Chapitre 8

 

Edana bailla et s’étira. Aujourd’hui, c’était le grand jour… Elle s’attacha les cheveux et ouvrit son armoire. Quelle tenue fallait-il qu’elle choisisse ? Après mûre réflexion, elle opta pour une tenue confortable. Un bermuda, un débardeur, un gilet autour de la taille, des baskets et une sacoche. Elle y rangea une bouteille d’eau, un couteau suisse, une corde, une trousse de secours et ses gants. Après avoir fermé les yeux et respiré lentement, Edana entra dans l'ascenseur. Il s’arrêta au huitième étage et les portes s’ouvrirent sur Kállos. La fille blonde entra en geignant. Edana posa une main réconfortante sur son épaule.

- Qu’est-ce qui se passe ?

 La sous-cheffe renifla.

- Pólemos m’a quitté ! Il a dit qu’il savait que je craquais sur Phileas !

Edana secoua la tête. Comme si elle avait besoin que Kállos lui raconte ses chagrins d’amour… 

- Tu ne pourrais jamais lui briser le cœur comme ça, impunément… 

Les joues de sa voisine se rosirent. Elle avait complètement arrêté de pleurer.

- C’est que…je…j’ai bel et bien faible pour Phileas… 

Edana haussa un sourcil. Pourquoi se plaignait-elle ?

- Alors où est le problème ? 

Kállos leva les bras, comme si c’était évident.

- Puisque Pólemos m’a quittée, je n’ai plus personne pour rendre Phileas jaloux !

Comme pour sauver Edana, les portes de l’ascenseur s’ouvrirent et les deux filles se séparèrent, chacune de leur côté. Edana, elle, se dirigea vers la Grande Plaine. Elle avait demandé à Phileas de la retrouver, ici, sur un des nombreux bancs. Elle avait décidé de lui avouer son “pouvoir” avant de partir, comme le lui avait conseillé Chloé. En arrivant, Edana tenta de l'apercevoir en plissant les yeux. A travers un rayon de soleil, elle reconnut Phileas grâce à ses cheveux chatoyants. Quand Edana le rejoignit, elle regretta aussitôt de lui avoir donné rendez-vous. Le clin d'œil qu'il lui adressa à son arrivée ne présageait rien de bon. 

- Alors comme ça tu n'es pas tombée en pâmoison devant moi comme toutes les autres filles ? Et qu’est-ce que ce rendez-vous galant signifie ?

Edana rougit dangereusement. Visiblement, Phileas avait retenu la phrase qu’elle lui avait dite à la table d’Hestia. Phileas lui ébouriffa les cheveux.

- La tête que tu as quand tu rougis !

Edana glissa, les épaules sous la table.

- Ce n’est pas gentil de profiter des faiblesses des gens !

- Je te charriais !

Phileas reprit d’une voix plus douce.

- Au contraire, tu es très mignonne quand tu rougis… 

Ça y est, se dit Edana, je suis plus rouge que ma sacoche. Elle se redressa et préféra changer de sujet.

- Ce n’est pas pour ça que je t’ai demandé de venir. Je voulais te montrer quelque chose.

- Quoi ?

- Ça.

Elle sortit la boîte en argent de sa sacoche. Phileas ouvrit de grands yeux. 

- La boîte des gants maudits !

Edana fronça le nez. 

- Les gants quoi ?!

- Ils brûlent les mains de n'importe qui les met. 

Il regarda avec frayeur Edana enfiler les gants. 

- Tu…tu…

Edana remua les doigts en souriant. 

- Tu veux me serrer la main ?

Phileas fronça les sourcils. 

- Normalement, c'est moi qui fais les blagues !

Elle se félicita intérieurement de l'avoir vexé. 

- C'est quoi ces deux bosses ?

Phileas montrait les deux petits boutons sur le poignet d'Edana. 

- Ils font apparaître des flammes. Tu veux que j'essaie ?

Le demi-dieu secoua vigoureusement la tête. 

- Sans façon ! Je voudrais simplement savoir ton astuce. 

- Il n'y a pas d'astuce, Phileas. Je suis née comme ça. Je peux toucher le feu autant que je veux, je ne me brûle jamais. 

Phileas devint livide pendant un moment puis reprit des couleurs. 

- Typique d'une fille d'Hestia !

Ils sourirent.  



 

- Et on est censé monter là dedans ?! s'époumonait Chloé à travers le raffut que faisait l'hélicoptère qui planait au-dessus d'eux.

Keraunós hocha la tête. 

- Zeus n'avait que lui à nous prêter… Il paraît petit de l’extérieur mais il est assez grand à l’intérieur.

Phileas marmonna quelques phrases que personne ne pût entendre, heureusement. Edana cria :

- Où est-ce qu'il nous déposera ?!

Keraunós en fit de même. 

- Il fera une escale à New York puis s'arrêtera à la Nouvelle Orléans !

Tous hochèrent la tête. 

- Vous êtes sûr qu'il ne nous arrivera rien ?

Chloé avait la mine inquiète.

- Ne t'inquiète pas Chloé, vous pouvez compter sur Zeus. Allez, montez maintenant !

Le juron de Phileas se perdit dans le vent. Tous trois se précipitèrent dans le petit hélicoptère miteux à l'aide d'une corde. Edana fut la dernière à monter. La chaleur moite du compartiment lui collait à la peau. Elle étudia l'intérieur de l'hélicoptère. Deux rangées de trois sièges étaient placées à l'avant, derrière ces sièges il y avait trois caisses en bois. Après s'être concertés du regard, les trois amis ouvrirent chacun la boîte avec son nom. À l'intérieur, il y avait des vêtements de rechange, des vivres pour quelques jours, une couverture, de l'argent de poche et une trousse de secours. Les trois adolescents remplirent leurs sacs avec ce matériel. 

- Ça doit être de la part de Keraunós. C'est gentil. 

Phileas se tourna vers Edana. 

- Tu trouves que c'est gentil de nous faire prendre un hélicoptère qui tient à peine debout pour nous conduire vers une mort certaine ?

Chloé croisa les bras. 

- Ce n'est pas toi qui as voulu t'embarquer là-dedans ?

Le jeune homme se renfrogna en s'asseyant sur le siège le plus éloigné des filles. Chloé chuchota à Edana :

- On est obligé de le supporter ? Pourquoi ne pas l'abandonner au prochain arrêt ?

Edana ne lui répondit pas et alla se placer devant Phileas. Intriguée, Chloé vint aussi. 

- Écoutez moi, si nous voulons réussir cette quête, il faudra rester gentil entre nous. Vous êtes d'accord avec moi ?

Phileas et Chloé acquiescèrent à contrecœur. Edana leur sourit, reconnaissante. Elle savait que c'était dur pour eux. 

- Merci. Maintenant, si vous voulez bien petit-déjeuner…

Elle leur indiqua les provisions qu'elle avait alignées sur une couverture par terre. Tous se précipitèrent autour de la nappe et engloutirent quelques biscuits. Après ce festin, Edana se demanda qui pilotait l'hélicoptère. La jeune fille fit part de ses inquiétudes aux autres. Phileas haussa les épaules.  

- Je n'en sais rien. 

- Pareil. 

Chloé se leva et se dirigea vers la porte close à l'avant de l'hélicoptère. Edana lui agrippa le bras. 

- Qu'est-ce que tu fais ?! 

Chloé redressa la tête. 

- C'est vrai qu'il ne faut pas se montrer indiscrète… 

- Détrompe-toi ! On va bien aller voir la cabine. Ce que je voulais te demander c'était que tu n'allais quand même pas entrer sans frapper ?!

Phileas laissa échapper un bâillement. 

- Vous allez encore attendre longtemps avant d'ouvrir la porte ?

Edana laissa sa main suspendue dans les airs. 

- C'est que je ne…

Le jeune homme ne la laissa pas finir sa phrase et ouvrit la porte à la volée. Ses yeux s'agrandirent et Chloé, piquée par la curiosité, passa la tête dans l'entrebâillement de la porte. En voyant ses amis choqués, Edana regarda elle aussi à l'intérieur de la salle de commandement. Ce qu'elle vit la laissa bouche bée. Un adolescent avec un casque vissé sur la tête était dos à eux. Ce n'était pas un garçon ordinaire, c'était Argos, le géant aux cent yeux. Des douzaines d'yeux les fixaient. 

- Ah. C'est donc vous que je dois conduire à Manhattan. 

Les adolescents hochaient vivement la tête, incapables de parler. Les yeux d’Argos clignèrent tous en même temps. Chloé surmonta sa peur et avança.

- Oui, merci. Monsieur…

- Argos. Simplement Argos.

Il se retourna, lui tendit une main et Chloé la serra vigoureusement. 

- Enchantée. Je m’appelle Chloé et voici mes amis, Edana et Phileas. 

Edana sortit de sa torpeur et serra elle aussi la main d’Argos. Elle était glacée et Edana la lâcha aussitôt. Argos inclina la tête. 

- Si vous voulez bien me laisser piloter l'hélicoptère…

Les adolescents quittèrent la salle de commande en laissant l'homme au costume. Chloé s'éventait avec sa main. 

- Quel beau gosse !

Phileas fit mine de vomir. 

- Beurk ! Tu as bien vu tous ses yeux ? 

- Et alors ? Ça ne l'empêche pas d'être canon. 

Edana s'avança. 

- En plus, il était très poli. Un vrai gentleman. Je suis d'accord avec Chloé.

Phileas écarquilla les yeux et s'enfuit derrière une des caisses. 

- Edana ! Tu m'as trahi ! 

Les filles rirent, fières d'elles. 


 

New York apparut à la fenêtre. Edana contemplait cette vue magnifique, assise près d'une des deux fenêtres de l'hélicoptère. Chloé avança dans son dos en étouffant un cri. 

- New York !

Phileas se plaça lui aussi devant la fenêtre. 

- On va croquer la grande pomme, les filles. 

Edana et Chloé acquiescèrent. 

- Et on va voir Kafe. 

La demi-déesse croisait les doigts. Elle espérait que sa petite sœur était heureuse et qu'elle ne pensait pas qu'Edana l'avait abandonnée. Phileas posa une main sur son épaule et les joues de la jeune fille chauffèrent. 

- Tu voudras qu'on te laisse toute seule avec Kafe ?

Edana secoua la tête. 

- Non, je préfère que vous soyez là. 

Chloé se redressa. 

- Après, on pourra aller se chercher à manger ? Je commence à avoir faim. 

- Quelle question ! Mon ventre gargouille déjà !

Comme pour approuver la réponse de Phileas un drôle de bruit s'échappa de son ventre. Le visage du jeune homme rosit. Soudain, la voix d'Argos emplit les hauts parleurs. 

- Préparez-vous à atterrir.  

Les trois adolescents se précipitèrent alors sur leurs sièges et bouclèrent leurs ceintures. Après un long moment à attendre avec de fortes secousses, ils purent descendre sur le toit d'un immeuble. Argos les attendait, sans son casque mais avec un chapeau melon. 

- Je vous attends ici. Si à quatorze heures vous n'êtes pas rentrés, je viendrai vous chercher. 

Les adolescents lui dirent au revoir puis se mirent en route pour Manhattan, Edana en tête. Après ce qui lui parut une éternité, ils arrivèrent enfin à la ruelle sombre des orphelins. Chloé passa un bras sur ses épaules. 

- Ça va ?

Edana prit une grande inspiration et acquiesça. 

- C'est parti. 

Après leur passage, des orphelins murmuraient. Edana entendit quelques phrases. 

- Ce n'est pas Edana ?

- Si. Elle était partie en tournée avec un monsieur riche. 

- Il paraît qu'elle a abandonné Kafe. 

- C'est vrai. La pauvre essaye de se convaincre qu'Edana ne l'a pas abandonnée…

- Quelle petite couturière adorable !

Les larmes aux yeux, la demi-déesse fit la sourde oreille et continua de marcher. Elle s'arrêta quand elle vit son drap suspendu proche de celui de Kafe. La petite fille était en train de coudre. Intriguée par les murmures, elle releva la tête, croisa le regard d'Edana et s'immobilisa. Sa main resta suspendue avec une aiguille reliée à un fil coloré. Ses grands yeux brillaient, humides. 

- Ed…Edana ?

Sa voix enrouée brisa le cœur d'Edana. Kafe descendit de son drap et accourut dans les bras de sa grande sœur. 

- Où étais-tu passée ?!

Edana enfouit la tête dans les cheveux de la petite fille. 

- C'est une longue histoire… Mais sache que je ne t'ai pas abandonnée. Jamais je ne le ferai…

Kafe essuya une larme avec son index. 

- Je m'en doutais… Je répétais à tout le monde que tu ne nous aurais jamais laissé tomber. 

- Merci. 

Kafe releva la tête. 

- Tu peux me raconter ce qui s'est passé ? J'aimerais savoir où tu étais. 

Edana hocha la tête et lui raconta tout, de sa rencontre avec Húdôr à son arrivée à Manhattan. À la fin de son récit, Kafe écarquillait les yeux.

- Tu…tu es la fille d'Hestia ! Les dieux grecs existent réellement ! 

Edana hocha lentement la tête, se remémorant sa surprise quand elle-même l'avait appris. Un toussotement dans son dos lui rappela la présence de ses amis. Elle se tourna. 

- Et voici, Chloé et Phileas. Mon équipe pour la quête. 

Son clin d'œil lui valut un regard noir de Phileas. 

- C'est moi qui fais les clins d'œil. 

Chloé serra la main de Kafe. 

- Enchantée Kafe. Je suis la fille de Déméter. 

Les yeux marrons de la petite fille s'agrandirent davantage. Phileas lui sourit et fit une petite courbette. 

- Et je suis le fils d'Eros, le dieu de l'amour. 

Kafe rosit en lui tendant la main et Edana haussa les sourcils. Phileas lança un regard à cette dernière qui ne serait pas étonnée de l'entendre dire : tu as vu ça, même Kafe a succombé à mon charme ! 

- Je peux vous accompagner dans la ville ? demanda Kafe, sautillant presque

Edana la serra encore une fois dans ses bras, heureuse de la retrouver. 

- Avec plaisir !




 

Le hot-dog d'Edana lui réchauffait légèrement les mains. Ils en avaient acheté près de Central Park. Personne ne parlait, savourant ces délicieux hots dogs. 

- Ch'est délichieux !

Tous approuvèrent. Ils arpentaient les rues en discutant de la vie à New York. Edana apprit que Kafe cousait quelques vêtements pour ensuite les vendre aux passants. Les minutes passèrent puis les heures… Enfin vint le moment des adieux. Les enfants étaient arrivés en bas de l'hôtel sur lequel était posé l'hélicoptère et le soir approchait. Les yeux d'Edana étaient humides. 

- J'ai adoré te revoir. 

Ceux de Kafe aussi brillaient. 

- Moi aussi. J'espère que vous allez réussir votre mission…

Edana acquiesça en chassant une larme. 

- Je l'espère aussi. 

Kafe se jeta dans ses bras en sanglotant. 

- Tu me promets de ne pas m'oublier ?

Edana sourit tristement. 

- Je te le promets. C’est impossible que j’oublie une bouille si mignonne . 

Sa petite sœur se redressa en reniflant. 

- Merci. Allez, maintenant, vous devriez y aller. 

Elles se détachèrent. 

- Oui. 

Les demi-dieux montèrent jusqu'au sommet du building. Arrivés en haut, ils s’installèrent dans l'hélicoptère qui se mit en route. Edana resta à la fenêtre. La silhouette de la petite fille lui faisant signe fut vite engloutie par l'ombre des hauts immeubles. Une vague de tristesse la submergea. 

- Au revoir Kafe…

 

Vous préférez Edana, Phileas, Chloé ou Kafe ? Ouverture du débat ! 😉

 

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