“Là où le sang a été versé,
Par les liens qui ont été tissés,
A travers le temps et l’espace,
Reprends ta place.”
Les mots que je psalmodie résonnent dans mon être et l’air crépite au son de ma voix. L’espace et le temps se courbent à ma demande, j’appelle mes sœurs, au beau milieu de la cohue que j’ai créée. Les murs ternes de l’hôpital psychiatrique s’écartent, sous les regards horrifiés de ses locataires. Leurs cris m’assaillent et martèlent mon esprit, résonnant à la fois dans mes oreilles et dans ma tête. Je les fais taire. Les galériens sont désormais muets. Leurs pensées flottent au-dessus d’eux, figées et désormais inoffensives. Plus jamais je ne laisserai leurs émotions prendre le contrôle de mon esprit. C’est moi qui prend le contrôle, désormais.
Mamie Tricot reste dans son fauteuil, un sourire toujours aux lèvres. C’est comme si elle savait. Comme si elle avait su dès l’instant où je me suis approchée d’elle. Elle partira de la plus douce des façons, sans peine et sans douleur.
Je pose un baiser sur son front et Mamie Tricot s’endort pour la dernière fois.
Autour de moi, les aides-soignantes s’affolent, appellent à la rescousse les docteurs et les infirmiers. En vain. Peu importe leur nombre, peu importent leurs velléités, qu’ils s’épuisent, qu’ils s’acharnent avec leurs instruments de torture, je suis intouchable.
— Il faut vous calmer, Jane, m’ordonne le psychiatre. Laissez-nous vous aider.
Son ton condescendant m’a toujours dérangée. Il ne m’inspire rien d’autre que du dégoût.
Il tend la main vers moi. M’aider ? C’est vous qui êtes en danger.
— Je n’ai jamais eu besoin de vous. Plus personne n’aura besoin de vous désormais.
Ma voix tonne et impose ma volonté. Ses doigts tendus se tordent et craquent. Il hurle de douleur et je me délecte de ma victoire. Enfermés dans une cage, traités comme des cobayes, privés de dignité, ces personnes que la société rejette, ils disposent d’eux comme bon leur semble. Je prendrai ce qu’ils ont ravi aux galériens, en commençant par lui.
Une force invisible soulève le psychiatre du sol. Je le regarde un instant et lis la terreur dans son regard. J’acquiesce, c’est bien la seule expression que je souhaite voir sur son visage. J’approche ma main de son front et plaque ma paume sur sa peau. C’est lui le cerveau de cette opération. Que se passera-t-il si je lui retire ? Mes doigts creusent dans sa chair et percent les os du crâne. L’organe mou glisse sous mes doigts, mais je m'agrippe à lui, enfonçant mes ongles dans ses cerneaux et l’extrait de sa cavité. Le crâne ouvert du psychiatre horrifie la foule, ils se mettent à fuir. Courez si vous le pouvez, mais lorsque votre heure aura sonné, je vous retrouverai.
J’écrase la cervelle dans le creux de ma main et jette le cadavre au sol. Qu’il mange la poussière autant qu’il en a fait manger.
Derrière moi, le paysage atteste de l’horreur apocalyptique de ma colère. Tresse bleue et Blonde Tatouée se tiennent face à moi. Elles ont changé, mais je les reconnais enfin. Prudence et Clémence, mes sœurs. Mon cœur s’adoucit et je trouve enfin ma place. Les larmes aux yeux, elles m’étreignent avec amour et je sens se déverser sur moi toute leur affection. Je leur ai manqué, et elles m’ont manqué terriblement.
Les derniers rayons du jour sur ma peau me font un bien fou. J’avais oublié la sensation de l’air frais sur mon visage, j’avais oublié que le monde est bien plus grand en dehors de ces murs.
— Il est temps de refaire le monde.