J’observe Anna en l’attente d’une réponse. Depuis que je lui ai fait ma requête, elle me fixe sans dire un mot.
- C’est non, lâche-t-elle finalement.
Bien que je craignisse cette réaction, je demande tout de même :
- Pourquoi ?
Ses yeux s’écarquillent.
- Te rends-tu compte ce que tu me réclames ? Je ne t’aurais jamais crue aussi culotée.
Elle me pointe d’un doigt accusateur et poursuit :
- Écoute-moi bien Elena. Je ne te connais pas, mais ta réputation t’a précédée. Je ne t’accorde aucun crédit. Tu as sauvé Hans, la belle affaire, mais qui me prouve que nous pouvons te faire confiance ? Tu es un soldat, une gradée par-dessus le marché, la fille de l’homme qui accomplit des abominations sur des êtres humains et son bras droit pour assassiner des innocents qu’Assic n’estime plus aptes à ses recherches. Alors tu comprendras aisément pourquoi je ne peux pas accepter le fait que tu me demandes de retourner chez tes maitres pour t’échanger avec ton aide de camp. Même si nous avons été prudents, tu en as appris beaucoup trop sur nous. De toute façon, mes camarades ne te laisseront jamais partir comme si de rien n’était. Ils ont trop perdu.
La trouvant trop proche de moi, je recule de deux pas.
- Et quoi, ils se sentiront mieux en reportant leur haine contre moi ? Ce n’est pas moi qui ai orchestré ces meurtres de masse, rétorqué-je.
- Sans, mais tu y as contribué.
Une colère sourde remonte en moi.
- Ne me mets pas dans le même panier qu’eux, je n’ai jamais approuvé ce que je faisais. Je n’ai jamais voulu les tuer, craché-je.
- Mais tu l’as fait, me réplique Anna sur le même ton. Décidément, tu es vraiment insupportable ! Depuis tout à l’heure, tu ne fais que te plaindre. Je n’ai jamais voulu le faire, m’imite-t-elle exagérément. Si cela te révulsait à ce point pourquoi n’as-tu pas agi ? Mais non, tu as préféré fermer les yeux pour pouvoir continuer à vivre dans ton petit confort, alors que ceux de la section médicale crevaient à petit feu. Nous n’avions rien et pourtant regarde où nous en sommes aujourd’hui.
La tension qui m’étreint devient de plus en plus forte. Je dois respirer un grand coup avant de pouvoir répondre :
- Tu l’as dit toi-même, tu ne sais rien de moi. Alors, oui, je me plains, mais ne me reproche pas sur ce que tu ignores. Tu parles de rébellion. J’ai essayé, figure-toi. Je me suis opposée à mon père. Je me suis opposée à l’armée. Qu’est-ce que j’y ai gagné à part de la souffrance et des désillusions ? J’étais seule et impuissante face à eux. Qu’est-ce que j’aurais pu faire ? Au moindre pas de travers, j’étais sanctionnée.
Je m’accorde un instant pour contrôler les tremblements qui me parcourent avant de continuer :
- Je reconnais que mes propos sont égoïstes. Avec ce que toi et les autres rebelles avez dû vivre, je n’ai pas le droit de m’apitoyer. Je n’ai aucune excuse de m’être soumise, mais ne me reproche pas d’avoir voulu éloigner quelque peu ce poignard que j’avais constamment sous la gorge.
Anna me foudroie du regard.
- Ne compte pas sur moi pour avoir pitié de toi, lâche-t-elle.
Je ricane.
- Ça tombe bien, je n’en ai aucune envie. De toute façon, tu ne me verras jamais d’une autre manière que l’ennemie et tu as raison d’être méfiante.
Je me plante devant elle.
- Je n’ai aucun alibi pour te prouver ma bonne foi. Je suis et resterai Elena Darkan, fille du maréchal Darkan qui a tué des victimes du projet dans la section médicale. Les faits sont là et je ne le nie pas. Toutefois, je peux t’affirmer que les choses ont changé. J’ai changé. Je refuse d’être plus longtemps la complice de ces monstres. Je t’ai dit que j’étais impuissante, mais je sais que désormais j’ai la capacité d’agir. Isis est restée dans cette base. Je lui ai promis de la libérer de cet endroit. Avec ou sans ton accord, je compte bien tenir cette promesse.
- Il doit bien exister une autre solution.
Je secoue la tête.
- Dès que Tellin sera de retour à la base, il s’attaquera à elle. Je dois agir maintenant ou il sera trop tard.
- J’ai des gardes postés un peu partout, tu ne leur échapperas pas, me prévient-elle.
- Ce n’est pas ça qui m’arrêtera.
- Et pourtant, on t’a bien capturée.
- Hans était blessé. Je n’allais pas prendre le risque de le mettre plus en danger.
Anna claque sa langue.
- Décidément, tu ne penses vraiment qu’à toi. Des personnes dans ton genre, je les ai en horreur. Quand bien même, j’accepte de t’aider, Hans s’y opposera. Il semble tenir à toi. Bien que je désapprouve votre relation, je refuse de faire souffrir mon frère de cette manière. D’ailleurs, je vais de ce pas lui dire deux mots sur ce que sa copine demande. Il doit être mis au courant.
La panique m’envahit.
- Non, m’exclamé-je en la retenant. Tout, mais pas ça. Moi aussi je tiens à lui, mais je ne peux pas me permettre de l’impliquer dans cette affaire. Avec la maladie en lui, il n’y survivrait pas.
Les traits d’Anna s’assombrissent davantage.
- En parlant du projet, pourquoi Hans a-t-il été contaminé ?
Je me retiens de montrer ma contrariété sur le fait qu’elle ait si vite oublié Isis. Mais d’un côté, comment lui reprocher de s’inquiéter pour son frère ? Je décide de lui avouer la vérité.
- Hans a voulu en apprendre plus sur ce qui se passait dans la section médicale. Bien que réticente, je lui ai raconté pour mes missions. On m’avait ordonné le silence. Quand nos supérieurs l’ont su, ils m’ont vite fait regretter ma trahison.
- Je vais vraiment finir par penser que tu portes la poisse, s’exclame Anna dédaigneuse.
- J’aime ton frère, Anna. Jamais je n’aurais voulu qu’il lui arrive malheur.
La rebelle m’empoigne violemment.
- Si tu tenais à ce point à lui, tu n’aurais même pas dû l’approcher.
Piquée au vif, je me dégage.
- J’en ai assez, Anna. Depuis tout à l’heure, tu passes ton temps à m’insulter et à m’accuser de tous les maux. Je ne suis pas ton ennemie quand bien même tu l’affirmes. Ce n’est pas vers moi que tu dois diriger ta haine, mais vers eux. Comme toi, ils me méprisent. Mon père m’exècre et ce n’est pas près de s’arranger. De toute façon, j’ai décidé de couper les ponts avec lui. Je ne lui dois rien.
D’un geste sec, je relève mes manches. Mes bras zébrés de cicatrices apparaissent. J’ignore quoi lui prouver en agissant ainsi.
- Je ne vais pas te cacher qu’un bon nombre de mes blessures proviennent de mes missions, mais celles-ci m’ont été infligées quand je suis arrivée à la base. Elles représentent mes prises de position. Mon corps en est parsemé. Alors, je te le répète, Anna, ne m’accuse pas pour quelque chose que tu ignores.
Mon interlocutrice semble ne plus m’écouter et fixe avec intensité mes avant-bras. Je dois me retenir pour ne pas les couvrir à nouveau. Je déteste montrer cette partie de moi. Je ne devrais pas, mais elle me fait honte. La rebelle finit par poser son doigt sur la seule blessure qui n’a pas été causée par l’armée.
- Comment t’es-tu fait ça ? me demande-t-elle.
- Aucune idée, avoué-je, déconcertée par sa question. On m’a dit que petite, je m’étais brulée, mais honnêtement je ne m’en souviens plus.
Anna se rapproche un peu plus de la plaie et semble vouloir y déceler quelque chose. Brusquement, elle se redresse.
- Ces ordures n’ont donc aucune honte, lâche-t-elle amère.
Je la regarde sans comprendre. Pour toute réponse, elle relève sa propre manche où une cicatrice similaire apparait. Ne sachant pas où elle veut en venir, je ne réagis pas.
- Quand on intègre le projet de l’armée, on nous tatoue un numéro sur le bras. Lorsque j’ai réussi à m’évader, j’ai fait tout mon possible pour l’effacer. Je n’ai pas hésité à me bruler pour y parvenir.
- Et ?
- Tu ne trouves pas ça étrange. Même blessure, même endroit.
- Qu’essayes-tu de prouver ? Que je suis moi-même un cobaye d’Assic ?
- Il y a un numéro sur ton bras.
Je la fixe incrédule. Prise d’un doute, j’inspecte ma peau. Je serais passée à côté de quelque chose d’aussi gros pendant toutes ces années. Au début, je ne vois rien, puis je crois distinguer le chiffre six. Je frotte plusieurs fois dessus pour le faire disparaitre, mais rien à faire. Depuis que je l’ai remarqué, il me saute aux yeux. Je repense à la question que j’ai posé à Tellin « Pourquoi m’avoir menti ? » Je secoue la tête.
- Il doit avoir une autre explication, m’exclamé-je.
Et pourtant depuis qu’Anna l’a sous-entendu, cela me semble une évidence. Mais pourquoi ? Si c’est la vérité qu’attendent-ils de moi ? L’expression sur le visage de la rebelle s’est quelque peu adoucie.
- Tu serais donc également une victime de leur projet. Cela serait surprenant, mais pas impossible vue leur manière d’agir.
Je ne parviens pas à avoir les idées claires. Mes six années à la base me reviennent en mémoire et j’ai l’impression d’avoir enfin l’élément qui me manquait.
- Toutes ses années à leur obéir, soufflé-je.
- Que comptes-tu faire ? me demande mon interlocutrice.
Je secoue la tête vigoureusement comme pour retrouver mes esprits.
- Isis reste ma priorité. Je dois y retourner.
Anna étouffe un juron.
- Tu es folle, ma parole. Si effectivement, tu es un cobaye, ce serait du suicide. Tu y laisseras ta peau. Je suis désolée pour ton aide de camp, Elena, mais comme je te l’ai dit, nous ne pouvons pas te libérer. Tu peux nous être utile.
Je n’ose pas lui avouer qu’en plus de sauver Isis, j’espère trouver des informations sur moi si je rentre à la base. Je comprendrais peut-être enfin pourquoi mon père s’est encombré toutes ces années avec sa bâtarde de fille. Toutefois, la sœur d’Hans a raison. Qui me prouve que je survirais ? Est-ce que ce passé vaut la peine que j’y laisse la vie ? Sans doute que non, mais je dois en savoir plus. Anna s’apprête à s’éloigner quand deux coups de feu retentissent. Sa mâchoire se crispe légèrement. L’homme qui m’avait menacé quand j’étais arrivé se matérialise à nos côtés. Je ne l’ai pas entendu approcher. Il murmure quelques mots à sa supérieure qui opine sèchement de la tête.
- Préviens les autres, repli général.
Pauvre Elena, elle veut bien faire mais elle reste vraiment candide, malgre toutes ses desillusions! C'est une des choses qui la rend attachante, d'ailleurs.
Si Isis devait etre echangee contre elle, il est bien evident que Tellin enleverait sa famille pour la faire chanter de facon a ce qu'elle se transforme en espionne a son compte.. Ou menace de tuer Elena qui se sera sacrifee pour elle.
Bref, elle la mettrait dans une position encore plus dangereuse. Elle cherche a se sentir moins coupable de tout ce qu'elle a fait, mais il semble qu'Isis en ferait les frais. Elle ne peut pas la sauver, elle l'exposerait d'avantage.
En plus, etant donne comment Tellin et le Marechal sont decrits, Elena entre leurs mains a nouveau serait aussitot torturee chimiquement ou non pour dire tout ce qu'elle a appris des rebelles et ensuite em;prisonnee ou executee, elle leur a trop fait perdre la face. Et elle pense qu'elle aurait l'ocacsion d'explorer pour trouver des informations sur elle-meme?? Elle reve!
Telle que tu presentes la situation, la seule facon de sauver Isis (et de trouver des informations, qui sait) serait un nouvel assaut des rebelles sur le Centre, dont Elena ferait partie, masquee,, pendant lequel elle "enleverait" Isis. En tout cas, en tant que lectrice, c'est ce qui me semble! :-)
Bien que je craignisse > craigne
Sans, mais tu y as contribué. > je suppose qu'elle dit Sans doute?
Avec la maladie en lui, il n’y survivrait pas. > plutot "malade comme il est"?
Toutes Ces années
Bon courage pour la suite!
Bon courage !