Chapitre Huit : Caroline
- Waouh ! s'exclama Ludivine, bien fort.
Ses petits pieds remuaient avec plaisir et tapotaient énergiquement les tibias de Xavier (elle était trop petite pour aller plus bas). À côté d'elle, la tête lovée au creux de son cou, ce dernier dormait encore profondément. Réveillée la première, elle était plutôt contente que, pour une fois, ce fût elle qui l'observait dormir et non l'inverse.
- Waouh ! s'écria-t-elle, encore plus fort.
Le jeune homme, mécontent d'être interrompu dans son sommeil, lui infligea un petit coup de genou. Elle sourit, ravie qu'il lui accordât un peu d'attention.
- Waouh, waouh, mais c'était complètement wa...
Xavier abattit sa main sur la bouche de la jeune fille, ce qui eut pour effet de réduire le son de ses exclamations.
- Hum...
- C'est fini tout ce raffut ? s'impatienta le comédien d'une voix ensommeillée, en ouvrant doucement les yeux.
Ludivine ne répondit pas, et se contenta de cligner naïvement les siens. Il l'observa longtemps, et éclata enfin de rire.
- Ma Lulu, tu es si drôle ! s'exclama-t-il, en se hissant à moitié sur elle.
- Ah bon ?
La petite blonde apprécia lorsqu'il frotta délicatement son nez contre le sien, mais ne put s'empêcher de se moquer à son tour.
- Et toi, ta tête, elle est drôle aussi...
- Je m'en doute un peu, fit Xavier, conscient que ses cheveux donnaient l'effet d'avoir été victimes d'une bombe atomique.
Ils se câlinèrent pendant un petit moment, jusqu'à ce que Ludivine, soudainement choquée, tentât de repousser le jeune homme.
- Oh !
- Quoi ?
- Oh ! Bouge de là ! s'écria-t-elle, tandis qu'elle devenait rouge brique.
Il n'en fallut pas plus au comédien pour comprendre qu'elle venait de se rendre compte de sa nudité.
- Lulu, ne me dis pas que tu es toujours aussi prude !
- T'as pas le droit de regarder !
- Je ne regarde pas, je touche.
- C'est pareil ! T'as pas le droit quand même !
Xavier leva les yeux au ciel et roula sur le dos, exaspéré. Il fit exprès d'arracher au passage le drap qui recouvrait sa petite amie. Celle-ci poussa un hurlement et rabattit aussitôt le drap sur elle.
- T'es méchant ! brailla la petite blonde, cachée sous le drap.
- Tu exagères.
- Non.
- Si.
- Non. De toute façon, je ne te parle plus. Je coupe les liens.
Vexée que Xavier rît si fort d'elle, elle se coucha sur le ventre et fit mine de bouder.
- Mais si tu coupes les liens, pourquoi tu ne me fous pas à la porte ?
- Parce que tu m'as promis que tu m'achèterais un pain au chocolat sur le chemin de l'école.
- Évidemment, ironisa le jeune homme, en posant sa tête sur la chute de reins de Ludivine.
- Et ce n'est pas en me prenant pour ton coussin que tu vas te faire pardonner.
- Me faire pardonner ? Mais de quoi, enfin ?
- Te faire pardonner d'être pervers !
- Tu te plains pour rien ! Je pourrais être cent fois pire, tu sais, remarqua Xavier, en fermant les yeux.
Il adorait ce nouvel oreiller, doux et chaud. Il aurait pu se rendormir sans difficulté si Ludivine n'avait pas décidé de gigoter pour reprendre son ancienne habitude. Lassé, le comédien administra une petite fessée à la jeune fille, qui lui répondit aussitôt par un coup de pied dans l'estomac.
- SOS Femme Battue ! s'écria la petite blonde, consternée.
- 3615 Homme Maltraité ! fit Xavier, étouffant un gémissement de douleur.
S'en suivit une bagarre, dans laquelle Ludivine n'arrivait pas à assommer son petit ami comme elle l'aurait voulu. Ce dernier esquivait tous ses coups de poing et ses petits pieds furieux.
- Ma pauvre Lulu, tu aurais dû te douter que j'étais trop fort pour que tu puisses gagner, se moqua Xavier, quelques minutes plus tard, quand il eut réussi à la bloquer.
Elle allait protester lorsque le téléphone, posé sur la table de nuit, l'interrompit dans son élan.
- Ah, le coup du téléphone. Typique ! souligna malicieusement le comédien, desserrant sa prise.
Ludivine hésita à répondre, mais après réflexion, elle se tortilla à l'autre bout du lit et décrocha, la tête suspendue dans le vide, à 40 centimètres du sol.
- Allô ?
- Salut ma chérie !
- Maman ?!
Si Ludivine n'avait pas été retenue par Xavier, le reste de son corps aurait suivi sa tête et elle aurait glissé de son lit. Stupéfaite, elle ouvrit grand les yeux et se trouva dans l'incapacité d'articuler un seul mot.
- T'es là ? s'inquiéta Éva Maël.
- Euh... oui, oui, je suis là...
- Tu vas bien ?
- Oui, oui...
- Bien dormi ?
- Oui, Maman.
- D'accord ! Je dois te parler, Lulu, c'est, selon ton parrain, « important »...
Mille scénarios catastrophes défilèrent dans le cerveau de Ludivine. Son parrain avait repéré un gros défaut chez Xavier et avait averti ses parents. Il avait soupçonné le comédien d'être complice dans un réseau de trafic de drogue. Ou alors, il avait consulté une voyante, qui lui avait révélé que sa filleule avait perdu sa virginité dans la nuit.
- Tu comprends, il était furieux quand il m'a appelé, termina sa mère.
- Euh ?
La petite blonde réalisa qu'elle n'avait pas écouté un traitre mot de ce qu'elle avait prononcé. Éva ne parut pas s'étonner et éclata de rire.
- J'émerge, s'excusa la jeune fille, rouge de honte, tandis que Xavier souriait.
- Je répète... Tu n'étais pas censée avoir quelque chose d'important hier soir ?
Ludivine ne sut quoi dire. De son point de vue, la chose importante en question se résumait à une soirée en tête-en-tête avec Xavier. Sa mère, de joyeuse humeur, répondit à sa place.
- Tu as posé un lapin à Romain ! Tu devais aller dîner chez lui ! Il avait préparé des lasagnes rien que pour toi... et il t'a attendue à blanc !
- Oh, ce n'est que ça !... soupira Ludivine, soulagée.
- Ce n'est que ça, y'a pas mort d'homme, mais tu sais comme ton parrain se vexe très facilement... En gros, il t'en veut. Il a même demandé à ton père de te foutre une raclée ! Mais ne t'inquiète pas, Lulu, tu sais bien qu'il ne le fera pas.
Après avoir rassuré sa fille sur le fait que son parrain n'allait pas l'écorcher vive, Éva Maël raccrocha après lui avoir recommandé de ne pas arriver en retard au cours de Benjamin. Et évidemment...
- Allez, Lulu, plus vite ! s'écria Xavier, en remontant une avenue à grands pas.
La jeune fille lui tenait la main, et essayait de courir derrière lui sans tenir compte de son point de côté. Quand le comédien avançait de deux pas, elle était contrainte d'en faire le triple pour rester à son niveau.
- Attends, attends... s'essouffla Ludivine. Tu vas trop vite, je peux pas...
- Attention ! Le poteau, Lulu !
Elle évita de justesse le panneau « stop », et se tordit la cheville en trébuchant du trottoir.
- Aïe !
- Allez Lulu ! On est bientôt arrivé !
Dans un ultime effort, ils atteignirent l'école de théâtre... avec 40 minutes de retard. Leurs cheveux étaient encore mouillés, ils n'avaient pas eu le temps de les sécher. Xavier n'avait pas prévu qu'il resterait plus longtemps que prévu sous la douche avec Ludivine. En revanche, il avait pu deviner facilement la réaction de Benjamin face à ce gros retard.
- 45 minutes de retard ! rugit le prof, tandis que les comédiens franchissaient la porte du quartier général de la Section A. Jamais vu ça de ma vie !
- Ah non. 42 minutes, rectifia Xavier.
- J'espère que vous avez une bonne explication ! continua Benjamin, sans se démonter pour autant.
- Benji, nous sommes désolés ! brailla Ludivine, en sautant à son cou. Vraiment, vraiment, vraiment... On ne voulait pas arriver en retard comme ça... Regarde Benji, j'ai un pain au chocolat pour toi, j'ai juste mangé un petit bout, mais je n'ai pas eu le temps de le finir. Tiens, Benji, je te le donne pour m'excuser, Benji, je suis désolée, tu sais, Benji...
- Non merci.
- Benji, je te jure, on a couru pour diminuer le retard. Et tu vois, Benji, je me suis même fait bobo à la cheville, parce que...
- Ça, je m'en fiche totalement. Je veux juste savoir pourquoi vous êtes en retard !
- Mon réveil n'a pas sonné !
- Si je t'écoutais tout le temps, Ludivine, ton réveil ne sonnerait jamais...
- Il n'a pas tort, admit Xavier, tout sourire. Mais en toute sincérité, Benji, je suis allé dormir chez Lulu hier soir, et nous avons tardé à nous lever ce matin... Ensuite, sa mère a appelé, et nous sommes allés nous préparer... On a mal géré notre temps.
Au lieu d'être ravi d'entendre la vérité, Benjamin se fâcha davantage.
- Xavier ! Est-ce que tu pourrais au moins entrer dans le jeu ne serait-ce qu'une fois dans ta vie ?! T'es incapable d'improviser une excuse bidon et de me convaincre ou quoi ?!
- Oh ! s'énerva le jeune homme. Faudrait savoir ! Tu ne sais jamais ce que tu veux, toi !
- Ça passe pour cette fois... Heureusement pour vous que la journée n'est consacrée qu'à des simulations d'entretiens et de castings, sinon je vous aurais vraiment engueulés... Mais je ne veux plus que vous soyez en retard, c'est clair ?
Xavier et Ludivine hochèrent la tête et se dirigèrent vers leur loge. C'était sans compter Pierrick et Aline qui les suivirent, un sourire malsain collé au visage.
- Petit cachottier ! s'exclama le comique. Qu'est-ce que tu faisais chez Lulu, hein ?
- Va voir ailleurs, grogna l'intéressé.
- Et pourquoi vous êtes trempés comme ça ? demanda Aline, en prenant une serviette de bain pour essuyer les cheveux de Ludivine.
- La douche, répondirent les deux amoureux à l'unisson.
- Ben voyons... se moqua Pierrick.
- Qui passe la simulation d'entretien ?
- En ce moment, c'est Emma. Claire est déjà passée, elle nous a dit que c'était super chaud. Benji n'arrêtait pas de la reprendre. Toi, Xavier, tu passes après Grégoire, et Ludivine, tu passes en dernier, juste après moi et Pierrot.
Aline tressa les cheveux de la jeune fille en deux petites nattes, et s'arma ensuite d'un peigne pour attaquer ceux de Xavier.
- Il faudra que je demande à Mathilde de te couper les cheveux, Xavier.
- Ah non ! Je t'en prie, pas Mathilde !
- Ils deviennent un peu longs, continua la jeune femme.
- Et d'abord, laisse mes cheveux tranquilles ! T'es pas ma mère !
Mais Pierrick, qui se hâtait de voir Mathilde à l'œuvre, était déjà parti chercher l'intéressée. La professionnelle du cuir chevelu arriva aussitôt, prête à fondre sur le comédien, qui reculait déjà de quelques pas. Et dix minutes plus tard, les cheveux de Xavier avaient rapetissé de cinq centimètres.
- Je vous hais. Je vous hais toutes. Et toi aussi, Pierrick. Je te hais.
- Tu me brises le cœur, Xavier. Moi qui croyais que nous allions nous marier, toi et moi...
- À ton tour Xavier, et bon courage, lança Grégoire, à peine sorti de l'amphithéâtre.
Légèrement angoissé, le jeune homme succéda à son camarade, et s'assit face à Benjamin et un autre prof qui assurait la simulation. Ce dernier lut attentivement son CV qu'il avait posé sur son bureau.
- Euh... C'est une blague ? Une erreur ? demanda le prof, en riant nerveusement.
- Pardon ? s'étonna Xavier.
- Non, attendez...
Il relut une seconde fois le parcours scolaire du comédien, et jeta un regard surpris à Benjamin.
- C'est une blague ? répéta-t-il, avec un sourire idiot qui ne plaisait pas au jeune homme.
- Non, contredit Benjamin. C'est son vrai CV.
- « Bac Scientifique Mention Très bien (20 en maths, 20 en physique, 20 en SVT), classe préparatoire scientifique, admis au concours de l'École Polytechnique en spécialité Maths-Physique... », lut le prof à voix haute. Et qu'est-ce que vous faites ici, devant moi, jeune homme ?
- Ben... Je fais une simulation d'entretien, répondit narquoisement Xavier.
Le prof éclata de rire, et le comédien eut une soudaine envie de lui décocher son poing dans la mâchoire.
- Non mais... excusez-moi, mais c'est trop drôle...
- Ah ah ah, ironisa Xavier.
- Vous comprenez, un polytechnicien dans une école de théâtre, c'est bien la dernière chose à laquelle je m'attendais ! C'est comme si c'était un marchand de fleurs à Polytechnique, vous voyez ?
- On ne peut plus clair.
Benjamin jugea bon de réagir, avant que son élève ne sautât sur le prof pour l'étrangler.
- Écoute Gérard, on n'est pas là pour discuter pour savoir où est la place de Xavier. Si tu te concentres sur la deuxième partie de son CV, tu verras qu'il fait du théâtre depuis sept ans. Donc tu poses tes questions par rapport à ça, s'il te plait. Et toi, Xavier, j'attends un peu plus de professionnalisme venant de ta part.
- D'accord, grognèrent les deux hommes.
L'entretien reprit. Le prof détournait ses questions du parcours scolaire de l'élève, mais d'une certaine façon, il cherchait à savoir pour quelle raison ce dernier était inscrit dans l'établissement.
- Et qui vous a convaincu de commencer le théâtre ?
- Une copine.
- Et pourquoi avez-vous accepté ?
- Mêlez-vous de ce qui vous regarde.
- Xavier, gronda Benjamin.
- Je reformule. Que vous apporte le théâtre ?
- C'est mes oignons.
- Faites un effort, voyons ! On dirait que vous voudriez être ailleurs... remarqua le prof, machiavélique.
- Je vous emmerde. Je suis très bien ici, et je ne partirai pas.
- Alors là, Xavier, je t'arrête ! coupa Benjamin, agacé.
L'élève soupira bruyamment. Cette simulation tournait au cauchemar. Il avait suffi au prof de parler de l'école qu'il convoitait pour que son moral dégringolât à toute allure.
- Xavier, je sais que ça t'embête de parler de ça, fit Benjamin. Mais dis-toi que pour décrocher un rôle dans un casting, tu dois montrer ta motivation. Et là, je ne te sens pas du tout motivé.
- Je ne suis pas motivé, justement. Ses questions à deux balles, il peut se les garder.
- Écoutez, jeune homme, intervint le prof. Si vous amenez un CV comme ça à un véritable casting, les gens qui vont vous recevoir vont s'étonner eux aussi. C'est normal.
- Je touche du bois pour qu'ils soient moins cons que vous.
Le prof restait calme, et les répliques méchantes du comédien ne semblaient pas l'atteindre.
- Ça ne veut pas dire, continua-t-il, qu'ils vont vous recaler. Mais disons qu'une personne comme vous, c'est très inattendu dans ce milieu. Si vous me disiez pourquoi vous avez décidé de devenir comédien professionnel ?
- Pas le choix.
- Sujet, verbe, complément, coupa Benjamin.
- J'ai pas eu le choix.
- Négation.
- Je n'ai pas eu le choix, rectifia Xavier en assassinant son prof du regard.
- Pourquoi ? voulut savoir le second prof.
Le comédien ne prit même pas la peine de répondre, et se leva brutalement pour sortir de l'amphithéâtre. Il claqua la porte si fort que les murs en tremblèrent. À peine sorti, Ludivine fonça droit sur lui pour lui sauter au cou.
- Mon Xavier ! Comment ça s'est passé ?
- Très mal.
- Aussi, tu as écourté l'entretien à ce que je vois, remarqua Aline, avec son ironie habituelle.
- Il n'avait qu'à pas me faire chier avec ses questions trop personnelles.
Benjamin sortit de l'amphithéâtre, et fit signe au comédien de s'approcher. Mais déjà, la petite blonde bondissait sur son professeur.
- Qu'est-ce que tu lui as fais, à mon Xavier ?!
- Rien du tout, Ludivine. Mon collègue a juste été pris de court par son parcours scolaire, c'est tout.
- Et alors ?! s'écria l'intéressée. Qu'est-ce ça peut faire, hein, son parcours scolaire dans une simulation d'entretien ?
- Oh tu sais bien, Ludivine, que Xavier est très intelligent...
- Tout à fait ! C'est le plus intelligent, mon Xavier !
- Il pourrait aller très loin, continua Benjamin. Ses capacités dépassent celle d'une école de théâtre, tu comprends ?
La petite blonde hocha la tête en silence.
- Bien sûr, c'est aussi un excellent comédien...
- Ben oui. C'est le meilleur, mon Xavier.
- Cependant, je suis d'accord avec mon collègue sur un point. Xavier n'a rien à faire ici. Pas que je ne le veuille pas dans mon cours, au contraire, pour rien au monde je ne le virerais ! Je sais juste qu'il n'est pas dans son élément.
- Et bien, moi, je ne suis pas d'accord ! Mon Xavier ne fait qu'un avec le théâtre, il est fait pour ça, et c'est pour ça que je l'aime !
- Ça n'a rien à voir Ludivine. Il fait du théâtre, il est doué, il aime ça, certes... mais ce n'est pas le métier qu'il veut exercer plus tard.
- Non ! contredit la petite blonde, têtue comme une mule.
- Je n'ai pas raison, Xavier ?
- Si, avoua l'intéressé, tête baissée.
Ludivine, consternée, se tourna vers son petit ami. Jamais elle n'avait envisagé Xavier comme autre chose qu'un comédien.
- Tu sais Lulu... Cette école n'est pas mon premier choix. Je suis ici parce que je n'ai pas pu aller ailleurs. À défaut de faire une formation d'ingénieur, je me suis concentré sur le théâtre.
- C'est terrible, balbutia la petite blonde.
- Mais non, ce n'est pas terrible. C'est juste ce qu'on appelle... une réorientation.
- Enfin, Ludivine, qu'est-ce qui te rend triste ? voulut savoir Benjamin. Xavier est là en ce moment, c'est le plus important, non ?
- Oui, mais mon Xavier, je veux qu'il soit juste comédien. Il peut faire des maths, mais je veux qu'il reste comédien.
- De toute façon, c'est bien parti pour, avoua Xavier, cachant sa déception.
- Hum, fit Ludivine, rassurée.
- Bon, Xavier, tu veux refaire l'entretien ou je fais passer la personne suivante ?
- Plutôt crever. Ce mec va m'analyser au scanner si je le refais. J'ai eu l'impression d'être un extra-terrestre quand il m'a regardé tout à l'heure.
Benjamin parut comprendre, et ce fut au tour d'Aline de passer la simulation d'entretien, suivie de Pierrick et Ludivine. Étrangement, les trois comédiens se montrèrent très désagréables avec le professeur qui avait interrogé Xavier, qui jura à Benjamin que c'était bien la dernière fois qu'il faisait passer des entretiens blancs à la Section A.
Cette journée eut déclenché chez Xavier une avalanche de questions concernant son avenir. Des questions sans réponses. Son futur était si incertain que le jeune homme n'arrivait même pas à l'envisager.
La boutique de prêt-à-porter pour hommes, située au pied de la butte Montmartre, connaissait Xavier depuis son adolescence. Il était un très bon client. Les prix n'étaient pas élevés, et le comédien profitait souvent de remises alléchantes en échange de sa fidélité. Le gérant ne comptait plus le nombre de pulls que le comédien avait achetés dans son magasin.
Xavier était un gros consommateur de pulls. Il en avait une vingtaine mais, étrangement, sa commode n'en répertoriait que huit. Pourquoi ? Parce que les pulls de Xavier étaient très à la mode chez la gent féminine. Et les pulls manquant à son armoire se promenaient un peu partout dans Paris.
Or, un jour en début d'avril, un pull disparu de Xavier avait décidé de se manifester. Mais avant qu'il ne montrât le bout de sa laine, Aline suppliait son meilleur ami de lui prêter celui qu'il portait actuellement.
- Xavier, je t'en prie, je me gèle...
- Je croyais que tu en avais déjà quatre dans ton armoire.
- Je n'avais pas prévu qu'il ferait aussi froid ce matin.
- Hum...
- Allez, Xavier ! Je te le rendrai après l'acte II d'Ondine ! Promis !
- Ouais, soupira ce dernier, sachant très bien qu'elle ne tiendrait pas sa parole.
- Et franchement, tu n'as pas à me faire des reproches, reprit la jeune femme. Après tout, Ludivine en a bien neuf !
Vaincu, il ôta son pull et le tendit à Aline qui l'enfila aussitôt. Il resterait en T-shirt toute la journée et le pull en question irait rejoindre ses quatre confrères dans l'armoire de sa meilleure amie.
Alors qu'ils se rendaient dans le théâtre pour commencer une répétition générale, Xavier et Aline étaient loin de s'imaginer qu'un fameux pull allait resurgir deux heures après.
Il était bleu marine, soit de la même couleur que les yeux du comédien. La laine s'amusait à sortir du pull par endroits. Mais c'était un pull qui avait du charme. Il avait perdu l'odeur de son propriétaire et s'était imprégné du parfum d'une femme. Quand il apparut dans le hall de l'école de théâtre, il était justement noué autour de la taille de la détentrice en question. Il épousait parfaitement ses hanches.
Deux élèves de la Section B, qui profitaient d'une pause, ne purent s'empêcher de la lorgner. Elle était belle et charismatique. Ses longs cheveux blonds étaient attachés en une queue de cheval, et quelques mèches libres encadraient son visage fin.
Madame Suzette l'avait observée d'un air suspect. Elle s'était toujours méfiée des jolies jeunes femmes comme celle-ci. Elle était presque certaine qu'elle n'était pas comédienne, et qu'elle était venue pour flirter avec un élève de l'école. Et pour cette unique raison, elle n'avait strictement rien à faire ici.
- C'est pour quoi ? s'informa la standardiste, acide comme un citron.
- Je viens voir Xavier Lusvardi.
- Dommage pour vous, il est en répétition.
- Je veux le voir, répliqua la jeune femme blonde.
- Non. Vous ne le verrez pas tant que les cours ne seront pas finis.
Et voilà qu'elles s'affrontaient. Elles se seraient sautées dessus si le bureau de Madame Suzette ne se trouvait pas entre elles.
- Je veux le voir, tout de suite. C'est compris ? s'énerva la blonde.
- Non, mais vous me parlez sur un autre ton, d'abord !
- Je vous parle comme j'en ai envie.
C'est alors qu'un deuxième pull de Xavier fit son apparition. Il était beige, cette fois-ci, et faisait l'émerveillement de Ludivine qui ne voulait plus l'enlever. Celle-ci, transpirante après avoir joué le rôle d'Ondine, se dirigeait avec un plaisir non dissimulé vers le distributeur de bonbons. Elle avait bien mérité une petite récompense et Benjamin avait bien voulu la laisser sortir quelques minutes.
- Je vous dis que je veux le voir tout de suite ! Dites-moi où se trouve sa salle !
- De quel droit osez-vous me donner des ordres ?!
Pendant que la machine crachotait un paquet de biscuits chocolatés, Ludivine observait avec étonnement les deux femmes se crêper le chignon. Les deux comédiens de la Section B en faisaient autant. Jamais ils n'avaient vu Madame Suzette dans une colère si noire.
La jeune femme blonde insistait de plus belle pour rencontrer Xavier et la standardiste, en dépit de son âge, ne put lui tenir tête très longtemps. Lassée, elle se tourna vers Ludivine.
- Dodero ! Amène-la avec toi, elle veut voir Lusvardi.
- Xavier ? s'étonna la comédienne. Mais Benjamin a dit qu'il ne voulait pas qu'on interrompe la répétition générale.
- Je veux le voir tout de suite, répéta la jeune femme en la foudroyant du regard.
- Mais il joue !
- Tout de suite !
Effrayée, Ludivine n'insista pas et prit le chemin du théâtre, sa convive sur les talons. La jeune femme se moquait mentalement de l'accoutrement de la petite blonde. Cette fille ne savait pas porter un pull d'homme sans être difforme. En plus, à force de s'empiffrer de chocolats, elle devait probablement être en désaccord avec la balance.
- Tu veux un chocolat ? proposa gentiment Ludivine.
La jeune femme ne prit même pas la peine de répondre. La comédienne parut comprendre son indifférence et n'osa rien dire de plus. Arrivées devant la porte du théâtre, elle l'arrêta un instant.
- Attends-moi là deux minutes. Je vais demander au prof si tu peux entrer et voir Xavier.
Hans et Bertha se tenaient chacun à un bout de la scène, sceptiques de se rapprocher l'un de l'autre. La jeune femme rompit le silence.
- Beau voyage de noces ?
- Merveilleux voyage...
- Une blonde, n'est-ce pas ?
- Une blonde. Le soleil passe où elle passe.
- Nuits ensoleillées... soupira Aline. Moi, j'aime l'ombre.
- Chacun son goût, répliqua Xavier, sarcastique.
Si Bertha était blessée, elle ne le laissa pas paraître et se contenta de plisser les yeux.
- Alors vous avez dû souffrir, le jour de votre départ, à l'ombre de ce chêne, de m'embrasser ?
- Bertha !
- Moi, je ne souffrais pas... J'aimais bien...
- Ma femme est près d'ici, Bertha ! gronda le comédien, en se rapprochant d'elle.
- J'étais bien dans vos bras. J'étais bien pour toujours !
- C'est vous qui déliâtes ces bras ! Qui m'avez ramené, sans perdre une minute, au milieu de vos amies, par vanité, pour y faire je ne sais quelle roue !
- On retire son anneau, même de fiançailles, pour le montrer.
- Je regrette. L'anneau n'a pas compris.
- Il a fait ce que font les anneaux... Il a roulé... Sous un lit...
- Quel est ce langage ?
- Je me trompe sans doute en parlant de lit... On couche dans la grange, chez les paysans, sur le foin... Vous avez eu à vous brosser, au matin de vos nuits d'amour ? demanda Bertha, provocatrice.
- Je vois à vos paroles que vous n'avez pas encore eu les vôtres.
Elle parcourut la distance qui la séparait de lui, et saisit le visage du jeune homme entre ses deux mains pour l'embrasser vivement. Le baiser passé, elle chercha à prendre la fuite, mais il sut la retenir.
- Oh ! Bertha ! Vous, la dignité ! Vous, l'orgueil !
- Moi l'humilité... Moi l'impudence...
Au même moment, un cri et un bruit sourd se firent entendre. Ludivine s'étala sur le sol, et dégringola les premières marches de l'escalier. Apparemment, la visiteuse n'avait pas eu la patience d'attendre le feu vert pour rencontrer Xavier et avait poussé la comédienne pour pouvoir passer. La Section A, assise au premier rang, se leva en sursaut et se précipita sur la petite blonde. Seul Pierrick était resté debout, gardant un œil prudent sur Aline. Immobile, celle-ci n'entendait déjà plus rien, et ne voyait plus que la jeune femme.
Personne n'aurait su dire si Xavier était surpris. Calmement, il descendit de la scène et rejoignit toute la troupe regroupée autour de Ludivine. Mathilde et Grégoire se poussèrent pour qu'il pût s'accroupir auprès d'elle.
- Hey Lulu, tu m'entends ? demanda-t-il doucement, en lui prenant la main.
La petite blonde, encore sonnée par le choc, cligna des yeux sans un mot. Le comédien l'appela une seconde fois, et elle le regarda sans vraiment le voir.
- Bobo... fit-elle enfin d'une voix tremblante.
- Tu as mal où ?
- Euh... à la tête... au dos... aux fesses... et puis, partout aussi...
Xavier et Simon l'aidèrent à s'asseoir sur le sol moquetté du théâtre. Elle regardait ses chocolats éparpillés par terre avec un air perdu. De son côté, la jeune femme blonde s'impatientait. Elle devinait que Xavier prenait tout son temps pour l'énerver. Il faisait aussi exprès de l'ignorer, et cela marchait évidemment : elle enrageait.
- Ça tourne... balbutia Ludivine, s'accrochant fermement au bras de Simon.
Xavier glissa sa main dans les cheveux blonds vénitiens de la comédienne, et dénicha une jolie bosse, qui fit gémir l'intéressée.
- Il faut l'amener à l'infirmerie, dit-il à Benjamin. Mathilde, Simon, Tristan, vous voulez bien la conduire là-bas ?
- Pas de problème !
Ils remirent Ludivine sur pied et constatèrent qu'elle s'était aussi foulé la cheville dans sa chute. Le prof était abattu, angoissé à l'idée que son Ondine fût si mal en point.
- Claire et Grégoire, vous voulez bien aller voir Madame Suzette pour qu'elle contacte sa famille ?
Ceux-ci hochèrent la tête, pendant que Ludivine quittait le théâtre escortée par ses camarades.
- Et toi, Emma... et bien...
Il ne pouvait pas lui dire d'aller voir ailleurs, mais Emma réagit au quart de tour.
- J'accompagne Grégoire et Claire ! s'écria-t-elle, les joues étrangement roses.
- Ben... si tu veux.
Ravie, elle rejoignit les deux élèves au grand galop, et ils disparurent à leur tour de la salle. Xavier se tourna alors vers son professeur, l'air navré.
- Benji, je suis vraiment désolé...
- Je ne t'en veux pas.
Il jeta un regard en coin à la jeune femme, et se pencha vers le comédien pour lui murmurer quelques paroles à l'oreille.
- Je te demanderai juste de régler son compte à cette garce, que je ne la revoie plus dans cette école, ni même de ma vie. Et si tu pouvais éviter le bain de sang avec Aline, ce serait sympa pour les femmes de ménage.
- Entendu, sourit l'intéressé, mal à l'aise.
Quand Benjamin quitta le théâtre, il ne restait plus que quatre jeunes personnes à l'intérieur. Xavier, Aline, Pierrick, et la blonde.
- Non mais t'es tarée ou quoi ?! Tu pouvais pas faire plus attention ?! rugit Xavier, se tournant promptement vers la jeune femme.
Accoudée contre un fauteuil du dernier rang, elle le toisait avec un petit sourire moqueur. Furieux, il s'avança à sa hauteur, et s'il ne s'était pas retenu, il l'aurait giflée.
- Elle aurait pu être gravement blessée !
- Peut-être... ou peut-être pas... Je la trouvais un peu trop encombrante.
- C'est toi qui nous encombres, Caroline.
- Allons, allons, Xavier... Tu ne penses pas ce que tu dis.
D'une main, elle saisit tendrement celle du comédien ; et de l'autre, glissa son index sur son front pour essayer d'effacer une ride causée par la colère. Au même moment, un bruit sourd résonna dans le théâtre : Aline venait de sauter de la scène et filait déjà droit sur sa pire ennemie.
- Je t'interdis de le toucher, espèce de pouffiasse !
Xavier bénit Pierrick d'avoir prévu la crise de leur meilleure amie et de s'être interposé avant qu'elle ne pût atteindre Caroline, sans quoi celle-ci aurait été sauvagement agressée. Le comédien avait cependant bien du mal à la retenir. Aline se débattait comme une folle furieuse, débitant en moyenne trois insultes par seconde. C'est en mordant l'avant-bras de Pierrick qu'elle put s'échapper de son étreinte.
- Non, Aline ! s'écria Xavier en se mettant devant une Caroline ravie.
Il la protégeait bien malgré lui, car il serait gêné si les chirurgiens découvraient l'absence d'un ou plusieurs organes lors de la prochaine mort de son ex-petite amie. Il le savait : l'amour d'Aline pouvait la rendre aveugle et presque dangereuse. Le jeune homme eut l'impression de réceptionner un boulet de canon, et se dépêcher de repousser la comédienne de toutes ses forces. Évidemment, Aline poussait aussi de son côté. Sa grande envie de refaire le portrait de Caroline lui donnait assez de puissance pour résister à Xavier, et si Pierrick n'était pas intervenu une seconde fois pour la tirer en arrière, leur meilleur ami aurait lâché prise.
- Laissez-moi ! Laissez-moi ! s'écria-elle, en se débattant toujours, tandis qu'ils l'amenaient à l'écart.
- Arrête, Aline !
- Non ! Je veux la...
- Ça suffit ! explosa Xavier.
C'était la première fois qu'il était aussi remonté contre elle, et Aline en fut si choquée qu'elle en perdit l'usage de la parole. Elle retomba mollement dans les bras de Pierrick, effrayée à l'idée que le comédien fût lassé d'elle.
- Ouah ! Je suis impressionnée ! lança Caroline, fière.
- Et toi, tu la fermes ! rugit l'intéressé.
Plus personne n'osait respirer. Les mouches pouvaient voler dans le théâtre, on les aurait entendues.
- Je peux savoir pour quelle raison tu viens emmerder ton monde, Caroline ? Je n'ai pas été assez clair la dernière fois ?
Le visage de la jeune femme se décomposa et laissa dévoiler une profonde tristesse.
- Xavier, je suis vraiment désolée. Si tu savais comme je regrette... J'ai fait une énorme erreur.
- C'est bien que tu t'en rendes compte. Mais c'est trop tard.
- Mais non, c'est pas trop tard.
Caroline descendit doucement les escaliers jusqu'à la hauteur du comédien, et dénoua son pull de sa taille.
- Ce n'est pas trop tard, répéta-t-elle, en lui tendant ce qui lui appartenait.
- Garde-le. Je n'en veux pas. En plus, il a ton odeur.
Tandis qu'elle se rapprochait encore de lui, Pierrick prit soin d'éloigner Aline en silence.
- Je t'en prie, Xavier... murmura-t-elle doucement. On peut faire une croix sur le passé et tout oublier. Je te jure de ne pas refaire la même erreur. Je ne sais pas ce qu'il m'a pris ce jour-là... Je doutais.
Il ne répondit pas tout de suite. Son cœur était encore trop fragile pour repousser Caroline dans l'immédiat. C'est quand elle porta la main à sa joue qu'il eut un mouvement de recul.
- Non. Tu t'es assez foutue de ma gueule comme ça. Tu ne me prendras pas pour un con une seconde fois.
- Mais Xavier... je t'aime, chuchota Caroline, émue.
- Ah ah ah, rigola soudainement Pierrick, qui avait mis avec prudence ses mains sur les oreilles d'Aline. T'as pris des cours de théâtre à ce que je vois ! C'est bien ! T'as vu comme c'est pratique de savoir son texte à l'avance ? Tu ne trouves pas que ça aide, non ?!
Pendant ce temps, Ludivine se faisait bichonner à l'infirmerie, entourée de l'agréable compagnie de Mathilde, Simon et Tristan.
- Notre pauvre Lulu... se lamentèrent les trois comédiens, tandis que la petite blonde buvait un Doliprane.
- Ma pauvre fille, tu t'es fait une petite entorse à la cheville, fit l'infirmière, peinée, retirant un sac de glaçons posé sur l'articulation.
Elle passa ensuite un peu de crème à l'endroit où Ludivine souffrait et enroula un petit bandeau blanc autour de sa cheville.
- Mais qu'est-ce qui lui a pris, à cette folle ? s'énerva Tristan, en cognant sur le petit lit blanc.
- Elle était pressée, excusa Ludivine.
- Pressée ! Pressée ! C'est pas une raison !
- De toute façon, Caroline a toujours eu un de ces culots ! Ça ne date pas d'hier ! s'exclama Mathilde.
- Caroline ? s'étonna la jeune fille. La Caroline de mon Xavier ?
- Oui, approuva la comédienne, regrettant aussi ses paroles.
Ludivine descendit de la table d'examen, et manqua de s'étaler sur le sol une seconde fois.
- Hey, petite, qu'est-ce que tu fais ?!
- Oh non ! s'écria Ludivine, horrifiée et au bord des larmes. Mon Xavier ! Mon Xavier ! Elle veut me le reprendre !
- Mais non, Lulu, ne t'inquiète pas... rassura Simon, essayant de la pousser jusqu'au lit. Elle ne va pas te le voler. Il ne se laissera pas faire.
- Si ! Elle le veut, elle le veut, elle veut mon Xavier, mais il est à moi et rien qu'à moi, et à personne d'autre !
- Rallonge-toi ! ordonna l'infirmière.
- Non ! brailla la petite blonde, sortant de la salle à cloche-pied. J'arrive, mon Xavier ! Tiens bon !
Ludivine parcourut ainsi l'école de théâtre de bout en bout à cloche-pied, suivie par ses trois camarades et l'infirmière qui essayaient de la raisonner. Xavier et Caroline étaient en pleine dispute lorsque la jeune comédienne fit une entrée fracassante dans le théâtre.
- C'est mon Xavier ! hurla-t-elle à l'attention de sa rivale, en clopinant jusqu'au jeune homme se trouvant dans les escaliers.
Hélas, sautiller en équilibre sur un pied n'était pas très fiable, et Ludivine loupa une nouvelle fois la marche. Elle eut juste le temps de dire « oh ? » qu'elle survolait déjà trois rangées de fauteuils. Xavier eut le bon réflexe de la rattraper au dernier moment, sinon une seconde visite à l'infirmerie se serait imposée.
- C'est mon Xavier, répéta-t-elle, le visage aplati contre le torse du comédien.
Caroline plissa les yeux, frustrée par l'apparition de sa jeune rivale. Et puis, son attention se reporta sur Aline, qui avait retrouvé son dynamisme et que Pierrick retenait fermement par les mains.
- Au fond, Xavier, ça a toujours été comme ça... reprit tristement Caroline. Entre Aline et moi, tu choisissais toujours elle. Il n'y en avait que pour elle ! Et tu t'étonnes après que je sois allée voir ailleurs ?
- Alors ça ! hurla la jeune femme, hystérique. Ça, c'est complètement faux ! Il n'y en avait que pour toi ! Tu l'éloignais de nous ! Tu lui bourrais le crâne avec des mensonges sur moi !
- C'est vrai, admit Pierrick. Tu le harcelais pour savoir qui de toi ou Aline il préférait.
- Peut-être, avoua Caroline. Mais de mon côté, Xavier ne parlait que d'elle. « Aline a fait ceci... », « Aline a fait cela... », « J'ai joué avec Aline dans... ». Tu ne peux pas savoir à quel point ça pouvait être frustrant !
Xavier assistait à la conversation en silence, tout en berçant la petite blonde qui tremblait de peur. Les deux femmes agissaient comme s'il n'était pas là, et cela ne semblait pas le déranger.
- C'est peut-être parce que j'ai toujours été fidèle, moi ! défendit Aline. Je ne l'ai jamais trahi, et je ne lui ai jamais fait de mal ! J'ai même été là quand tu lui as brisé le cœur !
- C'est normal... tu es sa meilleure amie, répliqua sa rivale, hypocrite.
La bombe à retardement se déclencha. Aline avait été touchée là où c'était le plus douloureux.
- Oui mais moi, je l'aime toujours ! T'entends Caroline, je l'aime toujours ! explosa la jeune femme.
L'intéressée devint blême. Ludivine avait arrêté de pleurer, choquée. Xavier se retrouvait enseveli sous une tonne de remords. Pierrick se demandait si c'était le bon moment pour chanter le générique des Feux de l'Amour. Le théâtre était redevenu silencieux, et on entendait seulement les pleurs d'Aline.
- Ça va ? T'es contente, Caro ? T'as bien foutu le bordel ? Tu peux t'en aller maintenant ? s'impatienta Pierrick, tandis que sa meilleure amie se réfugiait dans les bras de Xavier.
- D'accord, répondit simplement Caroline. C'est elle, alors.
- C'est elle, confirma le comédien. Et c'est elle que j'aurais dû choisir dès le début.
- Mon Xavier, il est à moi et à Aline seulement, jugea bon de compléter Ludivine. Il n'est à personne d'autre ; seulement à nous.
La petite blonde s'était décalée pour faire un peu de place à la jeune femme. Ici, au moins, elles n'avaient rien à craindre de Caroline, qui pensait que l'heure était venue pour elle de partir.
- Très bien, lança-t-elle, cachant sa grande déception. Puisque c'est comme ça, je m'en vais.
- T'as raison, barre-toi, s'exclama Pierrick. Bon débarras !
Non sans un dernier regard à Xavier, Caroline quitta le théâtre, pour le plus grand soulagement des comédiens. À l'extérieur, dans le couloir, patientaient Benjamin et la Section A. Tous sans exception jetèrent des regards vénéneux à la jeune femme, qui continua sa route en les ignorant superbement.
- Hey Mademoiselle ! La moindre des politesses, c'est de s'excuser d'avoir interrompu une répétition pour foutre à son aise le bordel dans ma troupe.
Caroline se retourna un instant, et croisa le regard de Benjamin. Elle ne répondit pas, et disparut enfin dans le couloir de l'école de théâtre. Les comédiens soupirèrent avec dédain.
- Non mais quel culot !
- Quelle salope, oui !
- Dommage qu'Aline ne lui ait pas refait le portrait !
- Rah, comme je ne peux pas la blairer cette fille !
- Comment Xavier a-t-il pu sortir avec une pétasse pareille ?!
- J'en reviens pas !
- Bon, vous avez fini, les commères ?! s'exclama Benjamin, agacé.
La Section A sourit innocemment à son professeur. Au même moment, la porte du théâtre s'ouvrit à nouveau et Ludivine en sortit, portée par Pierrick.
- Moi, je voulais rester avec mon Xavier ! grogna-t-elle, en battant des pieds.
- T'es pas mieux dans mes bras, Lulu ? T'as déjà trouvé un taxi plus confortable que moi pour t'amener à l'infirmerie ?
- Non, mais je voulais rester avec mon Xavier.
- Tu le verras demain, ton Xavier. Là, il est occupé avec Aline.
- Mais... protesta la petite blonde.
Comme s'il avait deviné les tracas de Ludivine, Xavier sortit à son tour du théâtre pour lui glisser quelques mots à l'oreille, laissant sa meilleure amie à l'intérieur.
- Mon Xavier ! s'écria joyeusement la jeune fille, en descendant des bras de Pierrick.
Elle clopina jusqu'à lui pour réclamer un bisou, qu'elle reçut aussitôt.
- Écoute Ludivine... je vais tenir compagnie à Aline pendant quelque temps, d'accord ?
- Oui.
- Tu comprends, elle n'est pas bien. Quand c'était moi qui me sentais mal, Aline a été là pour moi. Et là, je dois être là pour elle.
- Oui, répéta la petite blonde.
Le comédien était ravi d'avoir, pour la première fois, une petite amie si compréhensive, et qui était d'accord pour le partager avec sa meilleure amie.
- Après tout, fit Ludivine, tu es mon Xavier à moi et Aline seulement.
- Bien sûr, approuva l'intéressé, comme si cette déclaration expliquait tout.
- À personne d'autre.
- Tout à fait.
Il l'embrassa une dernière fois et retourna dans le théâtre pour rejoindre Aline, tandis que Pierrick embarquait Ludivine contre son gré pour un second séjour à l'infirmerie. La Section A suivit le comédien afin de reprendre la répétition là où elle avait été interrompue.
Durant le reste de la journée, Xavier et Aline restèrent à l'écart. Il essayait de lui redonner le moral, de la rassurer en lui chuchotant des mots doux et en la câlinant. Jamais elle n'avait été aussi dévastée. Le passage inoubliable de Caroline l'avait plongée dans une extrême fatigue morale, qui ne s'estomperait qu'avec le temps.
Une semaine après cet incident, alors qu'Aline se remettait peu à peu grâce aux bons soins de Xavier, la Section A avait entamé une nouvelle phase de leur pièce de théâtre : les costumes. Une vingtaine de stylistes s'était déplacée pour faire les essayages des parures des personnages d'Ondine.
Emma observait tout ce monde s'agiter autour d'elle. Chaque élève était bichonné par un ou plusieurs costumiers, sauf elle. Non, personne ne s'occupait d'Emma, qui essayait de se débrouiller toute seule avec ses trois costumes. Elle semblait patauger dans un ample tissu de soie mauve, sur lequel elle ne cessait de marcher. Seule, elle ne pouvait juger la taille du costume, ni planter les aiguilles aux bons endroits pour le réajuster.
Perchée sur un tabouret, Ludivine se faisait pomponner par cinq personnes en plus de Benjamin. Elle observait tranquillement son entourage et constata avec perplexité que la jeune femme était au bord des larmes.
- Benji, tu devrais aider Emma, conseilla la petite blonde à son prof, occupé à arranger un pan de sa robe.
- Plus tard, marmonna l'intéressé.
Ludivine ne répondit rien, malgré la peine ressentie en voyant la piètre comédienne dans cet état. Après deux minutes en train d'essayer d'arranger son costume, Emma craqua.
- Benjamin ! Viens m'aider, s'il te plait ! supplia-t-elle désespérément.
- Deux minutes, je suis occupé, répliqua ce dernier, toujours absorbé par Ondine.
- Benji, je t'en prie ! Je ne m'en sors pas ! Tu peux bien la laisser cinq minutes ; après tout, elle a déjà plein de gens pour s'occuper d'elle, elle !
Tandis que Ludivine culpabilisait, Emma secouait frénétiquement le bras du professeur.
- Fous-moi la paix deux secondes ! Je dois aussi aller voir les autres !
- Hey Emma ! On voit ton string ! s'écria Pierrick, plus loin dans la salle.
La comédienne piqua un fard, et avant que Benjamin ne pût dire quelque chose, elle éclata en sanglots, ce qui obligea le prof à lui accorder un peu plus d'attention.
- Enfin Emma, ne te mets pas dans des états pareils, fit-il doucement en l'amenant à l'écart.
- J'en ai marre, renifla la jeune femme. Personne ne s'occupe de moi... Dis-moi, je vais aller où comme ça, hein ?
En dépit de lui-même, Benjamin dut avouer qu'Emma n'avait rien d'une Vénus dans le tissu de soie qui la recouvrait. Il s'arma donc de quelques aiguilles et entreprit de réajuster le costume au niveau de la taille. Il remonta les manches et piqua le tissu aux coudes pour le retenir. Il découvrit les fines épaules de la jeune femme, et rejoignit deux rubans mauves autour de son cou.
- Pour une Vénus censée être nue, ça va, je trouve que tu es assez dénudée comme ça, commenta le prof, satisfait.
Pourtant, l'air triste d'Emma persista. Quelque chose disait à Benjamin que ce n'était pas cette histoire de costume qui la rendait malheureuse. Au contraire, cela remontait à bien plus longtemps.
- Je suis nulle, soupira-t-elle.
- C'est toi qui as voulu venir dans cette classe, je te rappelle.
- Oui et je regrette. J'aurais dû rester en Section B... avec les nuls.
L'honnêteté de Benjamin lui interdit de la contredire sur ce point. Cependant, ce n'était pas le moment, à trois mois de l'examen, de baisser les bras.
- Écoute Emma, si t'as une volonté de fer, tu y arriveras. Et si tu veux y arriver, il faudra aussi redoubler la cadence et bosser encore plus. À force de t'entraîner, dans trois mois, tu pourrais atteindre le niveau.
- Je n'y arriverai jamais.
- Si tu pars de ce principe, je ne vois pas en quoi je pourrais t'aider... Bon, Emma, on en reparle demain. Je vais essayer de te trouver quelqu'un pour s'occuper de toi.
Ce sont le timide Grégoire et sa costumière qui se proposèrent d'aider la jeune femme dans ses essayages. Ludivine, toujours au poste sur son tabouret, remarqua qu'elle semblait avoir retrouvé le sourire. Elle n'eut pas le temps de l'observer davantage, car Benjamin était revenu vers elle pour juger son costume.
- Descends un peu de là, Ludivine.
Elle obéit et tourna sur elle-même pour lui montrer sa petite robe de soie vert d'eau sous toutes les coutures. Elle portait encore son petit bandeau autour de la cheville sur lequel Xavier avait écrit au feutre « My Baby Lulu », et Pierrick « I love Pierrot ». Sa cheville ne lui faisait presque plus mal, mais le bandeau la faisait tellement rire qu'elle voulait le garder le plus longtemps possible.
- Elle restera pieds nus. Par contre, ce serait bien qu'au dernier acte, la robe soit déchirée.
- Déchirée ? répéta une costumière, interloquée, qui prenait note de tous les commentaires du professeur.
- Ben oui ! C'est une ondine sauvage ! Avec les cheveux en bataille, la robe fendue...
- On va tout voir après ! grogna Ludivine, dont le costume arrivait à mi-cuisse.
- Et des algues dans les cheveux aussi.
- Des algues ?!
- Oh non ! Pas des algues ! brailla la petite blonde.
Bien malheureusement pour elle, Benjamin n'écoutait aucune de ses protestations.
- Des algues. Mais attention, tout ça seulement pour le dernier acte.
- Et le premier acte alors ?
- Le même costume, mais je le veux nickel. Les cheveux détachés, mais pas en bataille. Dans le second acte, vous lui changerez de robe. Je la veux un peu plus longue, de la même couleur, avec des frous-frous si possible. Vous lui rajouterez une petite couronne de lierre, un médaillon, un anneau, et vous nouerez ses cheveux. Ah, et une cape ! N'oubliez pas la cape !
La styliste écrivait à toute vitesse sur son petit calepin, maudissant le prof d'avoir une idée précise sur le physique de ses personnages. Ce dernier tournait autour de la petite comédienne, plongé dans ses pensées.
- Il manque quelque chose, marmonna-t-il, agacé. Il manque quelque chose... mais je ne sais plus quoi... Ah ! Des collants !
- Des collants ? s'étonnèrent toutes les costumières.
- Un filet de pêche qui va servir de collants !
- Non ! brama Ludivine, terrifiée.
- Avec des petites perles rouges ou des véritables boules qu'on trouve sur les filets de pêche ? se demanda le prof à voix haute. Hum... des petites perles rouges, c'est mieux ! Oui, voilà ce qui manquait ! Une paire de collants taillée dans un filet de pêche ! Pas trop épais, le filet, hein ? Et pour toutes les autres ondines, Mathilde, Emma et Claire, vous me faites le même costume que l'acte un, mais en bleu turquoise et sans filet de pêche !
La petite blonde était sur le bord des larmes.
- Mes petites jambes vont être ficelées comme des rôtis... se lamenta-t-elle. Je veux mon Xavier ! Xavier ! Benji veut me transformer en filet de pêche !
Le jeune homme était trop énervé pour lui prêter attention. Il était occupé à crier sur une costumière, qui lui avait fait essayer de drôles de chaussures.
- Mais c'est quoi cette horreur ? Vous croyez que c'est des chaussures ça ?
- Ce ne sont pas des chaussures, ce sont des chausses, comme au Moyen-âge !
- On est en 2008, que je sache ! Vous n'avez rien de plus moderne ?!
- Non, et si t'es pas content, c'est pareil !
- Ah ouais ?! Ah ouais ! explosa Xavier, en filant droit sur son prof. Benji ! Cette vipère veut me faire porter des trucs moisis ! Ça pue le cheval en plus !
- Dîtes, n'oubliez pas de lui confectionner deux capes ! s'écria Benjamin, à l'attention de la femme qui s'occupait du comédien. Une rouge et une noire !
- Benji ! s'écria le jeune homme, froissé.
- Xavier ! brailla Ludivine en courant vers son petit ami. Benji, il veut me transformer en filet de pêche !
Une joyeuse pagaille. Xavier était trop absorbé par ses chausses pour partager le malheur de Ludivine, et Benjamin n'avait strictement rien à faire des lamentations de ses comédiens. Et cela n'en finissait pas.
Mathilde accourait dans la peau d'une vieillarde avec une canne, pour se plaindre qu'elle ne voulait pas porter une perruque blanche. Claire protestait à cause des sabots qu'elle était contrainte de chausser. Tristan trouvait que son pantalon moulait trop ses parties intimes. Simon criait haut et fort qu'il ne pouvait porter une aussi lourde cape. Grégoire avait clairement affiché son refus de porter une fausse moustache. Aline prétendait que ce n'était pas parce qu'elle adorait le noir qu'il fallait que sa robe de mariée fût de cette couleur. Pierrick voulait une couronne en or ornée des pierres précieuses véritables.
- Et puis quoi encore ?! s'écria le prof, en déchiquetant la couronne en papier que le comique avait dessinée comme modèle.
- Tu pourrais au moins faire l'effort de me faire confectionner un bâton doré ! Je te rappelle que je suis le Roi des Ondins !
Tous les comédiens avaient trouvé un moyen de pression plus ou moins efficace. Ludivine, dont les larmes n'avaient pas cessé de couler, avait appelé sa mère devant tout le monde et Benjamin n'avait jamais été aussi humilié de sa vie.
- Maman... Benji, il est méchant ! Il veut me transformer en filet de pêche !
- Dis-lui qu'il refuse le dialogue ! s'écria Xavier.
- Maman... Benji, il refuse le dialogue !
- Dis-lui qu'il m'a frappé ! imita Pierrick, profitant de la situation.
- Maman... Benji, il a frappé Pierrot !
Passée cette seconde, Ludivine courut en rond dans la salle, poursuivie par Benjamin qui voulait lui arracher le téléphone des mains.
- Maman ! Nous ne sommes plus dans un pays libre ! Benji impose sa dictature ! Je n'ai plus le droit à l'expression, Maman ! Maman ! Au secours ! Au secours ! Appelle les CRS ! Maman ! Ah...ça va couper !
- Tu vas te taire ! gronda Benjamin.
- Ah ! hurla Ludivine dans le téléphone. Il m'a coupé la jambe ! Ah, Maman ! Je souffre ! Je souffre ! Je me meurs Maman... Adieu Maman ! Je t'aime ma Maman ! Argh...
Elle raccrocha au nez de sa mère, ravie mais épuisée par tant d'efforts. Benjamin était vraiment prêt à l'étriper.
- Merci Lulu. Ta mère va débarquer pour me trucider maintenant.
- Oui, ma Maman, elle va venir nous sauver, maintenant qu'elle croit que tu me fais du mal, approuva joyeusement la petite blonde.
- Le temps qu'elle prenne l'avion, tu as le temps de finir les essayages. Alors, retourne avec tes costumières.
- Oh non... se désola l'intéressée. J'avais oublié qu'elle était à Londres...
Elle retourna, toute penaude, à ses costumes, et les essayages reprirent avec la rébellion toujours présente dans l'air.
- Vous avez fini vos caprices de star, oui ? Vous vous appelleriez Brad Pitt ou Marion Cotillard, j'aurais peut-être assouvi vos désirs, mais vous n'êtes que la Section A, et que je sache, les Sections A qui se sont succédé dans cette école ont toujours obéi à leur professeur. En l'occurrence, moi.
- Justement, il est temps que ça change ! protesta Xavier.
- Toi, retourne à tes chausses. As-tu oublié que le cheval est la part la plus importante du chevalier ?
Tandis que Pierrick était plié de rire, Benjamin partait s'occuper d'Aline, qui rechignait dans sa robe de mariée noire. Le tulle lui allait pourtant à ravir, mais elle voulait du blanc.
- Non, noir. Point barre. Il faut que tu te distingues d'Ondine, et que tu t'opposes à la lumière... Et puis, il faut que tu sois en deuil, puisque Hans meurt le jour de ton mariage.
Elle ne répondit pas, et se laissa examiner comme une poupée de porcelaine.
- On te laissera les cheveux relevés pour ton mariage, et on te mettra un voile noir à la fin de l'acte, quand ton ex-futur-époux sera mort.
- Joyeux, commenta Aline avec amertume, alors que la styliste prenait note.
La jeune femme partit enfiler son second costume, et revint devant son professeur, qui la contemplait avec émerveillement. Il s'agissait d'une longue robe de cour, noire elle aussi, avec un corset qui lui pressait trop la poitrine.
- Je vais m'asphyxier sur scène.
- Mais non.
- Si. Et tu culpabiliseras tout seul, dans ton coin. Tu regretteras, Benji.
- Caprice de star... sourit l'intéressé, plus indulgent avec la comédienne depuis ses péripéties avec Caroline. Que penses-tu d'une jolie tresse sur le côté, Aline ?
- En toute sincérité, j'en ai rien à foutre du moment qu'on desserre mon corset.
Au grand étonnement de toutes les personnes présentes dans la salle, Benjamin éclata de rire.
Pendant ce temps, Emma se retrouvait à nouveau toute seule. Grégoire avait été obligé de la laisser, car il devait essayer encore deux autres costumes. Ludivine, qui était remontée sur sa tour d'observation (son tabouret), l'observait encore avec une grande curiosité. La jeune femme s'en sortait mieux que la première fois. Sa robe de courtisane était plus facile à vêtir et à reprendre.
La petite blonde vit qu'Emma essayait de piquer le tissu à l'arrière de la robe pour la réajuster au niveau de la taille. Elle était hésitante, du fait qu'elle ne voyait pas ce qu'elle faisait dans son dos, et Ludivine se demanda ce qu'elle risquait à aller l'aider. La réponse s'éclaircit en deux secondes : rien.
La mâchoire d'Emma faillit se décrocher lorsqu'elle aperçut Ludivine, armée de quatre aiguilles, s'approcher dangereusement d'elle. Elle n'eut pas le temps de protester que la petite blonde s'acharnait déjà sur son fessier. L'opération ne dura qu'une minute et dans un silence troublant que la petite blonde interrompit, elle demanda à sa camarade s'il y avait d'autres retouches à faire.
- Non, répondit simplement la piètre comédienne.
- D'accord.
Bien entendu, Emma ne la remercia pas. Non, elle n'était pas habituée à remercier des filles qu'elle ne connaissait pas et qui l'avaient aidée. Elle n'avait jamais vécu une telle situation jusqu'à aujourd'hui. Alors, au lieu de dire merci à Ludivine, elle se contenta donc de lui lancer un regard troublé. Cela parut suffire à la petite blonde. Elle retourna tranquillement vers ses amis qui l'attendaient avec impatience pour la sermonner.
- Ma copine est devenue complètement cinglée... soupira Xavier.
- Tu te rends compte que tu as pactisé avec l'ennemie ?! poursuivit Pierrick, outré par cette trahison.
- Vous ne comprenez pas, fit Ludivine en secouant la tête.
- Quoi donc ?
La comédienne jeta à nouveau un rapide coup d'œil à Emma, qui regardait maintenant la rue depuis la fenêtre, dans sa robe de courtisane.
- Elle souffre.
Extra Deux : Les mathématiques, c'est romantique !
- Hey Xavier, ça n'en jetterait pas d'être comédien ?
- Hum... Rien à foutre...
Devant la vie scolaire du collège, une grande affiche interpellait les élèves sur la création d'un club de théâtre. Pierrick l'observait attentivement, de même qu'une jeune fille brune à côté de lui. À quelques pas de là, une table en bois permettait à Xavier de faire ses devoirs avec le plus grand sérieux. Son meilleur ami semblait dépité.
- T'es sûr que le théâtre ne te tente pas ?
- Absolument certain.
- Et toi, tu ne trouves pas que ça en jetterait d'être comédien ? demanda Pierrick à la collégienne à ses côtés.
- Oui, répondit-elle, hésitante.
- Aha ! Tu vois, Einstein, tout le monde aime le théâtre, sauf toi !
Xavier ne répondit pas, trop concentré sur un problème de trigonométrie. Il avait tant de facilités pour un élève de 3ème que ses professeurs lui donnaient des exercices de niveau baccalauréat scientifique.
- Quel borné, ce type ! se lamenta Pierrick à l'attention de la jeune fille. Enfin, si le théâtre t'intéresse, je sens qu'on va être potes, toi et moi ! Comment tu t'appelles ?
- Aline.
- Moi, c'est Pierrick, et le matheux, là, c'est Xavier. Ignore-le, il ne vit que pour les chiffres !
- Tu veux bien arrêter de me dénigrer ?! s'énerva l'intéressé, en relevant la tête pour la première fois.
Il vit alors Aline et son regard ne se décolla plus jamais d'elle. Son visage blanc comme le lait était encadré par ses cheveux noir de jais, coupés en carré court. Elle n'avait pas de formes, et ses vêtements étaient très simples. Elle semblait si vulnérable avec son air rêveur.
- Oh... souffla-t-il, comme si c'était la première fois qu'il découvrait une fille.
- T'as tes lunettes de travers, remarqua Pierrick d'un air moqueur.
Les joues de Xavier rosirent et il se dépêcha de les enlever à toute vitesse de son nez, par peur d'être ridicule.
- Tu comptes t'inscrire au club de théâtre, Aline ? demanda Pierrick en se tournant vers elle.
- Oui, pourquoi pas ?
- Et moi aussi ! intervint Xavier, en se relevant précipitamment et manquant de trébucher.
Pierrick l'observa, les yeux ronds, surpris par ce soudain changement. Aline avait seulement haussé un sourcil et n'avait rien dit. Or, ce simple geste avait suffi au cœur de Xavier de s'arrêter de battre.
- Ben oui... y'a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis, expliqua-t-il, les joues en feu.
C'est deux semaines plus tard que Pierrick réalisa que son meilleur ami avait le béguin pour Aline. En effet, l'adolescent passait ses récréations à la chercher dans la cour. Il essayait de récolter discrètement des informations sur elle. Son visage s'éclairait à chaque fois qu'il la voyait. Il délaissait ses devoirs de maths et de physique-chimie pour discuter avec elle. Il s'obstinait à la faire sourire. Il cherchait les salles où elle suivait ses cours. Et tout compte fait, s'il avait accepté d'essayer le théâtre... c'était bien pour elle.
- Vite, vite, dépêche-toi ! pressa Xavier, alors que Pierrick galopait cent mètres derrière lui. On va être retard pour le théâtre, et la prof va nous jeter !
- Mais... non... ! s'écria son meilleur ami, épuisé par leur course.
- Si ! Ramène ta fraise !
- Tu cours trop vite !
La salle où le club de théâtre avait trouvé refuge était enfin en vu. Xavier poussa brutalement la porte et y entra en coup de vent
- Les polytechniciens se doivent d'être...
Il se rua sur la chaise libre à côté d'Aline, sans attendre son meilleur ami qui cavalait encore à l'extérieur.
- Sportifs ! souffla-t-il dans un dernier effort.
Tous les regards étaient braqués sur eux, et la jeune fille se cachait le visage, étant trop honteuse pour les affronter.
- Ben quoi ? s'étonna le comédien en herbe.
- Tu aimes vraiment te faire remarquer ! lança Aline, alors qu'il piquait un fard.
Xavier avait tout de suite adopté le théâtre. Sa première fois s'était déroulée avec Aline, sur une scène de Marivaux. Il ne lui en fallait pas plus pour être heureux. Il avait senti le vrai, le faux, le semblant et la comédie couler dans ses veines, comme dans un parfait mélange de liberté. Avec cela, quelques picotements au ventre et des bondissements du cœur lorsqu'il était trop prêt d'Aline.
En somme, sans elle, il n'aurait jamais découvert le théâtre... et le théâtre ne l'aurait jamais découvert.
- Hey Aline, t'as pas cours ? s'écria Xavier, en déboulant dans la bibliothèque.
Il l'avait aperçue derrière la vitre, silencieuse et calme, concentrée sur un devoir d'une matière détestée par les collégiens du monde entier : les mathématiques. Il ne pouvait pas la laisser seule face à cet ennemi, non, il ne le permettrait pas !
Comme d'habitude, il se fit remarquer par son entrée fracassante. La documentaliste n'avait pas oublié de lui jeter un regard noir, qu'il ignora parfaitement. Il s'empressa d'aller s'asseoir à côté de la jeune fille, non sans laisser tomber son sac sur le sol dans un bruit sourd.
- Tu t'es encore fait remarquer Xavier, soupira Aline, sans lever la tête de son devoir. Tu ne peux jamais t'en empêcher...
- En effet, admit l'intéressé, en arrachant la copie des mains de l'objet de ses désirs.
- Hey !
Il l'avait retirée si vite que l'encre avait raturé la largeur de la feuille. Voyant qu'elle allait s'énerver contre lui, il s'empressa de faire disparaître le dégât qu'il avait causé à l'aide de son effaceur.
- Tu sais que tu perturbes mon travail ?
- Oh, ne fais pas genre la fille sérieuse... Je sais que tu sais que je sais que tu m'attendais avec impatience, taquina Xavier. Parce que sans moi, tu es complètement fichue pour ton DM de maths !
- Hum... pas faux.
- Allez, dis-moi... quelle note tu vises ?
- 17, répondit Aline, d'un sourire faussement innocent.
- Et pourquoi pas 20 ?
- Parce que suite à mon quatrième 20, mon prof a commencé à se douter que tu étais derrière tous mes devoirs.
- Tiens, il ne serait pas si con, finalement ?
La jeune fille sourit silencieusement et glissa ses mains dans ses cheveux sombres pour les aérer et les rabattre derrière ses oreilles. De son côté, Xavier essayait de garder son calme. Si elle continuait à l'embêter comme ça, il deviendrait fou. Il aurait donné n'importe quoi pour pouvoir balader lui aussi ses mains dans ses cheveux bruns.
- De toute façon, Pythagore, c'est ton pote, non ?
- T'as raison, on s'entend bien, lui et moi, approuva le jeune homme, en glissant son bras gauche autour de ses épaules.
Aline ne dit rien face à ce rapprochement. Xavier était gaucher et assez rusé pour en profiter. Après avoir lu rapidement l'énoncé du problème, il commençait déjà à rédiger une démonstration, tout en enlaçant innocemment la jeune fille. Et pour être au zénith du confort, il avait posé sa tête sur son épaule.
- Ça va ? C'est bien le Club Med ? se moqua Aline.
- Le pied. Bon... Que dit le théorème de Pythagore ?
- Aucune idée.
- Aline, tu ne fais pas d'efforts.
- Je n'apprends pas, nuance, rectifia l'intéressée.
- Dans un triangle rectangle, le carré de l'hypoténuse est égal à la somme des carrés des deux autres côtés.
- Tu perds ton temps.
Xavier semblait aussi désespéré qu'elle. Il avait beau essayer de lui expliquer ce qu'elle ne comprenait pas en mathématiques ou physique-chimie, il n'avait jamais réussi à obtenir un résultat satisfaisant. Aline boudait les sciences et refusait de faire la paix avec elles. Il renonça donc à lui faire comprendre Pythagore et, sans un mot, finit l'exercice en moins de deux minutes.
- Tu veux une calculette ? proposa Aline, prise de pitié.
- Pas la peine.
Xavier se concentra quelques secondes pour calculer mentalement, et écrivit le résultat en bas de la démonstration.
- Voilà, fit-il en reposant le stylo sur la table. Ça mérite bien un 20 !
- Qu'est-ce que je suis douée ! s'exclama la comédienne, épatée.
- C'est clair, je suis certain que tu cartonnerais en Maths Sup'...
- Merci Xavier !
Elle semblait si ravie que le jeune homme fondit comme une glace au soleil. Il n'avait pas défait son étreinte. Après avoir jeté un regard en coin à la documentaliste, il se pencha vers Aline et déposa un rapide baiser sur sa bouche. L'opération n'avait duré que trois secondes. La responsable de la bibliothèque n'avait absolument rien vu.
- Je t'en prie, le plaisir est pour moi ! hurla-t-il alors qu'elle devenait blanche, puis rouge. Bon, on va dehors ?!
- Je pense que c'est une excellente initiative, intervint la documentaliste, pète-sec. Lusvardi, vous faites tellement de bruit qu'il vaudrait mieux pour vous que vous alliez vous rafraîchir les idées à l'extérieur. Ça vous éviterait aussi deux heures de colle.
- Vous avez raison, Madame. On va sortir prendre l'air. Tu viens Aline ?
Avant qu'elle ne dît quelque chose, il avait déjà rangé toutes les affaires dans le sac de la jeune fille et l'avait poussée dans la cour de récréation.
- Décidément, la discrétion, c'est pas ton truc ! s'exclama Aline, frustrée. Tu imagines, si elle nous avait vus en train de... Oh Xavier, on aurait pu aller chez la Directrice !
- C'est pour ça que j'ai voulu sortir. Je te l'accorde, c'était risqué. Mais c'est marrant de prendre des risques, non ?
Le hasard avait voulu que Xavier, Aline et Pierrick fussent scolarisés dans l'un des collèges les plus stricts de la capitale. Madame la Principale interdisait les chewing-gums dans les classes, les téléphones portables, la drogue, les cigarettes, les tenues indécentes, les piercings, et les relations amoureuses. Le dernier point était certainement le plus effrayant pour les élèves, car le personnel du collège faisait la chasse aux amoureux se montrant en public. La punition était sévère, à savoir un entretien avec la Principale et quelques heures de colle à la clef.
Heureusement, Xavier était un génie dans l'art de dénicher des cachettes plus introuvables les unes que les autres... et assez grandes pour deux ! Recroquevillés derrière un banc isolé au fond de la cour, ils purent laisser libre cours à leurs sentiments.
Cependant, quand la récréation fut annoncée par la sonnerie, Pierrick s'inquiéta de l'absence de ses deux amis. Il les chercha dans tous les recoins du collège sans réussir à mettre le grappin sur les disparus. Dépité, il décida d'aller s'asseoir sur un vieux banc isolé à l'autre bout de la cour, pour ruminer à son aise. Quelle fut sa surprise lorsqu'il découvrit la présence de deux amoureux qui s'embrassaient à pleine bouche derrière lui ! Et en plus, il les connaissait !
- Aaaah ! hurla Pierrick, après s'être retourné pour les observer.
Son long cri résonna dans tout le collège. Aline avait eu peur, et Xavier était furieux que son meilleur ami les fît remarquer.
- Ta gueule, Pierrot !
- Aaaaaaaah ! continua le comique, terrifié, debout sur le banc.
- Pierrot ! supplia Aline.
- Ah ! Je suis choqué ! Mon Dieu ! Vous n'avez jamais pensé que si la Directrice a interdit les couples, c'était pour ne pas choquer mon âme sensible ?!
- C'est bien toi qui parles ? Toi, qui lit des magasines pornos en cachette en cours de maths ? se moqua Xavier.
- Je ne vois pas de quoi tu parles, feignit Pierrick, les mains dans les poches.
- Vous allez descendre de ce banc, jeune homme ?! s'écria la surveillante générale, qui arrivait à toute allure vers le jeune garçon.
- Oui, oui...
- Je peux savoir ce que vous faisiez ?
- J'étais en train de me demander si les escargots aimaient la haute voltige.
La surveillante fronça les sourcils et s'approcha de Pierrick, qui essayait de cacher du mieux qu'il pouvait l'arrière du banc. Avant qu'elle ne découvrît la fameuse cachette, Xavier jugea bon d'intervenir et montra le bout de son nez, tout en empêchant sa petite amie de faire de même.
- Et vous, qu'est-ce que vous faites derrière ce banc ?! demanda sévèrement la femme.
- Madame ! Regardez ce que j'ai trouvé ! s'exclama le comédien en brandissant une pierre quelconque qu'il avait ramassée.
- C'est une pierre, constata-t-elle, pète-sec.
- Non, ce n'est pas une simple pierre. L'érosion l'a complètement transformée. Cette pierre, Madame, a connu la mer, le courant, le vent, le sable... J'ignore pour le moment tout de ses origines, mais à en juger les traces qu'elle porte, je pense que c'est la Seine qui l'a transportée jusqu'ici.
Un bobard. La surveillante, sans doute exaspérée, baissa les bras et laissa les adolescents en paix. Aline était bien contente de pouvoir se dégourdir le corps quand la femme eut le dos tourné.
- On l'a échappé belle, souligna-t-elle, en se dépoussiérant.
- Oui, on peut dire merci à Pierrick, ironisa Xavier.
- Je vous en prie, les amis, c'est gratuit, s'exclama l'intéressé.
Aline savait qu'en sortant avec Xavier, elle se ferait beaucoup plus souvent remarquer. Ils prenaient certains risques, mais essayaient de limiter les dégâts. Pourtant, un jour, l'adolescent embrassa suavement sa petite amie sur un coup de tête dans le champ de vision de la Principale. Évidemment, celle-ci les prit en flagrant délit, et très vite, tout l'établissement était au courant de l'idylle entre les deux comédiens.
Deux heures de colles le mercredi après-midi. Les parents avaient été avertis et convoqués. Les deux élèves avaient eu aussi droit à un entretien sévère avec la Principale, dans lequel ils s'étaient amoureusement rebellés.
- Veuillez vous lâcher la main, s'il vous plaît, ordonna la Directrice.
Xavier et Aline ne répondirent pas, et leurs mains étaient toujours enlacées.
- Lâchez-vous les mains.
Aucune réponse. Aucun mouvement. La Directrice se leva, furieuse, non sans les mitrailler du regard.
- Je vous assure que vous quitterez ce bureau séparément ! s'écria-t-elle, en s'avançant d'un pas menaçant vers eux.
Aline ne put s'empêcher de frissonner et se jeta dans les bras de Xavier, qui les referma aussitôt comme pour la protéger. Ils se serraient fort. Accrochés l'un à l'autre de cette façon, on ne pouvait pas les décoller. Ils étaient intouchables, et cela agaçait au plus haut point la Principale.
- Réfléchissez bien... Vous ne voulez quand même pas que je quitte le collège ? demanda alors malicieusement le jeune homme, certain de son effet.
Il était le meilleur élève de l'établissement, elle le savait. Il était sa fierté. Il avait déjà participé à des concours de mathématiques où il s'était hissé parmi les cinquante premiers dans le classement national. S'il partait, il dérobait avec lui la réputation de l'école.
- Je ne veux pas vous renvoyer, expliqua-t-elle, pour essayer de le rassurer (et se rassurer elle-même).
- Et si moi, je partais de mon plein gré ?
Et évidemment, avec une telle menace proférée, Xavier avait mené l'entretien comme il l'entendait. Quand le couple sortit du bureau de la Principale, toujours main dans la main, la punition n'avait quand même pas été enlevée. Mais leur triomphe fut qu'elle n'arrivât pas à les séparer comme elle se l'était promis.
Même durant les deux heures de colle qu'on leur avait infligées, même en les mettant chacun à un bout de la salle, Xavier et Aline arrivaient à se rejoindre. Dès que la surveillante avait le dos tourné, ils collaient leurs deux tables côte à côte, et rédigeaient tranquillement leurs cent lignes (« Je ne dois pas avoir de relation amoureuse au sein de l'établissement »). Xavier écrivait de sa main gauche, Aline de sa main droite, et leurs mains libres étaient amoureusement enlacées, bien en vue de la surveillante, qui enrageait de ne pouvoir les séparer. En plus des cent lignes, Xavier, qui poussait la provocation jusqu'au bout, écrivait cent fois à la suite de ses copies « Je veux être avec Aline ».
Les heures de colle ne les empêchaient pas de recommencer à s'embrasser et se câliner dans la cour de récréation. Ils se faisaient surprendre, et ils commençaient à aimer ça. Les retenues s'accumulaient, les copies avec écrit « Je ne dois pas avoir de relation amoureuse au sein de l'établissement » et « Je veux être avec Aline » s'empilaient les unes sur les autres. Les surveillants avaient essayé de les mettre dans une salle différente, mais l'un ou l'autre s'échappait pour retrouver celui ou celle qu'il ou elle aimait. Rien, non, absolument rien, ne pouvait séparer Aline et Xavier. Sauf eux-mêmes.
En un mois de couple, Xavier et Aline avaient décidé de se marier à l'âge de 24 ans. Ils iraient à Tahiti pour leur voyage de noces. Ils auraient trois enfants, s'appelant éventuellement Élodie, Quentin...
- Enzo ! proposa la jeune fille, allongée contre Xavier sur son lit.
- Non, pas Enzo ! C'est pourri ! Que penses-tu de Théo ou Bastien ?
- Je déteste.
Pierrick leur avait proposé Richard et Alfred, mais les deux amoureux l'avaient rapidement rendu muet (avec une pomme coincée dans la bouche). Ce n'était quand même leur témoin de mariage et le parrain de leurs enfants qui allait prendre toutes les décisions à leur place !
Mais très vite, au bout de trois mois à vivre d'amour et d'eau fraîche, une routine s'installa. Peut-être étaient-ils trop jeunes pour faire d'immenses projets. Peut-être n'étaient-ils pas compatibles avec cette routine encombrante. Quoiqu'il en fût, l'habitude avait marqué leur rupture.
Ils s'étaient donné rendez-vous dans un petit parc, et d'un commun accord, ils avaient déclaré que cette routine ne leur collait pas à la peau. Ils s'aimaient à la folie... mais ils s'ennuyaient. Ils voulaient faire une pause... pour reprendre leur histoire plus tard.
Cependant, se quitter engageait à ne plus se fréquenter, et Xavier était bien incapable de couper les liens avec Aline. Il lui proposa donc une place particulière dans son cœur. Celle de meilleure amie.
- Aline, tu sais que je t'aime... mais je ne veux pas te perdre.
Et dès ce jour où elle avait accepté sa proposition, tout avait changé... sans vraiment changer. Ils avaient gardé une complicité mystérieuse qui intriguait leur entourage. Ils étaient toujours proches, toujours ensemble, à faire les 400 coups au collège avec Pierrick. La routine était brisée, le contexte avait changé.
L'année d'après, Xavier fit son entrée au lycée, laissant Aline et Pierrick seuls au collège, qui se retrouvèrent pour la première fois dans la même classe. Hélas, contrairement aux prévisions de Xavier, de nombreuses choses commencèrent à changer...
- Xavier, je suis sérieux. Elle a changé. Tu ne t'en rends pas compte, mais je la vois tous les jours... Elle a changé depuis que t'es partie. C'est plus la même.
Pierrick avait bien du mal à convaincre son meilleur ami. Ce dernier, têtu comme une mule, se demandait bien comment Aline, si réservée et silencieuse, pouvait devenir une bombe et mener ses camarades par le bout du nez.
- Elle a frappé Samuel, parce qu'il lui avait mis la main aux fesses !
- Et alors ?! Elle a bien fait ! J'aurais fait pareil ! remarqua Xavier, peu inquiet.
- Elle a insulté Nadine de « salope sans cervelle » !
- Elle n'a pas tort.
- Elle a dit à la prof de français d'aller se faire foutre !
- Ah ?
- Et t'as vu comment elle s'habille ?! On voit presque tout ! Tu veux que je te dise ? Ce n'est pas une graine de comédienne, c'est une graine de délinquante ! Aline n'est plus notre Aline d'avant !
- Quoi ?! Jure, Pierrick !
- Je te promets.
Xavier s'était précipité chez elle, effrayé à l'idée que son petit bébé fît une grosse crise d'adolescence tardive. Minishort, minijupes, hauts transparents rose fluo, vernis à ongles jaune pétant, noir, vert, bleu flashy, mèches roses et violettes dans les cheveux... Telle fut la façon dont la jeune fille accueillit son ex-petit ami chez elle. L'excentricité d'Aline n'avait pas de limites et prenait de court son meilleur ami.
- Ça va, Aline ?
- Ouais ! Pourquoi ça n'irait pas ?
- C'est quoi ce nouveau look ?
- Ça te plait ? Tu aimes ? voulut-elle savoir avec une impatience qu'elle avait du mal à cacher.
- Euh... ça change... t'es pas mal... mais je te préférais avant.
Je te préférais avant. Ces quatre mots suffirent à blesser Aline, qui n'hésita pas à faire du shopping dans l'heure qui suivit pour changer sa garde-robe. Son excentricité baissa donc d'un ton, mais pas entièrement. Xavier avait même été obligé de l'accompagner pour qu'il la conseillât. Elle voulait encore lui plaire.
Elle retrouva une partie de son sérieux (mais, là encore, pas totalement) au collège, animée par le désir ardant de continuer ses études dans le même lycée que Xavier. Quand cela arriva, elle connut une forte déception. Lui aussi avait changé. Il travaillait, il passait ses récrés avec Pierrick et elle... mais il traquait les filles susceptibles de rendre son adolescence plus intéressante. Il ne sortait pas longtemps avec elles, et Aline aimait croire qu'il reviendrait vite vers elle. Là aussi, elle n'avait pas pensé que la déception frapperait une nouvelle fois à sa porte.
- Tu sais, Aline... Aucune fille n'a jamais été aussi bien entourée que toi, lança Pierrick d'une voix endormie.
- Je m'en rends compte. Mais si tu pouvais au moins cesser de tripoter mon nombril, Pierrot...
- C'est pas moi, c'est Xavier.
- Non, ce n'est pas lui, puisqu'il a ses mains sur... Oh ! Xavier, enlève tes mains de mes fesses ! s'écria la jeune fille, en balayant les mains un peu trop baladeuses de son meilleur ami.
Pierrick avait invité ses deux meilleurs amis chez lui pour passer une « bonne soirée entre copains », et comme d'habitude, ils s'étaient retrouvés à trois dans le lit, prêts pour une nuit assez agitée. Aline était au milieu du lit, bloquée par deux jeunes hommes assez encombrants.
- Xavier ! Bas les pattes ! Et toi, Pierrot, tu peux foutre la paix à mon nombril ou c'est trop te demander ?!
- C'est trop me demander.
- Xav', arrête, j'ai dit ! Putain, mais vous allez me rendre folle !
- Mais tu es déjà folle de nous, remarqua Xavier, qui dormait à moitié.
Pierrick alluma sa lampe de chevet, afin d'admirer Aline, rouge de fureur, assise sur le lit.
- Je vous préviens, si vous recommencez, je vais dormir dans la chambre de Mary-Lou !
- Et Mary-Lou, elle va dormir où ? Dans la baignoire ? se moqua Xavier.
- Allez, recouche-toi, Aline. On te promet de ne plus recommencer.
- Vos promesses, je les connais ! Vous ne les avez jamais tenues !
Les deux comédiens soupirèrent et obligèrent leur amie à se rallonger près d'eux. Ils lui firent même chacun un bisou sur la joue pour l'apaiser.
- Allez, Aline, fais un gros dodo...
- Oui, Aline, dors bien. Mais avant, peux-tu nous dire si on a le droit de se promener sous ton T-shirt ? voulut savoir Pierrick.
- Non.
- D'accord.
Pourtant, vers trois heures du matin, les quatre mêmes mains étaient reparties en ballade. Aline se félicitait de ne dormir que d'un œil. Il fallait s'attendre à ce genre de situation, quand on était très proche de deux adolescents bourrés d'hormones de 17 ans.
- Qui ose s'aventurer là où c'est strictement interdit ? marmonna-t-elle, en donnant des petits coups de pied à ses voisins.
Pour toute réponse, Xavier et Pierrick ronflèrent avec innocence.
- Xavier... C'est toi qui te ronges les ongles, non ?
Le jeune homme émit une réponse inaudible, mais Aline n'était pas du genre à abdiquer.
- Alors, enlève tes pattes de ma poitrine ! hurla-t-elle à pleins poumons. Et toi, Pierrick, je t'ai déjà dit de laisser mon nombril tranquille !
Effrayés, les deux comédiens sursautèrent, tandis qu'elle rallumait la pièce, prête à les étriper tous les deux.
- C'est Xavier, c'est Xavier ! s'exclama Pierrick, toujours endormi.
Aline se fichait de savoir qui était le plus coupable des deux, et les gifla sans retenue. Ils gémirent tout en se massant la joue.
- Mais Aline... bredouilla son ex-petit ami.
- On peut bien en profiter, non ? Après tout, avant, on ne pouvait rien faire puisque tu étais plate comme une planche à pain... Aïe ! Mais pourquoi tu me frappes ?!
- Je ne peux plus dormir avec vous, décida la comédienne. Ça devient indécent.
- Mais non, ça ne devient pas indécent, contredit Xavier. C'est juste amical et... affectif.
- Oui, affectif, approuva son meilleur ami, en souriant de toutes ses dents.
- Vous êtes deux gros pervers ; je risque ma vie en restant la nuit avec vous.
- On s'en fout, t'es plus vierge.
Après réflexion, Xavier pensa qu'il avait peut-être bien mérité la nouvelle gifle qu'il avait reçue.
- Mais en fait, c'est le matheux le plus dangereux ! s'exclama Pierrick, pour sauver sa peau. Éloigne-toi de lui, Aline, c'est un croqueur de femme, ce mec !
- Mais je l'ai déjà croquée, Aline... Et elle était bien bo...
Il ne put finir sa phrase, tant les deux gifles qui suivirent lui coupèrent le souffle. Là aussi, il se dit qu'il aurait pu être plus délicat avec la jeune fille.
- Excuse-le Aline... Tu sais, quand il dort, il part dans de gros délires.
- Les maths, c'est romantique... lança alors Xavier.
- Qu'est-ce que je disais ? se moqua Pierrick.
- Oui, les maths, c'est romantique... Surtout quand on embrasse une fille entre deux théorèmes, n'est-ce pas Xavier ? ironisa Aline.
- Oui... fit rêveusement l'intéressé. Au lycée, il y a une fille... J'aimerais bien lui apprendre tous les théorèmes du monde...
Choqués, Pierrick et Aline se regardèrent, bouche bée. Lorsqu'ils retombèrent sur terre et décidèrent d'harceler leur meilleur ami à ce propos, ce dernier s'était déjà rendormi, bercé par ses rêves farfelus.
- C'est elle, chuchota Xavier, en désignant une lycéenne dans l'angle de la cour de récréation.
- La grande blonde ? s'étonna Pierrick.
- La grande pimbêche ? répéta Aline sur le même ton.
- Ouais... Elle est merveilleuse, vous ne trouvez pas ?
- Euh...
- Et bien...
- Il faudrait que je trouve un moyen de l'aborder... Excellent exercice d'improvisation, qui joint l'agréable à l'utile.
- C'est ça... Perfectionne-toi, la prof d'art dramatique sera contente, soupira Pierrick, tandis que son meilleur ami s'éloignait déjà vers l'objet de ses rêves.
Les deux comédiens restants décidèrent de se cacher derrière une colonne pour observer Xavier à l'acte. Ce dernier accostait justement la blonde et son amie avec plein d'entrain et une grande assurance.
- Salut ! Excusez-moi de vous déranger les filles, mais l'une de vous n'aurait pas une calculatrice à me prêter s'il vous plait ? J'ai un DS coefficient 9 demain, et la mienne m'a lâché la semaine dernière. Je suis vraiment dans la merde.
La copine de la blonde fut la première à secouer négativement la tête, sans un mot, pour lui faire comprendre qu'elle n'en avait pas, ou que dans le cas contraire, elle ne la prêtait pas à des inconnus.
- Je peux te prêter la mienne, si tu veux, proposa alors la fille à qui Xavier voulait apprendre tous les théorèmes du monde.
- Merci, c'est vraiment gentil. C'est une calculette scientifique ?
- Elle fait le minimum, les graphiques, les fonctions... ce genre de choses, quoi, répondit la blonde en sortant l'appareil de son sac.
- Ça devrait suffire, mentit le jeune homme, sachant que c'était loin d'être suffisant.
- Il est quand ton interro ?
- Demain matin, de 8 à 10 heures. Dis, je te rejoindrai en quelle salle pour te la rendre ?
- C317.
- Tu n'en as pas besoin, au moins ?
- Non, non. Je n'ai pas maths renforcées avant mercredi.
- Maths renforcées ? répéta Xavier, soudainement intéressé.
- Oui. Je suis en Première économique. Et toi ?
- Terminale S... je te laisse deviner la spécialité.
- Si je me fie au coefficient 9 de ton DS, je pense que ça ne peut être que les maths, plaisanta la jeune fille, en lui tendant sa calculatrice.
- Caroline... grinça son amie, agacée que la conversation s'allonge.
- Oui... euh... On doit y aller.
- OK. À demain, alors.
Xavier fondit quand Caroline lui sourit une dernière fois, avant de se faire entraîner par sa copine. De son côté, il se hâta d'aller raconter toute sa conversation à Pierrick et Aline.
- Quand je vous disais que les maths, c'est romantique ! Elle m'a prêté sa calculatrice !
- Mais t'en as déjà une qui fait toutes les choses inimaginables ! protesta Pierrick.
- Elle n'était pas censée savoir... souligna malicieusement le comédien.
- Et ça te sert à quoi d'avoir la sienne, au juste ? se moqua Aline, frustrée.
- Ça me sert à lui laisser un petit mot gentil.
Mêlant le geste à la parole, il sortit de son sac un crayon gris et inscrivit un message à l'intérieur du couvercle de la calculatrice.
« Merci. Je te trouve très mignonne. Tu ne voudrais pas sortir avec moi ? Xavier. »
- Oh ! T'es dingue ! s'écria Pierrick, tandis qu'Aline avait l'impression d'être poignardée.
- Non. Attends, je rajoute mon numéro de téléphone.
- Au moins, ça a le mérite d'être direct !
- N'empêche, j'ai un peu peur de sa réaction quand elle va lire ça...
- Une chose est sûre, déclara son meilleur ami. Soit elle hurle, soit elle rêve !
Et Caroline avait passé son mercredi entier sur un petit nuage.
- Mais va le voir ! Appelle-le ! Qu'est-ce que t'attends ?! pressa son amie, durant un cours de maths, alors que la blonde dévorait sa calculatrice du regard.
- J'sais pas... Il va me prendre pour une cruche...
- Mais non ! Tu lui plais, il te plait, alors où est le problème ? En plus, il est super mignon !
- Hum...
À la récréation, elle l'avait cherché partout pour faire plus ample connaissance et l'avait trouvé avec une fille dans les bras. Elle ne savait pas encore qu'Aline était seulement la meilleure amie (très proche) du jeune homme, mais cette première impression ne l'avait plus jamais quittée.
- Hey... Aline... articula difficilement Pierrick, en prenant sa meilleure amie par les épaules. Que penses-tu de la petite rousse avec les plumes bleues dans les fesses ? J'adore... comme elle se trémousse !
- T'es bourré, Pierrot.
- Moi, je la trouve très charmante... J'irai bien la retrouver dans sa loge...
- T'es déjà maqué, Xavier. Alors, tu me la laisses !
- Roh ! T'as vu la poitrine de la blonde ?! s'exclama l'intéressé, sans lui prêter attention.
Caroline n'avait pas voulu les accompagner au Moulin Rouge, pour fêter la majorité de Pierrick. Aline ne pouvait pas rater cet événement, même si elle éprouvait plus de dégoût que de l'excitation face aux danseuses. Pour leur meilleur ami, Xavier et elle n'avaient pas hésité à investir leurs économies dans un cabaret. Seulement, à présent, la jeune femme regrettait amèrement de ne pas avoir proposé une petite soirée entre amis toute simple.
- Vous êtes humiliants, je ne vous connais pas.
- Roh, Aline ! s'écrièrent les deux garçons.
- C'est vrai. Tout le monde vous regarde !
- Mais non, c'est toi qu'ils regardent...
- Je suis certain qu'avec des plumes dans les fesses, tu ferais un tabac sur scène.
- Dans tes rêves, Pierrot.
Comme toute parfaite meilleure amie, elle avait ramené les deux comédiens, ivres morts, chez Pierrick. Durant tout le chemin, ils s'étaient accrochés à elle pour ne pas tomber. Elle les avait couchés dans le grand lit et les avait déshabillés, n'arrivant pas à leur reprocher leur comportement. Quand ils avaient essayé de dégrafer son soutien-gorge en utilisant la ruse, elle ne les avait pas giflés. Elle les avait seulement poussés sur le matelas.
Le problème, si c'en était un, était là. Elle les aimait trop.
- Xavier, samedi soir, tu comptes dormir à la maison ?
- Et bien Aline... À vrai dire, je voulais te prévenir...
- Ah non ! Ne me dis pas que tu as décidé de ne plus venir !
- Caroline m'a invité chez elle et...
- Moi, je t'ai invité avant elle ! s'écria la jeune femme, furieuse.
- Oui, mais c'est l'anniversaire de sa sœur, et elle voulait que je sois là, et...
- Et donc, tu m'as annulée. Merci Xavier. J'apprécie ton sens de l'amitié.
Aline s'éloigna promptement dans la rue, essayant d'esquiver son meilleur ami qui voulait la rattraper.
- Linette, je t'en prie...
- Tu passes tous tes week-ends chez elle... et ça, depuis huit mois ! Même Pierrick en a assez ! Et moi, je commence à craquer parce que tu avais dit que « rien ne changerait », et qu'au final, tu as complètement menti ! Est-ce que tu sais à quand remonte la dernière fois qu'on a dormi ensemble, toi, Pierrot et moi ?
- Je sais, ça fait très longtemps... Mais maintenant que je suis avec Caro, il faut aussi que je passe du temps avec elle, et...
- Et c'est pas une raison pour zapper tes amis pour une...
- Fais gaffe à ce que tu dis, Aline, coupa sévèrement Xavier.
- Je ne l'aime pas ta Caro. C'est tout.
- Et moi, je l'aime.
- Ta gueule. Je te préviens Xavier, c'est elle ou moi !
Pendant ces deux ans de couple, Xavier s'était toujours très bien débrouillé pour ne pas répondre à cette terrible question. Il ne pouvait pas afficher sa préférence entre les deux femmes de sa vie. C'était comme si ses yeux et ses oreilles posaient un ultimatum à sa cervelle, dans le genre « C'est la vue ou l'ouïe ! Tu préfères quoi ? Être aveugle ou sourd ?! ». Or, c'était impossible de faire un choix entre la vue et l'ouïe, entre Aline et Caroline.
- Dis Xavier, on va au cinéma samedi ? demanda Caroline, en enlaçant le cou de son petit ami qui faisait ses devoirs envoyés par le CNED.
- C'est que... J'ai déjà promis à Aline de lui consacrer tout le week-end...
Caroline souffla bruyamment, exaspérée.
- Tu ne vas quand même pas me laisser seule pendant deux jours !
- T'es une grande fille, tu vas t'en sortir.
- Xavier, je ne plaisante pas, fit la jeune femme en s'asseyant sur son bureau. Tu préfères passer tes journées avec elle plutôt qu'avec moi...
- Je t'en prie Caro, ne recommence pas avec ça ! Et si tu pouvais, par la même occasion, cesser de t'asseoir sur mes exos de maths, je t'en serais très reconnaissant !
Levant les yeux, elle se débarrassa des feuilles doubles sur lesquelles elle était assise, et les roula en boule de papier avant de les jeter à la corbeille. Xavier connaissait sa vilaine manie de jeter tout ce qui la dérangeait à la poubelle. Elle s'était même débarrassée une fois de sa carte d'identité.
- Hey ! Vas-y, jette aussi mes livres, je te dirai rien !
- C'est vrai ? demanda-t-elle, pleine d'espoir.
- Non.
- Oh... et ça, ça peut rejoindre tes maths ?
- Non, pas ma chimie. J'ai passé trois heures dessus.
- D'accord, répondit simplement Caroline, en roulant en boule la copie et la jetant à la poubelle.
- Alors, là ! Trop, c'est trop ! Je vais te punir pour cet affront ! s'écria Xavier.
Il se leva précipitamment de son bureau et souleva sa petite amie pour se catapulter avec elle sur son lit. Caroline riait, épanouie comme jamais, et se laissait câliner par le comédien.
- Xavier, fais-moi plaisir... murmura la jeune femme.
- Tout ce que tu veux... lui répondit l'intéressé, qui ne l'écoutait que d'une oreille tant il était absorbé par la poitrine de Caroline.
- Décommande Aline.
- Xavier, c'est elle ou moi ! s'écrièrent d'une même voix furieuse Aline et Caroline.
- Arrêtez putain, mais arrêtez ! Vous allez me rendre fou ! explosa le jeune homme. Arrêtez, bon sang, je vais péter un câble !
Ce jour dramatique arriva environ un mois et demi après le week-end consacré à Aline. Ce jour-là, la jeune femme avait eu un mauvais pressentiment concernant son meilleur ami. Pressentiment qui s'était vérifié par un texto urgent envoyé par le portable de Xavier.
« Ramène ta fraise. Liz. »
Jamais Aline n'avait eu aussi peur de sa vie. Elle avait sauté sur son scooter et avait mis le turbo jusqu'à Montmartre. Dans Paris, elle roulait tellement vite qu'elle avait même eu un accident. Une Smart qui avait freiné précipitamment, et qu'Aline n'avait pas imitée. Elle ne s'était même pas rendu compte qu'elle avait été expulsée du scooter. Elle était légèrement blessée, mais ne pensait pas à la douleur. Elle voulait voir Xavier. Vite. Tant pis pour ses mains et ses genoux en sang.
Elle s'était à peine excusée et avait laissé son numéro au propriétaire de la Smart, pour qu'ils établissent le constat amiable plus tard.
- Aline ! Dans quel état tu es ?! Mon Dieu, mais qu'est-ce qui t'est arrivé ?! paniqua Elena, quand elle découvrit la jeune femme sur le seuil de la porte.
Elle n'avait pas répondu et s'était précipitée dans la chambre de Xavier pour le découvrir en larmes, tordu en deux sur son lit et accroché comme un dément au cou de sa sœur. Si les hommes ne pleuraient jamais, les rares exceptions étaient dues à une intense douleur intérieure. Là, dans le cas de Xavier, c'était son cœur qui avait été sauvagement poignardé par l'amour de Caroline.
- Elle est là, rassura Liz, en pressant son petit frère contre elle, tandis qu'Aline sautait sur le lit.
- Mon pauvre Xavier... qu'est-ce qu'elle t'a fait ? chuchota-t-elle, en recouvrant son visage de baisers.
- Tu veux que je te le dise ?! Cette pétasse s'est tapé un autre mec ! s'écria Liz, hystérique.
- Putain.
- Je veux mourir, murmura Xavier, désespéré.
- T'occupes, t'as rien d'autre à faire ? T'as pas un concours à passer dans quatre mois ? répliqua sa sœur, pète-sec. Je te jure, cette fille, je la revois une seconde fois dans ma vie, je la déchiquette en petits morceaux !
- Moi, je la ferai payer, fit calmement Aline. Je te promets Liz, que je vais aller la trouver, et que je vais lui faire payer.
- T'y vas pas sans moi, petite conne. Je t'accompagne.
Elles étaient allées toutes les deux chez Caroline, malgré les supplications de Xavier qui ne désirait pas qu'elles lui fissent du mal. Assurément, Caroline n'avait (presque) rien senti. Liz et Aline s'étaient mutuellement retenues de refaire le portrait de la blonde pour faire plaisir au jeune homme. Deux claques. C'était tout ce qu'avait reçu Caroline, qui s'était considérée comme une miraculée.
Xavier était de plus en plus mal. Il avait perdu l'appétit et, en l'occurrence, du poids en peu de temps. Il ne tenait pas debout, et restait assis toute la journée et toute la nuit à son bureau, à résoudre des exercices de maths. Il ne voyait plus rien à force de plonger dans ses calculs compliqués. Pierrick essayait de le raisonner tandis qu'Aline usait de la méthode forte : les gifles. Sa mère se faisait un sang d'encre pour lui, et Liz avait très envie de jeter son frère par la fenêtre, tellement il l'exaspérait par son attitude.
- Mon cœur, tu devrais avaler quelque chose, conseilla Elena, alors qu'ils étaient à table.
- Pas faim.
- Tu manges, ordonna Aline.
- Non.
Une gifle raisonna dans la cuisine.
- Tu manges !
- Allez, Xavier, ouvre la bouche, que Maman Aline puisse te donner la petite cuillère. Ouvre la bouche, l'avion s'apprête à atterrir ! se moqua Pierrick.
Xavier ouvrait donc la bouche, mais il n'arrivait pas à avaler la nourriture, et recrachait tout dans son assiette. Liz était au bord de la crise de nerfs, et à deux doigts de prendre des calmants.
- Bordel ! Quand est-ce que tu vas te mettre à manger, petit con ?!
Aline, ne pouvant veiller continuellement sur son meilleur ami, avait supplié Liz de bien garder les deux yeux sur lui. Hélas, Xavier était plus intelligent que sa sœur, et dès qu'il pouvait à nouveau tenir sur ses deux pieds, s'enfuyait lorsqu'elle avait le dos tourné. Quand il revenait, vers trois heures du matin, Liz l'attendait de pied ferme et le giflait pour lui faire regretter son comportement.
- Petit con ! Va te coucher !
Avant qu'elle ne l'eût poussé dans sa chambre, il devenait à chaque fois vert concombre, prêt à vomir sur le tapis du salon.
- Pas sur moi ! hurlait Liz. Putain, t'as encore bu ! T'as pas encore compris que ce n'est pas bon de mélanger l'alcool avec les médicaments ?!
La première fois que Xavier rencontra Benjamin, il pleuvait. C'était deux semaines après sa rupture brutale, et les antidépresseurs commençaient lentement à faire effet. En dépit de lui-même, le jeune homme avait promis à Aline de sortir de sa sombre chambre, et de venir la chercher à la sortie des cours.
Il était debout, immobile devant l'ancienne façade de l'école de théâtre. Il attendait, imperturbable, sous la pluie.
- Hey, tu devrais rentrer, tu ne crois pas ? Sinon, tu vas finir trempé jusqu'aux os.
Cet homme quarantenaire, qui l'avait abordé, se tenait dans l'encadrement de la porte principale et le considérait avec beaucoup d'attention.
- Je ne suis pas de l'école.
- Qu'est-ce que tu fous planté devant, alors ?
- J'attends des amis.
- Tu n'as qu'à les attendre à l'intérieur.
Le jeune homme hésita, mais Benjamin lui faisait signe de le rejoindre, alors il obéit sagement.
- Tu peux t'asseoir aussi, proposa le prof, en lui désignant les fauteuils rouges qui paraissaient très confortables.
- Non, je ne sais pas si...
- Tes amis ne finissent les cours que dans une heure. Tu es arrivé trop tôt. Assis-toi.
N'osant pas refuser une nouvelle fois, Xavier s'effondra lamentablement sur le premier fauteuil venu, et Benjamin l'imita, mais de façon plus délicate.
- Ça ne va pas ? s'inquiéta le prof en scrutant le visage fatigué du jeune homme.
- Si, mentit l'intéressé.
- Arrête, t'as vu ta tête ? T'as des cernes énormes, t'es blanc comme un mort, t'es maigre comme un clou... En toute honnêteté, tu ne ressembles à rien.
- Je suis dans une mauvaise période, expliqua Xavier, légèrement énervé. Je ne dors pas la nuit. Je pleure le jour. Je ne mange plus, et j'ai envie de me suicider. Ça vous suffit comme explication, ou je dois vous donner encore plus de détails ?!
- C'est grave, constata Benjamin.
Un nouveau silence tomba entre eux. Le jeune homme n'avait pas la moindre envie de parler, mais le prof avait le talent inné de rendre la parole aux muets.
- Qui sont tes deux amis ?
- Aline et Pierrick. Ils sont en Section B.
- Ah... je vois.
- Comment ça, vous voyez ?
- Ils se font assez remarquer, ces deux-là, pouffa Benjamin. J'ai entendu dire qu'ils font tourner en bourrique notre standardiste. Je ne les ai pas en cours, mais s'ils sont dans ma classe l'an prochain, je sens que ça risque d'être mouvementé !
- Pierrick est hyperactif.
- Ouais, on s'en rend vite compte. Je n'ai jamais vu un garçon aussi excité !
C'est de cette façon que Benjamin réussit à arracher un premier sourire à Xavier, si maigre soit-il.
- Qu'est-ce que vous faites ici, vous ?
- J'enseigne en Section A.
- Ah. Et vous n'avez pas cours maintenant ?
- Non. J'ai lâché mes élèves dans Paris avec quelques caméras, pour qu'ils me ramènent un joli court-métrage. T'es pas censé être en classe, toi aussi ?
- Et bien... c'est-à-dire que je bosse à la maison.
- Tu suis des cours par correspondance ?
- Oui, par le CNED.
- Et tu fais quoi ?
- Une prépa scientifique.
- Oh... Balèze ! Tu prépares quel concours ?
- Polytechnique.
Durant cinq secondes, Benjamin ne sut quoi répondre pour la première fois de sa vie. Il se ressaisit bien vite et en profita pour faire parler davantage Xavier.
- L'École Polytechnique ? Tu sais que tu t'attaques à un gros morceau ?
- Oui, je sais.
- Tu penses y arriver ?
- Oui. Je réussirai.
Le prof resta scotché une seconde fois. Ce garçon était décidément bien surprenant !
- J'ai de l'avance, expliqua Xavier. Quand je déprime, j'ai tendance à me renfermer dans les maths. Je peux passer mes journées entières à faire des maths. Et en ce moment, comme je déprime beaucoup, je ne fais que ça. Ça me change les idées. Alors, avec tout ce que je maîtrise, mon concours, je l'ai déjà dans la poche. C'est garanti.
- Et ben... fit Benjamin, impressionné.
- Mais même si je l'ai, je n'irai pas là-bas.
- T'es dingue ou quoi ?! C'est la chance de ta vie, mon gars ! Si t'es si intello que ça, pourquoi tu...
- C'est trop prestigieux pour moi. Je n'ai pas les moyens. Je dois m'occuper de ma famille. Vous comprenez, si mon père vivait encore avec ma mère, je pourrais aller sans problème à Polytechnique... Mais ce n'est pas le cas. Ma mère est caissière. Ma sœur ne travaille pas. Mes petits boulots ne suffisent pas à satisfaire tous les besoins de ma famille. Et ils disent qu'on est trop riche pour toucher le RMI ! L'école est gratuite, qu'ils disent, mais les études sont payantes. Ça, par contre, ils évitent de le dire !
C'était la première fois, depuis deux semaines, que Xavier parlait autant. Lui-même n'en revenait pas. Étrangement, il appréciait beaucoup cette discussion avec Benjamin. Il se sentait même un peu mieux, rien qu'en ayant parlé avec le prof.
L'heure s'écoula trop vite à leur goût. Ils parlèrent beaucoup, de tout et n'importe quoi. Polytechnique, le budget de l'État, les bourses, Liz, Caroline, les écoles de théâtre en général... Quand Benjamin jeta un coup d'œil à sa montre, il constata avec déception que les cours allaient bientôt prendre fin.
- Je vais te laisser, ça va bientôt sonner.
- Déjà ? C'est passé vite !
- C'est vrai. Il ne reste que cinq minutes avant que tes amis sortent de classe. Dis-moi, comment tu t'appelles ?
- Xavier.
- Et bien Xavier, si entre deux exos de maths, t'as envie de parler, tu n'hésites pas à venir.
- Ah. Merci. Mais vos élèves ?
- J'ai cours de dix heures à midi. Et de 14 à 18 heures. Ça peut varier, mais je suis ici dès huit heures du matin, si t'as besoin.
- Ah, répéta le jeune homme, hébété.
Et le lendemain, à sa plus grande surprise, Benjamin reçut une seconde fois la visite de Xavier, à huit heures du matin. Inutile de préciser qu'il attendait depuis trois-quarts d'heure devant l'école de théâtre.
- Encore à l'avance, à ce que je vois...
- Ouais. Toujours. L'avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt le matin.
- T'as raison, mon grand. Tu viens ? J'ai trouvé un endroit confortable pour qu'on puisse discuter.
Benjamin le conduisit dans le théâtre de l'école. Jamais un lieu n'avait paru aussi chaleureux et secret, avec ses rangées de sièges et ses rideaux en velours rouge. Les longues tirades de Sganarelle et les douloureuses plaintes de Phèdre résonnaient encore dans l'immense salle. Ces échos ne s'envoleraient jamais, car la particularité de tous les théâtres était de les conserver bien à l'abri entre leurs murs.
Presque impressionné alors qu'il connaissait des théâtres plus prestigieux, Xavier s'assit timidement au premier rang. Il était venu pour parler encore avec Benjamin, mais voilà qu'il n'avait aucune idée de ce qu'il allait dire.
- Alors ? demanda le prof.
- Euh... je ne sais pas.
Benjamin ne répondit rien, et le silence complet retomba dans la salle de théâtre.
- Que penses-tu de notre théâtre ?
- Il est quand même grand pour une école.
- Tu as raison. Il y a 15 rangées de 20 sièges. Il peut accueillir jusqu'à...
- 300 personnes, répondit Xavier.
- Oui, sourit le prof. Il s'est joué l'an dernier une pièce de Marivaux, Le jeu de l'amour et du hasard.
- Je connais. C'est la première pièce que j'ai jouée quand j'étais en troisième. J'étais Dorante, Aline Silvia, et Pierrick Arlequin.
- Quoi ?! s'écria Benjamin, mi-étonné, mi-furieux. Tu as fait du théâtre et tu ne me l'as même pas dit ?!
- Euh...
- Je n'en reviens pas ! Je me doutais bien qu'il y avait autre chose chez toi ! Monte sur scène !
- Ah non ! Je n'ai pas la tête à me remettre au théâtre ! En plus, ça fait presque deux ans que je n'en ai plus fait !
- Monte sur scène, je te dis !
Le prof le poussa dans les petits escaliers menant à la scène et l'ordonna de jouer quelque chose.
- Mais je ne connais aucun texte !
- Vraiment aucun ?
- Peut-être une ou deux répliques, mais...
- Dis-moi une réplique alors ! Ou improvise !
- D'accord... soupira Xavier, exaspéré.
Il prit son inspiration et récita la seule réplique dont il se souvenait. Il ne faisait aucun effort ; il n'avait pas envie. Immobile, il récitait d'une voix morne et ennuyée.
- Il faut que je le croie ! Désespère une passion dangereuse, sauve-moi des effets que j'en crains ; tu ne me hais, ni ne m'aimes, ni ne m'aimeras ! Accable mon cœur de cette certitude-là ! J'agis de bonne foi, donne-moi du secours contre moi-même, il m'est nécessaire, je te le demande à genoux.
Il s'arrêta, penaud. Le prof leva les yeux au ciel.
- C'est tout ce dont je me rappelle.
- Tu veux que j'appelle Aline ? taquina Benjamin. Je suis certain que si elle te donne la réplique, tu seras cent fois plus convaincant.
- Non, c'est pas vrai, démentit le jeune homme, les joues étrangement roses.
- Alors, refais-le.
- Je vais faire de mon mieux, même si je me sens un peu patraque.
Il répéta la même réplique, avec plus d'entrain et plus de dynamisme. Sa prestation était meilleure que la première, et même si le texte était court, Benjamin voyait que Xavier ne se forçait pas pour jouer. Il faisait ça naturellement, malgré sa dépression nerveuse et sa grande envie d'aller s'enfermer dans sa chambre. En plus, le prof était persuadé que le théâtre aiderait le jeune homme à remonter la pente.
- Tu n'iras pas à Polytechnique, alors ?
- Non.
- Alors, écoute ce que je te propose. Je peux te prendre en boursier ici, à l'école de théâtre. Crois-moi, Xavier, je peux t'inscrire pour pas très cher, voire gratuit si c'est nécessaire. Tu as du potentiel, c'est certain. Tu ne sortiras peut-être pas de cette école avec une formation d'ingénieur, mais si tu es si bon comédien, tu trouveras vite du travail. Tu es partant ?
- Euh... oui, mais mon concours ?
- Tu le passeras. Les élèves ont cours toute une mi-journée. Tu travailleras le théâtre une moitié de la journée, et tes maths l'autre moitié. Et puis, si tu sèches pour réviser, nous ne t'en voudrons pas. J'en toucherai deux mots au directeur, promis.
Xavier accepta. Après tout, le prof avait raison. Puisqu'il ne pourrait pas devenir ingénieur, autant se concentrer sur sa deuxième passion. Et puis, il espérait en secret retrouver Aline, sa seule béquille désormais.
Xavier volait parfois dans le bureau de Madame Suzette les clefs d'une salle de cours pour pouvoir s'entraîner aux oraux de Polytechnique. Il était, bien évidemment, soutenu par Pierrick et Aline. Benjamin mettait aussi la main à la pâte, en cachant l'identité du voleur de clef à la standardiste.
- Xavier ! Tu pourrais faire tes f plus lisibles ? s'énerva Pierrick. On dirait des j !
- Je t'emmerde, répliqua l'intéressé, qui se portait de mieux en mieux.
- Non, c'est vrai ! Tu vas te faire démonter si tes examinateurs lisent j au lieu de f !
- Aline, tu ne peux pas le faire taire ?
- Pierrot, ta gueule, réagit aussitôt la jeune femme. Laisse-le bosser.
- Tu as besoin d'un second tableau, Xavier ? se moqua Benjamin, qui assistait à l'entraînement du jeune polytechnicien.
- En toute sincérité, ça me faciliterait la tâche. Bon, Pierrot, quand est-ce que tu comptes me dire la suite de l'énoncé ?
- Quand tu auras rectifié tes f.
Xavier marmonna quelques insultes à voix basse et réécrivit tous ses f d'un geste rageur. Quand cela fut fait, Pierrick lut avec satisfaction l'énoncé qu'il tenait entre ses mains.
- Soit I un segment tel que I appartient à la fonction de I. Montrer que f possède un point fixe.
- Joie... ironisa Xavier, en commençant à écrire sur le tableau.
- Et sans commentaire, jeune homme, nous sommes dans une situation d'examen, se moqua Pierrick, qui se prenait pour un professeur. Contentez-vous de répondre à ma question super difficile que moi seul peux résoudre.
- En même temps, t'as la correction sous les yeux. Et d'ailleurs, ce ne serait pas toi qui a eu 6 au bac de maths, Pierrot ? demanda innocemment Aline.
- Merci de me le rappeler, grinça le comédien, en foudroyant sa meilleure amie du regard.
- Lusvardi, Xavier ? appela la voix d'une femme.
- C'est moi ! s'exclama le comédien, en se levant de sa chaise.
Pour ses oraux, Xavier rayonnait. Il éclairait presque tout le campus de l'École Polytechnique à lui tout seul. Et pour cause ! La petite bouille ronde de Ludivine hantait encore ses pensées depuis deux semaines. Jamais les examinateurs n'avaient vu un candidat aussi heureux et plein d'entrain lors des oraux éliminatoires. Un élève qui souriait en lisant l'énoncé du problème, ce n'était pas normal ! Pas normal du tout ! Ça cachait quelque chose !
- Que devient CuOH en cas d'acidité ?
- L'hydroxyde de cuivre ? Au contact d'une substance acide, l'atome se transforme en ions Cu2 et H2O.
- C'est ça. Et pouvez-nous nous calculer la constante de réaction de dismutation ?
- Bien sûr !
Il s'était acharné sur le tableau comme un fou furieux, et à la fin de sa démonstration, après avoir calculé des probabilités et avoir fait le calcul à l'envers pour vérifier le résultat, il avait reposé la craie et la brosse, légèrement inquiet. Les examinateurs se regardèrent et hochèrent la tête en silence.
- C'est parfait.
Il avait cartonné en maths, physique et chimie. Il s'était débrouillé en langues vivantes et en français. L'épreuve sportive avait été assez difficile, mais il s'en était sorti, malgré les performances élevées demandées.
Il avait réussi. Il y avait son nom affiché au tableau. Admis. Et maintenant ? Il allait se désister, offrir sa place à un candidat sur la liste d'attente, et se retrouver seul avec le théâtre.
- Ouh ouhouh... My baby Lulu, my baby Lulu, I need you, oh, I need you... chantait Xavier en faisait tournoyer Ludivine.
Dans la loge du couple (renommée « espace à bordel »), ils dansaient sur My baby love, sous les regards amusés de Pierrick et Aline.
- Hey Linette ! Viens, on leur montre qu'on danse mieux qu'eux !
- C'est des bobards ! s'exclama la petite blonde.
- Ça, t'en sais rien ! répliqua Pierrick. Tu nous as jamais admirés dans un superbe rock !
Aline était occupée à repenser à tout ce que Xavier lui avait dit quand ils avaient encore 15 ans. Toutes ses promesses, toutes ses paroles, l'emplacement de leur maison, leur voyage de noces, les trois enfants qu'ils auraient... Tout s'était envolé. Désormais, il y avait Ludivine, et le cœur de la jeune femme n'était pas encore tout à fait guéri.
- Dès qu'elle sera redescendue de son petit nuage, nous pourrons peut-être te faire une démonstration...
- Ça va, Aline ? voulut savoir Xavier, légèrement inquiet, alors qu'elle reprenait ses esprits.
- Oui.
- Linette, ce que j'adore chez toi, c'est que tu sais mentir à merveille. Ton seul malheur est d'avoir croisé ma route, puisque tout le monde croit que tu dis vrai... sauf moi.
Aline sourit, silencieuse, et le jeune homme la prit dans ses bras pour lui faire un câlin. Bien sûr, Ludivine se dépêcha de s'incruster à son tour dans les bras du comédien, car un câlin ne se faisait pas sans elle.
- C'est notre Xavier, à Aline et à moi, constata la petite blonde avec joie.
- Et Pierrot, il reste toujours tout seul. Même Aline le laisse tomber, bouda Pierrick.
Ses amis levèrent les yeux au ciel, exaspérés par son attitude. Et comme il ne faisait rien à moitié, il tomba à genoux sur le sol, et s'explosa les poumons sur son célèbre refrain.
- Et j'ai crié, crié... Aline ! Pour qu'elle revienne... Et j'ai pleuré, pleuré... Oh, j'avais trop de peine !
Bon, fidèle à toi-même, toute pudeur contenue, on ne saura rien sur la première nuit d'amour de Xavier et Ludivine. Et crotte ! Vef', lé grognon, mainant. Rien ! Même pas un sentiment, une impression d'après coup, un geste plus tendre et intime. Juste ils continuent de faire mumuse comme si rien n'avait changé. Ça m'intrigue beaucoup, tout ça. Bon, passons. C'est vrai que c'est pas essentiel, mais une tite phrase souvenir après l'avoir fait, une main un peu plus baladeuse qu'avant, ça l'aurai fait, je crois....
Sinon...
La première partie où on découvre la fameuse Caroline, donne quand même quelques sueurs froides. Boudiou, la pauvre Aline a les yeux qui lui sortent des orbites rien qu'en la voyant apparaître ! On se demande vraiment ce qu'il lui a trouvé, Xavier... à la Caro... Elle n'est vraiment pas sympatique, la fille. Mais, alors, pas du tout. Antipathique au possible ! Et puis, amener le coup fumant par le biais de ses pulls qui s'échappent au gré de ses conquêtes, c'est astucieux ! Fallait y penser. lol !
Et donc, ensuite, vient la deuxième partie où là, on retourne en arrière. Surprise ! Je ne m'y attendais pas du tout. J'ai été un temps désarçonnée. Le temps de m'y faire et j'ai suivi le fil du flash-back avec curiosité. J'ai ri autant que j'étais triste. Tout ça est très bien raconté. Son amour et sa complicité avec Aline (toujours aucun détails. Sniff !) et bien sûr Pierrick. Leurs nuits à trois (trop drôle), sa rencontre avec Caroline et sa descente aux enfers, son refuge dans les maths et enfin sa rencontre avec Benjamin qui lui rend le sourire.
Non, finalement, j'ai crains un temps la catastrophe, mais non. Tout ça se tient bien. C'est toujours tendre, frais et agréable à lire.
Sinon, pour le reste... J'avoue, Caroline est ultra-détestable. Mais quand Xavier l'a rencontrée, elle était gentille. C'est Aline qui a envenimé les choses par la suite...
Quant à l'extra, je trouvais intéressant l'idée d'un flash-back. Je suis d'ailleurs très contente que ça t'ait plu, et que ça te plaise toujours. Là encore, pas de détails croustillants entre Xavier et Aline, car ils étaient jeunes et à part se peloter, ils n'ont jamais sauté le grand pas.
Bon, excuse-moi pour cette réponse désorganisée, mais j'ai la mauvaise manie de faire plusieurs choses à la fois, et je gère parfois assez mal ! XD
En tout cas : merci énormément.
Le coup de pain au chocolat à moitié mangé pour amadouer Benji ^^' y'a que Lulu pour nous faire des trucs comme ça. J'adore Aline, toute maternelle avec Lulu ^^ quand elle lui essuie les cheveux, c'est tellement mimi.
Ouch, Xavier, si tendre avec sa Lulu, peut aussi être dur : la stimulation d'entretien avec le prof, on peut pas dire qu'il mâche ses mots. Mais c'est un passage très intéressant parce qu'on réalise à quel point Xavier ne se voue pas forcément au théâtre. De savoir qu'il n'a pu réaliser son rêve pour des histoires de finances, ça fait vraiment mal au coeur. C'est vraiment un surdoué oO<br />J'adore la solidarité du trio infernal Aline-Pierrick-Lulu qui sont ensuite infects avec le prof (pauvre gars, quand même ^^')
"Parce que les pulls de Xavier étaient très à la mode chez la gente féminine. Et les pulls manquant à son armoire se promenaient un peu partout dans Paris." --> pliée de rire ! C'est excellent ! J'adore ce genre de petits détails que tu donnes et qui insuffle cette ambiance si plaisante dans ton histoire ! D'un autre côté, c'est une très belle transition pour la suite : Caroline, enfin ! <br />Je trouve le principe très chouette, surtout lorsque tu introduis Lulu dans la scène avec son pull. Cette personnification des vêtements, il fallait le trouver !
Elle est démoniaque Caroline oO Elle abîme Lulu et joue avec Xavier comme un chat avec une pelotte de laine. Brrr, elle me donne des frissons è_é Et pauvre Aline, dévastée par cette (censuré) :'( Pour la peine, même Pierrick s'impatiente ! La façon dont Lulu fait de la place à Aline dans les bras de Xavier, je trouve ça terrible, je ne m'y attendais pas ^^ Elle si exclusive! roooh, ils sont trop mignons, tous. Moi je dis : dans mon quatuor préféré tout le monde finira par sortir avec tout le monde XD
Le passage des costumes, juste après ce moment dramatique, ça allège d'un coup l'atmosphère. Tout le monde se plaint, larmoie, papote ^^ on s'y croirait ! Pour la peine, même Emma m'a fait de peine et j'aime beaucoup le passage où Lulu l'aide dans un "silence trouble"... (elle me paraît plus sympathique, en comparaison de l'abominable Caroline ---> note : tu aurais pas pu lui donner un autre nom ? Ma soeur s'appelle ainsi ^^'ça me gêne, là)
Ce que je trouve terrible dans cette histoire c'est que tes personnages gardent une attitude très théâtrale et rocambolesque dans la vraie vie. Je trouve que ton style d'écriture, privilégiant dialogues et attitudes, s'accorde vraiment bien au sujet :)
Dis dons, on découvre plein de choses dans ton extra !
C'est donc "à cause" d'Aline que Xavier s'est lancé dans le théâtre ?"Xavier s'était précipité chez elle, effrayé à l'idée que son petit bébé fasse une grosse crise d'adolescence tardive." --> Fabuleux ^^
C'est vrai qu'on comprends bien des choses, à présent. Même Caroline paraît moins détestable à ses débuts. Et on voit se profiler le dilemme entre toutes ces relations amitié-amour-entredeux qui ont perdu leur équilibre et qui se cassent lentement la figure. En fait, tout le monde a souffert, dans cette histoire é_è
Dis,je suis curieuse : cet extra, tu l'avais écrit avant le reste de l'histoire ou à ce moment-là, précisemment ?
PS : je t'ai déjà dit que j'a-do-rais Pierrick ?
Reponse de l'auteur: Ouyouyou... J'avais complètement zappé que je devais répondre à trois looongues reviews... xD Bon, allez, je me lance.
Hum, je confirme, Xavier a beaucoup souffert de ne pas avoir pu réaliser son rêve (mais là encore, c'est peut-être pas crédible, parce que je suis de plus en plus certaine de jour en jour que Polytechnique n'est pas payante...puisque, au contraire, c'est l'école qui paye les élèves (sans déconner)...). Et Ludivine, qui ne voit que le théâtre, n'apprécie pas tous les regrets de notre pauvre Xavier - qui lui, aurait aimé voir autre chose.
Sinon, je dois admettre que je suis plutôt fière de cette idée de "personnification de vêtements", surtout que ce genre d'idées ne germe pas souvent dans ma tête. ^^" Par contre, désooooolée pour Caroline, j'ignorais que ta soeur s'appelait comme ça... Bon, ce qu'il faut se dire, c'est que toutes les Caroline ne sont pas comme la Caro de Xavier (heureusement !).
Quant à l'extra, l'objectif était de raconter tout le début, l'avant-premier chapitre, le pourquoi du comment. À la base, ce n'était pas du tout prévu, mais j'avais très envie de développer l'accident d'Aline (avec la Smart xD, tiré d'un fait réel (une copine qui s'est crashée en scooter sur une Smart, la trop-pas-douée !) XD), et donc j'ai aussi raconté la rencontre avec le théâtre, Pierrick, Aline, Benjamin et Caro ; leurs relations ambiguës, comment la timide, gentille et sage Aline est devenue distante, excentrique et explosive, le passage éclair à Polytechnique après la rencontre avec Lulu que je ne montre pas dans le premier chapitre (à l'époque, je ne savais pas encore que j'avais un polytechnicien dans l'histoire xD)...
Etceteraaaaa... Bon, en tout cas, merci beaucoup ta reviews et cette superbe reviews qui me touche beaucoup. ^^
Biyouuuu !
PS : Ah oui, j'avais oublié qu'à partir de ce chapitre, la côte de popularité de Pierrick augmente sensiblement... ;)
L'entretien aussi m'a bien plu, je crois que je ne m'étais pas rendu compte à quel point Xavier regrettait polytechnique et qu'en fait, il avait pas envie de faire théâtre :/ Au début, il faut vraiment un peu joyeux luron et là, on se rend vraiment bien compte que ce n'est qu'un masque, surtout avec l'extra. <br />
J'ai adoré l'esseyage, je sais pas trop pourquoi mais je m'imaginais énormément la scène (je veux pas dire que c'est pas le cas avec le reste hein, mais plus encore que les autres scènes) et j'ai coupé plusieurs fois la lecture parce que je m'imaginais toute seule la suite et que je rigolais toute seule XD Ca ne m'arrive pas souvent mais j'adore ça alors bravo ^^ Et puis c'est bien aussi qu'on s'intéresse un peu plus à Emma parce qu'elle faisait un peu que décor avant, là on sent qu'on va vraiment s'intéresser à tous les personnages ^^<br />
Ensuite, l'extra, j'ai beaucoup aimé aussi ^^ J'aurais vraiment jamais pensé que Xavier et Aline est vraiment à ce point été proche avec tous ces projets, il arrête pas de m'étonner ce couple ^^ La prochaine étape c'est l'enfant caché, attention xD Par contre, il y a quelque chose qui m'a fait tiquer, c'est les 8 kilos en deux jours, ça me paraît quand même beaucoup, même sans manger :/ Sinon là c'est Liz qui est remonté dans mon estime, sa manière de s'occuper de son frère est quand même assez originale XD <br />
'Fin bref, j'aime toujours énormément ^^ Merci pour tout le travail derrière le chapitre pour le publier plus rapidement :DReponse de l'auteur: Chaque fois, c'est pareil avec toi Flammy : je ne me remets pas de tes reviews ! xD Mais elles me font toujours autant plaisir ! ^^ Alors, alors... heureusement que toutes les Caroline ne se ressemblent pas, hein...sinon, j'aurais les chocottes à chaque fois que j'en croiserais une !
En ce qui concerne Xavier, tu as raison. Il adore le théâtre, mais aurait préféré se trouver "ailleurs". Mais bon, pour le moment, il doit s'en contenter ! ^^
Je ne sais pas si je vais arriver à parler de tous les personnages (ils n'ont pas beaucoup d'importance normalement), mais je ne peux pas faire l'impasse sur Emma. Alors je me contente avec des petites phrases comme "le timide Grégoire" (qui ne parle jamais ; parce que je n'ai rien à lui faire dire ! xD). Claire, par exemple, intervient parfois et se montre comme une coiffeuse hors-pair et une commère de luxe. Il me semble par contre que j'avais dit dans le premier chapitre que Mathilde était une "colorée", qui changeait souvent de couleur de cheveux différente (elle aurait été mieux placée pour faire la coiffeuse xD). Quant à Tristan et Simon...ils sont quelconques.
Je crois que j'ai fait tout le tour pour Xavier et Aline... XD Pas d'enfant caché, il ne manquerait plus que ça ! xD (D'ailleurs, ils n'ont jamais...). Je dois avouer que je n'ai pas vraiment réfléchi pour les 8 kilos, mais maintenant que tu le dis, ça parait zarb, en effet... J'ai déjà perdu 2 kilos en un jour mais...8 pour un homme en 2 jours... C'est vrai, c'est pas réaliste.
Et enfin Liz... xD Elle a un bon fond...mais bon... XD
Enfin wala, merci beaucoup Flammy, et j'espère que la suite continuera de te plaire autant ! ^^
Zooobix !
Je suis contente que ça t'ait plu, miss, gros bisous à toi, et merci pour ta reviews !