Le culte d'Oroar, parcelle de l'entité divinisée Ogra, était dirigé par l’Église de la Divine Sainteté d'Ogra en une dame qu'on appelait la plus Sainte des Saintes Lumières. Mélisse Wajikh. Une belle femme, à la peau blanche comme la neige, aux cheveux noirs et aux yeux verts qui n'avaient pas l'air d'avoir passé toutes ces années à prier. Cette découverte déconcerta Medgardt qui, à peine arrivé dans le grand hall de l'église, fut tout de suite impacté par le haut plafond voûté en ogive. Ses joues rondes le brûlèrent d'extase tellement il était enthousiasmé par la blancheur dorée. Il la vit et eut les yeux écarquillés de quand on ne s’attendait pas à être touché par la Grâce.
Elle avait le visage fin et un petit menton rond, vers un cou délicat qui invitait aux baisers. Il s'en voulut de penser à ce fait si vrai et rougit de plus belle. Ses cheveux étaient rassemblés dans un chignon placé haut et sa robe était sans rondeurs, d'un blanc pur, allant jusqu'à ses chevilles. Cela accentuait une soudaine sévérité dans son visage qui atténuait grandement sa beauté et le calma.
– Veux-tu arrêter de sourire comme un benêt, petit homme ? Cela me met mal à l'aise.
Elle lui adressa un sourire doux qui ne servait pas vraiment d’excuse à sa parole un peu abrupte.
– Désolé de te secouer, se reprit-elle. Cependant, le culte n'attend pas et tu bloques le passage.
Medgardt se rendit compte qu'il était en plein milieu de la voie et s'écartait, les joues cuisantes.
– Ah oui ! Bien sûr, votre Sainteté. Excusez-moi. J'étais en pleine extase devant ce lieu.
– Votre Sainteté ? Cela me vieillit. Tu peux m'appeler Mélisse. Effectivement, c'est magnifique.
Ses yeux se détournaient vers les colonnes faites de marbre et le haut plafond aux fresques divines à proximité des moulures. Il vacilla lors ce qu'elle passa, le nez empli du doux parfum de menthe sauvage dans ses cheveux.
– Je... Je croyais qu'il n'y avait que des femmes pour pratiquer le culte d'Oroar en l'honneur d'Ogra. Où sont-elles passées ? Un tiers de cette assemblée est composé d'hommes, il me semble.
La Sainte Lumière se tourna vers lui, laissa ses yeux se plisser de moquerie, s’étrécissant sur son vis-à vis. Puis, encore à quelques mètres des autres, elle reprit la parole où il l'avait laissé.
– Et cela te dérange ? Les hommes valent autant que les femmes, et inversement,... petit homme.
– Non. Je constate juste ce fait. C'est pour cela que j'ai pu intégrer le culte.
Alors qu'il continuait leur chemin, face aux dos des autres, passant entre les deux rangées de colonnes les menant à la salle de prière, sa réponse vive lui provoqua un rire fleuri et délicat.
– Malheureusement, il y a de moins de moins femmes qui viennent car elles n'ont pas pu exister.
Medgardt hocha la tête, car il savait, comme tout le monde, l'impitoyable vérité. De moins en moins de nourrissons étaient des filles à leur naissance. Personne n'avait pu expliquer ce phénomène bizarre. Même si des gens essayaient toujours de trouver la cause, une fois l'étonnement passé, la vie avait repris son cours en s'adaptant à ce nouvel élément. Non que celui-ci méritât toute leur attention, seulement ils avaient d'autres chats à fouetter et ils avaient su détourner ce problème.
Les femmes furent forcées de reconnaître que la création devait continuer. Grâce à un recensement de celles-ci et à leur réquisition forcée, elles s'étaient sacrifiées. Pour ce qui concernait de besoins purement factuels, les hommes allaient montrer leur bouton à la Halle des Douceurs, une des constituantes du Domaine des Plaisirs. Qu'il soit poli, ancien, blême, cuivré, lourd, pendant ou rafistolé, ce lieu accueillait tout type de boutons et de travers de jaquettes. Il supportait la jouissance du Haut-Monde comme du Bas-Monde en contrepartie de Biens. Ils bougeaient, s'amusaient, faisaient vibrer leurs os creux et repartaient du Domaine avec un frisson doux et délicieux.
Medgardt s'aperçut que la Sainteté, Mélisse, avait haussé un sourcil. Elle se demandait certainement ce qu'il faisait à ne pas bouger. Elle, s’était avancée sans rien dire. Il la rattrapa fébrilement.
– Si ce n'est pas indiscret, à quoi tu pensais ?
Le jeune homme fit une mine de rien et regarda par terre. Son regard dardait sa nuque et son silence ne la décourageait pas pour autant. Il ne vit pas que le regard de la femme était plus qu'a amusée sur ses coins de joues qui se creusaient. La voix souriante de la dame lui parvint de plus loin :
– Ce n'est pas grave si tu ne veux pas me le révéler. De toute façon, je suis trop curieuse. Allons-y !
Quand il releva la tête vers elle, l'expression humaine qu'il vit sur le visage de Mélisse et sa compréhension lui firent chaud au cœur. Pendant quelques minutes, il se fit la réflexion qu'il allait lui avouer ce qu'il pensait. Puis, ils furent enfin dans la salle de prière déjà remplie de monde.
Alors qu’ils se séparaient, lui, s'asseyant sur un banc et elle, montant à l'estrade, cette décision s'évanouit. La Sainte Lumière avait remis sur elle son air sérieux de Sainte Lumière.
– Honorons notre diésse Ogra en ce jour sacré. Bénissons-le et il nous bénira. Je sais...
Elle s’arrêta une seconde , croisa les mains, le Livre des Lumières devant elle, et continua.
– Je sais que les temps sont difficiles pour certains car il ne voit la Lumière au bout du chemin...
Le coin de sa bouche creusait une parenthèse timide vers le haut et ses doigts jouaient un air silencieux et réconfortant dans le vide. Ses paroles s'enchaînaient et tous furent pris par son aura charismatique de bonté. Encore plus Medgardt dont c'était le premier jour.
– Parce que tout le monde a besoin de la Lumière pour nous réchauffer. Prions !!
Faisant comme tout le monde, il se leva bien haut pour lire et entonna la prière indiquée du livre des Lumières, comme il avait appris à le faire. La voix claire de Mélisse comme l'eau claire l’accompagna tout du long et le fit s'élever vers d'autres hémisphères.