Chapitre 72 : Le fauve

Par Kieren

Sur le chemin, je me demandai ce que Suzanne avait voulu dire par ''le fauve''. Le chat noir sûrement, ou autre chose. Je coupai par chez moi et pris mon couteau de chasse, une lampe frontale et un revolver. Je sifflai et ma chienne apparut derrière moi. Nous partîmes tous les deux.

« On va aller dans un endroit dangereux ma belle, j'espère que tu es prête. » Elle se plaça devant moi et aboya.

La rivière puis la fissure, nous nous engouffrâmes à l'intérieur. Le courant d'air nous glaça les os, et le brouillard nous gela les yeux. Même en été, il existe des lieux qui restent intemporels. Une fois arrivé dans le Jardin des Morts j'attendis le chat blanc. Mais il ne vînt pas. Alors nous avançâmes.

Nous naviguions dans une mer de brume, les ombres fantomatiques des tombes dérivaient tels des vaisseaux fantômes, sans un bruit. Le calme avant la tempête.

Il n'y avait pas un chat.

Ma chienne se mît à grogner.

Je m'immobilisai, rempli d’appréhension. J'entendis des pas rapides et feutrés se diriger vers nous. Et puis un chat noir apparut.

Nous nous fixâmes quelques secondes, sans que quiconque n'esquisse le moindre mouvement.

« J'ai rapporté ce que nous avons volé. J'en suis profondément désolé. Je vous le restitue avec une compensation, et je vous demande de libérer la petite fille de la malédiction que vous lui avez jeté. »

Le félin se mit à tourner autour de nous, sans nous lâcher des yeux.

« Montrez nous la tombe de votre maîtresse, imago. Nous ne vous voulons aucun mal. »

Il continuait de tourner, je commençai à perdre patience.

« Tu nous fais perdre du temps, créature ! Mon amie se meurt ! Maintenant montre nous la route ou écarte toi de notre chemin ! »

Le chat noir s'immobilisa et commença à siffler tandis que ma chienne aboya furieusement et se mit en position d'attaque. La queue de la créature se transforma en fumée noire et celle-ci se mêla au brouillard dans un torrent de vent. Les environs disparurent dans les ténèbres, seuls les yeux jaunes et verts du félin persistaient. Ainsi que son cri, grossissant de manière déconcertante. Puis il s'avança, mais ce n'était pas un chat. C'était devenue une panthère noire.

« Joie. » soupirai je.

Le monstre se jeta à ma gorge, cependant, avant qu'il ne me broya les vertèbres, je lui assénai mon couteau dans l’œil. La panthère contre les réflexes du tigre. Mais elle se transforma en fumée et mon couteau passa à travers.

« Merde... C'est chiant. On se casse ma chienne ! » Celle-ci était du même avis que moi et nous courûmes entre les tombes.

Le grondement du monstre nous poursuivait, il était tantôt à notre gauche, tantôt à notre droite. La bête fondait sur nous à intervalle irrégulier, mais soit moi, soit ma chienne l'attaquions avant qu'elle ne nous touche, alors elle se réfugiait dans la fumée. Nous courrions toujours en ligne droite, nous étions prédictibles mais cela n'avait pas d'importance, il ne fallait pas se perdre, surtout s'il n'y avait plus de chat pour nous conduire vers la sortie. Je commençai par contre à m'inquiéter de plus en plus, nous ne trouvions pas la sépulture que nous cherchions, et nous n'avions aucune idée du temps qu'il nous faudrait.

Soudain, la panthère noire apparue devant moi, je me défendis et elle se transforma en boule de fumée, et je passai à travers, ce qui me brouilla la vue. Une tombe se trouvait juste derrière. Je sautai par dessus, et dans mon élan je ne vis le fauve se jeter sur moi qu'au dernier moment. J'encaissai le coup et nous fîmes un rouler bouler. Je la maintenais par le cou pour l'empêcher de mordre le mien, et par la patte gauche, mais il lui restait la droite et elle me planta ses griffes dans le torse. Avant qu'elle n'eut le temps de m'ouvrir le bide, ma chienne me sauva en se jetant sur la bête, l'emportant avec elle. Je me levai rapidement, remarquant que ma blessure n'était que superficielle, et je sortis mon pétoire que je braquais immédiatement sur notre ennemi. Ma chienne l'avait saisie à la gorge et la maintenait en dessous d'elle. Je m'ajustai pendant quelques secondes, de peur de toucher ma partenaire, et avant qu'elle ne se prenne un coup de patte, la balle toucha le monstre, qui se transforma à nouveau en fumée.

Cela me laissa quelques instants pour faire trois choses : déjà je caressai ma chienne, puis je l'examinai pour voir si elle avait été blessée (rien de grave, mais quant même), et enfin je remarquai que nous étions sortis du chemin.

Nous étions perdu, pour de vrai cette fois.

Et nous n'avions pas tout notre temps, déjà le grognement reprenait, nous devions à nouveau fuir. C'est ce que nous fîmes. Nous pouvions aller dans n'importe quelle direction, alors nous allâmes tout droit. Les minutes défilèrent, nos blessures saignaient et nous tiraillaient, nous affaiblissaient et nous n'étions pas plus avancés dans notre recherche. Il nous fallait un plan.

La première chose était de se débarrasser de la sale bête qui nous poursuivait. Le problème était de taille, il était impossible de la toucher, elle s'évaporait juste avant... à moins que...

J'eus une idée.

Je m'immobilisai et ma chienne m'imita. La saloperie sentit qu'il se tramait quelque chose et nous tourna autour, se téléportant devant nous, puis derrière nous, à notre droite, puis à notre gauche.

Puis ce fut le silence. Et nous ne savions plus où elle était.

« Toujours lever la tête lors des coups pourris. » Je tirai en l'air, et je fis bien car elle nous tombait dessus. Cela ne l'arrêta pas, et elle apparue à ma droite, mais ma chienne se jeta sur elle, et elle s'évapora. Je braquais mon arme à gauche, mais elle apparue devant moi et se jeta sur mon poignet la gueule ouverte. Elle serra, et la douleur me fit lâcher mon revolver.

Mais j'avais ce que je voulais, car elle était palpable lorsqu'elle attaquait. Cela voulait dire qu'elle était vulnérable.

« Esquive celle-là, ectoplasme ! » Et je lui enfonçai ma lame dans un de ses putains d'yeux !  Et elle rentra dans un bruit délicieusement organique.

La panthère poussa une grande plainte déchirante et lâcha mon bras. Elle se transforma à nouveau en fumée mais elle ne réapparue pas en fauve, mais en chat. Et cette fois-ci, elle n'avait plus qu'un œil, un liquide noir et crépitant coulait de son orbite, il s'en dégageait une fumerolle soufrée.

La bête siffla une dernière fois et disparut derrière une tombe, alors les ténèbres se dissipèrent et l'on vit plus clair.

Nous découvrîmes alors la sépulture que l'on cherchait, il s'agissait de celle ayant servie de cachette au monstre.

Enfin.

Les poupées étaient là, et elles me pointaient du doigt, ou plutôt, elles pointaient le sac du doigt. Ma chienne ne s'approcha pas, elle gémit et se cacha derrière moi. Elle qui est si brave d'habitude. Elle qui venait d'affronter un monstre impalpable. Mais cela se comprenait. Il y a des choses bien plus terrible dans ce monde.

Je la caressais en même temps que je sortis les deux poupées du sac. Il était lourd, il était plein, et lorsque je l'ouvris, des vers débordèrent et se répandirent sur le sol, tel un volcan qui crache sa vicieuse colère. Je vidai alors le contenu du sac et de mon estomac par terre, en prenant bien garde à ce que le miasme ne toucha pas mes plaies. Au milieu de la masse grouillante, je repérai les deux figurines et je plongeai ma main intacte dedans. Mon sens du toucher en fut souillé à tout jamais, mais ce n'était que la dixième fois après tout, alors je pris sur moi.

Je disposai les deux jouets sur la stèle.

Alors les yeux se fermèrent et les bras se baissèrent.

Je jetai un dernier regard sur les poupées, et plus précisément sur celle de la Gamine. Elle lui ressemblait vraiment beaucoup. Je me demandai si c'était un piège, ou uniquement une coïncidence. Puis je regardai celle que Suzanne nous avait donnée. Je me dis qu'elle devait être très appréciée pour avoir autant de détails.

« Il faudra qu'on lui fasse un beau cadeau à notre tisseuse de bonne aventure, et qu'on lui demande comment cela se fait qu'elle en sache autant sur cette tombe. Enfin, à condition que la Gamine soit sauvée, et que l'on arrive à rentrer chez nous. Ce qui n'est pas vraiment gagné... Ma chienne, retrouve notre chemin ! »

Immédiatement elle se mit à renifler notre piste ; je laissai le sac poisseux sur place et je lançai un dernier regard au monticule de poupée avant de disparaître dans le brouillard. Je suivis ma partenaire pendant quelques dizaines de minutes. Entre les traces de sang, et le miasme que l'on avait laissé sur le sol j'aurai pu moi même retrouver notre chemin.

Des pas discrets se firent entendre.

Je sortis immédiatement mes armes et me mis en position de défense, pas ma chienne, en effet seul le chat blanc sortit de la brume.

« Alors tu ne viens que maintenant toi, une fois que le danger est passé ? » Il me fixa avec ses yeux aveugles, sa queue bascula à droite, puis à gauche, puis il se mit en route et trotta devant ma chienne. Il nous accompagnait jusqu'à la sortie.

D'autres chats apparurent, ils nous regardèrent partir, curieux.

La faille était là devant nous. Nous avions fait ce que nous pouvions, le reste n'était plus de notre ressort. Le chat blanc nous salua et disparut. Nous fîmes de même.

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haroldthelord
Posté le 14/08/2022
Remarque personnelle : Comment peut-on tuer quelque chose de presque intangible? Je sais que c’est pas la première fois que je vois ça. Mais la bête doit savoir qu’au moment où elle attaque, elle est vulnérable. Franchement contre un truc pareil on a aucune chance.
Kieren
Posté le 14/08/2022
C'est ça le problème avec ces créatures, elles fonctionnent avec des règles précises, comme des contrats, et il y a des conditions dans ces contrats. Alors on peut ruser.
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