CHAPITRE 8

Chapitre 8

 

Cela fait maintenant 3 mois que je ne suis pas rentré chez moi et je suis devenu nostalgique de mon pays. J’en suis au point de rêver toutes les nuits d’un bon burger ! Je suis donc très heureux que les vacances de fin d’année arrivent. 3 semaines de congés avant de continuer les cours pendant encore 6 mois, c’est parfait pour moi.

Pas question bien sûr de prendre un cercle de téléportation pour rentrer à Lutèce. Il y en a que quelques-uns dans tout l’Empire et il faut un grand nombre de mages de haut niveau pour les utiliser. De plus, il n’y en a pas au nord. Je profite d’un convoi de marchands et de certaines facilités offertes par mes compatriotes pour effectuer le trajet en seulement quelques jours. Heureusement, mon fessier s’est adapté aux longues chevauchées et c’est de très bonne humeur que j’arrive à destination. Le passage entre les mondes est bien dissimulé, la ville servant à la fois de couverture et de base d’opération pour les forces françaises sur Elysium. Les murailles ont été agrandies depuis mon dernier passage et la population a plus que doublé, atteignant les 4 000 personnes.

Je dois donc jouer mon rôle à la perfection et mon objectif est d’assimiler la magie, pour ensuite l’enseigner à mes compatriotes actuellement en formation sur Terre. En effet, la pratique de la magie nous permettra de protéger la base de Lutèce contre des mages hostiles.

Heureusement pour le gouvernement français, le territoire où se trouve le passage est pour le moment peu attractif, car les terres sont arides. Je suppose que si la porte était localisée aux États-Unis et non proche du village français La Cavalerie, les choses seraient bien différentes. Les Américains ont une vision des choses beaucoup moins diplomatique. Le gouvernement a préféré agir avec discrétion, plutôt que d’envahir ce monde. Bien sûr, cette prudence a été en grande partie motivée par le facteur inconnu de la magie. En effet, les légendes locales font état de sorciers capables d’annihiler un bataillon d’une centaine de chevaliers d’un simple claquement de doigt.

Les premiers espions ont pu prendre contact avec l’aristocrate gérant cette contrée pour le compte de l’Empereur Frédéric II. Le baron Tillsman est un homme de la petite noblesse qui cherche juste à profiter de la vie. Il a suffi aux envoyés français de se faire passer pour de riches marchands vivant dans les montagnes et prêts à négocier des biens. Ils ont eu la bonne surprise de découvrir que l’or est présent en grande quantité et se négocie facilement.

En échange de divers biens manufacturés sur Terre, les premiers infiltrés ont pu louer un territoire. Ce dernier, d’une superficie de 1 000 hectares, est équivalent à Mantes-la-Jolie. Grâce à la main d’œuvre locale, les Français ont construit rapidement une ville de 2 000 habitants. Elle a été fortifiée à l’aide d’un grand mur et le président de la République l’a nommée Lutèce, du nom ancien de Paris.

Afin d’obtenir une place sécurisée, les autorités militaires ont fait en sorte que les étrangers y soient interdits. L’argument utilisé est celui des tabous religieux. De l’autre côté du mur, les locaux ont commencé à construire leurs propres maisons et commerces. Les échanges s'étant multipliés au fur et à mesure des années. Le président a pu lancer la phase III du plan et envoyer plus d’un millier d’espions dans les différentes villes impériales, avec des biens précieux à échanger. Avec la manne financière et leurs connaissances, ils ont pu rapidement prendre le contrôle de nombreux postes clés dans diverses organisations.

L’objectif du gouvernement est d’abord de renforcer la position économique et diplomatique de la France. Grâce à cette liaison avec Elysium, l’objectif numéro un est déjà bien avancé. L’or récupéré ici est envoyé via le passage, la couverture étant celle d’une mine en Guyane. Cette ressource a permis de construire un second porte-avions identique au Charles-de-Gaulle avec sa flotte de soutien. Elle a également permis de combler le déficit français, une première depuis 1974. Mais ce n’est pas tout, des mines d’uranium ont été trouvées dans l’empire de Pendragon et sont en cours d’acquisition. Le gouvernement français a décidé de construire de nouveaux réacteurs nucléaires pour faciliter la transition écologique et être indépendant sur le plan énergétique. Je suppose qu’une mine quelque part sur un territoire d'outre-mer servira de couverture.

Tout cela ne peut se développer qu’à 2 conditions, la première étant que l’Empire de Pendragon survive et la seconde, qu’un mage ennemi ne décide pas de raser les installations de Lutèce. Un sorcier français de haut niveau et une bonne compréhension de la magie sont donc indispensables pour la protection des Français présents sur place.

Après un dernier rapport au commandant de la base et un examen médical complet, pour être sûr que je ne suis pas porteur d’une quelconque maladie, je suis autorisé à emprunter le passage. Pour gagner du temps, on m’invite comme passager d’un camion semi-remorque qui rapporte des tonnes d’or en Aveyron. Le conducteur est une vraie pipelette et m’apprend les dernières nouvelles de France. De nombreux réacteurs nucléaires ont été construits, permettant d’alimenter la moitié de l’Europe en électricité. Cela apporte à l’État français une rentrée d’argent confortable et un poids politique non négligeable au sein de l’Union européenne.

Concernant l’espace, après un effort financier colossal, Ariane Espace utilise les fusées réutilisables à grande échelle. Le but de l’Union européenne est la construction d’une base sur la Lune pour des raisons scientifiques, mais également financières. Certains matériaux très intéressants sur Elysium n’existent pas sur Terre. Un bon exemple est le mithril, un métal en apparence identique à l'argent mais ne ternissant pas. Léger et très résistant, ce sera un matériau miracle et le gouvernement indiquera qu’ils l’auront miné sur la Lune. Il n’est que très peu utilisé sur Elysium, car son niveau de fusion est extrêmement haut. Il faut une forge industrielle ou la lave d’un volcan pour lui donner forme.

D’un point de vue intérieur, le président français a été réélu avec une grande majorité et le plein-emploi est devenu une réalité. Le made-in-France est devenu une valeur sûre, surtout dans le luxe. Bref, mon pays va bien et c’est une grande satisfaction de savoir que j’y suis aussi pour quelque chose. En arrivant sur Terre, Éric Astint, le chef du programme d’infiltration qui m’a formé pendant 5 ans, m’attend. Il me demande si je peux dire quelques mots aux futurs mages. J’accepte volontiers et je passe 2 heures à expliquer puis à montrer ma magie, mon cristal étant maintenant de couleur orange presque vif. Ils sont tous impatients d’intégrer la Tour des Dragons, bien préparés sur ce qui les attend grâce à mes rapports et mes vidéos qui leur parviennent régulièrement, grâce au réseau d’espions sur place. Ils sont encore jeunes, mais dans 2 ans, certains atteindront l’âge minimum requis pour y entrer, soit 18 ans.

Je rends ensuite visite à ma famille, à mon père Armand, à ma mère Lysiane, à mon grand frère Lucien et à ma petite sœur Victoire, près du village de La Cavalerie. Leur logement, mis à disposition par l’armée, est le seul endroit que je considère comme ma maison. Je peux enlever mon masque de Robert Tillsman pour ma véritable identité, celle de Robert Dubois. Je n’ai plus besoin de faire semblant, je peux exprimer ce que je ressens. Je parle librement de mon passé et de mes projets d’avenir sans avoir peur de faire une erreur et d’échouer dans ma mission, voire de perdre la vie.

Mon père est monté en grade et est maintenant sous-lieutenant, après avoir passé son concours d’officier. Il est chargé des détails du service et de l'instruction. Ma mère, elle, a continué ses études de médecine après avoir été pendant des années infirmière et elle devrait être bientôt diplômée. Je suis très fier d’eux. Je souhaite suivre leur exemple en continuant à m’améliorer.

Je passe 2 semaines auprès d’eux, profitant de chaque moment de cette vie normale et sans magie. Bien sûr, je dois me plier à de nombreux entraînements, notamment au niveau des armes à feu, ma dernière prestation ayant été peu satisfaisante. Mais toutes les bonnes choses ont une fin et je dois revenir à Elysium. Mon frère et ma sœur m’accompagnent à la porte de la base militaire. Ils ne sont pas au fait de ma mission, ils me considèrent comme une sorte d’homme de ménage dans un lieu très sécurisé. Je n’ai pas l’autorisation de leur en dire plus et je comprends leur pensée, après tout, je n’ai eu aucun diplôme de toute ma scolarité.

J’ai droit à un nouvel examen complet pour ne pas ramener de maladie ou d’autres bactéries dangereuses sur cette planète dépourvue de médicament véritablement efficace. Puis, je n’ai plus qu’à chevaucher de nouveau pour rejoindre la capitale, Camelot.

Au moment où j’arrive au niveau de la grille d’entrée sud de la Tour des Dragons, je vois tout de suite que quelque chose ne va pas. Il y a un grand attroupement d’élèves juste devant. Je m’approche et je vois Nicolas me faire de grands signes. Intrigué, je le rejoins et il m’apprend que le prince et des gardes se sont fait enlever ! Son carrosse a été attaqué à l’entrée principale de l’école. Des gardes royaux ont été tués en tentant de le protéger et c’est la panique. Je ne me sens pas vraiment concerné par cette affaire jusqu’à ce qu’il me précise :

  • Le garde qui était avec nous dans la forêt a également été kidnappé !

Là, c’est différent. Ce n’est plus un aristocrate d’un autre monde que je connais à peine, mais Jean, un de mes compatriotes qui est militaire comme mon père. Mon visage s’assombrit immédiatement. Rendu inquiet par mon changement d’attitude, Nicolas me demande :

  • Tu ne comptes pas aider le prince, n’est-ce pas ? C’est bien trop dangereux, les agresseurs sont des mages de niveau vert ! Ils sont aussi forts que les sorciers de l’académie et ils ont de nombreux bandits avec eux ! Même les guerriers royaux n’ont rien pu faire.

Mais je ne l’écoute déjà plus. Je fonce à cheval, en direction de l’auberge nommée le Lion d’argent. C’est un nom un peu pompeux pour cet établissement modeste. Cet endroit est géré par un Français. Son nom est Baudouin Chêne, il a suivi une formation pendant 2 ans, à la base du Larzac, avant de partir pour Elysium. Je l’informe rapidement de ce qu’il vient de se passer. Il y a une procédure spéciale en cas d’enlèvement qui se résume en une seule phrase ; « on ne laisse pas un des nôtres en arrière, qu’il soit mort ou vivant ». Pour cela, je vais avoir besoin de plus de puissance de feu, et c’est précisément la raison de ma présence ici. Il me donne une valise avec tout le nécessaire et également un détecteur de signal radio, de la taille d’un gros livre. Les agents infiltrés français activent en cas de danger une minuscule balise, dans le premier bouton de leur veste. Il suffit de l’arracher et de l’avaler pour qu’il délivre son signal avec une autonomie de seulement 6 heures. Il aurait été bien plus efficace d’utiliser le GPS, mais il n’y a pas de satellite en orbite sur Elysium.

Je pars me changer rapidement avec des vêtements tactiques, soit un gilet pare-balles en kevlar et une paire de bottes militaires. Heureusement que les capes de ce monde sont suffisamment longues et amples pour masque tout mon barda. Baudouin l’aubergiste, lui, se charge de contacter les différents agents présents dans la capitale au cas où j’aurais besoin de renfort, même si je doute qu’ils puissent se libérer à temps. Pour le moment, je ne peux compter que sur moi-même. Je quitte le bâtiment et mets en route le détecteur. Il se met aussitôt à sonner, mais sur un rythme très lent. J’arrive à me diriger grâce au bruit qui s’accélère, au fur et à mesure que je m’approche de la balise du garde.

Finalement, le signal me guide vers un corps de ferme, en pleine campagne, que j’atteins alors que la nuit tombe. Je me pose sur une petite colline surplombant les lieux à environ 200 mètres et j’ouvre la valise. Je sors le fusil d’assaut HK 416 F, son trépied et je monte sa lunette comme son silencieux. J’ai en tout 10 chargeurs de 30 coups et j’en enclenche un dans l’arme pendant que les autres sont disposés sur les emplacements prévus à cet effet sur mon vêtement. J’ajoute 2 grenades et je chausse une paire de lunettes de combat nocturne, les optiques de qualité sont l’un des fleurons de l’industrie de la défense française.

Je suis maintenant prêt et je passe une heure supplémentaire à repérer les lieux et l’emplacement des différents ravisseurs visibles de mon point d’observation, ainsi que leurs routines. J’en dénombre 5, mais ils sont peut-être plus à l’intérieur. Un duo de bandits est devant la porte principale, un autre à la fenêtre et 2 autres qui font le tour des lieux, longeant le mur en 3 minutes et 30 secondes. Le seul mage visible est celui à l’intérieur, un grade vert. Je commence par les 2 gardes qui font le tour, attendant qu’ils ne soient plus dans le champ de vision du sorcier avant de les atteindre au torse, leurs armures de maille ne pouvant pas résister à mes balles perforantes. Dans les films, le tireur les aurait tués d’un tir à la tête, mais c’est beaucoup plus difficile et je ne suis pas un sniper expérimenté. Je dirige toute mon attention vers le mage qui sembler avoir visage intégralement tatoué. Je tire 2 balles successivement au cas où il aurait un bouclier magique, mais ce n’est pas le cas et il s’écroule sur le sol.

Les 2 derniers sont liquidés rapidement et je peux ainsi m’approcher des lieux après avoir changé de chargeur. Même s’il me restait de nombreuses balles dans celui que je viens d’utiliser, on n’est jamais trop prudent. J’entre par le portail principal et je me retrouve dans une cour pavée, en pierre. Il y a des étables, une grange et un seul bâtiment d’habitation avec un étage qui est éclairé. Comme le mage que je viens d’abattre était à l’intérieur de celui-ci, je suppose que les otages y sont également. Les volets étant fermés de l’intérieur, je n’ai pas d’autre ressource que d’entrer, le doigt sur la détente de mon fusil.

Il y a 2 gardes en armure de cuir à l’intérieur, assis sur une table et jouant aux cartes. Ils sont complètement surpris et je les abats sans pitié, malheureusement pas assez vite, car l’un d’eux a le temps de crier avant de fermer les yeux pour toujours. Je peux entendre des bruits, des instructions criées d’une voix forte, puis, c’est le silence. Je fouille rapidement le rez-de-chaussée, mais il a été déserté à la hâte. Je monte donc à l’étage et, en haut des marches, une porte me bloque le passage. Je l’ouvre prudemment et une grande pièce apparait, bien remplie. Il y a là le prince et plusieurs gardes dont mon compatriote, Jean. Ils sont assis sur des chaises, ligotés comme des saucissons et bâillonnés. Mais ce n’est pas tout, car 5 hommes sont derrière eux : 2 épéistes, 2 arbalétriers, arme assez rare dans l’Empire de Pendragon, et celui qui semble les diriger, un mage portant un joyau vert en collier. Il est âgé d’une quarantaine d’années et il a de nombreux tatouages sur le visage et les mains, il semble s’agir d’une écriture, mais elle m’est inconnu. Il semble surpris de me voir, mais il se reprend vite et m’indique :

  • Grâce à mes sorts, je sais que tu es tout seul. Tu as tué Frère Saryal, mais c’était un idiot qui a bien mérité son sort. Je te propose un marché, rejoins-nous et laisse le Prince, il ne mérite pas ta loyauté.

Il se méprend sur la raison de ma présence ici, mais je le laisse dire et me concentre sur mon compatriote, lui faisant le signe militaire de se mettre à couvert. Ce dernier comprend et acquiesce de la tête. Pendant ce temps, mon adversaire continue de s’écouter parler :

  • J’ai créé une sphère d’anti-magie grâce à un artefact, alors range ta curieuse baguette, elle ne te servira à rien ici. Je te laisse encore quelques secondes et, si tu ne m’obéis pas, je…

Personne ne saura jamais ce qu’il allait dire, car Jean, l’ancien légionnaire, bouge violemment sa chaise en arrière, tombant avec fracas sur le sol. Je tire alors une course rafale, touchant de plusieurs balles le lanceur de sort et plusieurs bandits. C’est le chaos, je reçois un carreau d’arbalète dans la confusion. Heureusement, mon gilet pare-balles arrête le projectile. Je lance une grenade incapacitante GM2L qui explose dans un grand bruit, produisant dans le même temps un nuage de gaz lacrymogène qui se répand aussitôt dans cette pièce close. Habitué à ce gaz, grâce à mon entrainement, mais pleurant quand même à chaudes larmes, je m’avance, tirant sur les ennemis survivants sans leur laisser le temps de répliquer. En quelques minutes, l’opération est terminée et je peux ouvrir une des fenêtres pour rendre l’air plus respirable.

Je n’ai plus qu’à libérer les prisonniers, les aidant à rejoindre l’extérieur pour qu’ils s’en remettent. La présence d’un puits nous permet de nous laver les yeux. Au bout d’une heure, le Prince s’est suffisamment remis pour me remercier, d’un ton reconnaissant :

  • Je savais que tu étais dans mon camp. Sache que je n’oublierai jamais ce que tu as fait pour moi.

Décidément, il pense que le monde entier tourne autour de lui, mais cela m’arrange, car la couverture du garde de l’école n’a pas été compromise. Il continue en précisant :

  • Je t’aurais bien demandé comment tu as obtenu ce genre d’arme, mais j’imagine que tu vas me répondre que c’est encore ton grand-père.

Je me contente de hocher la tête, esquissant un léger sourire.

Je les laisse rejoindre la capitale par leurs propres moyens, l’aristocrate m’assurant que les gardes royaux resteront muets sur ce qu’il s’est passé. Complètement épuisé, je suis au bord de la nausée maintenant que l’adrénaline a cessé de faire effet. Je réussis quand même à remonter rapidement dans le bâtiment et fouille rapidement les corps. C’est une besogne macabre, mais nécessaire. Je récupère tout ce qu’ils ont, y compris un curieux cube qui devait créer ce fameux champ d’anti-magie mais qui ne fonctionne plus. À l’intérieur se trouve un cristal incolore, gros comme le poing. Je mets le feu à la ferme pour effacer toute trace. Je rejoins ensuite, avec beaucoup de difficultés, l’auberge pour rendre le matériel réglementaire et me changer. Je m’endors comme une masse, dans une chambre que le propriétaire des lieux me met à disposition, faisant d’horribles cauchemars.

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