Le marché se trouvait sur la place du village et les rues aux alentours. Un bruit infernal en dégageait. Par ici des cris d’enfants -qui avaient fini l’école à midi- avec leurs parents et ici des marchands qui vendaient des fruits et des légumes, parfois du lait et du fromages ou encore de la viande et des œufs. Là-bas des vaches beuglaient et j’entendais aussi des poules et des chèvres. Il s’y trouvait aussi dans ce marché, babioles et objets assez originaux ou tout simplement utile au quotidien.
Quand je m’engouffrai dans la foule, je me sentis retomber en enfance lorsque je laissais trainer mes oreilles ici et là dans les bribes de conversations. J’adorais faire cela et cela me faisait toujours autant plaisir. Ainsi je recommençai ce jeu d’enfant, attendant et me baladant, afin d’entendre des informations sur l’emplacement de Poile.
« un poireau, du lait, du fromage… cela vous fera 20 Armis. » disait un marchand.
« combien coûte ce jus de pomme ? » demandait une femme.
« Jules ! reviens ici tout de suite ! » hurlait une mère.
« oh là ! je n’en peux plus de cette cheville qui n’en finis plus. »
Je m’arrêtai brusquement, faisant mine d’admirer un roman.
« va voir Poile ! enfin pas lui mais son esclave ! il est très doué pour soigner ! si la guérisseuse n’a pas pu te soigner, lui le pourra ! répondit un jeune homme.
- Son esclave ? demanda, intriguée, la blessée.
- Oui, on l’appelle comme ça car c’est lui qui emmène et conseil les remèdes du créateur Poile. Le mage, personne ne l’a jamais vu au village.
- Moi je dis qu’il l’a ensorcelé, affirma une commerçante qui les écoutait.
- Non il l’a empoisonné ! dès que Poile n’aura plus besoin de lui il mourra ! renchérit un autre.
- Vous… vous croyez ?
- Bien sûr. Mais va s’y quand même, les clients ne risquent rien !
- Hum… et où se trouve-t-il ?
- Près de la fontaine, tu reconnaitras facilement son étale : il y a plein de fioles multicolores et bis… »
Je ne les écoutais déjà plus, je slalomais déjà entres les familles et les stands. La fontaine ! comment n’y avait-je pas pensée plus tôt ?! quelle idiote ! tout s’éclairait à présent. Anotin (appelé l’esclave par les habitants) m’avait soigné quand je m’étais foulé le poignet et cassé une dent. J’effleurais avec ma langue cette fameuse ratiche cassée. Il m’avait appliqué une patte gluante et m’avait demandé de ne pas y toucher, sinon j’aurais un gout désagréable dans la bouche pendant plusieurs jours. Etant enfant, je n’avais pas pu m’en empêcher et dû supporter pendant une semaine un goût pâteux, désagréable et nauséeux. Je ris en y pensant. Pourquoi ne pas avoir faire le rapprochement ?
Je le vis, toujours aussi jeune, au milieu de ses fioles bleus, vertes, roses, jaunes et bien d’autres couleurs que je serais incapable de définir. Ses lunettes étaient comme toujours posées sur son nez, faisant grossir ses yeux bruns. Il aimait la science et m’avait dit un jour que c’était pour cela qu’il avait accepté ce boulot, car il étudiait chaque fioles qu’il transportait. Il était en pleine discussion avec la mère Petit Poulin. Quand je m’approchais, il me reconnut tout de suite, bien que cela fasse de nombreuses années que je ne l’ai pas vu.
« Nilah ! ho mon dieux ! cela fait si longtemps ! comme tu es devenu une belle jeune fille, comme ta mère en fait ! bon je suis à toi dans une minute. » et il recommença à parler avec la mère Petit Poulin, comme s’il ne m’avait pas débité son petit discourt. Je souris.
Mes yeux se posèrent sur l’étal d’à côté. La dame vendait du thé à base de bleuets, de roses, de jonquilles et de toutes sortes d’autres plantes, à la fois incohérentes et surprenantes. Ravie, je lui en achetai une boite avec toutes les saveurs possibles et inimaginables. En lui tendant les Armis, un beau sourire se dessina sur ses lèvres ; elle ne devait pas avoir beaucoup de clients, je lui laissais dons la monnaie. Je revins vers l’étale d’Anotin.
« me voici ! qu’il y a t-i ? tu as besoin de quelques choses en particulier ? tu es encore tombé ? tout de même, à ton âge !
- Je viens avec toi quand tu rentres chez Poile ce soir », dis-je pressé d’en finir et d’exécuter le plan qui se matérialisait petit à petit dans mon esprit.
Son sourire se figea. Je mis mes mains dans mes poches, sentant un bout de tissu entre mes doigts.
« hum, je crois avoir mal entendu. Tu veux aller voir Poile ? serais-tu blesser ? tu sais j’en connais assez pour que tu me fasses confiance ! s’exclama-t-il.
- Tu as très bien entendu, quand pars-tu ? »
Je m’efforçais de paraitre froide et dure pour qu’il ne pose pas de questions. Je serrai les doigts autour du cuir, nerveuse.
« non non non ! je ne suis pas un taxi moi ! et puis, je crois que tu ne te rends pas comte , mais Poile, je ne l’ai jamais vu moi ! il me donne les instructions sur un bout de papier et je me débrouille, il m’a l’aire grincheux !
- M’en fiche. J’irais le voir qu’il soit grincheux, gentil, calme, doux ou colérique. Pour le transport, je te paierais, ne t’en fait pas.
- Mais…
- On part quand ? le coupai-je, cinglante.
- Ce soir, 21h, mais je ne t’ai pas dit mon accord….
- Ok, » dis-je en sortant les deux bouts de tissus.
En les voyant, je sentis mon cœur se réchauffer. J’enfilai donc mes gants en cuir, créés par ma grand-mère pour grimper aux arbres, gants que j’avais égaré.
« J’achète les provisions pour ?
- Deux jours, mais…
- A ce soir alors ».
Je partis, le laissant seul au milieu de la foule. Le pauvre Anotin me faisait beaucoup de peine, mais je n’avais pas le temps de parlementer et m’imposer a été la solution la plus radicale pour moi.
J’achetai donc à manger et en payant le vieux fermier, je remarquai un stand gorgé d’arme. Je m’approchai doucement, admirant carquois, flèches, dagues, étuis, poignard que je me procurais, dépensant ainsi toutes mes économies. J’introduis une dague dans ma botte, l’autre dans son étui autour de ma hanche et j’accrochai mon poignard à mon poignet que je recouvris par ma manche. Il me restait juste assez d’argent pour négocier une belle cape noire et chaude. Je pris enfin le chemin de la maison, passant par le garage ouvert ou toutes sortes de bricoles étaient superposées, en équilibre, pour cacher mes provisions.
« Maman ? » appelai-je.
Mon plan revenait à une bonne entrevu avec ma mère.
« oui ?
- Tiens, je l’ai acheté pour toi, dis-je en lui tendant la boite de thé.
- Merci, c’est adorable, » me dit-elle d’une voix douce.
Elle s’approcha timidement de moi et finit par m’étreigner. Les larmes brouillèrent ma vue, mais je les ignorai et murmurai.
« je t’aime maman. Excuse-moi pour hier soir.
- Je te pardonne. J’ai été un peu rude aussi. »
Je me dégageai et lui souris.
« il reste quelques choses de ce midi ?
- Ah oui d’ailleurs, je ne veux pas encore m’énerver mais j’ai appris que tu n’étais pas allé en cours ?
- Bon, je vais voir dans la cuisine. »
Elle soupira mais ne dit rien. je mangeai quelques patates, sentant le regard contrarié de ma mère. Je sentis mes larmes monter une nouvelle fois, prenant conscience petit à petit de l’ampleur de mon plan. Mais je ne reviendrais pas dessus : je me l’imposerais.
Quand j’eu fini la vaisselle, je montai dans ma chambre, mais ma petite sœur absente. Je pensai à la promesse que je lui avais fait et triturai la bague. Je soupirai et vidai ma sacoche. Mis à part les lettres échangées entre les deux rois, un stylo, il n’y avait rien d’important dedans. Ne voulant pas m’encombrer je ne mis que le nécessaire de toilette et quelques babioles sans importances particulières. J’ouvris un tiroir et y découvris une montre de poche -avec laquelle j’en avais fait un collier-. Je l’ouvris. Un magnifique sourire s’étira sur ma bouche. Une jolie photo de ma famille était glissée dans le pendentif. Je l’enfilai autour de mon coup, sentant son poids froid sur ma poitrine.
Je ne saurais dire ce que je fis après. Mes pensées étaient trop troubles et perturbantes.
Je me rappelle être descendu, ensommeillé et m’être arrêté pour admirer ma jolie famille. Une famille pour laquelle j’avais trouvé tant de défaut et si peu de qualité. Pourtant, à se moment précis, il n’y avait que du bonheur. Ma mère chantonnait en faisant la poussière et mon père l’aidait en passant le balais. Mon frère et mes grands-mères discutaient et ma sœur jouait à un jeu de société avec mon grand-père. Ils étaient réunit et heureux. Je pris conscience de ce que mon plan impliquait. Mon plan flou, si brumeux. Ma vue se brouilla. Je m’approchai de chacun d’eux, les embrassant doucement. Mes mains tremblaient et mon cœur se serrait de plus en plus. Mon plan était affreux. Je respirai, tentant de me convaincre que je ne pouvais pas sauver ma famille si je ne partais pas. Personne n’était au courant. J’allais me placer devant le porte, serrant mon sac avec force pour me donner du courage. Je montai un doigt à ma bouche et triturai avec mes dents les gants de ma grand-mère, nerveuse.
« pardonner moi, s’il vous plait. Ne parlez à personne de ma disparition. Je vous aime, sachez-le.»
Je fermai les yeux, ignorant les cris de ma famille inquiet et questionnant. Je rassemblai la magie que m’offrait la nature. Mes larmes dévalaient mes joues en cascades. J’entrouvris les mains et laissai la magie s’écouler de mes doigts. Elle atteint mon grand-père, mon frère, mes parents et mes grands-mères, leur retirant mon existence de leurs esprits. Je respirai un grand coup, consciente qu’ils ne savaient plus qui j’étais et projetais cette belle lumière dans tout mon village. Des sanglots jaillirent de ma bouche quand je regardai ma sœur, abasourdi.
« je suis désolé. »
Je posai la bague près d’elle. Je vis à son visage qu’elle venait de comprendre, un cri de lamentation s’échappa de ses lèvres et au même instant je lui retirai les souvenirs qu’elle avait de moi.
J’ouvris la porte et partis en courant dans les rues de mon village, récupérant mes commissions aux passages, mes larmes coulants à chaque réminiscences.
Anotin m’attendait, les yeux dans le vague.
« je suis vraiment trop gentil » dit-t-il quand je me cachais sous une couverture dans le chariot.
Mais je ne lui répondis pas, encore sous le choc de mes choix. Je m’allongeai, mon regard vide, mon cœur vide.
Le chariot avança, tremblant à chaque à-coup. Nous ralentîmes quand nous arrivâmes aux grandes portes surveillées.
« ha ! qui voilà ! l’esclave ! on repart chez le vieux ? demanda un garde.
- Pff… je vous l’ai expliqué tant de fois ! j’y vais de mon plein gré ! »
Les gardes s’esclaffèrent.
« je ne te comprend vraiment pas ! tu ne l’as jamais vu, comme personne d’ailleurs, il est vieux franchement ! fais ta vue ! installe-toi en ville, cours les dames et crée-toi une famille ! tu es jeune toi, c’est le moment !
- Ma vie est très bien comme ça et elle me plait ! aller les gars à la semaine prochaine ! »
Je n’écoutais plus les ricanements des vigiles quand la carriole avança. Je ne regardai même pas Dano disparaitre petit à petit. J’étais plongé dans mes souvenirs, les voyant défiler un à un, sachant que je n’étais plus que la seule à les partager. Quand nous nous engouffrâmes dans la pénombre de la forêt, j’entendis Anotin m’appeler. Après plusieurs cris, je sorti de ma cachette et allai m’assoir à côté de lui. J’essuyai mon visage et regardai devant moi.
« ça n’a pas l’aire d’aller. »
Je haussais les épaules. Il n’insista pas et nous continuâmes notre route dans la nuit noir vers un moyen qui pourrait peut-être tous nous sauver.