Chapitre 8 : Départ en mission

Par Notsil

Lucas avait repris les entrainements sans jamais reparler de l’incident. Zuryk et Syrcail avaient bien tenté une approche, mais s’étaient confronté au mur de silence de leur ami. Lucas masquait sa souffrance derrière un travail acharné, refusait de laisser son esprit réfléchir aux conséquences. Il préférait enfouir cette mauvaise nouvelle et ne plus jamais y penser.

Quand le Messager Arcal était rentré, il avait immédiatement perçu le changement chez son Envoyé. Il était peut-être temps de l’inciter à créer des liens plus forts avec ses camarades. La confiance était importante, entre Mecers. Et justement, Arcal avait prévu une petite mission.

Lucas et Arcal rejoignirent deux Messagers accompagnés de leurs Envoyés. La méfiance de Lucas disparut quand il reconnut Syrcail.

Ils se saluèrent aussitôt tandis que le troisième, Assym, se présentait. Il n’était pas de leur promotion et les dominait d’une tête, même Syrcail. Ses ailes étaient à dominante blanches, mouchetées de noir comme celles d’un harfang des neiges. Lucas se dit que son ami avait été bien inspiré en rajoutant des plumes à ses ailes d’un blanc immaculé ; finalement, son plumage devait ressembler à celui d’Assym.

Lui aussi avait quinze ans ; Lucas restait le plus jeune, et avait bien conscience que physiquement il serait le point faible du groupe. Il détestait ça.

Plus loin, les Messagers s’étaient salués. Ils se connaissaient tous et appréciaient de se retrouver pour cette mission de routine reposante.

–Ils ont l’air de bien s’entendre, commenta Sulio.

–Oui, cela facilitera notre tâche, approuva Daram.

–Les Émissaires Irys et Mélior doivent nous rejoindre, continua Arcal.

–Un groupe nombreux pour une mission de routine, nota Sulio. À cause du gamin ?

–Il a un nom, dit sévèrement Daram.

–Il n’a que douze ans, renifla Sulio. Il sera un fardeau pour le groupe. Comment as-tu pu accepter ça, Arcal ?

–Il a la volonté, énonça calmement Arcal. Je lui donne sa chance comme à n’importe quel autre. Il a vraiment envie de bien faire, et il fera tout pour ne pas être un fardeau.

–Mais nous n’allons pas en promenade de santé, releva Sulio.

–C’est une simple mission de reconnaissance, dit Daram. Je doute que ce campement soit un réel danger. Il ne devrait même pas y avoir de combat.

–Ne sous-estimez pas Lucas. Je suis certain qu’il a expérimenté plus de situations difficiles que ses deux amis. Il est une cible depuis sa naissance.

–Et il a toujours eu quelqu’un pour lui sauver les miches, rétorqua Sulio.

–D’où son envie d’apprendre à se défendre seul, calma Arcal. Une initiative louable, non ?

–Certes, convint Sulio de mauvaise grâce. Mais je n’aime pas ça quand même.

–Je comprends, temporisa Daram. Nous sommes Messagers, nous savons tous travailler pour le bien commun du groupe, même lorsque nous n’apprécions pas la situation.

–Tout à fait. Je m’en remettrai à vous sur le sujet, conclut Sulio.

Deux Émissaires se posèrent en souplesse à quelques pas. Quatre Cercles dorés s’entrelaçaient sur la gauche de l’uniforme gris du premier, dont les ailes ocre se repliaient doucement dans le dos. À ses côtés, l’Émissaire Irys n’arborait que deux Cercles. Sa longue chevelure blonde était soigneusement tressée, et ses ailes étaient d’un vert pâle, indiquant sans faillir son origine ; le Clan des Îles, au Sud du continent.

–Pardonnez notre retard, Messager, s’excusa aussitôt Mélior en s’inclinant.

Son homologue s’empressa de l’imiter.

–Je suis Arcal, se présenta le Messager. Je serai le chef de cette mission. Voici Sulio et Daram qui nous accompagneront également.

–Trois Messagers pour une mission de routine ? s’étonna Irys.

–Le gamin de la Seycam est avec nous, dit Sulio, s’attirant les foudres de ses collègues.

–Votre paquetage est prêt ? s’informa Arcal.

–Oui, Messager, répondit Irys.

–Vous avez prévu un moyen de transport éventuel pour vos Compagnons ? demanda Daram.

–Nos deux Compagnons sont des volants, répondit Mélior.

–Parfait. Alors nous sommes prêts, conclut Arcal. Envoyés ?

Trois têtes se tournèrent vers lui.

–Nous partons.

*****

Sur un geste du Messager Sulio, Lucas avança d’un cran dans la formation. Le jeune Envoyé n’avait encore jamais eu l’occasion d’expérimenter un vol en si grand groupe.

Leur vitesse était bien supérieure à celle d’un Massilien seul. Tous profitaient de la force d’aspiration du Mecer de tête, dans une configuration en V. Et celui-ci changeait régulièrement pour recouvrer ses forces.

Les Envoyés avaient été prévenus ; ils resteraient au sein de la formation. Jamais ils n’en prendraient la tête.  Il restait grisant de voler ainsi aux côtés des meilleurs. Les Messagers optimisaient le fonctionnement de leurs ailes, offraient un minimum de résistance au vent, orientaient subtilement leurs plumes pour profiter au maximum des courants aériens.

Le soir venu, ils s’arrêtèrent pour bivouaquer. Le Messager Arcal leur avait montré leur itinéraire sur une carte avant de partir.

Si les vents leur étaient favorables, ils auraient trois jours de vol. Rares étaient les Massiliens à voler de nuit. Le danger était trop grand.

Seuls ceux liés à des oiseaux nocturnes se le permettaient, se fiant aux sens de leur Compagnon. Dans le noir presque total, voler en aveugle relevait sinon de la pure folie.

–Assym, Syrcail, Lucas, annonça Arcal. Allez chercher du bois pour le feu. Restez groupés.

–Entendu, Messager, saluèrent les trois jeunes à l’unisson.

Ils disparurent sous les arbres. Pendant plusieurs minutes ils balayèrent le sol en silence, se penchant par intermittence pour ramasser quelques branches.

–Il n’y a pas grand-chose, commenta Syrcail.

–Et il va en falloir une belle quantité pour que ça brûle toute la nuit, ajouta Lucas.

–Quelle taille, à votre avis ? demanda Assym. Je doute que nous trouvions des bûches ici. Et nous n’avons que nos épées.

–Il faudra un peu de petit bois et de mousse sèche pour démarrer le feu, dit Lucas. Nous devrions être capables de trouver des branches d’un bon diamètre. Ça brûle bien, le sapin.

–Comment tu sais tout ça toi ? s’étonna Assym. Tu as déjà fait des excursions ?

–Je me suis déjà perdu oui, marmonna Lucas. J’ai surtout observé faire les autres.

–Je n’ai jamais dormi à la belle étoile, avoua Syrcail tout en continuant à amasser des branches.

–Moi non plus, ajouta Assym avec un sourire complice. On se retrouve donc avec le plus jeune qui a le plus expérience sur le sujet ?

Lucas grimaça.

–Ce n’est pas si agréable que ça, vous verrez. Ne tardons pas, ajouta-t-il en voyant que ses compagnons étaient aussi chargés que lui. Après le bois, nous serons de corvée d’eau.

–Et de vaisselle ensuite ? Génial, compléta Syrcail sans enthousiasme.

Assym éclata de rire.

–Vous croyez que c’est pour ça que les Messagers ont des Envoyés ? Pour s’éviter des corvées ?

–Autant engager un domestique, dit Lucas.

–Il n’y a plus qu’à passer rapidement Émissaire, contra Syrcail, déterminé. Là au moins nous ne serons plus des larbins corvéables à merci.

–Je doute que ça soit si facile, dit pensivement Lucas. Trois Barrettes, donc trois épreuves à passer.

–Et la première est l’Impatience, nota Assym. Rarement accordée avant un an d’apprentissage.

–Parlez pour vous, rétorqua amèrement Lucas. Je n’en verrai pas la couleur avant deux ans, au minimum.

Syrcail posa la main sur son épaule.

–Ça s’arrangera, ne t’inquiète pas.

–Et si on rentrait avant que le soleil se couche ?  Ce serait bien d’éviter une remontrance dès le début de cette mission.

Les trois Envoyés se pressèrent de rentrer au camp. Les deux Émissaires étaient déjà installés, gardant une certaine distance avec les trois Messagers que nota Lucas.

–Vous en avez mis, du temps, commenta le Messager Sulio.

–Mais ils ont ramené tout ce qu’il fallait, dit Daram en examinant leur récolte. Asseyez-vous, je m’occupe de la suite.

Le Messager arrangea le bois, logeant les brindilles au cœur du foyer avant de battre un briquet au-dessus de la mousse. Les étincelles prirent immédiatement, et en quelques minutes une flambée réchauffa le groupe comme la nuit  tombait sur les sommets.

L’Émissaire Irys distribua les tranches de pain et de fromage, ainsi que la viande séchée détaillée en fines lanières. Le groupe mangea en silence.

–Daram, tu prendras le premier tour de garde avec Lucas. Sulio, tu enchaineras avec Assym. Je prendrais le dernier avec Syrcail.

–Rien pour nous ? s’étonna Irys.

–Je ne vous ai pas oubliés, sourit le Messager Arcal. Vous vous occuperez de la nuit prochaine.

Lucas observa ses amis s’allonger pour la nuit. Il avait parfaitement conscience que le Messager Arcal lui avait fait une faveur en lui donnant le premier tour ; il aurait ensuite droit à un bon morceau de nuit ininterrompue.

Le Messager Daram rajouta une brassée de branches dans le feu avant de faire signe au jeune Envoyé. Lucas s’empressa de le rejoindre.

–Garde la chaleur du feu dans ton dos, conseilla Daram. Tu préserveras ta vision nocturne.

–Entendu, Messager, répondit-il avec sérieux.

Daram réprima un sourire. Arcal avait raison ; le jeune garçon était désireux de bien faire. Ses bras entouraient des jambes repliées, son regard balayait l’horizon. Bientôt, lses derniers bruits de conversations moururent, et le seul bruit audible fut pour un temps le crépitement des branches sèches du feu.

Lucas observa le ciel qui s’assombrissait. Les nuages viraient au mauve avant de disparaitre dans les ombres ; puis seules les étoiles furent visibles au travers des rares nuages. La masse sombre des bois s’étendait autour d’eux ; dans le silence, chaque bruit prenait une autre dimension. Lucas percevait les respirations de ses amis, le hululement des oiseaux de nuit en chasse, les déplacements furtifs des animaux en maraude.

–On dirait que tu apprécies cette sortie, chuchota Daram, surprenant le jeune Envoyé.

–J’aime beaucoup, confirma Lucas. C’est apaisant.

–Reste vigilant. Irk me préviendra normalement, mais il faut apprendre à ne pas compter sur les seules de ressources de son Compagnon. C’est en connaissant les bruits ambiants naturels que tu sauras repérer celui qui ne l’est pas et qui trahit la présence d’un ennemi.

Lucas acquiesça. Il savait qu’il se passerait encore longtemps avant qu’on ne lui confie cette seule responsabilité. Il était là pour apprendre, et il comptait bien donner son maximum.

*****

 

 

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Lohiel
Posté le 29/05/2021
Coucou... Bon, "mission de routine" nous dit-on... souvent une manière d’annoncer une catastrophe, dans un roman... on verra 😁
Alors, ta seule description de personnage est très évocatrice, légère (car courte) mais riche en informations : "Sa longue chevelure blonde était soigneusement tressée, et ses ailes étaient d’un vert pâle, indiquant sans faillir son origine"... tu devrais t'en autoriser plus. Quelques coups de pinceau pour aider à la visualisation.
Et je profite de "J’ai surtout observé faire les autres" pour parler du "gras" en écriture. Il y en a très peu chez toi, vraiment... mais en résumé ce sont les mots inutiles semés au premier jet (tout le monde le fait) et qui alourdissent la phrase. Parce que là, tu écrirais "J’ai surtout observé les autres", ce serait absolument la même chose 😉
Bisous 🌺
Notsil
Posté le 30/05/2021
Coucou ^^

Vrai qu'il ne peut pas y avoir grand chose de routinier ou de sans importance dans une histoire :p (et chaque fois que je le lis quelque part je sais que du coup, il va se passer un truc, évidemment, mais peut-on éviter vraiment ce cliché ? ^^).

Les descriptions de personnage, oui je sais que c'est ce qu'il faudrait que je fasse pour tous, pour le moment j'y arrive davantage sur les secondaires/tertiaires en mode "bon on ne va pas passer 3h sur eux alors soyons bref et concis" et je sais qu'il faudrait que je développe ça sur les autres.... mais c'est encore difficile pour moi ^^

Je ne savais pas que ça s'appelait "le gras", mais oui je vois ce que c'est ^^ Et en effet ici un peu de lifting s'impose.

Merci tout plein pour ton retour :)
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