Chapitre 8 — Charlie

Pendant des années, j'avais repoussé ce moment. Pendant des années, j'avais fui mes problèmes.

Puis je les avais violemment affrontés lors de mon séjour en France. J'avais appris de la manière forte – comme certains pourraient le dire. Je m'étais enfin rendu compte de tout le mal-être que je portais sur mes épaules depuis si longtemps.

Pour la première fois, j'en avais parlé. Au début, j'avais peur qu'ils me trahissent. Au final, ils étaient devenus mes piliers. On avait beau être défoncés quand on parlait de nos pensées les plus sombres, mais on en tirait toujours quelque chose et on évoluait ensemble.

Dès mon départ de France, je savais que ce serait ces échanges qui me manqueraient le plus. On avait une connexion extrêmement forte dans ce petit groupe.

Heureusement, j'avais trouvé de nouveaux piliers à San Francisco. En particulier Blaine. C'était également grâce à lui que j'avais réussi à me motiver à franchir un de mes plus gros obstacles : en parler à mes parents.

Mes parents étaient un peu dubitatifs de la présence de Blaine dans cette discussion aux premiers abords, mais quand ma main venait serrer fermement celle de mon copain, ils comprirent.

D'ailleurs, même si Blaine était au courant de tous mes états d'âme, ça me rassurait qu'il entende également cette version. Parfois, je n'arrivais pas à raconter tous mes souvenirs dans l'autre ou en intégralité.

Alors, petit à petit, j'évoquai toutes mes pensées parasites. Mes sautes d'humeur qui pouvaient parfois me plomber. J'eus un pincement au cœur et une envie soudaine de pleurer quand j'évoquais l'automutilation. Pendant un instant, j'avais voulu leur montrer mes cicatrices, mais je me retins. C'était trop pour aujourd'hui et ce serait du pur voyeurisme qui me dérangeait un peu.

— Mais pourquoi tu ne nous en as pas parlé plus tôt ? s'étonna Ryan, un poil désemparé.

— Parce que j'avais peur de votre réaction, répondis-je en baissant la tête. J'avais peur que vous me rejetiez, que vous me considériez comme un monstre... J'avais aussi peur du regard des autres... Les autres jugent déjà notre famille, alors une fille avec des problèmes mentaux en plus... ça n'arrangerait rien.

En posant de nouveau mon regard sur eux, je vis toute la peine sur leur visage. Il n'y avait pas de mépris, pas de colère, pas de jugement... juste de la tristesse. Et maintenant, je me sentais terriblement stupide de ne pas en avoir parlé plus tôt.

— Qu'est-ce qu'on peut faire pour t'aider ? demanda Frank, tentant de garder une voix ferme tant bien que mal.

— Je ne sais pas moi-même ce que je peux vraiment faire, lâchai-je maladroitement.

Je me sentais désormais complètement vidée, comme si raconter tout ça m'avait drainé le peu d'énergie que j'avais.

— Est-ce que tu voudrais voir un psy ? On pourrait t'aider à en trouver pour toi, prendre un rendez-vous aussi si tu veux, proposa Blaine d'une douce voix.

Des petits sourires se dessinèrent sur le visage de mes pères, probablement un signe d'approbation de cette idée.

Je me tournai vers Blaine et sa main caressait délicatement la mienne. Il essayait de me rassurer du mieux qu'il pouvait et rien que le fait qu'ils soient présents était suffisant pour m'aider pour le moment.

— Peut-être bien, répondis-je d'une voix à peine audible. Mais peut-être pas tout de suite...

— Prends le temps qu'il te faut.

J'avais terriblement envie de le prendre dans mes bras, mais je n'avais pas envie d'être aussi tactile devant mes pères. Ils avaient beau avoir accepté ma relation avec Blaine, j'ignorais à quel point je pouvais vraiment être proche de lui sous leurs yeux sans que ça paraisse malaisant.

— Mais si jamais tu as besoin de quoi que ce soit, n'hésite pas à nous le dire, m'assura une énième fois Frank.

— Bien sûr...

Encore une fois, je m'étais imaginé les pires scénarios avec mes parents – à tort. Heureusement, c'était plus de peur que de mal et je préférais qu'il en soit ainsi. Néanmoins, ça n'empêchait pas mon corps de naturellement trembler, probablement la pression qui retombait doucement.

L'atmosphère me sembla de plus en plus détendue, mais j'eus envie de m'isoler dans ma chambre, ce que mes parents comprirent facilement. Alors, d'une démarche hésitante, je m'y rendis en compagnie de Blaine. Je fermai la porte derrière nous, juste pour avoir un peu plus d'intimité.

— Est-ce que ça va ? me demanda-t-il, un brin inquiet.

Je pris une longue inspiration avant de lui répondre :

— Oui. Je suis un peu... exténuée. Mais ça va. Je suis surtout soulagée.

Je m'assis sur le rebord du lit et il vint m'y rejoindre. Je le pris fermement dans mes bras, ce que je mourrais d'envie de faire depuis tout à l'heure.

— Merci...

— Ne me remercie pas, c'est tout à fait normal.

Je le relâchai et plongeai mon regard dans le sien. Il n'avait pas idée à quel point son aide m'avait été précieuse, en particulier à ce moment.

— Je sais que je suis... cassée... ou différente, depuis longtemps. Et je sais pas ce que ça implique vraiment. Est-ce que j'étais juste en dépression ou avais-je autre chose ? Et tu es toujours là, tu m'as soutenu.

— Je ne vois pas pourquoi je ne l'aurais pas fait...

— Et si je vais voir un psy et qu'on me diagnostique quelque chose de super grave ? osai-je demander, toute tremblante.

— Et alors ? Qu'est-ce que ça changerait ?

Il n'avait pas tort. Peu importe le mot – si tant était qu'il y en avait un –, ça ne changerait rien à ma vie, parce que ç'avait toujours été là.

— J'ai une sœur ancienne héroïnomane qui se bat encore avec son addiction. Alors, crois-moi, peu importe ce qu'il t'arrive, ça ne me fera pas fuir ni changer d'avis sur toi.

Je lui adressai un timide sourire, parce qu'il arrivait à calmer mes soudaines inquiétudes – en partie.

— Sans compter que je suis également ton mari désormais, ajouta-t-il, un sourire en coin.

Je ne pus m'empêcher de rire à cette remarque et il se joignit simplement à mon rire.

— Ça me fait toujours un peu bizarre, admis-je entre quelques rires.

— Moi aussi... Mais jamais d'une mauvaise manière.

— Moi non plus.

Mon regard se perdit un instant dans le sien, puis je fixai ses lèvres. Ses douces lèvres que j'avais terriblement envie d'embrasser. Nous n'avions eu que peu d'occasions pour être vraiment proches physiquement – et surtout sexuellement. Toutes nos interactions s'étaient vues réduites dès qu'il était venu dormir dans ma chambre, ce qui était assez impressionnant.

Finalement, j'osai enfin l'embrasser, à pleine bouche. Un baiser à la fois brusque et doux. Dans cette fougue soudaine, il prolongea ce baiser et je m'allongeai dans le lit. Je l'attirai vers moi en posant mes mains sur son cou. Une de ses mains vint se poser sur ma taille.

Notre baiser s'emballa de plus belle et nos mains suivirent le mouvement pour enlever quelques-uns de nos vêtements. Nos pulls se retrouvèrent par terre, nous laissant à moitié nus l'un face à l'autre. Cette nudité partielle ne nous interrompit pas ; au contraire, on en profita pour embrasser ces nouvelles parcelles de peau.

— Tu penses que c'est une bonne idée ? m'interrogea-t-il dans un murmure.

— Peut-être... Peut-être pas. Mais j'en ai envie et toi ?

— Moi aussi.

 

*

 

Le sexe était quelque chose de très satisfaisant. Il y avait toujours quelque chose de nouveau à découvrir, à perfectionner. Mais il y avait quelque chose que j'appréciais tout autant, voire plus : tout ce qui se passait après. Ces moments de silence, de câlins ou d'autres fois, de longues discussions, plus ou moins légères.

Cette fois-ci, je m'étais calée dans ses bras. Il me serrait fermement contre lui. Je fermais les yeux pour mieux apprécier ce doux moment. J'aurais pu rester ainsi très longtemps et lui aussi d'ailleurs. On aurait même pu s'endormir dans cette position, jusqu'à ce qu'il se releva légèrement pour attraper son téléphone. Il le fixait un long moment et en me tournant vers lui, j'aperçus sa mine perplexe.

— Quelque chose ne va pas ? m'enquis-je d'une timide voix.

— Ma sœur vient de m'annoncer qu'elle a peut-être une fenêtre pour qu'on aille rencontrer son père. La semaine prochaine.

— Tu vas le faire ?

— Totalement... C'est vital pour elle.

On échangea un petit sourire et je déposai un bref baiser sur son bras.

— Tu viens avec nous ?

— Totalement, lui répondis-je naturellement. Kayla est d'accord pour que je vienne... Et je pense que ça peut nous faire du bien à nous tous. On va s'éloigner un peu de tout ça.

Ces derniers jours avaient été tellement intenses par rapport à nos familles. Peut-être que nous n'aurions plus le poids de la famille, mais ça ne promettait pas d'être plus calme comme situation. En tout cas, pas pour Kayla. J'ignorais ce qu'elle pouvait ressentir à ce moment. 

Même si mes pères et moi étions liés biologiquement, il y avait toujours une personne tierce. Une personne que beaucoup de personnes voudraient considérer comme ma mère, mais je ne l'avais jamais vu ainsi. J'avais toujours eu deux pères et c'était très bien ainsi. Après tout, c'était eux qui m'avaient élevé et ça me suffisait pour les considérer comme mes parents.

Peut-être que sur ce point, je divergeais beaucoup de Kayla... Mais, en même temps, nous n'avions vraiment pas le même vécu.

— Je la préviens que je suis d'accord et il faudra qu'on commence à se préparer le moment venu, annonça Blaine.

— Bien sûr...

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez