Elle fut réveillée au milieu de la nuit par son père qui la secouait fermement.
- Qu’est-ce qu’il se passe ? grogna-t-elle encore dans son sommeil.
- Excuse-moi de te réveiller, mais c’est sur ordre de la reine. Il s’est passé quelque chose de grave.
- Quoi ? En pleine nuit ?
- Oui, allez, habille-toi, on nous attend en bas !
Elle s’exécuta, un brin contrariée. Elle n’aimait pas être tirée du lit. Ils se dirigèrent vers la salle à manger où régnait une ambiance beaucoup plus pesante que quelques heures auparavant. Les visages étaient fermés, le silence brutal. Elista et son père étaient les derniers, toutes les autres mystiques étaient présentes, dans l’attente elles aussi. La famille royale discutait en aparté un peu plus loin. Lorsqu’ils se tournèrent vers eux, elle vit alors un jeune homme à l’armure pleine de sang, le regard sombre vissé sur le plancher. Elle reconnut un des chevaliers qu’elle avait aperçu plus tôt dans la journée.
Le capitaine Eamon, tiré à quatre épingles malgré l’heure tardive, s’éclaircit la gorge :
- Tout d’abord, je vous prie de nous excuser pour ce réveil nocturne, mais les circonstances l’imposent. Il est arrivé un grave incident il y a quelques minutes. Le chevalier Iwan Caoran, ici présent, a été attaqué par un individu qui paraît être extrêmement dangereux. Sa fiancée Aurore Grian a été assassinée par cet homme.
Un murmure de stupeur parcourut la salle, les regards se tournèrent instinctivement vers Iwan, qui resta de marbre, contrairement à Myhrru, qui serrait les dents pour ne pas pleurer. Elista avait cru comprendre qu’elles étaient proches.
- Ce qui nous a amené à vous convoquer, c’est que cet homme possédait une dague à la lame noire, or, cet art de forge est spécifique à la cité de Fenrir. De plus, d’après Iwan, il a fait montre d’une vitesse et d’une force déroutantes. Nous pensons qu’il pourrait s’agir du Mystique de l’Ombre, nous allons tout mettre en œuvre pour vérifier cette hypothèse.
La stupeur ne fut plus un simple murmure.
- Il reste beaucoup d’interrogations sur cet individu, mais notre seule certitude est qu’il est potentiellement une menace.
- À quoi ressemble-t-il ? demanda Judith.
- Iwan n’a pas pu voir son visage. Il était vêtu de noir, avec une capuche qui lui cachait la moitié de la figure.
Elista entendit alors la respiration d’Ostara se couper. Son visage devint livide.
- Je l’ai vu, souffla-t-elle.
- Pardon ?
- Il était dans la foule, lors de la traversée et de la cérémonie. Il nous fixait et… cela m’a mise très mal à l’aise. Ensuite, il y a eu un sursaut temporel, et lors de mon second passage devant lui, j’ai remarqué qu’il semblait accompagné par une autre silhouette noire.
- C’était une femme. Elle s’appelle Ira.
Iwan avait relevé ses yeux en amande, acérés par le chagrin.
- C’est à cause d’elle que nous avons été agressés. Nous l’avons trouvée endormie dans le parc, j’ai voulu lui porter assistance afin de retrouver son « compagnon ». Elle ne voulait pas qu’on l’aide. J’aurais dû l’écouter mais je pensais faire mon devoir. Finalement, c’est lui qui nous a trouvés. Lorsque j’ai compris que c’était un individu infréquentable qui allait lui faire payer son escapade de la journée, j’ai voulu m’interposer. Déformation professionnelle je suppose.
- Vous n’avez rien à regretter, chevalier Caoran. Votre conduite a été exemplaire et digne de notre ordre, reprit Eamon.
À ces mots, Iwan lui lança un regard sans équivoque. « Rien à regretter », ce n’était pas si sûr. Elista comprit que qu’une rancœur tenace s’était installée dans le cœur du jeune homme, mais il ne pouvait tenir tête à son supérieur. Le capitaine détourna les yeux sans émotion et continua :
- Nous allons envoyer au plus tôt un détachement spécial dans les montagnes de l’ouest afin d’enquêter et tenter d’établir un dialogue avec Fenrir. Nous lancerons également des recherches ici, afin de retrouver la trace de cet homme et d’Ira. Dès que nous aurons de nouvelles informations, nous vous en ferons part. D’ici là, ouvrez l’œil et surveillez vos arrières. S’il est véritablement le Mystique de l’Ombre, il ne fait de toute évidence pas partie de votre camp, et ses intentions pourraient être tout à fait malveillantes à votre égard. Merci.
- Les funérailles d’Aurore Grian auront lieu dans deux jours, nous comprenons que vous ayez des impératifs dans vos cités respectives, mais nous serions honorés de vous avoir à nos côtés dans cette épreuve. Vous pouvez rester au château autant de temps qu’il vous plaira, conclut Ariana.
Elista se retourna alors vers son père, resté en retrait, la tête baissée.
- Qu’en penses-tu ? Nous pouvons rester, n’est-ce pas ?
- Bien sûr. Allons nous coucher maintenant, je tombe de fatigue.
- Oh, j’aurais aimé rester un peu pour parler avec les autres Mystiques.
- Fais comme tu veux. Je laisserai la porte ouverte. Bonne nuit.
Il lui embrassa le front et tourna les talons vers la sortie. Elista fut tellement étonnée par la réaction de son père qu’elle ne remarqua pas la grande silhouette qui s’avança vers elle.
- Excusez-moi, ai-je l’honneur de vous connaître ?
Elle se retourna, surprise d’entendre une voix à côté d’elle. Elle allait répondre, quand elle réalisa que ce n’était pas à elle qu’Eamon s’adressait, mais à son père, qui s’arrêta sur le seuil de la salle. Il tourna à peine la tête et répondit simplement d’une voix sourde :
- Non, je ne crois pas.
Il se remit à marcher vers le hall, sans prendre la peine de se présenter. Il n’était pas dans les habitudes de son père d’être aussi impoli.
- Je vous prie de l’excuser, capitaine, il est pire qu’un ours quand on le réveille, plaisanta-t-elle pour détendre l’atmosphère qui s’était subitement tendue.
Le capitaine lui lança un sourire poli, mais sous son masque imperturbable, Elista décela une émotion qu’il tentait de cacher. Impossible cependant de savoir laquelle.
- Ce n’est rien, dit-il finalement. La nuit a été éprouvante pour nous tous.
Il planta là Elista. Elle rejoignit la conversation des autres Mystiques sans conviction. Il n’y avait pas grand-chose de plus à dire. Elle s’en voulait de ne pas avoir remarqué qu’on les observait, ni imaginé un seul instant qu’on puisse en vouloir à leur vie, alors que c’était une évidence. Le pouvoir amène la convoitise.
Elle n’avait jamais quitté sa petite ville de Glyphe, la cité de l’eau. Un port au nord du royaume dont les maisons étaient toutes construites sur des pilotis dans la mer. La vie y était rude mais paisible. Une fois que l’on s’était acclimaté aux embruns, aux vagues perpétuelles, à l’humidité, et aux flaques qui vous grondaient si vous aviez le malheur de marcher dedans, c’était plutôt plaisant. Les gens y étaient solidaires et travailleurs, tout le monde connaissait tout le monde. On était trop occupé par la pêche pour se préoccuper des affaires des autres. Elista avait naïvement imaginé qu’il en serait de même partout, et que ces histoires de magie et de Mystiques désintéressaient le reste du peuple tout autant que les habitants de Glyphe. Elle-même ne comprenait pas vraiment l’utilité réelle de son pouvoir, mais elle était tout de même heureuse d’avoir ce privilège. Elle l’avait hérité de sa mère, morte en lui donnant la vie.
Lorsque qu’un Mystique meurt, le sceau qui le lie à son arme se brise, et cette dernière peut alors être manipulée par n’importe qui. C’est pourquoi les Mystiques ne sont pas des grands voyageurs : ils doivent être dans un endroit sûr pour mourir, avec des gens de confiance qui se chargeront de veiller sur l’arme sacrée avant de la confier à un nouvel élu. Pour Elista, les sages n’ont pas tergiversé longtemps : elle était bébé, fille de Mystique, elle était donc la candidate idéale. À Glyphe, on n’aimait pas vraiment perdre du temps, cette solution avait arrangé tout le monde. De plus, on préférait que les nouveaux Mystiques soient âgés de moins de deux ans, parfois même des bébés à venir, car il est plus facile pour les enfants de s’adapter à la magie, et leur entraînement peut commencer tôt.
Elista avait de ce fait tenu son arme sacrée dès sa naissance, même elle n’avait pas été capable de la soulever avant l’âge de dix ans, ce qui était un exploit en soi au regard de la taille de son Espadon. La plupart des hommes n’y parvenaient pas.
Elle regagna sa chambre, pensive. Elle jeta un œil à son père qui faisait semblant de dormir. Elle le connaissait par cœur. Elle décelait, à sa respiration, qu’il ne trouvait pas le sommeil. Elle le laissa croire qu’il avait réussi à la duper, et se recoucha. Elle songea qu’ils ne seraient certainement pas les seuls à regarder le plafond de leur chambre cette nuit.
Un chapitre très bien mené. On lève peut-être le voile sur cet assassin encapuchonné. Quelle étrange réaction a eu le père d'Elista, encore un mystère.
A bientôt
Très bon chapitre. On en apprend plus sur l'étrange duo du chapitre précédent (même si j'avoue m'être doutée de leur appartenance à l'une des cités qui ne répond plus).
Je n'ai pas compris l'histoire de la grande silhouette qui pose une question et le père qui s'en va.
Mais c'est le seul point que j'ai relevé. C'est vraiment un bon chapitre.
À bientôt !
La grande silhouette est le capitaine Eamon. Je tâcherai de retravailler ce passage pour que ce soit plus clair :)
Tes compliments autant que tes remarques me font vraiment plaisir. A bientôt !