Myhrru se tenait devant le miroir en pied de sa chambre au château. Elle se fixait de haut en bas, son armure dans une main, une tenue de civile de l’autre. Devait-elle aller aux funérailles d’Aurore en chevaleresse ou en Mystique ? Ne pouvait-elle pas simplement s’y rendre en tant qu’amie ?
Elle soupira et choisit l’armure. « On ne sait jamais ».
Elle sortit de sa chambre et tomba sur le frère d’Aurore. Ils étaient voisins de palier, au grand damne de la jeune femme.
- Bonjour Dubhan.
Il lui lança un regard furtif, sans répondre. Il avait revêtu son armure d’apparat. Il tourna la clef de sa porte, et lorsqu’il passa devant Myhrru, lui jeta un regard en coin qu’elle ne put interpréter.
Elle descendit et rejoignit le cortège royal qui l’attendait dans l’entrée. Elle était tendue. Ils devraient assurer la sécurité de toutes les têtes couronnées, deux jours seulement après le meurtre d’Aurore, alors que personne ne savait si le meurtrier était toujours à Aimsir. Elle se jura qu’à la moindre capuche noire, sa flèche ne manquerait pas sa cible. Iwan était parti devant avec ses parents. Le temple du Temps se trouvait à côté du château, mais il fallait sortir sur la place où se trouvait bon nombre de curieux qui attendaient de les apercevoir. L’information avait circulé très rapidement, malgré les consignes de discrétion absolue. Myhrru se demandait comment il était possible que toute la ville sache que la famille royale au grand complet assisterait aux funérailles d’une épouse de chevalier.
Eamon attendait déjà, son fils Marth à ses côtés. Ces hommes-là étaient d’une ponctualité sans failles.
- Sommes-nous prêts ? demanda le capitaine à l’assemblée.
- Nous pouvons y aller, lui répondit la reine.
Les chevaliers formèrent un bouclier autour de la famille royale et des Mystiques. Myhrru se positionna à côté d’Adelle, car telle était sa tâche. Protéger la princesse. Les gardes ouvrirent les larges portes sur la place et ils s’avancèrent sous les clameurs des habitants. Myhrru analysa rapidement la situation : les cris ne semblaient pas belliqueux pour la plupart, cela s’apparentait plutôt à des questions, quelques protestations, mais surtout des acclamations ou des saluts. La troupe se dirigea vers le temple sans traîner. Myhrru remarqua alors, du coin de l’œil, une silhouette sombre vers la sortie de la ville.
- Adelle, je distingue ce qui semble être une capuche noire en direction du sud.
Elle n’avait pas été assez discrète, Eamon l’entendit.
- Interdiction de quitter votre poste, chevalier Solas. La priorité est la protection.
- Et si c’était notre homme ? protesta-t-elle.
- Ils étaient deux.
- Il a très bien pu se débarrasser d’elle, ou venir seul.
- Peu importe. Nous sommes arrivés, tenez votre position.
Myhrru s’empourpra de colère. Il était toujours implacablement rigoureux. Adelle s’approcha de son oreille et murmura :
- Tu as deux minutes.
Myhrru sourit à son amie. Adelle toucha son épée sacrée et le temps s’arrêta autour d’elles. La chevaleresse s’élança alors à travers la foule immobile. Elle ne tarda pas à rejoindre la capuche noire. Un homme d’à peine trente ans. Ses cheveux blonds, épais et mal coiffés, enveloppaient son visage angélique doté d’une paire de grands yeux bleu marine, marqué par plusieurs cicatrices. Son nez aquilin était percé d’un anneau comme on en affublait parfois les vaches, et ses oreilles étaient trouées et décorées par de nombreuses boucles. Il était très grand, avec une carrure fine mais visiblement affûtée. Ce n’était pas leur homme. Iwan avait décrit un homme plutôt petit et quelconque. De plus, cet homme-là avait le visage découvert, contrairement à celui qu’ils recherchaient. Raté.
Myhrru s’était arrêté quelques secondes à peine, puis fit le trajet en sens inverse à toute vitesse. Elle se repositionna à côté d’Adelle juste à temps. La vie reprit son cours normal. Elle fournit un effort surhumain pour avoir l’air de respirer normalement, alors qu’elle était totalement essoufflée par sa course. Son cœur battait dans ses tempes à un rythme effréné qui lui donna mal à la tête. Adelle l’interrogea du regard. Myhrru secoua la tête dans un mouvement à peine perceptible. Elle ne voulait pas que son capitaine se doute de quelque chose. Adelle esquissa une grimace, à mi-chemin entre la déception et le soulagement. Myhrru regarda l’homme à la capuche sortir de la ville. S’il savait que pendant une fraction de seconde, il avait été l’ennemi public numéro un...
La troupe royale pénétra dans le temple en silence. Iwan et ses parents se tenaient déjà au premier rang, ainsi que la famille d’Aurore. Myhrru observa Dubhan qui fixait le cercueil, sans expression. Une fois les portes du temple refermées, le calme revint. Le sage commença la cérémonie. Au fur et à mesure, Myhrru constata que les visages d’Iwan et Dubhan prenaient des expressions contraires. Iwan se ferma, son regard quitta le cercueil pour ne fixer que ses chaussures, alors que Dubhan, immobile, laissa couler les larmes sur son visage marqué par un immense chagrin. Myhrru ne le portait pas dans son cœur, mais elle ne pouvait que ressentir de la peine pour lui.
À la fin de la cérémonie, le cercueil fut transporté au cimetière, que l’on atteignait par une porte à l’arrière du temple. Quand ce fut au tour de Myhrru de se présenter devant le trou où allait reposer Aurore, elle se mordit les joues pour ne pas pleurer. Elle ne voulait pas que l’on décèle le moindre signe de vulnérabilité chez elle. Quand elle serait seule, elle reviendrait voir son amie et se laisserait aller. Mais pas maintenant. Elle jeta une poignée de terre qui s’écrasa sur le bois en un bruit sourd, puis rejoignit la troupe royale pour le retour au château. Les familles avaient été conviées à s’y rendre après pour partager des collations.
Quand ils furent tous installés, petit à petit, la vie reprit. Les voix des uns et des autres résonnèrent à nouveau dans la salle à manger. Myhrru n’avait pas faim. Elle resta debout dans un coin, se contentant d’observer l’animation autour d’elle. Ostara, Judith et Elista discutaient entre elles, Adelle était avec sa famille. Elle se sentit soudain acculée par la tristesse. Elle quitta discrètement la pièce et courut se réfugier dans un petit salon voisin. Elle ferma la porte et appuya ses mains sur sa bouche pour étouffer le son des sanglots si violents qui la secouaient. Agenouillée au sol, incapable de se reprendre, elle revoyait les images de ces deux derniers jours pendant lesquels sa vie avait pris une autre tournure, qui la mettait mal à l’aise. Elle avait pourtant déjà vécu des choses rudes, elle avait dû se battre tellement de fois, mais la menace tapie dans l’ombre et la perte de son amie d’enfance l’avaient ramenée à une réalité à laquelle elle ne s’était pas préparée.
La douleur faisait bourdonner ses oreilles, à tel point qu’elle n’entendit pas la porte s’ouvrir.
- Si j’étais mal intentionné, je pourrais te tuer.
Elle se retourna, mais fut incapable de se mettre debout sous l’effet de la surprise. Elle dévisagea Dubhan, qui la fixait intensément de ses yeux limpides.
- Je ne me serais jamais douté que tu sois capable de pleurer, railla-t-il.
- C’est réciproque, rétorqua Myhrru.
La mâchoire carrée du jeune homme se tordit. Myhrru se releva en séchant ses larmes. Elle avait presque envie de le remercier de lui avoir fait reprendre ses esprits.
- Que fais-tu ici ? lui demanda-t-elle.
- Comme toi, je me suis enfui. Je ne pensais pas te trouver là. C’est bien ma veine.
- Je ne te le fais pas dire.
Myhrru constata que rien n’avait changé entre eux. Maintenant qu’Aurore ne serait plus là pour temporiser, leurs relations allaient peut-être se détériorer encore plus. Elle réalisa que pendant tout ce temps, ce qu’elle avait pris pour une accalmie n’était que de la politesse, du respect pour sa position hiérarchique. Ils avaient beau porter leur armure dans ce salon, l’intimité qui s’y était créé avait fait voler en éclat cette barrière d’amabilité.
- Tu ne restes pas auprès de ta famille ? Ce n’est pas très poli.
- Si j’en avais quelque chose à faire, je serais resté à Freya. Ma seule famille, c’était Aurore.
Myhrru perçut un soubresaut dans sa voix forte.
- Et puis, je ne pouvais plus supporter d’être dans la même pièce que… lui.
- Qui donc ? s’étonna la jeune femme.
- Iwan. C’est lui le responsable. En voulant sauver une parfaite inconnue, une potentielle criminelle de surcroît, il a failli à protéger ma sœur, sa fiancée.
- Il est certain que s’il avait su qu’Aurore le suivrait malgré ses indications contraires, il n’aurait pas agi ainsi.
Dubhan sourit avec colère.
- Bien sûr, tu le défends…
- J’essaye simplement d’être juste.
- En résumé, c’est la faute d’Aurore si elle est morte. Elle a été idiote de suivre son fiancé et elle l’a payé de sa vie, c’est ça ton explication ?
- C’est toi l’idiot. Le seul responsable, c’est celui qui lui a tranché la gorge.
- Peu importe. Je m’en fous de ce que tu penses. Iwan a manqué à son devoir, il s’en sort sans une égratignure, alors que ma sœur va pourrir au fond d’un trou !
Il avait haussé le ton, et dans ses prunelles palpitait une rancœur extrême.
- Parce que tu te sentirais mieux s’il avait fini estropié, ou pire, mort ? Tu penses sincèrement que tu aurais moins de chagrin ?
- Au moins, je n’aurais pas le sentiment que tout ça soit parfaitement injuste.
- Alors je pense que tu n’as pas bien observé Iwan. Crois-moi, il paye le prix fort, lui aussi.
- Ce n’est pas assez.
Dubhan avait lâché cette dernière phrase avec un ton qui noua le ventre de Myhrru.
- Ne fais rien de stupide, Dubhan.
- Tu l’as dit toi-même, je suis un idiot.
Il lui sourit avec un air satisfait, content de pouvoir lui renvoyer son insulte dans les dents. Myhrru s’approcha alors de lui :
- Dubhan, rien de ce que tu feras ne te ramènera ta sœur. Elle était mon amie, je comprends parfaitement ta peine. Tu veux te venger ? Très bien, sers-toi de cette haine pour traquer le monstre qui a fait ça, pas pour acculer un homme déjà à terre.
- C’est un ordre, mon lieutenant ? ironisa le jeune homme.
Myhrru serra les dents. Il l’exaspérait. Elle savait qu’il était parfaitement capable de se laisser aller à sa rancœur.
- Ne t’en prends pas à Iwan.
- Sinon ?
- Je m’occuperai de ton cas.
Dubhan fixa intensément Myhrru dans les yeux. Puis, d’un geste inattendu, il enroula son bras puissant autour de sa taille pour coller son corps contre lui, dans un vacarme d’armures qui s’entrechoquent. Il plaça sa main sur le côté du cou de Myhrru, le pouce sous son menton.
- Cela fait longtemps que j’attends de terminer notre combat, lui susurra-t-il.
Myhrru le repoussa et lui asséna une formidable gifle qui mit sa longue crinière fauve sens dessus-dessous. Elle détestait ses moments où on lui faisait sentir qu’elle était une femme, et plus un chevalier. Par réflexe, elle dégaina son arc et pointa sa flèche sur lui.
- Je serais à ta place, je surveillerais mes arrières, grogna-t-il.
Il lui jeta un dernier regard victorieux avant de quitter la pièce. Myhrru abaissa son arme, mais fut incapable de la lâcher. Chaque muscle de son corps était soumis à une tension extrême. Son cœur battait avec une telle force qu’elle se demanda si ce n’était pas grâce à son armure qu’il ne lui sortait pas de la poitrine. Elle tremblait de colère et de honte. Cet imbécile, ce rustre avait raison.
Elle allait devoir frapper en premier.
Chouette chapitre. J'étais plongée dans l'histoire ^^
Petite coquille vers le milieu :
"- Comme toi, je me suis enfuit"
-> enfui (pas de -t- au participe passé)
J'ai un doute, c'est pas à l'épée qu'ils se sont battus, déjà ? Pourquoi lui faire une remarque sur ça à la fin ?
Peut-être que tu pourrais éclaircir un peu.
Je vais essayer de lire les autres chapitres avant midi.
À tout à l'heure ^^
En effet, tu as mis le doigt sur une petite incohérence. C'est vrai qu'ils se sont déjà battus à l'épée, il va falloir que je corrige!
Merci pour ta lecture!