Chapitre 9 — Blaine

Petit à petit, les préparatifs de notre future escapade se précisaient. Dès dimanche soir, Kayla, Charlie et moi, on s'envolerait pour Los Angeles. Étant donné l'heure de départ et nos six heures de trajets, nous ferions une escale dans un motel en cours de route. D'après ces prévisions, nous serions à Los Angeles vers midi, le moment parfait pour se poser et manger après autant de routes.

Entre temps, il nous restait le samedi entier. Une journée qui fut immédiatement remplie quand Lenny me proposa une séance d'escalade improvisée avec le groupe habituel.

— Ça te dit de venir ? proposai-je à Charlie en préparant mes affaires.

— Pourquoi pas... Mais est-ce qu'on s'affiche comme un couple ou pas ?

— On est mariés et plus rien ne nous oblige à nous cacher.

Elle mordit sa lèvre inférieure, un brin joueuse. Je m'approchai d'elle pour déposer un bref baiser sur ses lèvres. Son regard se plongea longuement dans le mien, comme une invitation à aller plus loin, mais comme toujours, tant que nous serions sous le toit de ses parents, nous ne pourrions pas être aussi intimes. Néanmoins, ça n'effaçait jamais cette tension constante entre nous. Heureusement, nous pouvions supporter quelques moments d'abstinence. Après tout, ce n'était pas comme si nous avions eu beaucoup d'occasions dans ce genre-là jusqu'à maintenant.

— On ferait mieux de se préparer si on ne veut pas arriver en retard, lui fis-je remarquer, toujours mes lèvres à quelques centimètres des siennes.

Un sourire se dessina sur son visage. Un simple sourire. Puis elle acquiesça d'une douce voix tout en ajoutant :

— Après, ça serait évident qu'on est en couple pour eux si on arrive en retard, on n'aura même plus besoin de l'annoncer et on évitera que ce soit très gênant comme annonce...

— Tu sais que si on se pointe main dans la main, ça sera tout comme ? la taquinai-je de plus belle.

— Oserais-tu ?

— Peut-être bien... Mais devrais-je te rappeler que tu avais déjà un copain d'après tes dires la dernière fois ?

Elle prit mon visage entre ses mains et secoua sa tête, laissant échapper un petit rire.

— C'est vrai que j'avais laissé passer ce petit mensonge. Mais peut-être que, finalement, tu es bien mieux que ce copain imaginaire.

— En même temps, je suis ton mari désormais, plus ton copain.

Elle rit à gorge déployée et posa sa tête contre mon torse pour me serrer fermement contre elle.

— Très bien, je tiendrai la main de mon mari en arrivant. Tu as gagné, céda-t-elle d'une douce voix.

 

*

 

Comme nous n'avions plus besoin de nous cacher, nous avions pu faire le trajet – enfin, j'avais pu conduire Charlie jusqu'à la salle d'escalade. C'était bien la première fois qu'on viendrait ensemble, et bien plus.

— T'as l'air un peu stressé, me fit-elle remarquer alors que j'avais les yeux rivés sur la route.

J'eus comme une envie de passer une main dans mes cheveux, mais mes mains s'agrippèrent d'autant plus au volant. Foutu réflexe.

— Pour être honnête, un peu... En même temps, on a enchaîné les mensonges et les provocations sous leurs yeux et aucun d'entre nous n'était au courant. Tu étais en couple avec un autre homme et moi, je passais pour le connard qui voulait briser ton couple.

— Je pense qu'ils en riront.

Même si je ne pouvais détourner mon regard de la route, je sentais son sourire dans ses paroles réconfortantes.

— En même temps, qui ne s'amuserait pas de l'ironie de la situation ? reprit-elle de plus belle. On est presque un cliché de Roméo et Juliette... Enfin, il faut tout de même enlever le côté dramatique à la fin, mais d'une certaine manière, on n'est pas si éloignés que ça.

— C'est vrai que l'ironie de la situation les ferait probablement rire... Sans compter que Hailey est potentiellement au courant vu qu'elle sort avec Kayla. Sophie nous a vus nous rouler une énorme pelle lors d'une soirée...

Charlie rit à ma remarque. En même temps, c'était tout aussi cocasse que le contexte. Tout avait été si particulier entre nous, mais seulement au début. Après, nous avions construit quelque chose assez naturellement entre nous. Une relation assez saine.

 — C'était encore une fois un petit jeu ce baiser, juste une provocation, rétorquai-je pour appuyer ses propos.

— En même temps, notre tout premier baiser a été à l'abri de tout regard.

— Il aurait pu être public si tu n'avais pas été incapable de me le demander publiquement.

— Je ne savais pas quoi m'attendre avec toi ! Je ne voulais pas te détester, mais en même temps, je voyais tellement de méfiance dans le regard que j'avais du mal à comprendre ce que tu pensais vraiment de moi...

— C'était la méfiance qui s'était accumulée après des années de manipulation par mon père... Sauf qu'entre temps, tu te rapprochais de ma sœur et j'avais envie de croire à ta sincérité après tout ce qu'elle avait traversé. Et dans le fond, je te trouvais adorable...

J'eus un simple sourire en coin, un sourire un poil retenu. Ces petites révélations l'amusèrent de plus belle et en me tournant brièvement vers elle pendant un feu rouge, je vis ses sourcils qui s'étaient relevés.

— On ne s'était jamais réellement croisé jusqu'à maintenant. T'étais censée être une ennemie de la famille et je voyais juste une fille très ouverte, qui s'amusait beaucoup en soirée... Rien à voir avec le discours de mon père.

— Ne me dis pas que je t'ai fait fondre en roulant des pelles à tout le monde en une soirée ? lança-t-elle pour me provoquer de plus belle.

— On peut dire que ça a joué en partie...

Elle détourna son regard un instant, l'air gêné, et je ne pus pas l'observer plus longtemps. Le feu venait de passer au vert.

Après une énième intersection, je me garai devant le bâtiment. Les gens y venaient principalement pour la salle d'escalade et ses nombreuses voies, mais il y avait quelques autres espaces pour d'autres espaces.

Avant de descendre, Charlie et moi, on s'échangea un bref regard. Un regard complice. Désormais, nous allions nous afficher face à quelques amis. Heureusement, on avait fait le plus dur avec nos parents, mais ça avait toujours quelque chose d'angoissant. Peut-être que nous omettrions notre mariage – du moins, pour le moment. Chaque chose en son temps.

Chacun s'empara de ses affaires sur les sièges arrière puis on se dirigea à l'intérieur, jusqu'aux vestiaires, main dans la main. Nos amis se tournèrent vers nous, il y eut un brin de surprise en nous voyant arriver ensemble puis leur mâchoire tomba en posant leur regard sur nos mains entremêlées. Ils n'avaient même pas besoin d'explications supplémentaires : ils avaient compris.

Nos mains se séparèrent en nous approchant d'eux. Une pointe de gêne transparaissait dans leur attitude. Il y avait quelques hésitations, quelques bafouillements et aucun d'entre nous n'osait nous demander clairement ce qu'il se passait réellement. 

— Bon, je vais me lancer sur une voie ! annonça Lenny en se séparant de notre groupe d'un bond.

Son départ aussi précipité nous étonna tous quelque peu. En même temps, ce n'était pas dans ses habitudes d'agir ainsi. D'habitude, il était plutôt réservé. Il avait parfois quelques maladresses, mais jamais à ce point.

Pour éviter toute gêne supplémentaire, Hailey détourna le sujet de la conversation en se tournant vers nous deux :

— Kayla m'a dit ne pas pouvoir venir... Elle ne m'a pas dit pourquoi, mais j'espère que ce n'est pas très grave.

D'une certaine manière, ça l'était, mais je ne pouvais pas en parler sans l'accord de ma sœur. J'ignorais même à quel point Kayla s'était confiée. Elles avaient beau sortir ensemble, ma sœur était encore assez fragile et elle aurait très bien pu éluder de nombreux détails de sa vie – en particulier son addiction à l'héroïne.

— Plus ou moins. C'est un peu tendu avec la famille, mais ça devrait s'arranger.

La blonde hocha la tête et sa couette aux pointes bleues et roses rebondit avec. Elle mordit sa lèvre inférieure et détourna son regard un instant. Elle avait probablement envie d'allonger ses discussions mais se l'interdisait. En même temps, j'ignorais ce qu'elle savait sur la situation et c'était probablement réciproque.

Son regard se posa de nouveau vers nous, cette fois-ci avec un sourire. Mais un sourire poli. Il ne représentait clairement pas son état. Malgré ce sourire, son visage hurlait toutes ses inquiétudes passagères.

Elle rejoignit alors Lenny dans la salle. Celui-ci avait déjà bien entamé une voie. Après avoir enfilé les chaussures adéquates et notre baudrier à la taille, on arriva à notre tour. Encore une fois, Hailey nous adressait le même sourire gêné.

Charlie s'éloigna de moi pour se lancer dans une voie assez débutante. Nous n'avions clairement pas le même niveau et ça impliquait de se séparer un peu par moment, ce qui ne nous dérangeait pas. En même temps, nous avions pris l'habitude d'être plus séparés qu'ensemble. Heureusement, tout était sur le point de changer... Nous étions à l'aube d'une nouvelle ère.

Chacun enchaîna quelques pistes dans son coin. Parfois, on jetait un coup d'œil aux autres. Parfois, on était impressionnés de les avoir vus nous dépasser. Puis d'autres fois, on se demandait à quel point leur voie était compliquée en les voyant aussi proches du sol. C'était le cas de Lenny, celui-ci peinait à attraper une prise. En même temps, celle-ci était assez plate et demandait une force et dextérité extrême, ainsi qu'une excellente prise en main.

Alors, abattu, il finit par sauter d'un bond du mur. Même pas un mètre de hauteur. Puis il s'approcha de moi et soupira :

— Je te déconseille vraiment la violette, vraiment improbables ces prises...

— Je note, je vais les éviter pour le moment.

Il jouait nerveusement avec une sangle dans ses mains. Il n'était pas venu que pour me parler de cette voie. Il y avait autre chose et je me doutais que cette discussion finirait par arriver.

— Ça date depuis combien de temps avec Charlie ?

Il n'avait même pas cherché une confirmation, il savait et ce serait idiot de tourner autour du pot.

Sauf qu'à ce moment, je me rendais compte qu'avec Charlie, c'était récent, extrêmement récent. Tout n'avait duré que quelques semaines au final... Je sentais que je me ferais juger par ça – et d'autant plus pour notre mariage extrêmement rapide –, mais les moments qu'on avait passés étaient si forts et précieux que la durée n'avait aucune importance. Sans compter que je n'avais jamais aussi bien communiqué, à cœur ouvert, avec quelqu'un comme Charlie.

— Disons que c'est assez compliqué...

— À cause de vos familles... Je m'en doute. Mais y a deux semaines, vous étiez ensemble ou vous étiez vraiment en train de vous draguer devant tout le monde ?

Je sentais une pointe d'énervement dans sa question et mon cœur se serra en voyant ses sourcils se froncer.

— On était ensemble à ce moment.

Je venais d'avouer et en même temps, j'acceptai qu'il m'en veuille. Parce que, avec le recul, ce n'était pas aussi innocent que ni Charlie ni moi ne l'aurions pensé.

Il posa son regard un instant sur ma copine qui peinait sur sa voie, un air contrit parcourut brièvement son visage.

— C'est pour ça que je ne te voyais pas en couple, parce que pendant dans tout ce temps, tu étais avec elle ?

Vraiment, ses émotions prenaient le dessus, en particulier la jalousie. Sa jalousie que j'avais déjà vue auparavant. Il était clairement intéressé par elle et n'avait jamais été très subtil à ce sujet.

— Je suis vraiment désolé de t'avoir menti Lenny. Ça ne date pas autant que tu le crois... C'est assez récent. Mais on ne pouvait pas se permettre que ça se sache avant...

— Qu'est-ce qui a changé entre-temps ? me demanda-t-il en arquant un sourcil, comme s'il voulait me piéger.

— Mon père m'a viré de chez moi en l'apprenant.

Son visage se transforma soudainement. L'air dur s'envola pour laisser place à la stupéfaction. Sa mâchoire inférieure tomba légèrement. Il n'osa plus dire le moindre mot. Et je me sentis alors très à fleur de peau. Je ne m'attendais pas à être aussi sensible en l'annonçant ainsi. En même temps, je m'en voulais d'avoir été si abrupte.

— Depuis, je loge chez Charlie... C'est aussi pour ça que Kayla n'est pas venue. Mon père veut m'empêcher de voir ma famille.

— Mais c'est n'importe quoi, lâcha-t-il dans un murmure. Ta famille te fout dehors parce que tu sors avec Charlie ? Juste pour ça ?

Je n'eus que pour seule réponse un haussement d'épaules. J'avais arrêté de chercher à comprendre ces derniers temps. Ma famille n'avait, malheureusement, jamais eu de réactions raisonnées.

Même si je voyais un peu plus d'empathie dans son regard, il n'était pas totalement serein.

— Je savais que Charlie te plaisait, mais j'ai jamais voulu te blesser à ce sujet. J'espérais que ça passerait quand j'ai prétendu qu'elle avait déjà un copain...

— Ce copain qui était toi, me reprit-il, assez amusé.

— En effet...

— J'aurais dû m'en douter ! C'était évident que vous finiriez ensemble.

Encore une fois, il était assez défaitiste – vraiment trop par moment – et je savais que je ne pourrais rien y faire.

La discussion prit fin quand Hailey s'approcha de nous, intriguée de nous voir à l'écart. Peut-être que c'était pas plus mal que cette conversation se termine ainsi. Après tout, je n'aurais aucune idée de comment le réconforter et il avait probablement besoin de recul. Il avait beau être très pessimiste, je croyais fortement en ses capacités de remise en question, ce qu'il m'avait prouvé à de nombreuses reprises.

— Est-ce que ça vous tente de prendre quelque chose à boire tout à l'heure ? nous proposa-t-elle, un grand sourire sur les lèvres.

Lenny et moi échangeâmes un regard complice. Même s'il y avait quelques tensions, nous avions vraiment envie de passer un bon moment entre amis. Alors, on accepta l'offre. Tout simplement.

En même temps, comment pouvais-je espérer des réponses extrêmement positives, très compréhensives alors que j'étais toujours perturbé par tous ces évènements ? Il nous fallait du temps. À tous. Sans exception.

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