Depuis son arrivée, Medgardt se réveillait en pensant ouvrir l’œil sur les pentes basses et sombres de sa chambre chez ses parents, presque à portée de main, où jouaient les ombres du dehors à peine levé. Au lieu de cela, il clignait sur le plafond haut et claire du Dormitorium. Immobile, il envisageait de rester là pour toujours, de ne plus jamais bouger de peur de basculer dans un ailleurs dont il ne voudrait pas. Ici était très bien. Ici, on lui avait ouvert la porte d'un culte qu'il vénérait secrètement depuis longtemps. Il priait dans sa chambre sans que ses parents le sachent. En effet, ils n'étaient portés sur aucune religion et prétendaient que tout culte n'était qu'une histoire pour amuser la galerie et distraire les foules. « Si Dieu existait, il aurait dû mettre de l'Ordre depuis longtemps et enrayer la diminution des naissances féminines. Peut-être qu'avec ça, ils auraient cru à une divinité. » Ainsi, il s'entendait répéter cela chaque jour que la Diéesse fait, sans mauvais jeu de mots.
Par conséquent, la première chose qu’il fit en se levant était de regarder dehors pour se changer les idées. D'immenses fenêtres donnaient sur la Grande Voie Ludwig de Tassel. C'était une rue aux pavés noirâtres et ornée pompeusement de réverbères aux angles dorés.
Medgardt savait que la plupart des gens d’en-bas étaient riches parce qu’ils se baladaient pour se faire voir et regardaient à peine les devantures colorées. Ils prenaient le temps de parader pour que même le froid mordant s'aperçoive de leur présence et qu'il enrage de ne pouvoir s'immiscer en eux. Tout ça grâce à leurs vêtements et leurs bottines de qualité qui les préservaient. De temps en temps, seule une ombre minuscule ne les épargnait pas. Elle se faufilait parmi eux, dérobait quelque chose puis fuyait à toutes jambes. Les gens s'indignaient un peu et ne se pressaient pas pour récupérer leur dû .
Les gens qui n’étaient pas vraiment riches, eux, ne portaient pas des tissus de la même qualité, des tissus qui leur permettaient de profiter du dehors de l’hiver et de lever le nez en l’air. Ils n’étaient jamais volés et avaient moins le temps de regarder l'air flotter. Ils se pressaient, fendant le vent.
Regarder le dehors le faisait se demander ce qu’au fond, il avait au dedans. Il avait beau apprécier ce nouvel environnement, était-il à la hauteur de la raison de sa présence ici ? Jusqu’alors, Medgardt ne s'était pas appliqué à ce difficile exercice d'introspection. En vérité, il n'osait pas séjourner une minute dans son inconscient bordélique de peur de constater que son corps demeurait réfractaire à toute émotion d'ébahissement religieux. Non, il verrait ça plus tard. Il ne voulait rien apprendre pour l'instant. Quoi que ce soit, cela le fait sentir qu’il était important, pensa-t-il alors qu'il dévisageait le Dormitorium aux murs blancs, aux soubassements verts et au parquet blond.
Il serait utile dans le culte d'Oroar, et cette dernière constatation l'emplissait d'espoir. S’était-il seulement rendu compte de son pouvoir ? Oui, un peu. Regrettait-il de l’avoir ? Parfois. Pour quelle raison avait-il choisi ce culte ? Il n’en savait rien. C'était un matin de vagabondage dans les rues du Bas-Monde. Il était revenu à sa tanière et c'était le destin qui l'avait frappé d'une affiche sur sa porte. Le monde ne semblait pas avoir besoin de lui mais est-ce qu'il aurait besoin du monde ?
Peut-être était-ce pour cette raison qui poussaient les gens à s'améliorer et à dépasser leurs limites. Parce que le monde, pourtant prétentieux qu'il était, avait besoin d'eux et pas l'inverse. Était-ce égoïste de penser ça ? Peut-être. Cependant, il faut de l’égoïsme pour avancer dans la vie, tout au moins de l'orgueil. C'était une raison valable pour avoir un monde ordonné et si calme.
Il se frotta les yeux et le nez, la tête encore chiffonnée par le sommeil. En contrebas, deux costumes d’un noir brillant aux revers rougeâtres sortaient d'une grande bâtisse, suivies de plusieurs autres plus costauds. Leur rire goguenard parvint à grimper jusqu’à lui, porté par une touche de propos grivois. Le soleil ne semblait pas avoir percé leurs apparences, par-dessus la coupole vitrée de ce gros bâtiment inconnu, sur sa gauche. Soudain, il eut l’impression que quelqu’un lui souriait. Il vit qu'un de ces hommes lui faisait de la main et s'en détourna de cette impudence.
Cette éclaircie lui donna du courage. Il se dirigea vers une partie, à côté du Dormitorium, le Sanatorium, pour se doucher. Il se savonna en se disant que l’Église était un ancien centre de soins pour tuberculeux. Il espérait ne pas tomber malade. Se secouant ses cheveux crépus pour faire taire cette vilaine pensée, il les lissa avec soin, sans résultat. Puis, fin prêt, une serviette à sa taille, il se rendit de nouveau à sa couche. La face en l'air, il traîna sur la fresque divine du plafond.
Medgardt ne s'aperçut qu'il était déjà arrivé à son terme. Il trouva sur son lit d'étranges boîtes aux allures rectangulaires, précieuses et indécises. Ses doigts pianotaient dessus, ne sachant que faire et se demandant si c'était un présent pour lui.Trop absorbé par ceci, un rayon de soleil lui indiqua qu'il y avait aussi des vêtements. Il les regarda brièvement, inspira, bomba le torse et s'encouragea.
– Allez, tu peux le faire ! Même si ce n'est pas à moi, regarder à l'intérieur n'est pas un crime.
La voix rauque de Medgardt était bredouillante. Cela le laissa le bec semi-ouvert, chevauchant sur ses dents. Son silence en disait long sur son respect d'autrui par rapport à la fouinerie. Rebattre les cartes n'y changerait rien. Grésillant du sourcil, il était en attente. Une joie réprimée lui resta dans la gorge telle un cri. Medgardt n’était certes pas le plus honnête des hommes. En effet, il pouvait chaparder ce qui n'était pas laissé pour lui, si l'autre ne revenait pas. Cependant...
– Fouiner n'est pas chaparder. Ridicule. C'est beaucoup moindre que voler. Il faut que je le fasse.
Medgardt mourait d’envie de savoir ce dont il s’agissait, dévisageant ses pavés d'or aux nuances sombres. Il compta les secondes et les gouttes de sueur qu'il perlait avant la décision finale. À un moment ou un autre, il allait craquer et miser le tout sur un choix. Il était mis à vif. Comme s’il était resté tout nu. Il fallait signifier qu'il ne s’était pas habillé et s'en trouva fort aise.
Il se demanda un instant s'il y avait encore quelqu'un à cette heure car il s'était levé après les autres pour s'assurer d'être seul dans les douches. Il décrypta le fond de l'air et n'entendit aucun bruit suspect. Même si c'était un peu rassurant, ce silence ne voulait rien dire.Quelqu'un pouvait arriver et le prendre en flagrant délit d'exhibitionnisme avec une serviette entre les jambes. Au moins, il n'y aurait pas reddition, pas de drapeau blanc levé. Il se crispa sur le fait qu'il ne pouvait s'empêcher de dire des grivoiseries et, pour s'en laver les mains, leva son visage dans la clarté.