Lorsque les deux femmes reviennent vers nous, je ne peux m’empêcher de trouver à Elena un air sinistre. Cela m’inquiète quelque peu. Ce n’est jamais bon signe quand elle est comme ça. Malheureusement avant que je puisse lui parler, Anna prend les devants.
- Nous évacuons notre position, exécution, ordonne-t-elle.
Il n’en faut pas plus aux rebelles pour s’activer et remballer le plus rapidement possible leurs affaires. Louis qui se trouve à ma gauche piétine ce qui restait du feu de camp. Ma sœur se dirige vers lui et lui glisse quelque chose à l’oreille. Aussitôt, son subordonné hoche la tête. Satisfaite, Anna porte son attention sur moi.
- Vous venez avec nous à notre camp principal. Mes supérieurs voudront vous interroger.
- De quoi avez-vous discuté ? demandé-je en désignant Elena du menton.
- Rien d’important, lâche-t-elle laconique, puis rajoute en me voyant sur le point d’insister. On n’a pas le temps pour ça, Hans. Pour le moment, nous devons nous replier le plus discrètement possible. Vos poursuivants ne sont pas loin. Reste avec Louis.
Avant que je puisse rétorquer quoi que ce soit, elle tourne les talons et rejoint un autre groupe prêt à partir. Louis se rapproche de moi, Elena à ses côtés. Lorsque je croise le regard de celle-ci, elle détourne le sien. Maintenant, c’est certain, il y a quelque chose qui cloche. Je me penche vers ma partenaire pour lui poser la même question qu’à ma sœur. Elena garde le silence un moment avant de déclarer :
- Je voulais prouver ma bonne foi à Anna, mais à l’évidence je reste une menace pour eux.
Cela pourrait expliquer l’expression qu’elle aborde depuis son retour, mais je persiste à penser qu’il y a un autre problème. Louis vient se placer entre nous. Après nous avoir toisés, il nous prévient :
- S’il y en a un qui fait mine de prendre la fuite, je n’hésiterai pas à être violent pour vous forcer à me suivre. C’est clair.
Il ne nous laisse pas répondre qu’il rajoute à l’intention d’Elena :
- Je t’ai à l’œil, Faucheuse.
La principale intéressée lui lance un regard noir, mais s’abstient de tout commentaire. Je comprends aisément qu’elle n’apprécie pas ce surnom. Moi-même, je ne le supporte pas. Alors que nous nous mettons en route, Elena attrape ma main avant de la relâcher aussitôt.
- Tout ira bien, me sentis-je obligé de lui dire.
- Je l’espère, murmure-t-elle.
Sans un regard en arrière, nous quittons la clairière.
Alors que nous avançons en silence, je remarque rapidement qu’une bonne partie des rebelles n’est plus visible. Les personnes qui nous escortent sont au nombre de cinq. Bien que je ne compte pas leur fausser compagnie, je trouve cela relativement peu. Elena et moi n’aurions aucun mal à les neutraliser. Enfin, c’est ce que je me crois à penser. J’ai bien noté que certains hommes de main d’Anna avaient l’air rompus au combat. Louis fait partie de ceux-là. Je jette un coup d’œil derrière moi. Celui-ci nous suit son doigt sur la gâchette de son fusil. Nous devons à peu près faire la même taille, mais il semble légèrement plus musclé. D’un signe de tête, il m’oblige à regarder devant moi. Ne souhaitant pas me faire trop remarquer, j’obéis. Nous continuons notre route sans échanger un mot. Je ne suis pas tranquille. L’absence de bruit autour de nous ne me rassure absolument pas. Je ne dois pas être le seul puisque je peux sentir la tension qui émane des rebelles. Ils ont raison de craindre Tellin. Cet homme est dangereux. Nous progressons relativement vite. À l’évidence, les rebelles connaissent cet endroit comme leur poche. Malgré leurs chargements sur les épaules, ils se faufilent entre les arbres avec aisance et agilité. Je comprends mieux pourquoi ils nous donnaient autant de fil à retordre. Étant dans mes pensées, je ne remarque pas directement que le groupe s’est arrêté. Elena en tirant sur ma manche m’a rappelé à l’ordre. Je tourne la tête vers Louis qui scrute méfiant les alentours. Je fais de même et tends l’oreille. Toutefois, je ne note rien de suspect. Elena se rapproche du rebelle et lui demande de l’eau. Celui-ci se penche légèrement et lui passe une gourde. Elle l’empoigne, bois un coup puis lui rend sans rien rajouter. Le plus naturellement possible, elle revient vers moi et lâche en me dépassant :
- Je sens plusieurs présences derrière les arbres. Prépare-toi à courir.
Soudainement, Louis tire sur un tronc d’arbre. Une exclamation de surprise nous parvient. Sans plus réfléchir, nous repartons au pas de course. Malheureusement pour nous, des soldats émergent de leur cachette nous obligeant à nous arrêter. Tellin les rejoint rapidement. Son regard survole notre groupe avant de se poser sur Elena et moi. Un sourire en coin apparait sur ses lèvres.
- Bien, maintenant que je vous ai retrouvés, il est grand temps de savoir ce que le chasseur va faire de ses proies.
Le major laisse planer un silence avant d’empoigner son automatique et tirer deux fois d’affiler. Elena s’effondre à mes côtés en étouffant un cri. En me voyant me baisser, Tellin m’avertit :
- Un geste, Wolfgard et la prochaine fois, c’est vous que je vise.
- Que lui avez-vous fait ? craché-je hors de moi.
- J’ai fini par comprendre que pour bloquer Darkan, il n’y avait qu’un seul moyen, explique-t-il navré, puis ordonne. Maintenant, lâchez vos fusils, mettez vos mains derrière la tête et agenouillez-vous.
En silence, nous nous exécutons. À peine avons-nous touché le sol que des soldats nous entravent nos poignets. Ma compagne est redressée brutalement par l’un de nos assaillants en glapissant de douleur. C’est à ce moment-là que je remarque les deux taches de sang sur ses jambes. Je dois me contrôler pour ne pas laisser ma rage exploser. Ce malade lui a enlevé toutes ses chances de s’enfuir par ses propres moyens. Quand bien même, elle arriverait à se mettre debout, elle n’irait pas bien loin. Notre supérieure porte son attention sur Elena.
- Ne me lance pas ce regard, soupire-t-il. Avec les problèmes que tu nous as causés, tu n’as que ce que tu mérites. Estime-toi heureuse que je n’aie visé que les jambes.
- Va au diable, Tellin, éructe-t-elle avec mépris. Vous vous êtes foutus de moi pendant des années alors ta pitié tu peux te la garder.
L’expression du major se durcit.
- Je te conseille charitablement de ne pas jouer avec mes nerfs. Vous nous avez déjà fait perdre suffisamment de temps.
Il se rapproche de Louis.
- C’est vous qui dirigez ce groupe ?
Le rebelle le toise sans ciller, mais ne répond rien. Tellin lève les yeux au ciel avant de tirer les cheveux de Louis.
- Parle rebelle. Que comptiez-vous faire avec ces deux personnes ?
Un crachat atterrit au pied du major. La contrariété apparait sur son visage. Sans se préoccuper davantage de nous, Tellin survole son escouade du regard.
- Vous trois, dit-il en désignant des membres de son unité. Dès que nous serons éloignés, achevez-les. Inutile de les garder en vie, ils ne nous serviront à rien.
L’annonce de la sentence est comme un coup de poing dans mon estomac. Il me faut un certain pour comprendre l’horreur de la situation où nous nous trouvons. Je ne peux pas croire que nous avons fait tout ça pour finir de la sorte. Mon supérieur se campe devant moi.
- Je vous avais laissé une chance de survie, Wolfgard, mais comme un idiot vous l’avez ignoré. Je ne peux plus rien pour vous. Adieu.
Il tourne les talons pour se diriger vers Elena qui ne cesse de proférer des insultes depuis la condamnation. Elle essaye tant bien que mal de se débarrasser de ses liens, mais c’est peine perdue. Elle croise mon regard. Sa bouche s’ouvre plusieurs fois, mais aucun son ne sort. Toutefois, son expression de détresse suffit amplement pour comprendre ce qu’elle ressent. Tellin l’empoigne par le col de son uniforme et la soulève sans douceur. Ma partenaire se débat.
- Lâche-moi ! hurle-t-elle.
Dans un ultime élan, elle arrive à se défaire de son emprise. Malheureusement, elle ne parvient pas à éviter l’attaque du major qui l’assomme sans autre forme de procès. Son corps s’affaisse mollement et ne bouge plus.
- Elena ! rugis-je.
Tellin ne me prête pas davantage attention. Il appose ma compagne sur son dos et s’éloigne avec son groupe. Je me débats de plus belle. Je ne peux pas l’accepter. Elena ne doit pas retourner à la base. Après tout ce qui s’est passé, ils lui feront bien vite regretter ses actes. Elle n’y survivra pas. Je suis comme possédé et la même évidence tourne en boucle dans ma tête. Cela ne peut pas s’achever comme ça. Pas après ce que nous avons vécu. Je pousse un râle de détresse face à ma propre impuissance. Je suis incapable de la sauver et cette vérité m’est tout simplement insupportable. Les trois soldats désignés pour l’exécution chargent leurs armes tout en nous observant. Je reconnais l’un d’eux. Il montait fréquemment la garde avec moi.
- S’il te plait, Pierre. Ne fais pas ça.
À l’évocation de son nom, Pierre croise mon regard. Le sien est un mélange de haine et de désarroi.
- Je vous ai toujours admiré, colonel, articule-t-il avec difficulté. Vous étiez notre modèle à beaucoup, jamais je n’aurais cru que vous étiez un traitre.
- Je ne le suis pas, Pierre. Simplement, j’ai compris que l’armée à laquelle je croyais n’était qu’une illusion. Crois… »
- Fermez-là, hurle mon subordonné, la voix tremblante.
Il pointe son arme sur moi. Les autres soldats l’imitent.
- Adieu, colonel Wolfgard.
Malgré moi, je ferme les yeux. Le coup part.
Les secondes s’écoulent et pourtant je ne sens rien. J’ignorais que la mort était si douce. Je me risque à ouvrir un œil. Les soldats gisent au sol dans une mare de sang. Ce n’est que quand j’aperçois le reste des rebelles que je comprends que nous avons frôlé la mort de peu. Anna vient se placer à mes côtés et défait mes liens.
- Tellin vous a rattrapé, énonce-t-elle comme une évidence.
Je me redresse vivement.
- Il a capturé Elena, je pars la sauver, m’exclamé-je.
Ma sœur m’empoigne le bras fermement.
- Hors de question, je ne compte pas risquer plus longtemps la vie de mes hommes.
J’écarquille les yeux.
- On ne peut pas la laisser tomber. Si tu refuses de m’accompagner, j’irai seul.
Anna ne me lâche toujours pas.
- Tu n’iras nulle part, Hans. Dans ton état, ce serait un suicide pur et simple. Je te promets de tout faire pour lui venir en aide, mais pour le moment il n’y a plus rien à faire.
Je me dégage.
- Il compte bien la faire payer pour ce qu’elle a commis.
- Je suis désolée, Hans, mais nous n’avons pas le choix. Restez davantage dans le coin pourrait se relever dangereux.
Puis sans rien rajouter, elle m’attrape à nouveau pour me forcer à me mettre en marche. Ma colère fond lorsque je passe devant le cadavre de Pierre. Ses yeux vitreux fixent le ciel. J’espère qu’il n’a pas souffert. J’échappe à ma sœur. Elle s’apprête à riposter, mais se tait en me voyant m’accroupir aux côtés du jeune soldat. Une boule s’est formée dans ma gorge. Il avait toute la vie devant lui et j’ai l’horrible impression de lui avoir ravi cela. Après m’être excusé mentalement, je ferme ses paupières. L’instant d’après, je suis debout. Je tourne la tête vers l’endroit où Tellin et Elena ont disparu. Je n’ai qu’une envie m’élancer dans cette direction. Malheureusement comme l’a dit Anna, ce serait du suicide. J’en veux à ma faiblesse qui me rend incapable de sauver la personne qui compte tant à mes yeux. Je me rappelle la promesse que je m’étais faite, il y a quelque temps. Je mettrais fin à ce projet et Elena pourra enfin quitter la base. Un goût amer m’envahit la bouche. J’ai failli une fois. Toutefois, cela ne se reproduira plus. Qu’importe les obstacles, je tiendrais cette promesse. Je sais que le temps joue contre nous, mais s’il te plait, Elena, ne perds pas espoir ! je reviendrais très vite. À contrecœur, je tourne le dos au chemin qui mène vers la base et en silence, j’emboite le pas aux rebelles.
c’est ce que je me crois à penser > c'est ce que j'aimerais penser? ou c'est ce que je veux croire?
explique-t-il navré > navre est un mot fort, et c'est surpenant que Hans, qui est ici le narrateur, qualifie Tellin, le manipulateur cruel, ainsi. Peut-etre qqchose comme "explique-t-il, et il a meme l'air de le regretter"
alors ta pitié tu peux te la garder > ce que dit Tellin n'est pas de la pitie. Il ne s'apitoie pas sur Elena, au contraire, il lui dit qu'elle n'a que ce qu'elle merite. J'imagine qu'elle lui reponde plutot quelque chose comme "tes commentaires, tu peux te les garder"?
Il appose ma compagne sur son dos > ca fait bizarre, pour moi, le verbe apposer est plutot utilise pour les timbres qu'on appose sur une enveloppe? Plutot empoigner, soulever, porter....??
tout faire pour lui venir en aide, mais pour le moment il n’y a plus rien à faire > peut-etre remedier a la repetition de "faire"?
Bon courage pour la suite! Rien n'est simple pour Hans et Elena, decidemment...