Après avoir passé la journée à déambuler au Parc de Lune et dans la Grand-rue, Amélia et Azriel reprirent le chemin du manoir. Sur la route du retour, la jeune fille semblait plus lumineuse. Elle avait laissé derrière elle le chagrin et la dépression pour se concentrer sur l’enquête qu’elle avait décidé de mener. Elle ne savait pas trop par où commencer ni comment elle allait s’y prendre, mais elle trouverait.
Arrivé dans le hall du manoir, les deux héritiers furent accueillis par un M. George soulagé qui prit leur manteau avant de présenter son fauteuil à Azriel. L’adolescent s’y laissa tomber de bonne grâce en soupirant d’aise.
– Je suis épuisé ! se lamenta le jeune homme avec un grand sourire. Épuisé mais ravi, n’est-elle pas mieux avec un sourire notre Amélia ?
– Arrête un peu, le rabroua-t-elle plus amusé qu’agacé.
Le vieux majordome laissa échapper un sourire. Il ne savait pas ce qu’Azriel avait pu dire à la jeune fille, mais il était heureux de la voir de nouveau en forme. L’adolescent bascula la tête en arrière pour le regarder.
– Dites, il vous reste des biscuits et des pâtes de fruits ? Je meurs de faim.
Amélia et M. George le regardèrent avec sévérité.
– Quoi ? s’offusqua-t-il en faisant la moue.
– Monsieur, peut-être devriez-vous arrêter de manger tout ce qui vous tombe sous la main et prendre des repas un peu plus consistants ?
– Mais les biscuits… !
– De toute façon, reprit calmement mais fermement le vieil homme, je vous rappelle que ce soir a lieu la représentation théâtrale d’Utopia à laquelle vous et toute votre famille êtes conviés.
Les deux héritiers firent la grimace. Ils en avaient presque oublié la soirée théâtre que leur mère leur avait organisé le soir même. Mais le majordome n’en fit pas cas, à la place il conduisit Azriel et Amélia jusqu’au pied des escaliers où la jeune fille l’aida d’un tour de magie à faire monter le fauteuil roulant de son frère. L’adolescent se tourna vers sa sœur en faisant la moue.
– J’aurai préféré voir l’Enfant des Rêves, l’histoire est bien plus belle.
– Ne m’en parles pas, moi j’aurai préféré voir le Guerrier d’Hiver, soupira la jeune fille, les décors de cette pièce sont d’un tel réalisme… on pourrait presque sentir le vent froid du nord sur notre peau, c’est merveilleux.
– Personnellement j’aurai adoré revoir J’ai entendu dire qu’elle t’aimait, renchérit une voix derrière eux. Mais il faut croire que les comédies humaines ne sont pas au goût de tout le monde.
Amélia se retourna et sourit en voyant sa tante faire la grimace. Luvenia était superbe dans sa robe de soie colorée. De fines colombes avaient étaient brodé sur sa jupe tandis que des perles ornaient son buste et ses épais cheveux blonds. L’adolescente n’avait aucun doute sur sa provenance : encore un chef-d’œuvre des Wilkins.
– Mais bon, ta mère préfère les tragédies on dirait, poursuivit-elle en haussant les épaules, et comme le dit si bien Nausicaa : on ne discute pas les goûts et les couleurs.
– J’ai plutôt l’impression qu’elle essaie par tous les moyens de responsabiliser Amélia quant à son devoir de future régente, grimaça Azriel.
– Que veux-tu, on ne changera jamais cette chère Azura, elle est aussi têtue que vous deux. Bon je file, ajouta-t-elle en regardant sa montre, il faut encore que je garde Galena le temps qu’Arya se change. Eras attend dehors avec Nausicaa que les fiacres arrivent. On se voit tout à l’heure.
Puis elle dévala en toute hâte les escaliers. Une fois en bas elle se retourna.
– Ravie de voir que tu as retrouvé le sourire Ami ! lança-t-elle avec un clin d’œil.
Et aussitôt elle s’engagea dans un couloir adjacent, sans laisser le temps à la jeune fille de répondre. Amélia regarda longuement la porte derrière laquelle elle venait de disparaître, l’ombre d’un sourire aux lèvres. La jeune fille se rendit soudain compte de l’inquiétude qu’avait causé son chagrin. Elle se sentait elle-même rassurée de se savoir en meilleure forme.
– Tu viens ?
– J’arrive.
Amélia suivit Azriel et M. George dans le couloir menant à leurs chambres, souriant à son frère et aux bêtises qu’il pouvait raconter. Puis elle le laissa en compagnie du vieux majordome et se dirigea d’un pas léger jusqu’à ses appartements. Sa nouvelle boîte à musique en main, elle sautillait et chantonnait joyeusement quand elle arriva devant la porte de sa chambre.
Mais alors qu’elle entrait dans la pièce, elle se figea, le cadeau d’Azriel lui glissant presque des mains. Une silhouette en robe de bonne était penchée au-dessus de son lit, dos à elle, et remettait couvertures et oreillers en place. Sa vision se troubla de larmes.
– Emily ?
Sa voix s’était faite toute petite, se brisant presque vers la fin. Amélia sentait sa gorge se serrer. Serait-ce possible ? Emily pouvait-elle vraiment être là, bien vivante ? Les yeux de la sorcière se baignèrent de larmes, et si c’était possible ? Et si…
Mais, en la regardant plus attentivement, Amélia dut se rendre à l’évidence : il était impossible que ce soit son amie, encore moins une fée. La domestique devant elle avait de longs cheveux sombres aux mèches rebelles, rien à voir avec la jolie natte claire d’Emily. Non, impossible que ce soit elle, alors qui ?
Amélia ouvrit un peu plus la porte qui grinça sur ses gonds. La silhouette sursauta en l’entendant et se retourna d’un bond. La lumière du couloir éclaira soudain la pièce plongée dans la pénombre, révélant le visage de la jeune inconnue. L’adolescente resta figée un instant, interdite.
– Lise… souffla Amélia les yeux grands ouverts.
La jeune fille semblait paralysée de peur en voyant la sorcière. Amélia elle-même ne savait plus trop quoi dire. Après quelques instants de silence, elle finit par retrouver sa voix.
– Que fais-tu là ?
– J-je suis votre nouvelle femme de chambre… C’est Mme Azura qui m’a choisie pour remplacer Mlle Emily.
Remplacer ? Le mot résonna dans l’esprit d’Amélia, brouillant toute pensées cohérentes. Comment ça, remplacer ? Comment sa mère pouvait-elle se permettre de remplacer aussi simplement son amie ?
Amélia sentit une violente colère monter en elle. Dans sa poitrine, elle sentait son essence bouillonner de haine. Fulminante, la sorcière fit un pas menaçant en avant, faisant reculer Lise. La jeune domestique tremblait de tous ses membres alors qu’elle lisait dans les yeux de l’héritière une rage dorée à peine retenue.
– Disparaît de ma chambre, lança la sorcière d’une voix glaçante. Tout de suite.
Lise était comme paralysée, ses jambes refusaient de bouger alors même que la colère d’Amélia ne faisait que grandir face à son immobilité.
– Je ne le répéterai pas deux fois. Va-t’en ! s’emporta finalement l’adolescente en faisant un nouveau pas en avant.
Toute la pièce se mit à trembler autour des jeunes filles. Lise étouffa un sanglot en voyant le mobilier glisser dangereusement vers elle. Les yeux d’Amélia brillaient à présent d’une véritable fureur dorée.
– J’ai dit : VA-T’EN ! Je n’ai qu’une seule femme de chambre et je ne laisserai personne – je dis bien, personne – la remplacer. DEHORS !
Terrorisée, Lise se précipita vers la sortie, poursuivie par les hurlements de l’adolescente. Dans tout le manoir, on pouvait entendre les échos de la colère d’Amélia se répercuter sur les murs, faire trembler les lustres. À peine sortie de la chambre, la sorcière claqua violemment la porte derrière la jeune fille.
Amélia s’immobilisa alors devant la robe que sa mère avait fait faire pour elle et que son amie avait reprisée sous ses yeux. Elle sentit son cœur se serrer en réalisant qu’Emily ne serait même pas là pour voir cette pièce, aussi ennuyante fut-elle. Elle qui se faisait une joie de découvrir le Théâtre d’Orion…
L’adolescente posa délicatement sa boîte à musique sur sa table de chevet, elle avait bien failli la casser. Puis elle s’approcha de la robe, tremblante, et l’effleurera du bout des doigts. Il n’en fallut pas plus à la jeune fille pour sentir ses barrières se briser et fondre en larme à nouveau.
Quelques minutes plus tard, sa mère apparut à la porte de sa chambre. Bien qu’habillée, coiffée et maquillée à la perfection, le rictus de rage qui lui déformait le visage la rendait parfaitement hideuse. Amélia sécha aussitôt ses larmes et se redressa, faisant face à sa mère. Elle aussi avait beaucoup à lui dire.
Et elle ne lui laissa même pas le temps d’ouvrir la bouche.
– Je ne veux pas de nouvelle femme de chambre, déclara la jeune fille du ton le plus froid dont elle était capable.
Mais ça ne découragea en aucun cas Azura qui inspira une grande goulée d’air avant de se lancer à son tour.
– Comment peux-tu être aussi têtue ? s’écria-t-elle en s’arrachant presque les cheveux. Que faut-il que je fasse pour que tu te comportes enfin comme une véritable sorcière ?
– Commencez donc par me laisser me servir de mes pouvoirs en dehors de mes leçons ! s’insurgea Amélia, piquée au vif.
– Là n’est pas la question ! Amélia, tu es une Moonfall, pourquoi tu soucies-tu autant de cette fée ? Elle n’était qu’une domestique, bon sang !
– Elle était mon amie ! fulmina l’adolescente. Vous ne pouvez pas remplacer Emily comme on remplace une broche cassée !
– ÇA SUFFIT MAINTENANT AMÉLIA ! Cesse donc de faire l’enfant au moins une fois dans ta vie !
– C’EST VOUS QUI FAITES DE MOI UNE ENFANT ! s’écria Amélia les yeux débordants de larmes. COMMENT POUVEZ-VOUS ME REPROCHER QUELQUE CHOSE DONT VOUS ÊTES RESPONSABLE ?
Puis, sans laisser à sa mère le temps de répondre, Amélia lui calqua la porte au nez avant de s’y adosser, pantelante. Elle entendit Azura pester derrière le battant de bois et s’échiner à le rouer de coups pour l’ouvrir, sans succès. L’adolescente, les yeux luisants d’or fixés sur la fenêtre en face d’elle, faisait appelle à toute sa patience pour contrôler son essence et l’utiliser pour bloquer la porte dans son dos. Elle sentait à peine le battant trembler alors qu’Azura essayait en vain de l’ouvrir.
Le silence se fit soudain. Amélia sentit sa mère appuyer son front contre la porte avant de laisser échapper un profond soupire.
– Ton père est arrivé, finit par annoncer Azura d’une petite voix. Tâche de ne pas être en retard… s’il te plait.
Puis elle s’en alla. Amélia se retourna lentement et regarda un moment la porte devant elle, comme si sa mère allait soudain faire demi-tour pour la charger de nouveau. Mais il n’en fut rien. Azura ne revint pas.
Doucement, Amélia laissa son essence refluer jusqu’à se calmer complètement. Son regard glissa alors jusqu’à la robe reprisée toujours accrochée à l’armoire. On aurait dit qu’elle lui tendait les bras. Pourtant la jeune fille s’en détourna. À la place, elle s’approcha de l’une de ses malles dans un coin de la pièce. En l’ouvrant, elle découvrit un paquet emballé dans du papier kraft. Un mot reposait au-dessus.
Un sourire triste étira les lèvres de la sorcière quand elle le parcourut du regard.
Un petit cadeau pour la soirée théâtre. En espérant qu’elle te plaise.
Emily
Les larmes lui piquèrent presque aussitôt les yeux. Elle les essuya bien vite, et déballa avec soin le paquet. En l’ouvrant, elle découvrit la plus belle robe qu’elle n’ait jamais vu.
Amélia l’observa longuement, subjuguée, puis la serra contre son cœur.
– Merci, Emily…
Puis la sorcière entreprit d’enlever sa robe de ville. Elle enfila ensuite sa toute nouvelle toilette, nouant les lacets de son corset par magie. Quel plaisir de se servir à nouveau de ses pouvoirs. Amélia aurait aimé en montrer plus à Emily…
Une fois habillée, elle prit place devant sa coiffeuse et ensorcela brosse et épingles. En quelques mouvement experts, Amélia fut coiffée. Ses cheveux dévalaient son dos en une cascade de boucles brunes alors qu’elle avait tiré quelques mèches en arrière pour les accrocher avec une barrette décorée de cristal qu’Emily lui avait offert des années plus tôt.
Elle attacha ensuite le pendentif au croissant de lune autour de son cou et habilla ses yeux d’une légère couche de charbon. Sa mère aurait sûrement insisté pour lui tartiner le visage d’une indécente couche de maquillage, aussi Amélia décida-t-elle de ne pas en ajouter.
Une fois prête, la jeune fille se leva et observa son image dans le miroir. Ses bras et ses épaules étaient recouverts d’une délicate dentelle noire. Le tissu de sa robe ressemblait à une véritable cascade de satin doré, aussi doux que magnifique, qui épousait parfaitement ses formes. De fines broderies noires et blanches avaient été ajoutées au bas de la jupe, formants d’élégantes petites constellations.
Pendant une fraction de seconde, Amélia crut voir le reflet de son amie qui lui souriait. Elle songea qu’Emily aurait été ravie de la voir ainsi apprêtée pour sortir.
Sa mère en revanche…
Amélia secoua la tête. Qu’importe ce que pourrait bien dire sa mère. Azura était allé beaucoup trop loin en essayant de remplacer Emily, il était hors de question de lui faire plaisir.
À partir de cet instant, Amélia décida qu’elle ne se laisserai plus faire.
On comprend la rage qu'a Amélia contre Lise, perdre quelqu'un aussi subitement et qu'il soit ainsi remplacé aurait tout pour mettre quelqu' un en colère !
C'est un bon chapitre, l'écriture est fluide, et je suis contente qu'Amélia est réussi à retrouver le sourire rien qu'un instant.
Il règne une atmosphère pesante entre la mère et sa fille, et on dirait bien que cette première en a marre de se battre et qu'elle voudrait que la paix revienne.
Je me demande ce qui va se passer dans ce théâtre, et si l'enquête de la mort d'Emily commencera bientôt !
Merci pour ton commentaire ^^ je suis contente que cette partie t'ai plu. Et je suis désolée d'avance, l'enquête met un moment à se mettre en place ^^' Amélia est souvent dérangé dans ses plans, mais ça va bientôt commencer promis !
C'est toujours un plaisir de lire ta plume si fluide, je me régale vraiment de cette encre riche... ! J'ai juste une petite remarque à faire : Tu dis que la robe que lui a offert Emily est la plus belle robe qu'elle n'a jamais vu. D'accord, mais à quoi ressemble-elle ? J'aimerais bien que tu rajoutes une petite description ;)
Puisse tes rêves s'étirer jusqu'aux étoiles !
Pluma.
À bientôt !
C'est vrai que les relations entre Amélia et Azura sont plutôt compliquées, mais tu verras que ce n'est pas aussi simple que ça. D'ailleurs, j'ai très hâte de poster la suite, mais j'ai décidé de prendre un peu plus de temps et de pas tout donner tout de suite, donc il faudra attendre demain pour découvrir le si prestigieux Théâtre d'Orion !
Et en parlant des pièces, je pensais faire un petit glossaire avec un résumé de chacune d'elles si ça intéresse. J'aime tellement cette histoire que je m'enfonce dans des détails qui n’apparaîtront peut-être même pas en trois tomes ^^' donc n'hésite pas à me donner ton avis sur le sujet !