- Je vais vous dire un mot, vous allez me répondre par un mot qui vous y fait penser.
- Ok.
Je soupire. Cette femme est agaçante avec ses jeux stupides.
- Cerveau ?
- Le Maître.
- Rouge ?
- Sang.
- Gris ?
- Bistouri.
- Noir ?
- Damier.
Ça fait une heure qu’elle est là, alors que j’attends le Maître. Elle me pose plein de questions et me fait faire des « jeux » qui ne sont pas du tout drôles.
- Docteur ?
- Le Maître.
- Homme ?
- Le Maître.
- Père ?
- Le Maître.
Sa main frénétique griffonne des mots obscures sont son carnet, son visage lui, reste impassible.
- Bien. Je vous remercie de votre patience.
Enfin.
Je me redresse un peu, espérant qu’elle ait enfin décidée de libérer la chaise prévue pour le Maître.
- Une dernière petite chose.
Je grince des dents.
- J’aimerais que vous me dessiniez quelque chose.
Elle me tend un bloc-note et une trousse, un sourire horripilant plaqué sur le visage.
- Quoi ?
- N’importe quoi, ce que vous avez envie.
Je saisis un crayon noir et m’immerge dans la vision de la feuille. C’est blanc, trop blanc. J’en ai marre du blanc. J’écrase la mine du crayon et couvre frénétiquement le papier de noir. Un monstre informe se dessine sur la feuille. Alors que le blanc a presque été éradiqué, je me fais la réflexion que ce n’est pas très esthétique. Je jette un œil à la psychologue, en quête d’inspiration. Elle prend des notes, une activité qu’elle semble pratiquer 90% du temps. J’ai bien envie de dessiner le Maître, mais la feuille est trop sombre, maintenant.
Une idée scintille dans ma tête. Je détaille le visage de la dame. Ses joues sont rebondies, ses lèvres étroites mais pulpeuses. Elle a des lunettes ovales et des cheveux bruns un peu désordonnés. Ses yeux en amandes sont surmontés de sourcils finement épilés.
J’attrape un crayon rouge et un blanc Je tente de faire naître une forme dans le tourbillon noirâtre.
- J’ai fini, dis-je, un peu fière.
Je lui brandis le papier sous le nez. La psychologue fronce les sourcils. C’est vrai que je ne dessine pas très bien. Mais je pense qu’elle doit quand même se voir, assise sur la chaise de bois sculptée, les viscères pendantes. J’ai fait un œil qui tombe, en plus. Je lui sers un large sourire. Ses lèvres frémissent, mais à part ça elle ne semble pas réagir. Elle saisit la feuille.
- Merci beaucoup, nous avons fini.
Elle range son matériel dans sa mallette.
- Je serai présente, tout à l’heure, pour la venue de votre famille.
Je fronce les sourcils, serre les poings. J’espère que le Maître va chasser cette femme. Ou mieux, la tuer. Ça, ce serait bien.
Je suis soulagée de retrouver la solitude de ma chambre. Le Maître doit venir après le déjeuner. Même si ce n’est qu’un rêve, j’ai hâte.
L’espace d’un instant, j’ai l’impression qu’elle ricane, mais je choisis de l’ignorer.
~
On toque à la porte, je bondis presque de mon lit. Mon cou me tiraille, mais j’ignore la douleur.
- Entrez !
Mon enthousiasme est soufflé par l’apparition de Séléné. Elle me fait un sourire que je ne lui rend pas. Comment le Maître peut-il être en compagnie de cette affreuse femme ? Je tends le cou, tentant de l’apercevoir derrière elle. Il est grand, je devrais le voir.
La psychologue pénètre dans la pièce à son tour, je grince des dents. Je vois le couloir, mais je ne vois pas le Maître. Une angoisse sourde s’infiltre dans mes pensées.
Un homme en fauteuil roulant d’une soixantaine d’années s’impose au milieu de mon champ de vision. Ses yeux bruns volent vers les miens, un sourire mêlé de larmes jaillit sur son visage, chassant ses rides et ses cernes.
- Erika… souffle-t-il.
Je me hérisse. Furieuse, je me tourne vers Séléné.
- Où est le Maître ? aboyé-je.
Elle a un mouvement de recul.
- Pardon ?
- Vous avez dit que je verrai ma famille. Ça, c’est pas ma famille. Où est le Maître ?
Séléné jette un regard anxieux vers le vieil homme dont l’expression de joie s’est dissoute.
- Sébas… Scipio ne viendra pas. C’est eux, ta famille. C’est ton père, Erika.
- Arrêtez de m’appeler Erika !
Je me replis dans mon lit, foudroyant le paraplégique tremblant du regard. Je feule.
- Mon père, c’est le Maître, alors allez-vous en !
Elle s’agite en moi, malgré la barrette, je la sens émerger doucement.
- Erika… bégaie l’intrus, les joues baignées de larmes.
- Dégage !
Le monde s’écroule dans ses yeux, ses rides sont agités de soubresauts.
Je siffle, défiant quiconque de m’approcher.
- Erik…
- DÉGAGE !
Il semble soudain s’effondrer sur lui-même. Il se tait, le corps tendu et les iris brisées.
- Eri, arrête ! s’exclame une voix claire.
Une personne que je n’avais pas vu déboule entre moi et le vieil usurpateur. Ses cheveux roux, coupés courts, volent comme ses prunelles embuées de larmes et de détermination.
- Eri, ça ne va pas de dire ça ? fait-elle, la voix chevrotante malgré la fermeté de son regard.
Je la fixe, immobile. Elle glisse jusqu’à ma conscience pour me chuchoter un nom.
Amélie…
- A… mélie…
La jeune femme vacille, l’espoir s’empare de ses yeux. Elle s’approche doucement, les doigts frémissants.
- Eri ?
Eri.
ERI.
Je la vois, elle est auprès de moi depuis toujours. Elle me le chuchote quand je me réveille et quand je m’endors. Le crie parfois, rit dans ce nom. On a été partout. Je vois son visage dans la ville, ses rues familières. Dans la campagne lumineuse, dans des lieux étrangers, parfois dangereux. Je vois ses yeux soûls alors qu’elle dodeline de la tête, entourée de gens qui dansent. Elle m’appelait comme ça, ça a toujours été ainsi. Bien avant l’accident. Bien avant le Maître. Et dans sa bouche, ce mot se pare de tant. D tant de tendresse, de joie, d’espoir. D’amour. Il y a dans ce mot qu’elle prononce bien plus que dans ce que le Maître susurre.
Mon cœur galope, mon esprit divague dans les souvenirs. J’ai perdu l’équilibre, je me retiens à peine. Je chavire, je tombe. Que la chute est douce.
Je suis Eri.
Je suis Eri.
Un sourire se fraye un chemin sur mes lèvres auréolées de larmes.
- Amélie ! Papa !
Ces mots sont du miel sur ma langue râpeuse. Mes bras entourent autant qu’ils sont entourés. Je ne distingue rien sinon la chaleur. La chaleur et les souvenirs.
Elle est là, à mes côtés. Plus encore, elle est avec moi.
Nous sommes Eri.
- Tu n’as pas le droit !
Je serre les poings, lui faisant face. Je me sens lasse, mais je dois lutter, sinon elle va prendre l’ascendant sur moi.
- Calme-toi, petite.
Je grince des dents et m’approche. J’ai envie de l’étrangler. Mais je sais qu’elle me repousserait sans mal.
Je sens des larmes brûlantes me cisailler les joues.
- Ce n’est pas juste…
Mon torse set secoué d’un sanglot.
- Je ne veux pas perdre le Maître.
Elle se glisse jusqu’à moi. Elle est si belle. Sa peau est rosée, son visage harmonieux, ses cheveux longs qui forment de larges arabesques et ses vêtements couverts de fleurs. Une lueur éclaire ses iris d’un brun velouté.
Je sens une de ses mains se poser sur mon épaule, aussi légère qu’un souffle d’air. Je sursaute, recule, mais elle ne m’attaque pas.
- Eri, ne me repousse pas, murmure-t-elle. Nous ne sommes pas ennemies. Nous devons ne faire qu’un.
Tremblante, je tente de mettre de la fermeté dans mon regard.
- Je ne ferai jamais un avec toi !
Elle a un sourire tendre qui me parait pourtant glacial.
- Il le faut. Rappelle-toi, nous sommes Eri.
Je frémis, cette formule résonne en moi. Elle m’ouvre ses bras.
- Je ferai tout pour qu’on puisse revoir le Maître, je te le promets.
Je relève la tête.
- C’est… c’est vrai ?
- Mais oui, tu sais bien que je ne peux pas te mentir.
- Mais… tu lui veux du mal.
Elle baisse légèrement la tête.
- Il… est bien plus qu’un ennemi pour moi, tu sais.
Elle laisse choir un silence entre nous.
- On va être séparées du Maître de toute manière. Il va probablement passer une bonne trentaine d’années en prison, il y a des chances qu’il y meure.
Je me hérisse.
- Dis pas ça ! m’écrié-je d’une vois brisée.
- Écoute, ce que je voulais te proposer, c’est que tu sois auprès du Maître pour toujours.
Je fronce les sourcils.
- Comment ça ?
- Je ne sais pas encore, mais je vais y réfléchir. Je ferai tout pour que ça se réalise… non, ça se réalisera. Tu seras auprès du Maître pour toujours, et je l’empêcherai de rester en prison.
Son regard irradie la détermination et la vérité.
- Tu me le jure ?
- Je te le jure, Eri.
J’hésite, recule un peu, baisse la tête. Mes yeux survolent le damier sous mes pieds.
- D’a… d’accord. Je vais te laisser les commandes. Mais tu n’as pas intérêt à échouer, sinon je te tuerai.
- Compte sur moi.
Cette fois elle a un vrai sourire, un sourire franc. Elle me prend dans ses bras.
- Merci, souffle-t-elle.
Je ne la repousse pas et lui rend timidement son étreinte. Je suis contente, finalement qu’on ait trouvé un terrain d’entente. Elle me relâche, je vais m’asseoir sur la chaise bois sculptée sur laquelle je suis née. Je ferme les yeux et me laisse glisser.
En face de moi, elle grandit jusqu’à occuper tout l’espace. Je m’immerge, elle jaillit. Je réfrène ma peur et ferme les yeux.
Le néant m’engloutit, elle gagne la lumière.
Pas grand chose à dire cette fois-ci, on ne peut pas être inspiré à chaque fois!^^
« des mots obscures sont son carnet » -> sur
« des mots obscures sont son carnet, son visage lui, reste impassible. » -> j’aurais pensé à une autre ponctuation, plus naturelle, du style : « des mots obscures sont son carnet. Son visage, lui, reste impassible. »
« qu’elle ait enfin décidée » -> décidé
« un blanc Je tente » -> il manque pas un point ?
« je ne lui rend pas. » -> rends
« D tant de tendresse, » -> il manque un « e »
« Mon torse set secoué »
« Je ne la repousse pas et lui rend » -> rends
« sur la chaise bois » -> sur la chaise EN bois ?
A vite !
Merci beaucoup pour ton passage !
- Le crie (cri) parfois, rit dans ce nom
- D (de) tant de tendresse
- Mon torse set (est ?) secoué d’un sanglot.
Je note our cet aspect soudain, c'est léger mais c'est à compter !
Ce marché à la Faust ?
Merci encore !
"Enfin" plein de chose : enfin j'ai du temps pour lire la suite de ce roman, enfin il y a la suite et enfin une avancée importante dans l'histoire !
Non pas que ça n'avance pas d'habitude mais là c'est carrément autre chose !
Petite remarque, la phrase ci-dessous est bien étrange... Aussi étrange que le Maître et Eri...
"Et dans sa bouche, ce mot se pare de tant. D tant de tendresse, de joie, d’espoir."
Ah, effectivement j'ai oublié un e ^^
Le papa, putain j'ai failli pleurer T.T tellement triste quand elle lui crie dessus qu'elle veut le maitre T____________________T heureusement qu'après elle se réveille, c'était tellement émouvant putain
j'ai beaucoup aimé le passage avec la psy, et comment tous les mots lui font penser au maitre ! le dessin, j'ai eu la chair de poule brrrrr.
Je ne suis pas du tout rassurée par la suite ! quel drôle de pacte elles ont fait ! Erika veut vraiment rejoindre Scipio ? Est-ce qu'elle veut dire dans la mort, et donc se tuer ? Est ce que c'était des paroles en l'air ? (je suis sure que non). Très étrange, et pas du tout rassurant.
Aussi, j'ai été confusionnée par la phrase "Elle est si belle". J'ai cru qu'elle parlait de sa mère et ça m'a embrouillé, en fait elle parlait d'Erika, l'italique aurait du me faire comprendre, mais j'ai pas penser que Eri pouvait penser que Erika était belle... tu peux laisser comme ça je pense, je ne vois pas comment clarifier plus, parce que en meme temps c'est une belle idée.
Quoi ? Juste failli ? Je voulais tu te mettes en PLS moi XD (c't'une blague hein)
Aaaaah mais j'ai envie de te répondreeeeeee JEDISRIEN
D'ailleurs, cette histoire de mots pour l'examen de la psy, c'est grâce à toi comme t'as confondu avec l'IRM du dernier chapitre. À la base elle lui faisait deviner des trucs dans des taches d'encre, mais je trouvais ça beaucoup trop cliché
XD Sa mère... sa mère :'( Tu verras dans le prochain chapitre ce qu'il en est de sa mère
Bon, comme je vais reprendre DE très vite, je vais poster les chaps de la barrette super vite, du coup te sens pas surchargée XD