Alors que nous étions entrain de dîner, ma chienne, les enfants et moi, quelqu'un toqua à la porte, ni doucement ni brutalement, juste, de manière formelle.
Nous n'attendions personne, alors le Gamin se cacha derrière sa sœur, et celle-ci dévisagea la porte, comme si elle essayait de voir à travers. Pour ma part, j'avais une technique qui marchait bien mieux que la sienne : je me levai et j'ouvris la porte.
Derrière celle-ci se tenait un homme dans la cinquantaine, barbe et cheveux roux, un chapeau et une veste rouge vif. Des lunettes fendues cachaient ses yeux vert pomme. L'homme avait le visage carré, n'arborant aucune expression ; il se contenta de me tendre sa main sans mot dire.
Après quelques secondes de flottement, je me suis mis à pouffer et je lui serrai la main.
« Bonsoir Robart. »
« Bonsoir cher client. Je suis désolé de passer aussi tard, j'ai eu beaucoup à faire dans votre coquet petit village. »
« J'imagine que tes services sont toujours très demandés. Rentre donc, nous étions entrain de manger. Joins toi à nous si tu veux. »
« Je le souhaite, merci beaucoup, la journée et le voyage furent longs tous les deux … Alors voilà les enfants que vous hébergez, les rumeurs étaient donc vraies. »
« En effet. Même moi j'ai du mal à y croire. Les enfants, voici Robart, un des vagabonds qui commercent avec notre ville. Nous sommes clients réciproques. Robart, voici la Gamine, fais attention elle mord ; et voici le Gamin, tu verras il est un peu timide mais très attachant. »
« Enchanté futurs clients. » Ceux-ci ne bougèrent pas de leur emplacement. « Vous ne me connaissez pas et je ne vous connais pas, ce faisant je respecterai la distance que vous mettez à mon égard ; cependant, permettez moi au moins d'expliquer ma fonction et donc la raison de ma venue dans votre charmante demeure.
Je suis un vagabond. J'appartiens à cette humble communauté qui s'est spécialisée dans le commerce à travers le continent. Comme nos pères, et les pères de nos pères, nous sillonnons le pays de villes en villes, de villages en villages, afin de proposer aux plus riches comme aux plus pauvres des biens que nous acquérons sur notre route. Nous achetons et nous vendons. Nous sommes ceux qui apportons ce dont vous avez besoin, ce dont vous avez envie, alors que vous ne pouvez pas vous déplacer. Nous sommes ceux qui pallions le manque de disponibilité du gouvernement. Nous sommes ceux qui tissons des liens entre les hommes sur tout le continent. Nous sommes les vagabonds ! » et il accentua ses paroles en se frappant le poitrail.
Le Gamin laissa dépasser sa tête du dos de sa sœur pour observer avec curiosité cet étrange personnage. La Gamine jaugea Robart du regard et lui demanda : « Et qu'est que vous voulez au Vieux Gamin ? On a assez sans vous. Vous nous servez à rien. »
À cela, je pouffai un petit peu, mais je laissai notre commerçant se défendre contre ces piqûres de moustique, après tout il s'agissait de son boulot.
« Vous avez ''assez'', sans doute ; mais vous n'avez pas ''tout'' ce que je peux vous apporter. Même si beaucoup de mes clients ont suffisamment pour survivre, ils n'ont pas assez pour vivre.
Je prends un exemple : vous avez des lampes de poche, si je ne me trompe pas. Certaines sont rechargeables manuellement, d'autres non. Elles ont besoin de piles, et si vous n'en trouvez pas dans les Ruines, vous n'aurez plus de lumière la nuit. Je suis là pour éviter que cela n'arrive. Et même avec votre bienfaiteur ici présent, qui pense et qui prévoit beaucoup, il est possible qu'il lui manque des outils, faute de pouvoir les fabriquer lui même. Je suis là pour les lui procurer. »
« Mais vous n'êtes pas juste venu ici pour lui proposer des piles, n'est ce pas ? »
« En effet, je viens ici pour lui acheter de la laine entre autre. Comment l'avez vous devinez ? »
La Gamine renifla bruyamment : « Je sais flairer ceux qui sont dans le besoin. »
Robart ne s'en offusqua pas, il rajouta : « Est-ce parce que vous l'avez été durant une très grande partie de votre vie ? » La Gamine fronça les sourcils mais ne dit rien. « … Je vois. Le silence a aussi sa valeur propre dans une discussion. Je ne vous presserai pas davantage.
En effet, j'ai besoin de votre bienfaiteur, en revendant sa laine je pourrai apporter de quoi se chauffer aux villages voisins ; mais je ne suis pas là pour ça. Pas que. » Et il se tourna vers moi. « Cher associé, bon nombre de mes étapes manquent de médicaments. La saison de la récolte arrive et j'aurai besoin de votre aide … pour aller à l’Hôpital. »
« Mmmh … Le gouvernement est toujours en pénurie ? » demandai je.
« Pas obligatoirement, les clients les plus fortunés en réservent la grande majorité. Le peuple passe après. Comment pourraient ils financer leur production sans argent ? »
« Comment peuvent ils laisser le peuple mourir surtout ? »
« À chacun ses priorités j'imagine. Nous ne sommes pas dans un état ''stable'' après tout.»
« … Quelle misère … Robart, je veux bien t'aider pour refaire ta réserve de médicaments, mais j'aurai plusieurs conditions. »
« Bien évidemment. Quelles sont elles ? »
« Premièrement : » et je lui montrai ma main blessée « je ne peux pas t'aider pour la récolte pour le moment, je dois être en pleine forme pour me rendre à l'Hôpital. »
« Je vois … Comment cela vous est il arrivé ? »
« Un gros chat a joué avec moi. Il était … pas très câlin. »
« En effet. J'attendrai en ce cas. La suite ? »
« Deuxièmement : je veux qu'une partie de la récolte aille au village clandestin d'Hector. Notre village pourra s'acheter tes médicaments. Pas eux. »
« Il n'y a pas de problème. Je leur ferai un prix réduit, mais je veux qu'ils commercent. Un village d'assistés est condamné à disparaître, et les habitants à mourir de faim, ou à tuer pour survivre. »
« Je te laisserai fixer le prix, tu n'es pas un escroc. Troisièmement, cette requête est privée alors les Gamins, aller jouer dehors quelques minutes. » Ils sortirent sans discuter. « Troisièmement : je veux une partie des médicaments et un cadeau pour les gosses. »
« Les médicaments sont à vous dans leur entièreté, je vous suis déjà assez redevable pour l'aide que vous me prodiguez. Pour le cadeau, avez vous déjà une idée de ce que vous voulez leur offrir ? »
« … Il me faudrait un furet pour le Gamin … et un nœud papillon pour mettre dans les cheveux de la Gamine. »
Robart porta sa main à la bouche et réfléchit quelques secondes, puis il redressa ses lunettes sur son nez.
« J'ai en tête deux produits de la capitale qui leur conviendraient parfaitement. Je vous prends une partie de votre laine, je continue de marchander dans la région, je reviendrai vous voir lorsque vous serez guéri.
Nous irons chercher les médicaments à l'Hôpital, je partirai ensuite vendre cette cargaison dans le pays et enfin je reviendrai avec la marchandise pour vos petits protégés.
Marché conclu ? » demanda t-il en me présentant sa main.
Je la serrai aussitôt. « Marché conclu. »