Melska laissa les chèvres et leurs petits s’éparpiller sur le flanc de la colline sous le soleil de l’après-midi. Elles aussi étaient sur les nerfs.
Futée la suivit vers le temple. Elle avait hésité à la laisser venir la nuit d’avant, mais finalement sa présence la rassurait. Ses grandes oreilles pivotaient ici et là quand elle entendait du bruit, mais si elle ne s’agitait pas, tout allait bien.
Trois jours, disait toujours sa mère. Si pendant trois jours y’avait pas de délire, pas de puanteur, et pas de vomi, alors y avait des chances.
La petite chèvre trottina directement vers l’autel.
Melska s’agenouilla près du prince et posa l’oreille sur sa poitrine. Difficile d’en être sûre mais la respiration avait l’air mieux. Il transpirait moins aussi, et sa langue avait repris un peu de couleur.
Elle s’arc-bouta pour le retourner. Il fallait finir de nettoyer la vermine. Elle n’avait pas pu le faire correctement de nuit, faute de lumière. Mais la plupart des vers avaient changé de couleur ét étaient tombés sur les dalles de pierre. Les derniers n’avaient pas l’air en forme et furent facile à chasser avec un feuille d’arbre. Dessous, il restait une large plaie, assez profonde, mais propre.
Melska poussa les insectes du bout de la feuille jusqu’à dans un interstice du sol, bien contente de ne plus les voir.
Elle déplaça le coude droit et regarda bouger les chairs, devant, et derrière. Pas sûr que le prince récupère toute sa motricité.
Futée revint renifler les chiffons sales et mâchonner les brins d’herbe dans les fissures du sol.
– dommage que ce soit l’bras droit…
Elle replia le bras et le coinça en écharpe. Ce n’est qu’en se redressant qu’elle remarqua qu’il la fixait.
Melska rangea ses affaires, la bouche sèche et la tête plus vide que le grenier à foin en février. Qu’est-ce qu’on disait à un prince ? Bonjour aussi ? Elle chassa du pied Futée qui poussait un genou du prince pour atteindre une touffe d’herbe.
Puis resta immobile, les bras ballants.
Un instant elle crut qu’il se rendormait, mais non. Il leva la main gauche pour toucher son épaule en grimaçant.
A nouveau, elle chassa Futée qui revenait à la charge. Il fallait qu’elle dise quelque chose avant qu’il se fasse des idées.
– … de l’eau.
Melska se précipita pour l’aider à s’asseoir et lui tendit la flasque de lait de chèvre frais du matin. Il devait reprendre des forces.
Le prince en avala une gorgée en retroussant le nez et la lui rendit d’une main instable.
Melska fronça les sourcils. Il manquait d’y passer, et il faisait encore la fine bouche ?
Il comprit probablement à sa tête qu’il n’allait pas avoir autre chose, et termina la flasque en en renversant un peu au passage.
Melska inspira un bon coup.
– J’sais qui vous êtes, messire, réussit-elle à dire d’une drôle de voix. J’vous veut pas d’mal.
Le prince voulut redresser la tête comme pour juger de lui-même ses intentions. Sa figure se crispa et il retomba sur le mur.
Melska sortit une racine de consoude de son tablier, et la frotta avec un chiffon avant de lui donner.
– Pour vot’ fièvre.
Il prit la racine de sa main gauche et croqua dedans sans conviction.
Melska ignora sa grimace d’amertume. C’était pas bon, mais ça lui f’rait du bien.
Elle fouilla dans son panier, en sortit le pot de miel et la cuiller en bois. Le couvercle s’ouvrit avec un bruit collant.
Les oreilles de Futées pointèrent vers l’entrée du temple.
Melska sentit son sang quitter son visage. Elle posa brusquement le pot et la cuiller devant le prince et sortit en courant.
Quelqu’un l’appelait.
Elle ramassa ses jupes et descendit la colline à toutes jambes vers ses chèvres.
– Melskaaaa !
– J’suis là ! cria-t-elle en ralentissant. Pareski ! J’suis là, pas b’soin d’hurler !
Le garçon d’écurie apparut sur le chemin. Elle s’appuya sur ses genoux pour reprendre son souffle.
– T’es partie loin ! râla-t-il.
Melsa se redressa, le cœur encore comme un cheval fou.
– Ben… j’suis les chèvres. Tu m’cherchais ?
– Y’a des gens qui sont v’nus avec l’sergent d’arme. Y pensent que l’fils du roi est ptet pas mort. Faut prévenir si on voit quelqu’un ou si des choses disparaissent.
*
Melska se glissa sur une chaise, devant une grosse tranche de pain et un bol de soupe, et posa le front sur les mains. Un de ses yeux larmoyait. Le manque de sommeil des derniers jours et l’inquiétude se faisaient sentir.
Elle n’irait pas cette nuit. Le prince avait repris conscience, il pouvait se débrouiller avec les provisions du panier, et elle avait besoin de repos pour espérer tenir le coup jusqu’à ce qu’il puisse rejoindre des alliés à lui.
– Meh ? souffla Foi.
– Hum ?
Melska redressa la tête pour regarder la jeune fille. Celle-ci rapprocha sa chaise.
– C’est quand qu’vous allez prier les esprits ? murmura-t-elle. Je… j’voudrais v’nir.
– C’pas une bonne idée. En c’moment vaut mieux s’faire p’tit.
Le visage de Foi se referma. Elle tira un bout de mie de pain, mais le reposa.
– Ma grand-mère y allait, insista-t-elle. J’veux voir moi-même. Pi décider c’que j’crois.
– Bon d’accord, soupira Melska. J’demanderai si tu peux v’nir.
Melska prit le pichet de bière et les servit toutes les deux. Le léger piquant de la boisson la fit tousser.
Le fermier et Pareski rentrèrent des champs et s’attablèrent, le premier en face, et le second à côté d’elle.
– Bon appétit ! lança le fermier d’un ton fatigué.
Un plateau de charcuteries passa entre les mains. Melska chercha son couteau dans son tablier et sentit pâlir.
– Ça va ? demanda Pareski avec son froncement de sourcil inquiet.
– J’trouve pas mon couteau, fit-elle en serrant les mains sur son tablier. J’ai du l’oublier aux chèvres.