Revenue dans son petit appartement, Keina s’effondra sur le lit, sans même prendre la peine de se défaire de son manteau. Le manuscrit avait été déposé sur la table de nuit et le chapeau l’avait rejoint avec célérité.
Un mois ne s’était pas encore écoulé que mystères et secrets l’entouraient de toute part. Mais n’était-ce pas déjà ainsi lorsque tu étais jeune ? Elle cligna. Elle n’y avait jamais songé. Elle ne se souvenait pas avec précision de sa vie d’antan, et se contentait des vagues réminiscences qui l’assaillaient par moment.
Sa mère, décédée alors qu’elle n’avait que quelques semaines. Son père, tué peu après. Cinni et Ekaterina, ses tuteurs. Et puis Luni, et Lynn, et tous les autres, enveloppés d’une brume grisâtre. Plus tard, on lui expliqua qu’une guerre avait emporté ses parents, une guerre horrible, meurtrière. Ils avaient combattu, disait-on, pour la liberté. Sa liberté. Alderick, son oncle, lui fut présenté comme la personnification du mal. Affamé de pouvoir, il n’avait songé qu’à s’emparer du Royaume pour le plier à sa volonté.
Mais aujourd’hui, que pouvait-elle croire ? Les Silfes incarnaient l’élite, la fine fleur du Royaume. Pourtant, leur comportement ne valait guère mieux que celui des Hommes. Au moins dans la famille Richardson n’y avait-il jamais eu ni secrets ni mensonges ! Georgianna l’avait toujours méprisée ouvertement, et tout aussi ouvertement Amy l’avait-elle défendue et respectée.
Keina empoigna l’un des oreillers et le serra contre son corsage. Ce geste lui était familier. Elle se rappelait l’avoir souvent exécuté lorsque, en l’absence de Luni, de Lynn ou d’Ekaterina, les autres négligeaient son existence durant si longtemps qu’il lui semblait qu’elle n’était qu’un fantôme qui errait dans les couloirs du Château. À défaut d’ours en peluche, elle avait appris à étouffer ses pleurs dans le creux de ce doux compagnon.
Que lui apportait donc le sang elfique qui, affirmait-on, coulait dans ses veines ? La rendait-il meilleure, plus forte, plus intègre ? Oh, il procurait la longue vie, bien sûr. Mais n’était-ce justement cela qui avait conduit les Silfes à se détester les uns les autres, dans une escalade de rancœur qui les avait menés jusqu’à la guerre ?
Keina se redressa. Il n’y avait qu’un seul moyen de le savoir. Il n’y avait qu’un moyen de connaître la raison véritable pour laquelle ses parents avaient combattu, de toucher du doigt l’essence des Silfes. Le journal d’Alderick. Elle s’empara du livre et l’ouvrit sur sa page de garde.
Notes sur la découverte de la Pierre Brisée et ses conséquences pour le Royaume Caché, par Alderick Ist Yel, de la sixième génération de Silfes, annonçait le titre, ronflant.
Vais-je enfin comprendre qui je suis ? En réponse à la question, un léger courant d’air souleva les voilages de la fenêtre et vint susurrer un « oui » à son oreille. La jeune fille sursauta, jeta un œil autour d’elle, puis secoua la tête. Voyons, Keina, les fantômes n’existent pas.
Forte de sa conviction, elle commença sa lecture.
6 juin 1883
Voici donc, en cette période troublée, que j’entame ce journal. Pouvions-nous savoir que nous nous trouverions au cœur d’une telle polémique ? Tout a débuté… comment cela commença-t-il, au juste ? Il y eut cet ouvrage, cet ouvrage étrange, recueilli dans les antiques rayonnages de Keneros, père adoptif de feu mon épouse et alchimiste de talent. Sans l’intervention de ma fille, je n’eus pris garde de l’importance de cet in-quarto aux pages vierges. Pourtant, elle m’affirma avoir, à maintes reprises, pris connaissance de son contenu.
Nephir n’est ni un être expansif, ni une affabulatrice. Elle n’est guère semblable à ces petites oies écervelées que l’on croise aujourd’hui dans les salons mondains. Il me fallut la croire quand elle me narra comment, à chaque lecture de l’ouvrage, nombres images la traversaient. Elle déclara ne guère se remémorer le caractère des visions qui peuplaient sa « lecture ». J’ai de mon propre chef tenté l’expérience : lorsque je l’ouvris, une série de lettres étranges, sans relation entre elles, se matérialisèrent sur les pages blanches du livre de Keneros ; mais d’hallucinations, point. Il ne fait aucun doute qu’il possède une forte résonance magique ; je compte l’étudier avec minutie afin d’en comprendre l’origine.
Puisque seule ma fille semblait réceptive au manuscrit, j’eus recours au mesmérisme, tant critiqué en son heure par mes semblables, pour appréhender ses visions. Ce fut au cours de l’une des séances qu’elle me parla de la Pierre Brisée. Je n’ose croire que les Onze Mages nous cachèrent son existence durant si longtemps. Pourtant, ils savaient. Ils avaient connaissance de la Pierre et de son pouvoir. Pourquoi ? Pourquoi avoir pris tant de soins pour dissimuler la véritable nature du Royaume aux Hommes et aux Silfes ? Les Elfes eux-mêmes sont-ils dans la confidence ?
Il ne fait aucun doute que la Pierre Brisée possède une importance capitale dans l’ordonnance du Royaume, et que nous avons devoir de comprendre son essence et son rôle. Je la soupçonne d’être à la source, au sens littéral du terme, de la magie qui nous permet de vivre si confortablement et de venir en aide aux autres mondes. Je ne puis pour le moment confirmer ou infirmer mon hypothèse.
Nephir prétend également avoir eu vent d’une antique prophétie énonçant qu’une femme, vraisemblablement humaine, a brisé la Pierre, et que celle-ci, que nous nommerons la Briseuse, est depuis lors tenue de la réparer. Une femme ? Hélas, dans ce cas, la mort l’a sans doute emportée depuis bien longtemps. À moins… À moins qu’il ne s’agisse d’une silfine. Ce qui expliquerait notre présence sur ce monde. Oui, la question s’est présentée dans mon esprit. Pourquoi ? Pourquoi sommes-nous là ? Pourquoi existons-nous ?
Certains affirment, comme Katlayelde, conjoint de ma bien-aimée sœur Akrista, que nous ne sommes qu’une conséquence de l’amour, un produit du hasard. Il me semble au contraire que nous sommes une cause, une prémisse. À la réunion des deux morceaux de la Pierre Brisée, sans aucun doute. Que se passera-t-il alors ? Nul ne le sait.
Il m’est impossible d’étayer mes arguments, mais la découverte de la Pierre peut remettre en cause nombre de postulats considérés comme acquis par la plupart des Silfes. Nous voici à l’aube d’une nouvelle ère. Peut-être trouverons-nous un remède au mal des Elfes, avant que ceux qui nous ont engendrés ne s’évaporent dans les limbes de l’oubli. Il est plus que temps de vaincre les tabous, d’assumer notre ascendance. Nous n’avons que trop tardé.
Pour le moment, seul le témoignage de ma fille soutient ma thèse. Lorsque j’exposai pour la première fois ma théorie devant les autres, Katlayelde s’insurgea, arguant que Nephir avait perdu l’esprit et que nous ne possédions aucune preuve. Mais nombreux sont ceux prêts à me croire, du côté de la Reine Blanche comme de celui de la Reine Noire. Dès demain, Nephir, Esteban, Atalante et moi-même partirons en quête de la Pierre Brisée enfouie là, quelque part, sous nos pieds.
Nous ne pouvons plus faire marche arrière.
Trois coups discrets à la porte. Dans un sursaut, Keina leva les yeux sur la pendule. Six heures. Son ventre émit un gargouillis, comme pour attester de l’heure avancée. Elle n’avait rien avalé depuis le matin et la faim lui tenaillait l’estomac. Le heurtoir retentit à nouveau. Lynn, sans doute, venue lui proposer de l’accompagner au repas du soir.
Elle chercha un endroit où dissimuler le journal et opta finalement pour le tiroir de sa table de chevet. Alderick ne jouissait pas d’une excellente réputation auprès des Silfes, et elle ne voulait pas avoir à justifier la présence de ce manuscrit chez elle.
— Me voilà ! cria-t-elle en s’engageant dans le vestibule.
Elle déverrouilla la porte.
— Excuse-moi, je m’étais assoupie.
— Magie toute puissante ! Ta journée a-t-elle été harassante à ce point ? lui répondit la blonde silfine dans un éclat de rire.
Elle avait endossé une houppelande de fourrure et une toque qui lui donnait l’allure d’une aventurière prête à affronter le Grand Nord canadien. Grâce à la magie, les couloirs du Château jouissaient d’une température moyenne en toute saison, mais Lynn affectionnait les extravagances vestimentaires. Sa lourde bicyclette reposait contre le mur.
— Te moquerais-tu de moi, Lynn ? rétorqua Keina en nouant les rubans de son chapeau, un sourire aux lèvres.
— Comme si j’en étais capable ! répondit-elle innocemment.
La jeune orpheline lui lança un regard pétillant et s’engagea dans le corridor.
— Je te préviens, il est hors de question que je monte une nouvelle fois sur ce diabolique véhicule à deux roues !
— Oh, répondit Lynn, désappointée. Moi qui comptais te proposer de participer à ce fameux tour de France de cyclisme qui commence demain.
Les deux filles s’éloignèrent dans un éclat de rire.
Le repas se déroula sans incident. Keina, en perpétuel émerveillement devant les miracles autorisés par la magie, engloutit un dîner digne des plus grands restaurants parisiens. Cependant, alors qu’en face d’elle Lynn bavassait joyeusement, son esprit ne cessait de se fixer à nouveau sur le journal d’Alderick.
Elle était persuadée que le manuscrit dont il parlait et le livre trouvé à la bibliothèque ne faisaient qu’un. Mais qu’y avait réellement vu sa fille, Nephir ? La Pierre Brisée… ce terme ne lui évoquait rien. Personne, ni ses tuteurs, ni Lynn, ni Luni, ni aucun autre des Silfes qu’elle avait fréquenté dans sa jeunesse ne l’avaient à une seule reprise prononcé en sa présence.
Se pouvait-il toutefois qu’il fût à l’origine de la guerre ? Le différend qui paraissait dans les premières pages opposer Alderick et Katlayelde, son père, composait-il un prélude à celle-ci ?
Lorsque les noms de ses parents étaient apparus sur le papier, Keina s’était sentie submergée par l’émotion. Comme si, l’espace de quelques secondes, ils avaient soudain pris corps sous la plume de son oncle. Ma bien-aimée sœur Akrista.
La silfine garda sa fourchette suspendue au-dessus de son assiette, les yeux dans le vague. Comment imaginer que sa mère avait été une sœur, une mère, une amante ? Comment simplement concevoir qu’elle avait vécu, créature de chair et de sang, et qu’elle l’avait certainement aimée ? Elle réalisa avec horreur qu’elle n’avait jamais vu le visage de ses parents.
— Lynn ?
La blonde interrompit son bavardage et reposa un quartier de tomate sur le bord de son assiette.
— Qu’y a-t-il ? Tu parais bien distraite ce soir.
— Existe-t-il une galerie de portraits dans le Château ?
Lynn fit une moue.
— Je n’en ai pas la moindre idée. J’avoue que je n’ai jamais songé à poser devant un peintre. Personnellement, je préfère la photographie. Quelle formidable invention ! Je suis moi-même une grande admiratrice des œuvres de Nadar. Sais-tu que j’ai créé mon propre appareil photographique ? Je l’ai amélioré à l’aide de l’énergie magique. Si ça te tente, je pourrais…
— Oh non, je te remercie, sourit Keina, qui se méfiait de ses inventions farfelues. Mais avant la photographie, les gens du Royaume ne posaient-ils jamais ?
Une silfine qui prenait son dîner non loin releva la tête et leur fit un signe. De forte constitution, sa toilette grossière et son visage poupin évoquaient une petite provinciale perdue dans un monde qui n’était pas le sien. À ses côtés, un jeune garçon aux boucles blondes, attentif à la propreté de sa chemise, écrasait consciencieusement une pomme de terre.
— Je m’excuse d’avoir écouté. Il y a bien une galerie dans le Château ! Elle est au neuvième en dessous. Andrew, avale donc tes légumes ! (Elle se détourna pour faire les gros yeux à son fils, puis se reporta à nouveau sur les deux silfines.) On avait un peintre drôlement doué, dans les années dix-huit cent cinquante. Beaucoup d’Hommes et de Silfes se sont fait tirer le portrait. Andrew, qu’est-ce que j’viens de dire ? Si tu n’manges pas, Cinni n’voudra pas t’emmener à l’Arrivée !
Le garçon fit une grimace et enfourna sa bouchée.
— Je ne comprends pas pourquoi personne ne m’en a jamais parlé, bougonna Lynn en triturant sa fourchette. Quoi qu’il en soit, je te remercie, Phillys.
Keina lui lança un regard plein d’espoir.
— Qu’en dis-tu ? Accepterais-tu de m’y accompagner ?
— Mais que comptes-tu y trouver ? Oh. Tes parents, c’est ça ?
L’orpheline opina et Lynn lui répondit avec un sourire. Elles achevèrent de manger tranquillement. Lynn entreprit d’exposer un par un les principes de la photographie à Keina, qui s’efforça d’écouter avec politesse. Puis, une fois le dessert englouti, les deux silfines se dirigèrent vers le Cercle de Transport.
Le Château possédait un endroit et un envers, et, à l’instar des icebergs, celui-ci en constituait la partie la plus importante. Nul ne savait de combien de sous-sols se composait le Royaume Caché ; au-delà du quarantième, les Hommes et les Silfes avaient cessé de compter. Cet univers appartenait aux Alfs. S’y introduire trop loin relevait du sacrilège.
Cependant, le neuvième en dessous gardait les traces d’une civilisation : les longs couloirs illuminés se paraient de fioritures architecturales typiquement humaines. Feuilles d’acanthe, arabesques néogothiques, fresques et mosaïques gréco-romaines… les styles et les âges se mêlaient sans complexe au fil des salles et des corridors.
Lynn et Keina ne tardèrent pas à déboucher sur la galerie. Des représentations de toute sorte y figuraient, des plus anciennes aux plus modernes. Enfin, les Silfes s’alignèrent face à elles, droits et majestueux. « Pompeux », souffla l’esprit de Keina. Comme dans la vie réelle. Elle se permit un sourire.
— Pourquoi souris-tu ? s’enquit Lynn, à ses côtés.
— Ne trouves-tu pas que ces portraits stigmatisent la réalité ? Regarde-les, en train de bomber leur torse dans une attitude ronflante qui ne trompe personne. Tiens, là-bas, Erich et ses airs d’importance. Ekaterina, les yeux dans le vague, Cinni et sa moustache frétillante, oh ! Et là, ton frère lui-même et son allure de séducteur !
— Je te trouve bien dure avec nos semblables. Ce sont des plus braves du Royaume que tu parles. Ne voies-tu pas au fond de leurs pupilles cette flamme héroïque qui palpite ? Erich possède également le port fier et ombrageux d’un Ménélas, Ekaterina la fidélité d’une Andromaque, Cinni la sagesse d’un Agamemnon ; quant à mon frère…
— La coquetterie d’un Pâris ! compléta Keina avec un éclat de rire.
Lynn laissa flotter un demi-sourire.
— Luni, un Pâris ? Tu le connais bien mal, ma pauvre amie ! Il ne…
Keina ne l’écoutait plus. Elle s’était arrêtée devant un cadre rehaussé de feuilles d’or. Au centre, sans qu’elle ne sache comment, elle reconnut sa mère, figée dans une robe de contes de fées. La tête inclinée vers l’avant, elle contemplait le peintre d’un air un peu rêveur. Triste, aussi, peut-être. Comme l’appréhension soudaine d’un monde qu’elle ne comprenait pas.
Keina leva une main vacillante et effleura la toile craquelée. Une larme perla au coin de son œil. Lynn passa un bras autour de ses épaules.
— C’était une femme très belle, vraiment. Et remarquable. Une héroïne.
Keina lui jeta un regard surpris. Évidemment. Comment avait-elle pu oublier que Lynn l’avait connue ? Mais ses paroles, loin de la réconforter, creusaient au contraire le vide qui venait de naître dans son cœur. Elle se dégagea et partit à la rencontre de son père.
Lui aussi possédait cette fierté arrogante propre aux Silfes. Son regard dur brûlait d’assurance et de détermination. Une vague de déception submergea la silfine. Il ressemblait tant à Erich ! Mais faute de l’avoir connu, elle l’aima, malgré tout. C’était son père.
Elle se retourna, pour se retrouver nez à nez avec Alderick. Par une incroyable ironie les deux silfes se contemplaient. L’on eut presque dit que la rigueur de leurs traits venait de cette proximité inopportune.
— Regarde-le, lui, avec ses airs supérieurs ! siffla Lynn, dédaigneuse.
Keina se tut, contrariée par le ton brusque de la blonde. Certes, Alderick n’était pas différent de ses semblables. La sécheresse de son visage le confirmait. Mais en quoi était-il pire que les autres ? Pour elle, tous les Silfes se valaient, qu’ils eussent combattu du bon ou du mauvais côté.
Comme pour la contredire, Lynn s’était remise à discourir, presque pour elle-même, le regard perdu sur les toiles qui s’alignaient. Son ton s’assombrit peu à peu.
— Doux maléfice ! Maintenant, je comprends pourquoi on ne parle plus de cette galerie. Tous ces morts… Trop de souvenirs. Trop de douleur.
Keina jeta un œil aux deux pans de mur couverts de peintures. Combien d’entre eux résidaient aujourd’hui au Royaume parmi les Hommes ? Une vingtaine, tout au plus. Elle observa Lynn s’avancer vers le portrait d’un individu au visage oblong. Keina suivit son regard mouillé.
— Votre père ? devina-t-elle sans peine.
Son amie acquiesça en silence.
— Mort au combat, lui aussi. Comme ma mère. Comme beaucoup des silfes que tu trouves si arrogants. Personne n’est ressorti indemne de ce soulèvement, Keina. Nous y avons tous perdu des parents, des frères, des cousins. Nous sommes tous des rescapés.
— Je sais, Lynn. Excuse-moi.
— Tu n’as pas à t’excuser. Tout va bien, rétorqua-t-elle d’un ton apaisé.
Lynn se posta ensuite devant une grande dame brune qui détournait ses yeux gris du peintre, comme honteuse de se laisser capturer. Keina vit nettement ses phalanges se contracter sous l’émotion. De la colère ? Pourquoi ? Elle ne posa pas la question. À quoi bon raviver les vieilles blessures ?
— Et elle, qui est-ce ? demanda-t-elle s’approchant d’un autre tableau plus petit, à demi camouflé dans l’ombre.
Je connais ce visage ; ces pommettes taillées à la serpe, cet effluve glacé qui s’échappe de la toile… Une sensation de menace grimpa en elle. Passée ou à venir ? Je sais qui tu es, Keina. Elle s’écarta, tremblante. Lynn se mordilla la lèvre.
— La fille d’Alderick. Nephir, la Magicienne Noire. Viens, il vaut mieux s’éloigner de ce tableau. Même s’il n’y a plus à craindre d’elle, je n’aime pas la sentir si proche.
Keina fit un pas en arrière. L’espace d’une seconde, il lui avait semblé que la peinture prenait vie. Elle regarda à nouveau : un filament d’énergie magique bordait le cadre et conférait au visage cette impression mouvante. Lynn attrapa sa main et l’entraîna vers la sortie avec un gloussement nerveux qui se mua bientôt en fou rire. Tandis que les deux silfines fuyaient gaiement, un nom galopa de portrait en portrait, comme le rappel d’une vieille promesse.
Keina Ist Akrista…