Chapitre 8

Par Camice

TW : Mention de s__cide

 

Neuf jours avaient passés depuis leur visite chez la vieille Ethel. Elle avait tenté de les garder le plus longtemps possible, sûrement que sa nouvelle solitude, accompagnée uniquement des battements de cœur de l’horloge géante, la pesait. Liz avait proposé de lui rendre visite la semaine d’après, mais les deux filles se sont retrouvées confronter à un interphone sonnant dans le vide. Elles avaient attendu deux heures, avant qu’Ariane ne réussisse à convaincre sa camarade qu’elles n’auraient pas plus d’information.

Décrypter un journal en braille, était bien une activité qu’elle ne se serait jamais vu faire. Les deux jeunes collégiennes avaient dû apprendre l’alphabet, la ponctuation et elles étaient parties pour traduire l’entièreté des tablettes. Il n’y avait que quarante pages, mais malheureusement plusieurs journaux. Sans compter le reste du contenu de la boîte : Une autre sphère.

Liz était bouche bée devant une bille qu’elle avait soigneusement sortie de sa boîte en cuir remplie de mousse. Elle la manipulait avec précaution, regardant les reflets orange à l’intérieur. Le crystal était plus gros que celui qu’Ariane avait encore. Ce dernier avait réduit de taille lors de son utilisation sur le miroir avant de partir, et pour lui éviter d’être défigurée à vie par cet imbécile de Paul. Elle avait toujours mal au bras, mais les deux filles se débrouillaient pour le cacher efficacement à ses parents. Ces derniers ne se doutaient toujours de rien mais après un demi-mois à héberger Liz, ils avaient commencé à poser des questions. La petite s’était contentée de donner le numéro de ses parents et agir comme si de rien était.

Ils avaient tenté de les contacter mais ils restaient sur leurs positions : leur fille pouvait faire ce qu’elle voulait, même si cela impliquait de rester un parasite dans la famille des autres. Ils avaient dû tomber sur un accord parce qu’ils n’avaient plus fait de commentaires à la jeune fille depuis. Les deux collégiennes, qui n’allaient toujours pas en cours, passaient alors tout leur temps à écrire les différents journaux d’Horace. Qu’elles finissent par compiler toutes les informations dans le tableau blanc qu’Ariane avait reçu pour ses 5 ans, il devenait enfin utile pour quelque chose d’autre que Maï Rose qui venait y déposer des petits soleils. Maï Rose…

 

— Bon. A part le fait qu’Horace parle comme un enfant de 4 ans, je cite “Je pren mes distanses” sans d, sans c. En quatre carnets traduit, on a compris qu’il a déjà été dans un autre monde par un miroir, qu’il aime beaucoup les horloges, et qu’il était un peu timbré.

 

Ariane marmonna tout bas à la remarque. Elle avait énormément apprécié de “lire” les deux carnets sur l’horlogerie malgré l’orthographe catastrophique qui lui brûlait… le bout des doigts, comme elles étaient obligées de lire le braille. Liz tapota son marqueur contre le tableau en lui montrant le mot “Autre monde”.

 

— Il parle en long et en large qu’il est passé dans un portail magique, arrivant dans un monde brûlant qui l’a rendu aveugle, puis on l’a fait passer dans un miroir, et encore d’autres jusqu’à arriver ici. Il vient d’un autre monde mais on n’a pas la moindre information sur lequel.

— Si on a de la chance, il parlait d’Errêt, et on serait dans le même cas, sinon, il nous donnera que de mauvaises informations dans les 2 carnets restants.

— Exacte ! s’exclama Liz en lui montrant le mot “timbré” sur le tableau, qu’Ariane avait voulu effacer plusieurs fois mais la petite ne la laissait pas faire. Il lui manque clairement des cases au bonhomme, pour écrire deux livres immenses qui parle d’horloge et du temps.

Le tan ma condané, je n’ai pa eu le tan.” avait écrit Horace dans ces carnets, beaucoup trop de fois à son goût. Il était passionné par le temps, comme elle, mais ne prenait même pas la peine de l’écrire correctement ? S’il venait d’un autre monde, il avait du apprendre une nouvelle langue, et ça ne pouvait être que plus douloureux, mais il aurait pu faire un effort. Liz montra le dernier point “miroir”.

— Mais pour l’instant, on n’a aucune information sur comment il a utilisé le miroir dimensionnel, que des mentions de comment il passe à l’intérieur. On lit chacune un carnet, et on fait nos conclusions.

Ariane hocha la tête et se mit au travail. Elle n’aurait pas pensé que lire le braille pouvait être si compliqué avec ses gros doigts pâteux qui n’étaient pas assez sensibles pour lire avec précision les encoches. Elle avait eu plus de facilité à retenir l’alphabet qu’à déchiffrer efficacement le texte d’Horace, où chaque lettre mal traduite, rendait le mot encore plus illisible qu’il ne l’était déjà. Étonnamment, le dernier carnet parlait de lui-même.

Jamai, jamai, je n’aurai cru un jour me retrouver dans un situation ausi dezesperer. Je ne pourai jamai rewar ma famiy. Je pourai continuer à paser d’un monde a l’autre avec mon pouvoir, mais il finira par me tuer.”

Ariane pâlit violemment. Il pouvait voyager de dimensions en dimension avec son pouvoir ? Ce qui veut dire que s’il elle s’était sortie de sa transe avant sa mort… Elle aurait pu lui demander de la renvoyer dans l’autre monde ? Et sauver Maï Rose.

 

C’était sa faute.

 

C’était elle, qui ne pouvait rien faire par elle-même.

Dépendante d’une autre personne pour la sortir de sa routine qui la pourrissait de l’intérieur.

C’était elle, qui ne pouvait pas passer à autre chose.

 

C’était sa faute.

 

Elle serra ses mains tremblantes sur la plaquette de braille, et regarda longuement le texte qu’elle venait tout juste d’écrire et prit une gomme pour effacer la partie où l’homme parlait de son pouvoir. Liz ne pouvait pas savoir, elle ne comprendrait pas.

L’utilisasion de miroir e moin risquer.”

Ah… Au moins il y a d’autres informations intéressantes.

 

Deux heures plus tard, elles avaient toutes les deux finis. Après un long regard entendu, elles échangèrent leurs textes de traduction écrite, Ariane espérant qu’elle ne pose pas de question sur la partie entièrement gommée. La partie de Liz ne parlait que de l’adaptation à la vie sur Terre, l’apprentissage de la langue Française, la bonté d’Ethel à la recueillir puis…

— Il a dit au gouvernement que les autres mondes existaient… soupira Ariane. C’est pour ça qu’il était aussi riche…

— Ouais… répondit Liz sans lever le nez de son papier. Il a utilisé son pouvoir pour les convaincre, et leur a dit que s’ils essayaient de lui faire du mal, il se tuerait.

— Suicidaire…

— Ça… On n’y peut rien, il devait être trop précieux pour le laisser mourir.

— Mais… C’est peut-être pour ça qu’il est mort il y a deux semaines, non ?

— On ne peut pas se suicider d’une crise cardiaque Ariane.

 

Mais des gens pourraient l’avoir tué comme ça.

 

— Tu peux regarder sur ton portable s’il est possible de causer une crise cardiaque avec des médicaments ?

— Sérieux ? Tu peux pas regarder sur le tien ? Ah non, tu ne peux pas, téléphone sans internet, ça existe encore ça, pfff…

Liz se concentra sur son portable. Ariane reprit la feuille qu’elle avait écrite. Dedans, Horace y décrit non seulement comment utiliser un miroir dimensionnel, mais aussi comment repartir de l’autre côté. Elle se leva et commença à écrire les points importants.

— Pour revenir dans l’autre monde, il faut retrouver les points où on est sorties. En fonction de leur puissance, la présence reste entre deux mois et un an. Il faut utiliser de la magie pour les réactiver et on en a, vu qu’on a deux crystaux maintenant… Mais les parents de Maï Rose vont me tuer s’ils me m’aperçoivent dans leur jardin…

— On n’a qu’à y aller la nuit…

— Mm… Toi, tu as atterri où ?

— Dans les bois, pas loin de chez moi… J’ai fait une chute de quelques mètres, heureusement qu’il y avait des arbres…

— Tu saurais retrouver l’endroit exact ?

— Non… C’était dans la forêt quoi… Comment tu veux que je me souvienne de l’arbre en particulier.

Liz marmonnait en continuant d’être plus concentrée par son écran que par l’explication de son aînée.

— On peut mourir de crise cardiaque si on ingère trop de certains médicaments. Mais ce n’est pas notre problème s’il s’est fait assassiner, on va faire quoi ? Prévenir la police ?

Ariane resta silencieuse, si les personnes d’autres mondes étaient tuées par le gouvernement, cela signifiait qu’elles étaient les prochaines. Elles ont informé Ethel qu’elles venaient d’un autre monde. Stupide, quelle stupide décision… Maintenant ce n’était qu’une question de temps. Tic. De minutes. Tac. De rapidité. Tic. Avant qu’elles ne soient trouvées.

 

— De toute façon. enchaîna Liz en posant son portable sur le tapis gris de la chambre. Je ne vois pas pourquoi on s’acharne à trouver nos points de sorties. Pourquoi on n’irait pas trouver celui qu’ont utilisés les agents de Norrow pour nous enlever ?

 

* * *

 

A la sortie des classes, une sonnerie retentit dans le quartier. La surveillance renforcée du collège n’améliorait pas son look désastreux de collège sans fonds pour être rénové. Une jeune fille était plantée là.

Paul ! T’es sérieux de t’être ramené comme une fleur ?

— Quoi ? Tu préfères que je zappe ton tournois ?

Pomme fit une petite moue, ses cheveux longs et blonds perlant avec douceur sur ses épaules et ses beaux yeux bleus brillaient d’embarras.

— Tu es venue à notre compétition la dernière fois, on te rend le plaisir.

— Parce que vous êtes venu à plusieurs ?!

Timothée sortit de derrière le grillage de l’école, un gentil sourire sur le visage.

— On n’allait pas manqué ça, on a demandé à ta maman, et elle était d’accord.

Pomme était rouge comme une tomate, elle venait à peine de sortir des cours quand ils l’avaient interceptée, et les élèves continuaient d’affluer derrière elle, ignorant les tireurs qui ne faisaient pas partit de ce collège.

 

Lucien ne tarda par à arriver également, s’empressant de se précipiter à leurs côtés.

— Bon ! On attend ta mère et on y va ! Tu vas le gagner ce tournois !

— Arrête Lucien, rit Paul. Tu vas la faire exploser de gêne.

La grande Pomme, plus grande que Paul ou même Lucien, triturait ses beaux cheveux lisses avec nervosité. Timothée, tentant de la rassurer, lui glissa gentiment :

— Et si tu ne gagnes pas, on a quand même prévu quelque chose pour toi.

— Quoi ? Non, vous n’avez pas fait ça.

— Si. Mais il faut qu’on te voit te battre pour ça, que tu donnes ton maximum.

 

Un grand sourire, presque accompagné de larmes, se dessinèrent sur le visage de la jeune fille, bien trop nerveuse à chaque fois.

— Je ferais de mon mieux.

Timothée tapota l’épaule de la jeune fille et les quatre amis se mirent à chercher la voiture de la mère de Pomme plus loin. Une voiture vert clair. Classique. Lorsqu’une silhouette familière attira le regard de Paul, une grande figure, un visage irritant, mais quelque chose d’étrange, des cheveux si courts qu’on pourrait deviner son crâne.

— Paul, c’est pas Ariane là-bas ? lui chuchota Timothée. Avec l’autre fille ?

Il ne répondit pas, ils avaient autre chose à faire que de se faire harceler par une rageuse sans amis. Pourtant elles avaient l’air bizarres. Ariane touchait les murs avec une si grande concentration qu’on pourrait croire qu’elle allait l’embrasser. L’autre petite agitait les bras dans l’air comme un oiseau qui ne savait pas voler. Elles avaient l’air vraiment stupides. Il eut un geste en leur direction, que son ami s’empressa de bloquer.

— Tu as vu ce qu’elles ont fait la dernière fois ? Tu veux finir poignardé ? Non. Alors on va à la compétition de Pomme et on les ignore.

— Elles ont clairement pris quelque chose là.

— Oui, et c’est pas notre problème. Allez Paul, on y va.

 

* * *

 

Ariane inspectait avec attention le muret en face de son collège. Une simple structure pour protéger les étudiants des voitures dont l’envie leur prendrait de les écraser. Puis elle soupira, ce n’était pas avec cette hauteur que les camionnettes avaient pu passer dans l’autre monde. Liz aurait plus de chance de s’en sortir en vérifiant en l’air.

Le portail devait avoir la taille du miroir qu’elles avaient vu, il devait réagir au contact de la magie, et devrait être environ 12 secondes en voiture de son collège. Elle le savait, elle avait compté les secondes avant de s’évanouir dans le voyage. Mais 12 secondes c’était très variable en fonction de la vitesse et le poids du véhicule, sans compter le fait qu’elle aurait pu s’évanouir avant ou après l’entrée dans le portail. Liz l’interpella :

— S’il y a bien une chose pour laquelle je te fais confiance, c’est bien de compter. Pourquoi on ne s’éloignerait pas un peu, histoire de commencer plus loin ? Loin de ton collège ? Où les gens te regardent grave mal.

— C’est plus intelligent si on commence de là où ils sont partis…

— Ouais mais, je veux pas me faire lyncher. Allez.

 

Liz l’attrapa de son bras valide, l’éloignant du collège et des regards persistants de ses anciens camarades de classe. Enfin, ils ne l’avaient jamais été, mais eux le pensaient. Ariane avait appris à Liz à utiliser la sphère, lui faisant croire que c’était ainsi que fonctionnait la magie. Avec un peu de chance, la petite était magique elle aussi, et finirait par réussir à l’activer. Sinon, Ariane sera obligée de passer derrière elle à chaque fois. Pour l’instant, elle ne semblait pas réussir à la faire marcher, à sa grande frustration.

Liz l’emmena dans une pente, celle qui menait au supermarché. Les deux filles se remirent au travail, cherchant la faille qui les ramèneraient sur Errêt.

Jusqu’à ce qu’il fasse tard.

 

19h45

 

— On devrait rentrer… soupira Ariane en se redressant. Il n’y a rien dans le coin.

— Attend, j’essaie encore un peu…

— Il nous faut 15 minutes pour rentrer, on mange à 20 heures. On doit partir maintenant.

— Attend je te dis ! Je crois que j’ai trouvé !

Liz lui fit un grand sourire en lui montrant l’immense façade de l’école de musique. Au bas d’un petit talus de d’herbe, des explosions de couleurs, des peintures de violons, piano, et partitions le recouvrait. La petite se trouvait au milieu et lui fait signe de venir car… Sa main était enfoncée dans le mur.

 

— Tu vois ? Tu vois ! s’exclama Liz, extatique. J’ai trouvé ! J’ai trouvé !

Le mur avait plus l’impression d’être un liquide, et le bras de Liz se retrouvait engloutit au fur et à mesure, pourtant elle se contentait de rire.

— Liz ? Tu t’enfonces…

— Ah ? Ah oui ! Tu peux m’aider à sortir ? Je n’y arrive pas toute seule !

— On pourrait y aller maintenant…

— Hein ? T’es malade ! On n’est pas préparées ! On va se faire tuer !

 

Ariane ne bougeait pas et regardait Liz s’enfoncer de plus en plus dans le mur, la jeune fille tentant de se retenir, les pieds encrés au sol. Une expression nerveuse lui traversa le visage, elle était enfoncée jusqu’au coude et tendait son autre bras vers sa camarade.

 

— Allez Ariane ! Aide-moi ! Tu ne peux pas me laisser là !

 

Tic

 

Ariane ! Je ne veux pas y aller ! Arrête de me regarder comme ça !

 

Tac

 

— Ariane !!

 

Traversée par une impulsion, Ariane attrapa le bras de Liz à deux mains et se mit à tirer de toutes ses forces. L’épreuve était comme tirer quelqu’un de sables mouvants, beaucoup d’effort pour la sortir centimètre par centimètre. Une douleur vive lui paralysa le bras gauche, encore meurtrit de son expérience avec le feu, elle n’allait pas réussir à la sortir comme ça. Ariane attrapa une branche d’arbre derrière elle et tenta de se hisser plus haut. De hisser Liz plus haut. Après ce qui lui parut une éternité, 2 minutes et 32 secondes, ses membres menaçant de lâcher à tout instant, Ariane fut propulsée en arrière, accompagnée de Liz qui s’écrasa contre elle, geignant :

— Aïe aïe aïe…

— Voilà… souffla Ariane, la respiration courte, le cœur battant.

— J’ai trop mal au braaas…

— Mal comment ?

 

La petite bougonna en étirant ses membres meurtris.

— Mmm… Ça va aller…

 

Liz se releva, et l’aida à se lever à son tour. Toute souriante, radieuse même.

— On devrait se dépêcher de rentrer et préparer notre départ pour Errêt !

Tout bas, intérieurement, Ariane la félicita.

 

Bravo Liz… Tu es magique…

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