–Pause !
Exténués, les jeunes Envoyés s’écroulèrent au sol dans la cour d’entrainement. Ils étaient plus d’une cinquantaine, divisés en petits groupes.
Chaque fois, deux partenaires s’affrontaient avec des épées en bois, et deux autres regardaient attentivement. À la fin de chaque duel, sous la supervision d’un Mecer plus expérimenté qui les encadraient, ils discutaient des techniques utilisées, de leurs failles et de leurs atouts.
Le rythme était intense ; Lucas et Syrcail échangèrent un sourire complice avant de boire avec avidité à l’outre qui circulait. Ils s’étaient retrouvés avec joie et s’étaient aussitôt narrés leurs entrainements respectifs.
La matinée s’était déjà écoulée. Les Envoyés auraient droit à une pause déjeuner avant de suivre des cours théoriques sur les premiers soins dans l’après-midi.
Plusieurs Messagers étaient en mission, dont Arcal. Des missions considérées comme trop dangereuses pour leurs Envoyés, qui s’entrainaient à l’École en attendant leur retour.
Syrcail se releva le premier, et tendit une main que Lucas saisit avec un soupir. Ils rejoignirent le réfectoire et s’attablèrent avec quelques camarades.
Les plats circulaient, et après quelques minutes de silence, le brouhaha des conversations domina. Lucas n’y prêta qu’une attention distraite. Le réfectoire était toujours empli des rumeurs les plus folles. Quand il les comparait à la réalité que lui décrivait son père, il réalisait que chaque évènement était rapidement amplifié et déformé. Des escarmouches à la frontière entre différents Clans se transformaient en guerre civile ; des Niléens qui protestaient contre leur régime spécial devenaient de dangereux rebelles ; le déplacement du Souverain Dionéris sur Vénéré entrainait la jalousie du Royaume d’Atlantis…
Lucas était ravi de ne pas s’occuper de politique. Pour le coup, il aurait presque plaint son frère Aioros. Tout ce qui concernait la politique de la Fédération était bien trop compliqué à ses yeux. Et après les citoyens de la Fédération venaient se plaindre du sens de l’honneur complexe des Massiliens ? C’était un non-sens total.
–C’est à cause de lui, ça, entendit Lucas.
Les regards qui convergeaient sur sa personne lui firent réaliser qu’il était certainement le « lui » en question.
–De quoi parlez-vous ? s’enquit-il prudemment.
Plongé dans ses réflexions, il n’avait pas suivi les conversations.
–Tu n’es pas au courant ? s’étonna Zuryk. Les Clans des Montagnes du Sud et du Nord se déchirent de nouveau.
–Ah, ça.
Lucas sourit, soulagé.
–C’est traditionnel chez eux. Ils sont toujours à se taper dessus pour des futilités.
–Tu dis ça parce que tu n’es pas de là-bas. C’est une question d’honneur, se renfrogna Zuryk. Tu es mieux placé que personne pour savoir ce qu’il s’est passé il y a douze ans, pourtant, non ?
Zuryk appartenait au Clan des Montagnes du Nord, se rappela Lucas. Il réfléchit, chercha dans sa mémoire l’évènement auquel Zuryk faisait référence, en vain. Douze ans auparavant ? Il n’était même pas né. Son père lui en aurait parlé, si la Seycam avait été impliquée.
–Je ne crois pas, non, énonça lentement Lucas.
–Sérieusement ? s’étonna Zuryk. Alors que c’est ta naissance qui a provoqué tout ce chaos ?
Syrcail posa une main apaisante sur le bras de Lucas qui s’était levé.
–Qu’es-tu en train d’insinuer ? menaça Lucas, tendu.
–Eh bien, ce n’est pas un secret, non ? dit Zuryk en s’assurant de l’approbation des autres Envoyés autour de lui. Elle était des Montagnes du Nord, elle est morte en te mettant au monde et le chef du Clan des Montagnes du Sud a proposé sa sœur et…
Zuryk s’interrompit en voyant que Lucas s’était décomposé, livide.
–Quoi ?
Lucas ne parvint pas à répondre. Sa conversation avec Aioros lui revenait en mémoire, pourtant son esprit refusait se faire le lien entre les deux informations. C’était impossible. Il refusait d’y croire.
Surtout, il avait besoin d’être seul, d’échapper aux regards curieux de ses camarades. Lucas recula, quitta la pièce, courant presque.
Syrcail, inquiet, se leva à son tour.
–J’ai comme l’impression qu’il n’était pas au courant, avança-t-il prudemment.
Zuryk écarquilla les yeux.
–Sérieusement ? Mais… il appartient à la Seycam ! Cette histoire n’est un secret pour personne ici.
–Le sujet reste peu évoqué en présence de la Seycam, releva Victerian.
–Ne le laisse pas seul, ajouta Zuryk.
Syrcail acquiesça.
–Et dis-lui bien que je pensais qu’il savait déjà.
–Je le ferai. C’était un mal pour un bien, Zuryk, le rassura Syrcail. Il méritait de savoir.
Syrcail s’empressa de rejoindre l’extérieur. Il devinait que Lucas aurait besoin de solitude pour assimiler cette nouvelle ; alors il vola vers l’une des quatre tours de surveillance. Chacune était pourvue d’un large brasero, pour être visible même de nuit. Lucas était bien là, accoudé au muret, comme il l’avait deviné.
Syrcail se posa avec précaution à quelques mètres de son ami. Tout dans sa posture indiquait la souffrance ; un chagrin qui toucha Syrcail. Il patienta longtemps, en silence. En contrebas, l’entrainement avait repris et pourtant, nul Émissaire n’était venu leur ordonner de descendre. Zuryk avait dû leur expliquer la situation.
La nuit tomba ; Lucas restait toujours prostré. Il ne réagit pas quand un Émissaire vint allumer le brasero ; Syrcail apprécia la chaleur qui rendrait la fraicheur de la nuit plus supportable. L’Émissaire ne posa aucune question, se contenta du remerciement silencieux de Syrcail avant de repartir. Le jeune Envoyé s’emmitoufla dans ses ailes, le regard fixé sur son ami immobile.
Il ne se souvenait pas s’être endormi ; la main sur son épaule le réveilla pourtant. Lucas se tenait devant lui.
Aux yeux cernés de son ami, Syrcail devina qu’il n’avait pas dormi. Mais s’il n’était pas encore plein d’entrain, il n’était plus abattu comme la veille.
–Si tu veux en parler… commença Syrcail.
–Merci d’être là. Pour le moment… je n’ai rien à dire.
Syrcail eut un pincement au cœur en entendant la douleur dans sa voix. Il serait patient. Lucas finirait bien par se confier, un jour.
–Viens, ça doit être l’heure du petit-déjeuner.
Alors, superbe progression dramatique, la fin est vraiment touchante, avec la "vibration" de cette amitié, qui est très sensible... Syrcail en devient de plus en plus attachant...
...mais je n'ai pas saisi ce que Lucas était censé avoir compris 🤔, sinon que c'est une histoire de mère et de sœur. En fait, les lecteurs sont assez distraits par nature (forcément, s'ils sont là pour "se distraire" 😉) et il faut leur mettre les points sur les I, dans un cas comme ça. J'aurais pu aller tenter de reconstituer l'histoire en retournant à tous les passages concernant ce fameux mystère (oui, il s'est passé du temps, mais des gens qui lisent en pointillé, ça existe aussi) mais ce n'est pas ce que ferait le lecteur de base. Et si tu expliques pour quelqu'un qui a déjà pigé, ce n'est pas grave, il relira et ça lui confirmera sa déduction.
En revanche, j'ai tout à fait cru au fait qu'il soit le "seul à ne pas être au courant", parce que c'est une histoire qui s'est littéralement passée dans ma famille. Et ça a fini exactement de la même manière que dans ton texte, à cause des gamins qui grandissent et finissent par bavarder sans réfléchir. Mais je ne sais pas s'il ne faudrait pas renforcer, parce que comme on dit... la réalité est souvent plus invraisemblable que la fiction. Il faudrait poser la question à plusieurs personnes.
Une étourderie (du genre que je connais) :
un Mecer plus expérimenté qui les encadraient : sujet Mecer, il les "encadrait" donc.
Une répétition sensible :
Lucas était ravi de ne pas s’occuper de politique*. Pour le coup, il aurait presque plaint son frère Aioros. Tout ce qui concernait la politique* de la Fédération était bien trop compliqué à ses yeux.
Cette discipline, l'art de gouverner... il y a masse de synonymes permettant une métaphore... pouvoir, État, affaires publiques, chose publique, choses de l’État, administration publique... plus tout le champ lexical : homme d'état, stratégie, tactique, système, négociateur...
Bisous 🌹
Vrai que je suis restée un peu vague (et que je comprends mieux pourquoi les auteurs qui font des séries re-expliquent toujours les bases à chaque début de tome ^^).
La mère de Lucas est donc morte en lui donnant naissance, et elle était du Clan Montagnes du Nord ; le Clan Montagnes du Sud a proposé que le père de Lucas prenne une nouvelle épouse (issue de leur Clan) et le père a refusé, ce qui a vexé le Clan en question.
Depuis, brouille entre la Seycam et les Montagnes du Sud, et augmentation des tensions entre les Montagnes du Nord (dont été issue l'épouse, et qui soutiennent légitimement le mari veuf qui refuse de se remarier) et les Montagnes du Sud (qui trouvent que le deuil, ça va bien 5 min hein mais faudrait passer à autre chose ensuite, surtout quand on est à la tête du royaume).
Et Lucas, ouais, qui était préservé de tout ça, parce qu'on lui a juste dit que sa mère était morte quand il était petit (ce qui est techniquement pas faux du coup, vu que les ailés ne peuvent pas mentir ^^) et du coup il encaisse mal. Et comme jusque-là il fréquentait aussi peu de gens - et des gens qui savaient et savaient qu'il ne fallait pas en parler - ça doit être logique.
Bon, je note d'accentuer le truc, du coup :)
Merci pour les étourderies, c'est effectivement le truc qui passe tout seul à la trappe, je vais corriger ça. Et la répé, presque 2 phrases à la suite, comment a-t-elle pu m'échapper ? ^^ Je vais voir à reformuler tout ça, vrai qu'il a plein d'autres façons de le dire.
Encore merci pour ton oeil aiguisé, à une prochaine ;)
Bon courage 💖