscule chambre et d’apparaître aux yeux d’Adolf, la vision de ce dernier se trouble de façon soudaine. Ses yeux le brûlent, il pleure des larmes d’acide, ses orbites se remplissent de lave incandescente qui enflamment ses globes oculaires. La douleur est si vive et si cruelle qu’il se met à hurler et à se contorsionner au milieu du couloir.
- Mes yeux ! Mes yeux !
- Il va falloir t’habituer, Adolf ! lui lance placidement Saint Nicolas. Car ce n’est pas une simple réminiscence de ce gaz que tu as reçu dans la figure en 18, mais plutôt le signe avant-coureur de ce qui t’attend. En tout cas, c’est ce que souhaitent pour toi nombre de gens !
Pendant plusieurs minutes, interminables, les doigts enfoncés dans ses orbites comme s’il cherchait à s’énucléer lui-même en arrachant la chair bouillie qu’il se figure couler sur son visage, Adolf convulse et geint bruyamment, jusqu’à ce que, sans prévenir, tout s’arrête. Sans explication et comme si de rien n’était, il recouvre la vue, il n’a plus ni douleur ni stigmate, et partout le silence a envahit l’Annexe.
- Ils sont où ? demande-t-il tout en essayant de se remettre de ses émotions.
- Il n’y a plus personne.
Adolf se précipite vers l’escalier dans lequel il était tombé à la renverse, vaincu par les coups de sac à main de la petite dame enseignante. Il se penche, cherche à voir entre deux larmes mal séchées ceux qui le descendent, mais il n’aperçoit que la silhouette imparfaite d’un soldat qui s’en va.
- Elle est où ?
- Qui ?
- Anne ! Je veux la voir !
- Elle est là ! lui répond Saint Nicolas en le tirant manu militari par la manche jusque dans la chambre contiguë aux toilettes.
Adolf ne comprend pas. Il pensait qu’Anne avait suivi les soldats. Il découvre la chambre. Elle est exiguë et dépouillée, à peine plus large que la fenêtre qui l’éclaire. Le papier peint est de la même teinte que celui de la salle d’eau. Pour égayer les murs, ont été collées de manière éparse des images de paysages, de stars de cinéma et des photos d’art. Deux lits étroits sont disposés de part et d’autre de la fenêtre, et entre les deux rampe un tapis usé, étroit lui aussi. Au pied du lit de gauche, une table en bois fatigué sert de petit secrétaire. Tous les papiers qui se trouvaient dessus jonchent désormais le sol. C’est l’œuvre de l’officier SS qui, en vidant la sacoche supposée pleine de bijoux, a répandu plusieurs centaines de pages manuscrites. Certaines ont été piétinées.
- Il n’y a personne, ici ! s’étonne Adolf.
- Si ! Là ! indique Saint Nicolas en désignant un cahier journal parmi les feuilles. Il y a Anne ! Il y a aussi Kitty et tous les autres !
- Je ne comprends pas… Je veux parler de personne en chair et en os, moi !
- Évidemment qu’il n’y a personne en chair et en os ! rit jaune Saint Nicolas en balayant la chambre du regard.
Puis, se tournant vers Adolf pour le dévisager sévèrement, sur un ton énigmatique qui n’appelle pas de réponse, il ajoute :
- Qu’est-ce que tu croyais ? À cause de toi, elle n’existe plus la chair de cette gamine. Quant à ses os, il y a longtemps qu’ils ont disparu !
Adolf ne dit rien. Il observe le fouillis de la petite chambre et les nombreuses feuilles répandues sur le sol. Sur le haut de l’une d’entre elles, il distingue la formule "Chère Kitty". Le texte est dissimulé sous d’autres feuilles posées à l’envers, mais plus bas il distingue une autre mention : "Bien à toi."
- Allez ! On y va ! annonce Saint Nicolas en saisissant de nouveau le bras d’Adolf.
- On va où ? réagit-il en tentant de se défaire.
- Je te ramène où tu sais !
Adolf continue d’agiter son bras pour tenter de se libérer de la poigne de Saint Nicolas, mais ce dernier ne lâche pas prise et le conduit sans délicatesse jusque sur le palier de l’Annexe. Au moment de descendre l’escalier qui mène à l’entrepôt, Saint Nicolas se met à décrire le sort réservé aux clandestins :
- Ils sont au quartier général de la Gestapo où ils vont être interrogés. Ensuite, ils vont être transportés au camp surpeuplé de Westerbork. Ils ont eu le tort d’avoir voulu échapper à tes atrocités, alors ils sont coupables et considérés comme des criminels. Là, jusqu’en septembre, ils vont ouvrir des piles quasiment à mains nues pour en retirer le métal toxique, jusqu’à leur départ en convoi vers Auschwitz. Le voyage va durer trois jours ! Sans manger ni boire ! Entassés comme de vulgaires animaux, sans aucune hygiène ! Les hommes et les femmes vont être séparés et ne plus jamais se revoir. Parmi eux, Emma Morgenstern, la femme de Samuel qui vendait tes toiles à Vienne. Mais je ne t’apprends rien, n’est-ce pas ! Tout ça, tu le sais déjà ! C’était ton choix ! Tes ordres ! Tout comme les enfants de moins de quinze ans qui vont être immédiatement gazés ! Par chance, Anne vient de les fêter, elle va être épargnée pour être utilisée. Tes soldats vont la forcer à se déshabiller entièrement, avant de lui raser la tête et lui tatouer un numéro d’identification sur le bras, parce qu’en tant qu’homme d’État soucieux de la bureaucratie, tu as souhaité que tout soit bien organisé. Ordre et discipline, tel est ton credo, n’est-ce pas ? En octobre, les nuits sont glaciales dans les baraquements bondés et insalubres. Anne y attrapera la gale mais elle continuera d’être utilisée comme esclave…
Tandis qu’ils s’approchent de la porte d’entrée de l’immeuble, Adolf perçoit de l’agitation à l’extérieur. Il ne distingue encore rien de précis, mais il comprend que la rue est animée.
- Vers la fin de ce même mois d’octobre, tes SS font évacuer une partie du camp vers l’Allemagne. Anne et Margot sont transportées jusqu’à Bergen-Belsen, tandis que leur pauvre mère reste à Auschwitz où elle meurt d’épuisement deux mois plus tard. Encore trois jours de voyage pour les deux sœurs qui arrivent exténuées. Sur place, la neige tombe et là encore le camp est glacial, insalubre et surpeuplé. Aussitôt, on les fait travailler au recyclage de vieilles chaussures. Mais l’état de santé de Margot se dégrade et elle n’a bientôt plus la force de quitter sa misérable couche. Les vêtements chauds sont rares dans les camps, mais ça aussi tu le sais parfaitement bien. C’était volontaire. Pour arranger tes affaires, tu avais fait en sorte que tout le monde souffre du froid et des privations de nourriture.
À travers la vitre opacifiée de la porte d’entrée, Adolf regarde avec angoisse la lumière qui luit depuis la rue.
- Comme tout le monde, Anne est cachectique, tremblante et a les traits émaciés. Par hasard, elle retrouve deux de ses anciennes amies. L’une d’entre elles lui procure un petit paquet contenant des vêtements et de la nourriture, mais elle se le fait immédiatement subtiliser par une autre détenue tout aussi miséreuse qu’elle. Normal, tu as réduit tout ces gens à l’état de bêtes. En mars, les poux propagent le typhus qui, en à peine quelques jours, emporte Margot. Puis, quelques semaines à peine avant la libération, c’est le tour d’Anne.
Au moment de poser sa main sur la poignée de la porte, Saint Nicolas ajoute un dernier détail :
- Leurs corps sont, depuis, enfouis quelque part dans une fosse commune du camp. On ne sait rien de plus.
Puis, il ouvre la porte. Tout de suite, Adolf comprend que l’agitation provenait d’une foule qui attend au pied de l’immeuble. Comme il hésite à sortir, craignant que la vue de son uniforme ne provoque une fois de plus une pluie de coups de sac à main, Saint Nicolas le presse et ils découvrent toute une troupe de journalistes et de photographes, appareils photos en bandoulière, caméras, perches et micros prêts à intervenir. Immédiatement, Adolf pense que c’est pour lui s’ils sont là, mais, au moment de faire quelques pas vers eux, puis, jusque vers le milieu de la rue, personne ne réagit. Saint Nicolas et lui se postent là et observent la scène. Il fait beau, l’air est doux, il y a plusieurs centaines de personnes civiles de tous les âges ; certains font la queue et attendent de pouvoir pénétrer le 263 Prinsengracht, dont la façade ne ressemble plus à celle qu’Adolf avait vaguement observée quand il y était entré ; elle est plus moderne ; d’ailleurs, tous les bâtiments alentour semblent être en bien meilleur état qu’à l’époque. Il y a parmi la foule un groupe de personnes qui se sont rassemblées un peu à part et qui agitent des drapeaux jaune et bleu et des pancartes réclamant la fin d’une guerre dont Adolf n’a pas connaissance. Il remarque que certaines pancartes mentionnent son nom. Il y a aussi un peu plus loin d’autres personnes qui brandissent elles aussi des drapeaux, parmi lesquels figure celui d’Israël, mais aussi un autre qui ressemble à celui de la grande révolte arabe de 1916-1918. Il y a également des promeneurs, qui à pied qui en vélo, quelques uns ont un masque sur le visage, d’autres des foulards multicolores autour du cou ou sur la tête. Tous ont un téléphone comme le sien entre les mains. Curieusement, personne ne fait attention à eux. Certains s’invectivent et se filment mutuellement. Un cycliste qui passait par là file tout droit vers lui et, dans l’indifférence la plus totale, le traverse sans le percuter. Adolf comprend qu’il n’est pour tout ces gens qu’un spectre invisible. Désignant les fileurs de queue, les journalistes et les manifestants, il s’interroge :
- Qui sont ces gens ?
- Eux ? Et bien, ils sont là parce que, hélas, mille tragédies agitent encore la Terre, lui explique indistinctement Saint Nicolas. Mais certains d’entre eux sont des Kitty.
- Comment ça ?
- Ma foi c’est évident ! Il y a parmi eux des amis que la jeune Anne a finalement réussi à se faire ! Ils sont des millions de part le monde à avoir lu son journal, et certains viennent parfois de loin pour lui rendre visite comme on rend visite à une amie pour lui témoigner son amitié !
- Je ne comprends pas…
- C’est exactement comme Anne l’avait souhaité ! Elle n’est pas restée un être insignifiant ! Elle qui doutait d’avoir un jour sa place dans le monde et dans le cœur des gens, elle est devenue ce qu’elle avait souhaité devenir par dessus tout : une écrivaine reconnue ! Il y en a parmi ces gens qui sont à la fois là pour elle et pour ce qu’elle représente.
Même s’il peine à comprendre ce à quoi il assiste pourtant, Adolf doit se rendre à l’évidence ; il y a là une foule bigarrée qui semble attester qu’Anne n’est pas morte.
- Anne est vivante ? demande-t-il naïvement. Tu m’as pourtant dit tout à l’heure que…
- Elle est vivante, oui ! Mais pas comme tu l’imagines !
- Et les journalistes ? Et les manifestants ?
- Eux, c’est différent. Comment t’expliquer ? D’abord, je me doutais que ma petite étourderie spatio-temporelle ne passerait pas inaperçue ! C’est de ma faute ! Le monde est tellement surmédiatisé aujourd’hui que plus rien n’échappe aux objectifs qui filment tout ! Parmi les journalistes, certains d’entre eux sont là parce qu’ils ont eu vent sur les réseaux sociaux de ta présence en ces lieux. La vidéo de ta gamelle dans les escaliers est vite devenue virale, comme on dit aujourd’hui, c’est-à-dire qu’un grand nombre de personnes l’a visionnée.
- Je ne comprends pas…
- C’est parti dans tous les sens ! Les images ont suscité des réactions diverses, de l’interrogation, de l’indignation, certains ont dénoncé de la provocation, de l’outrage, de la profanation ! D’autres y ont vu de la supercherie, un canular ! D’autres encore ont voulu récupérer l’événement pour lui donner une dimension politique ! Ils sont là pour protester. Que veux-tu, c’est comme ça maintenant ! Les gens sont hyper réactifs ! Il y a de l’agitation autour de toutes les images ! C’est une guerre de communication permanente ! Sans compter les milliers et les milliers de commentaires qui déferlent dans les médias !
- Non, vraiment, je ne comprends rien à ce que tu dis…
- Une rumeur court. Tu serais revenu d’entre les morts pour venir hanter le Monde et en particulier l’Annexe. Certains crient à l’imposture, bien sûr, tandis que les autres y voient un coup médiatique, voire de la propagande. Fallait s’y attendre. Il est question d’ésotérisme, de mysticisme, de signes avant-coureurs, etc. Tous ces gens que tu voies, les yeux rivés sur leurs écrans, ils sont connectés à un immense réseau mondial, ils communiquent avec des gens qu’ils ne connaissent pas et qui sont à l’autre bout du monde ; ils leur montrent ce qu’ils sont en train de faire, de dire ou de voir. Ils courent après les likes. Tous ont vu et ont partagé la vidéo de ta dégringolade dans les escaliers ! Certains pensent que tu es revenu. Les journalistes sont là pour ça, pour capturer une éventuelle autre apparition, ou pour faire témoigner ceux qui prétendraient avoir vu quelque chose !
- Mais… s’efforce de réfléchir Adolf, Anne, dans tout ça ? Elle parle à tout ceux qui entrent là-dedans aussi, comme à moi ?
- Quelqu’un t’a parlé ? feint de s’étonner Saint Nicolas.
Aussitôt, Adolf le toise :
- Évidemment ! Tu le fais exprès ou quoi ?
- Non, je suis simplement un peu surpris, s’amuse Saint Nicolas. Je pensais que les seules voix que tu étais capable d’entendre étaient celles qui, en chœur et par milliers, scandaient ton nom !
- Et les autres, ils sont là pourquoi ? élude Adolf en désignant le reste de la foule.
- Anne ne t’a pas parlé, Adolf ! veut préciser Saint Nicolas. Elle parlait à Kitty.
- Je ne suis pas Kitty !
- On s’en est rendu compte ! déplore Saint Nicolas.
Un homme qui observait discrètement la foule en compagnie d’un petit groupe d’amis prend soudain congé de ces derniers et quitte le trottoir pour traverser la rue. Il se dirige tout droit vers eux. Son vêtement est floqué de discrètes petites armoiries indiquant qu’il appartient à un groupuscule néonazi. Tout comme le cycliste précédemment, il traverse candidement le spectre d’Adolf, sans s’imaginer avoir au passage quasiment embrassé la bouche du Führer. Adolf se frotte les lèvres du revers de sa main après coup, en signe de courroux.
- Ça aussi ça a bien changé depuis ton époque, tu sais !
- Quoi donc ?
- Les mœurs.
- Que veux-tu dire ?
- Disons que, peut-être, cet homme aurait aimé être informé qu’il vient de t’embrasser sur la bouche ! rit Saint Nicolas.
Adolf proteste et regimbe devant cette hypothèse.
- De ton vivant, tu l’aurais immédiatement et cruellement fait gazer, on le sait bien, mais bon, tu n’as plus ta place ici, même si certains ici et là se sont mis en tête de vouloir faire revenir tes idées folles. Allez ! Tu en as assez vu ! On rentre !
Adolf n’a pas le temps de réagir. Dans l’instant qui suit, il retrouve l’immensité dénuée d’horizon d’où Saint Nicolas était venu le tirer.
Sans surprise, tout y est blanc, calme et silencieux. Immédiatement, et pour la toute première fois avec acuité, Adolf ressent à nouveau l’absence de pouls dans son corps d’ancien guide suprême. Sous son costume militaire, il n’y a plus rien de vivant ; impossible pour lui d’exhaler la moindre vapeur d’air. Tout autour, il n’y a rien de vivant non plus. Rien pour accrocher le regard, pas de passants, pas de cyclistes, pas de soleil, pas de fenêtre ni de ciel. Ni de téléphone. Uniquement une étendue maussade qu’il déteste, infiniment uniforme et déprimante, où la seule chose sur laquelle le regard peut s’accrocher… c’est soi.
Machinalement, Adolf inspecte son uniforme raide et terne. Il est paradoxalement à la fois satisfait d’en être vêtu, et un peu contrarié de l’avoir troqué contre sa robe. Il s’y sent bien, mais quelque chose lui dit qu’il n’aura plus jamais l’occasion de porter autre chose et que personne ne l’admirera plus jamais ainsi vêtu. L’éternité n’aura rien de surprenant à lui offrir, alors qu’en bas, il y avait quand même encore des moments de surprise… Puis, se ressaisissant, il s’enquiert de savoir quelle va être la suite du programme :
- Et maintenant ?
- Rien ! répond Saint Nicolas.
Cette réponse, Adolf la redoutait. Elle résonne en lui comme une annonce angoissante :
- Comment ça, rien ?
- Ben oui ! Rien ! Je dois y aller de toute façon. Je te l’ai dit, j’ai une tournée à faire, un costume rouge et blanc à enfiler, des millions d’enfants à réjouir, avant d’enfiler d’autres costumes, par exemple le bleu qu’apprécient certains pays froids, grâce auquel j’essaierai de réjouir les enfants qu’un va-t-en-guerre de ton acabit traumatise et désenchante pas mal en ce moment.
- Ah ! Vous voilà ! le coupe Jésus au moment d’apparaître devant eux.
Surpris, Adolf sursaute.
- J’allais partir ! dit Saint Nicolas.
- Très bien ! Et merci Nicolas ! lui répond Jésus comme pour lui faire savoir qu’il a regardé depuis son poste d’observation tout ce qui s’est passé avec Adolf. Tu as parfaitement rempli ta mission !
- Et quelle était-elle ? veut savoir Adolf.
- Montrer que tu n’es ni un Messie, ni un prophète, ni un père Noël pour personne ! lui apprend Saint Nicolas. Juste un pauvre type qui a tout renié et qui a tenté de marchander son Salut en essayant de se faire passer pour celui qui juge le dernier, un Dieu politique insensé, au lieu d’humblement se repentir de ses crimes, de son orgueil, de ses erreurs et de ses faiblesses.
Puis, hochant la tête, il inspecte une dernière fois l’ancien Führer de haut en bas et ajoute pour conclure :
- Personne ne devrait s’imaginer pouvoir marchander son Salut en massacrant des gens au nom d’une gloire qui ne leur revient pas, de toute façon.
Se tournant ensuite vers Jésus, il le salue simplement et s’en va comme il était venu, en glissant sur un hoverboard invisible, avant de disparaître tout à fait.
- Bon ! lance alors Jésus en s’adressant à Adolf. Fin du jeu !
- C’est possible, lui répond Adolf en levant le nez vers lui. Je ne sais pas exactement quel était ce jeu, mais je crois pouvoir dire sans trop me tromper que je l’ai gagné ! Non ? N’ai-je pas été parfait, comme il avait été dit ?
- Oui et non !
- Comment ça oui et non ?
- Si l’on considère qu’il s’agissait de jouer au jeu de la vilénie, de l’abjection, du déshonneur, de l’indignité, de l’obstination pathologique et de l’antipathie, c’est oui ! En principe, personne ne veut jamais jouer à ce jeu-là, et encore moins triompher, sauf quelques rares cas, dont toi ! En ce sens, oui, tu rejoins le petit cercle des vainqueurs. Mais l’histoire qui vient de se dérouler était au service d’un autre jeu.
- Comment ça, au service d’un autre jeu ?
- Tu penses bien que je sais depuis longtemps que tu fais partie de ceux qui ne regretteront jamais leurs actes ni leurs paroles. Toi, tout ce que tu regrettes, c’est d’avoir perdu le pouvoir et la guerre. Conquérir… S’agrandir… S’imposer… Commander, punir et au besoin tuer ! Voire éradiquer ! Tu vois ce dont je parle, n’est-ce pas ?
- Et après !
- C’était usurper la parole divine ! C’était s’enflammer et faire des discours pour galvaniser celles et ceux qui t’écoutaient et qui t’ont pris pour ce que tu n’étais pas !
- Quel est le rapport avec ce jeu que je suis supposé avoir perdu ?
- Le jeu de la postérité ! Pardi ! Le jeu des noms qui entrent dans les livres !
- Alors j’ai gagné ! se réjouit Adolf en se souvenant de tout ce qu’il a lu à son sujet sur son téléphone.
- Pour une minuscule poignée de suprémacistes seulement ! tempère Jésus. Mais tu devrais les voir ! Il y en a, par exemple, qui se déguisent en bison avec des cornes avant de prendre d’assaut les symboles démocratiques de leur pays !
Adolf fronce les sourcils pour montrer qu’il ne comprend pas.
- Ils profanent, Adolf ! Ils profanent ! Et c’est toujours au nom de quelque chose qu’on ne comprend pas vraiment, ou au profit de quelqu’un qui nous manipule, qu’on le fait ! Ton nom est désormais dans les livres pour illustrer ce genre de choses ! Il est utilisé par des dirigeants maladivement ambitieux, cruels et brutaux comme toi ! Ils amènent la guerre là où il n'y en avait plus, sur des terres encore convalescentes d’anciens conflits, éprises de liberté, d’émancipation et de démocratie ! Ils empruntent à tes méthodes la terreur pour y semer à nouveau le chaos !
- De quelle guerre parles-tu ? Qui fait la guerre à qui ? voudrait savoir Adolf.
- Peu importe ! Ce ne sont que des exemples parmi d’autres pour t’expliquer à quoi sert désormais ton nom ! Sache seulement que sur Terre, on stigmatise encore et beaucoup certaines catégories de personnes comme tu l’as fait en ton temps ; nombre de tribuns tiennent des discours tout aussi abjects que les tiens face à des foules aveuglées par un quotidien douloureux, prêtes à rendre responsables de tous leurs maux n’importe qui ! Des hommes et des femmes, et parfois même des enfants, parfaitement innocents !
- Quel rapport avec moi ? Je ne suis pas responsable !
- Tu ne comprends donc pas ? se désole Jésus. Tu fais partie de ceux qui ont propagé l’idée qu’il y avait sur Terre des gens qui ne seraient rien ! Et certains mégalomanes de ton espèce se sont mis en tête de refaire subir à l'humanité les conséquences de cette idée !
- Je ne vois toujours pas le rapport avec un quelconque jeu !
- En vérité, je te le dis, tu as perdu, Adolf ! Et ceux qui t’emboitent le pas finiront par perdre eux aussi ! C’est Anne la gagnante ! C’est grâce à elle si les gens qui lisent la présente histoire auront envie de garder espoir et auront foi en l’humanité ! Pour de multiples raisons, il y a en ce moment-même des gens innocents qui se cachent et qui se terrent parce que des bombes leur tombent dessus. Où qu’ils soient, la parole d'Anne doit leur parvenir, car elle enseigne quelque chose que tu n’as jamais su comprendre : il ne faut jamais cesser d’aimer ni perdre espoir ! Ne jamais se laisser convaincre de la défaite lorsque la cause est juste ! Il faut rester confiant dans l’idée de pouvoir se rendre à nouveau sans peur dans les rues près de chez soi, libre d’aller et venir avec son prochain, de s’installer à la terrasse d’un café ou d’un restaurant sans se préoccuper de qui va surgir ! Il ne faut pas s’en remettre à toi et à la peur que tu propages, il faut s’en remettre à Anne ! Tu l’as entendue, pour elle, la joie réside dans la conviction préservée de pouvoir sortir et admirer le monde. Et d’apprendre aussi ! Tu l’as condamnée aux pires pensées, mais ce sont les coins de ciel bleu qu’elle contemplait à travers la fenêtre de son grenier qui ont sauvé son esprit et son âme ! Grâce à son récit, les gens ont de quoi ressentir ce genre de joie, ils peuvent se les approprier s’ils vivent des temps difficiles ! Le jeu, c’est elle qui en remporte la victoire !
- Mais de quel jeu s’agit-il, à la fin ?!
- Le jeu du Verbe ! Le jeu de la parole, que dès le commencement de la vie on a en soi ! Celle qu'on couche sur le papier pour en faire don à des lecteurs et à des lectrices que l'on ne connaît pas ! Le jeu du logos généreux, de la grâce que l’on partage ! Car à la fin, c'est la beauté qui se transmet le mieux ! Pas la laideur ! Ce sont les paroles d’Anne, altruistes, et non les tiennes, asphyxiantes, qui inspireront le lecteur ou la lectrice du présent récit. Grâce à son témoignage et au souvenir que laissera la présente modeste petite histoire dans les esprits, chacun trouvera l’air frais dont il a besoin ! Toi, ton logos, il ravage ! Et au moment de finir de lire ces quelques lignes, gageons que dans leurs conversations futures, les gens se souviendront bien mieux de la robe de la pauvre Kitty qu’Anne aimait tant, et que toi tu as torturée, que de ton uniforme militaire ! Qu’ils se souviendront bien mieux des émotions d’Anne, de son envie de vivre, de son enthousiasme, de sa grandeur d’âme et de sa générosité de cœur que de ton impossible repentir ! Auquel ils auront pourtant peut-être voulu croire à un moment donné… Mais ils ne seront pas vraiment surpris ni déçus, car ils savaient de toute façon au fond d'eux que tu fais partie de ceux qui sont habités par quelque chose d’impérieusement mauvais ! Au delà des lignes qu’ils sont en train de lire, c’est le journal intime de Anne qui voyagera de bouche à oreille, et sauvera peut-être quelques âmes perdues tentées par toi !
Adolf refuse l’idée d’être supplanté et grimace.
- Les temps en bas sont délétères, les chars envahissent une fois de plus les rues de villes et de villages paisibles, les obus pleuvent et inondent de sang des plages, des champs fertiles ; des barrages et des ponts explosent, des immeubles ensevelissent de leurs décombres d’innocentes victimes ! Partout on présage l'apocalypse, les bombes atomiques ! Parfois, il ne s’agit que de murs gigantesques que l’on veut construire, mais une chose est sûre, ce qui manque le plus, en bas, ce n’est pas la haine qui se répand partout comme tu as su toi-même la répandre, mais une prodigieuse compassion, capable d’ouvrir des voies de sortie inespérées dans toutes ces impasses de haine ! Il y a des livres qu’on lit et qu’on oublie, mais il y en a d’autres qui veulent inspirer l'idée que ces voies existent ! La parole d’Anne Frank porte en elle un amour universel ! Les cyber attaques modernes, les fakes news et autres propagandes issues de médias complaisants, d'intelligences artificielles et de fermes à bots qui sèment la pagaille dans les esprits, rien de tout cela ne fera jamais disparaître Anne et son logos ! Je sais que tu ne comprends rien à tout cela, que c’est pour toi du charabia, mais ça ne t’est de toute façon pas destiné. Tu n’es pas l’enjeu de cette histoire. L’enjeu, c’est le lecteur ! Sache seulement que si le mensonge règne sur Terre avec bien plus d’intensité qu’autrefois, notamment grâce aux objets que Nicolas t’a montrés, un simple petit livre de rien du tout peut suffire à ouvrir les yeux de ce lecteur. Le journal d’Anne Frank en est le meilleur exemple ! Le jeu, c’est un jeu d’écrits, Adolf ! Ceux de la jeune Anne contre les tiens ! Un jeu d’écrits pour remettre ceux de Anne en lumière ! Un jeu dans lequel tu devais porter une robe pour voir si tu pouvais apprendre à la respecter. Mais non, tu ne l’as pas fait ! De ton uniforme militaire, dont tu es si fier, il ne faut garder qu’un souvenir écœuré et écœurant ! Car rien n’est uniforme, dans la vie ! De toi, il ne faut retenir que ton racisme monstrueux et ton coupable péché d’hubris ! Il faut, sans s’émouvoir, te laisser retourner vers la solitude éternelle que tous les gens comme toi méritent : la solitude de l’oubli ! Avec l’espoir qu’un jour, toi et tes idées abjectes, vous redeviendrez poussières pour de bon. Tu voulais conquérir un immense territoire au prix du sang et des larmes ? Te voilà récompensé par l’immensité que tu as devant toi ! Mais tu n’y croiseras jamais plus personne, car c’est ce lieu d’oubli que tu mérites. Seul, sourd et aveugle tu as été, seul, sourd et aveugle tu demeureras. Toujours sous la présidence aliénante de ta mémoire, bien sûr ! Mais sans le souvenir que t’aura laissé ce jeu auquel tu viens de participer ; parce que Anne et sa voix, ses paroles et son bel esprit, tu n’as de toute façon jamais eu le cœur à les écouter. Il faut réserver cela à celles et ceux qui ont un bien meilleur cœur que le tien, car c’est en cela que réside la victoire qui revient à Anne : c’est à elle que revient le pouvoir... de réenchanter le regard !