CHAPITRE 8
Dans le noir de la nuit, un vent doux repoussait lentement les nuages. Il ne pleuvait plus et l’air était de nouveau chaleureux. Dans les rues du quartier ouest, la Ville n’était pas encore endormie, à peine assoupie. Les bars avaient leurs portes ouvertes, leurs lumières faisant concurrence aux étoiles. Les lampadaires auraient pu s’ajouter au chapelet de lueurs, mais la plupart des ampoules étaient cassées, ou clignotaient convulsivement.
Sur les toits, une silhouette efflanquée sautait de tuiles en tuiles, ne s’arrêtant ni pour les camarades à quatre pattes, ni pour ceux à deux.
Sorc savait où il voulait aller et n’avait pas le temps de flâner. Cela, il l’avait fait toute la journée, maintenant il était temps d’entrer dans le vif du sujet.
Il avait re-parcourut par les toits et les ruelles ce qu’il avait arpenté le matin même car certaines de ses affaires étaient restées non conclues.
Il s’arrêta lorsqu’il repéra la petite cour carrée, le lierre, les campanules ; c’était là. Alors il s'assit sur le faîte du toit.
Ses yeux de chat scrutaient les environs, à la recherche d’un mouvement, d’une tâche de chaleur. Il n’y avait pas de lumière aux fenêtres du bâtiment, plus aucun patient dans la cour. Des éclats de voix lointains émergeaient des rues adjacentes mais les proches parages étaient silencieux, immobiles. Jusqu’à ce qu’un battement d’ailes claque à son oreille pointue. Il tourna le museau et découvrit sur sa droite l’arrivée d’une chouette à la face blanche et au corps brun.
— Bonsoir, lui dit la chouette à peine posée.
— Bonsoir, lui rendit Sorc.
— Je ne vous remercie pas.
— Non, j’imagine que non.
— Vous avez amené une policière dans mon cabinet, est-ce que vous vous rendez seulement compte de la prise de risque que vous me faites prendre désormais ?
— Je vous prie de m’excuser. Mais j’avais besoin d’une raison de vous rencontrer et m’assurer que mes suppositions étaient les bonnes.
— Vous venez de la Zone, que faites-vous dans la Ville ? demanda la doctoresse.
— J’ai été convoqué par la police via Corbeau Blanc.
La chouette tourna la tête de surprise, les yeux encore plus écarquillés qu’ils ne l’étaient par nature.
— Vous vous fichez de moi ?
— Je crains que non. Ils souhaitent que j’enquête sur les meurtres par immolation. D’où mon escorte par une policière.
— Une sorcière dans la Ville, au vu et au su de la police, attirée même par cette dernière. Vous avez conscience que votre espérance de vie est faible ?
— Et vous alors, parlez moi d’une sorcière dans la Ville. Que faites-vous ici ?
— Il y a autant de travail ici qu’ailleurs. Et je me cache, moi. Je suis officiellement médecin. Aucun policier n’avait encore jamais mis les pieds chez moi jusqu’à aujourd’hui. Vous comprendrez ma fébrilité, dit la chouette en ébrouant ses plumes.
— Je vous prie de nouveau de m’excuser.
— Bon. Et que me voulez-vous ce soir ? Soyez bref.
— J’ai besoin de comprendre. Comprendre comment fonctionne cette Ville. Par exemple, j’ai entendu parlé d’émeutes dans les quartiers ouest. Pourriez-vous m’en dire plus ?
— Pour comprendre ces émeutes, il faut comprendre le contexte. La haute Ville est de plus en plus tendue quant à l'existence de ces quartiers et de sa population. Ils ne l’ont pas nommée la “petite zone” pour rien. Ce n’est pas juste un amalgame. C’est une prise de conscience que l’idée de frontière entre “Zone” et “Ville” est un échec. Que la population des quartiers ouest est beaucoup plus mixte qu’ils ne le voudraient.
— J’ai vu à la télévision et dans les journaux cette idée “d’esprit de Zone”.
— Oui, un terme raciste. Venu remplacer celui qui nous définissait autrefois mais que la bienséance leur interdit désormais d’utiliser.
— “Déviants”.
— Oui, “déviants”. La Guerre est ancienne et les mages ne sont plus. Mais leurs idées sont encore fort présentes dans l'inconscient collectif. Dernièrement la parole semble s’être libérée et les actes ont suivi. Un jeune des quartiers ouest a été tué lors d’une bagarre orchestrée par des habitants de la haute Ville. Cela a déclenché des émeutes de protestation dans toute la petite-zone, la police est intervenue, elle a fait deux morts de plus.
— Et ensuite ?
— Ensuite rien. Ils ont arrêté en masse et le tout est retombé. C’était il y a deux mois.
— Avant les meurtres par incendies.
— Avant les meurtres par incendies.
— Un lien vous pensez ? demanda Sorc.
— Aucune idée, mais si vous êtes là, soit la police patine sévère aussi, soit c’est un très, très gros piège.
— Hmmm. Je me dis la même chose et je n’ai pas encore tranché moi-même.
— Quittez la Ville. Maintenant. Un immeuble vous est déjà tombé dessus, de quel autre signe avez-vous besoin ? Une sorcière qui travaille pour la police, vous allez y rester d’une manière ou d’une autre.
— Je sais.
— Mais c’était un Corbeau Blanc.
— Mais c’était un Corbeau Blanc, affirma Sorc.
Un silence s’installa. Sorc le brisa.
— J’aurai une autre question.
— Allez-y.
— Comment vous fournissez-vous en ingrédients ? Beaucoup ne sont plus trouvables que dans la Zone.
— Hahaha. S’il y a bien une espèce qui pullule autant chez vous qu’ici, ce sont les krats. Ils ont développé tout un réseau d’import-export qui inonde le quartier ouest. Et sans doute la haute Ville aussi, ne soyons pas naïf.
Sorc sourit. Effectivement, il lui semblait bien avoir vu quelques krats roder dans les poubelles de la Ville.
— J’irai sans doute leur rendre visite alors.
— Grand bien vous fasse, répondit la doctoresse, et bonne visite de nos égouts.
— Ha, évidemment.
— On s’y fait.
— Je n’en doute pas…
— Sorcière, quel beau métier tout de même.
Sorc ne put s’empêcher d’en rire, la chouette le rejoint.
— Sur un tout autre sujet, reprit Sorc, savez-vous qui est l’artiste qui a peint les grandes fresques sur les immeubles de la partie extrême ouest de ces quartiers ?
— Aaah, elles sont magnifiques n’est-ce pas ?
— Oui.
— Je crois que l’artiste s’appelle Peet. Mais cela fait un moment que le quartier n’a plus entendu parlé de lui. Je me demande ce qu’il est devenu.
— Très bien, merci. Si je puis me permettre, en m’adressant à la doctoresse cette fois, vous n’auriez pas quelque chose contre le mal de tête ?
La chouette tourna la tête vers Sorc.
— Vous aussi ? s’étonna-t-elle.
— Ha ?
— Je lutte contre les migraines depuis des années. Cela fait longtemps pour vous ?
— Depuis mon arrivée en Ville, renseigna Sorc.
— Ça alors. Décidément, Ville et Sorcière…
— Comme vous dites.
— Prenez du paracétalum, comme tout le monde. Plus des décoctions aux produits habituels… mais je vous préviens, si vos maux de tête sont de même nature que les miens, cela ne changera pas grand chose.
— Très bien, je vous remercie pour toute votre aide. Je vais donc me diriger vers la ville sous la Ville et tenter de rencontrer ces krats.
— Leur roi est assez spécial, mais c’est un commerçant, il ne refusera pas de vous rencontrer si vos arguments sont convaincants.
— Je vous remercie pour votre patience. Je suis Sorc, et vous êtes ?
— Fani répondit la chouette. Mais ne revenez pas trop souvent. Je tiens à ma discrétion dans cette Ville.
— Entendu.
C'est toujours un grand plaisir de te lire. J'aime beaucoup le passage de la transformation de Sorc en chat, et la rencontre avec cette chouette doctoresse. L'univers Ville/Zone/petite-zone se précise, et fait drôlement écho à certaines problématiques présentes dans nos banlieues, je trouve cela très fin. Le danger que court Sorc est aussi plus clair, mais je me demande encore ce qui le pousse à prendre autant de risque, j'ai hâte de lire la suite pour le découvrir !
Maintenant, il s'agit donc de visiter les égouts et de rencontrer leur roi, et des.. krats ? (mais kesako) ça promet d'être encore plus intéressant !
Je trouve qu'il y a un bon équilibre entre information et mystère, ce qui me pousse en partie à poursuivre la lecture. En un sens, c'est aussi comme si on était encore dans l'incipit, finalement.
Le "paracétalum" me fait beaucoup rire !
Une coquillette :
Alors il s'asseya sur le fait du toit. => s'assit ?
A très bientôt et bon courage pour la suite que j'ai grand hâte de découvrir !
Je suis heureuse que ta lecture se poursuive et qu'elle te plaise ♥
Oui j'ai essayé de faire des échos à notre propre monde, j'avais peur que ce soit un peu "gros", un peu "naïf"... mais tu sembles dire que ça passe bien, ouf ! ^^"
Oui tu as raison, ce n'est qu'à partir de maintenant que l'action commencera vraiment, j'espère que ce n'est pas trop lent comme début -_-
Merci pour la coquille, c'est corrigé !
Et merci encore pour ta lecture et tes commentaires qui m'aident beaucoup à avancer : )
Quel plaisir de se retrouver ici. Ce personnage de doctoresse chouette est bien vif, et c'est agréable de contraste avec Sorc. Le Corbeau Blanc... on sent que quelque chose de magique se cache derrière ce corbeau, un lien, un serment. Honnêtement sur ça je suis bon public donc tu me dis : bah c'est parce que c'est un corbeau blanc je réponds ok nickel. Bien sûr si j'aibla réponse je suisbplus satisfait mais ça me suffit.
Petite coquille : Il avait re-parcourut
Et ilnmanque un s à ailleurs, quelque part.
À bientôt <3
merci pour ton message : )
Il y aura bien un jour une forme d'explication pour le Corbeau Blanc, reste à savoir si ce sera suffisant pour répondre à toutes les remarques reçues sur le fait que Sorc pouvait très bien rester/rentrer chez lui x'D
Et à voir aussi si cela n'arrivera pas trop tard... car la remarque est vraiment récurrente dans les commentaires et semble embêter bien des lecteurices... tu me diras quand on y sera ! : D
à bientôt : D
La magie flottait dans l'air, la voilà pratiquée par cette Sorcière. Tout était dit à demi-mots et enfin, voilà une conversation explicite avec une alliée, cette doctoresse. Je n'avais pas vu venir que la chouette serait la doctoresse, la situation est surprenante, amusante et bien amenée.
J'espérais retrouver la doctoresse et il est agréable d'avoir un peu de contexte sur les évènements du point de vue des "gentils" de la Zone, petite ou grande.
Je reste sur ma faim à propos de l'appel passé à Sorc. J'en reviens à l'une de mes précédentes remarques : Fani le met explicitement en garde, cela semble être un énorme piège... Que fait-il là ? Quand elle lui dit qu'il va y rester, il répond : "Je sais." C'est très étrange. Est-il suicidaire, ou devin, ou alors c'est une façon de parler ;-) ? Les deux personnages se mettent d'accord sur le fait que "c'est un Corbeau blanc", mais nous, lecteurices, n'en savons pas davantage pour autant.
Le personnage de Fani me plaît, elle n'est pas contente et elle le dit, mais c'est une alliée et une collègue. Elle est catégorique, ne s'embarrasse pas de fausse politesse. Je trouve le personnage crédible et cet échange bref fonctionne très bien.
Il m'est un peu difficile de me sentir concernée par son enquête, qui ne semble pas avancer du tout, en fait. Est-ce que cette enquête est un énorme prétexte, ou est-ce un élément central de l'histoire ?
Cela dit, la découverte de la ville est très intéressante, ce chapitre nous promet de nouvelles rencontres (super, on va découvrir des krats, qu'est-ce que ça peut bien être :-D) alors ce n'est peut-être pas si grave, pour l'instant. C'est juste un peu frustrant.
A part ça, quelque chose m'interpelle : Fani remet l'accent sur le fait que la Ville est active et partie prenante, contre cette Sorcière ! Donc, il y a une autre magie, peut-être celle des mages ? Ma curiosité est piquée.
Je n'ai pas grand chose à dire d'autre de cette partie. En fait, ça avance, ma lecture avance aussi, j'ai hâte d'avoir la suite.
Je me permets donc plutôt des remarques sur la forme, coquilles et tournures.
- il s'asseya -> s'assit
- le fait du toit -> faîte
- la prise de risque que vous me faite prendre -> faites. La tournure me paraît également un peu lourde, prise de risque et prendre me paraissent redondants.
- idem pour la réponse de Sorc : m'excuser - une excuse
- ailleur -> ailleurs
- petite-zone : il me semble que dans le chapitre précédent, petite Zone s'écrivait avec une majuscule. Un choix à faire ?
Bon courage pour l'écriture de la suite et au plaisir de lire :-).
je vois ce que tu veux dire pour l'enquête, c'est vrai que cet aspect avance très lentement, je n'arrive jamais à faire des débuts d'histoires vraiment dynamiques x'D
Il faudrait que Sorc découvre la Ville en même temps que l'enquête avance tu penses ? Plutôt que de présenter la ville puis lancer l'enquête ?
Ce n'est pas évident car en réalité les temps sont courts, là on n'est toujours qu'au premier jour et Sorc ne pouvait pas faire grand chose tant qu'il a Malisé sur le dos... arg.
Ça m'ennuie un peu que l'enquête perde complétement en intérêt chez les lecteurices comme ça... il va falloir que je réfléchisse à tout cela.
Merci beaucoup pour ton message honnête qui m'aide à pointer les défauts et les choses à retravailler ^^
Et merci encore pour les coquilles, je vais corriger cela : )
Est-ce qu'il faudrait que Sorc découvre la Ville en même temps que l'enquête avance - franchement, je ne sais pas comment t'aider sur ce point :-/.
Ta question me donne envie de tout relire d'un coup une fois que tu auras fini ton premier jet, parce que ça changerait peut-être les choses. L'enquête ne perd pas complètement son intérêt, mais c'est sûr qu'elle s'éloigne. Alors, est-ce que la lecture fractionnée n'est pas aussi responsable, un peu, de cette relative perte d'intérêt... Je ne sais pas si tu vois ce que je veux dire. Quand on a un livre en main, on a peut-être moins de difficultés à accepter les détours du personnage, parce qu'on sait qu'on aura la réponse à un moment.