Erkhän n’avait laissé aucun répit à son escorte. À l’abri du luxe de son carrosse, il avait ordonné à sa garde de ne faire escale sous aucun prétexte, aussi fut-il agacé lorsque celui-ci s’immobilisa. Ses longs doigts se mirent à tapoter la banquette d’un mouvement frénétique, un peu plus contrarié à chaque seconde que cet arrêt lui faisait perdre dans son voyage vers Sectra. Quand au bout de quelques minutes il devint évident que le convoi ne reprendrait pas la route, il se leva brusquement et sortit en trombe, manquant de renverser l’un des serviteurs qui s’apprêtait à lui ouvrir. Il les dévisagea d’un air sombre avant de reporter son attention sur le jeune page qui arrivait en courant.
— Monseigneur ! S’inclina celui-ci en reprenant son souffle.
Malheureusement pour le page, cette appellation eut le don d’irriter un peu plus le futur prince. Bientôt, tu m’appelleras altesse, songea Erkhän en le foudroyant de ses yeux d’acier.
— Pourquoi sommes-nous à l’arrêt ? gronda-t-il. Avez-vous eu la prétention de croire que mes ordres pouvaient être considérés comme facultatifs ?
Le page se tassa un peu plus sur lui-même, évitant soigneusement de croiser le regard de son maître.
— Vos ordres étaient parfaitement clairs, monseigneur. Seulement, nous faisons route depuis l’aube et la nuit est tombée depuis plusieurs heures déjà.
Erkhän se redressa et remarqua enfin l’environnement qui l’entourait. Le ciel était d’un noir d’encre, sans lune ni étoiles. Il n’avait pas vu le temps passer, certainement parce qu’il avait dormi une bonne partie de la journée. Même les Feuilles Pourpres, plus au sud, s’étaient abîmées dans les ténèbres, masquant provisoirement la frontière entre son royaume et celui de Carreau. Autour de lui, son escorte n’était visible que grâce aux nombreuses torches allumées par ses hommes. La neige tombait maintenant en de lourds flocons et lorsqu’il regarda vers le sol, il remarqua qu’une vingtaine de centimètres s’accumulait déjà sur la piste. Un sourire flotta sur son visage, le temps n’avait pas l’air de s’améliorer et bientôt leurs traces seraient entièrement recouvertes. Il était impensable que son rival prenne le risque de prendre la route dans de telles conditions.
— Bien. Faites le nécessaire pour que nous reprenions la route le plus tôt possible, et avant les premières lueurs du jour. Je n’admettrai aucun retard, ordonna-t-il sans se départir de son ton glacial.
— Tout sera fait selon votre plaisir, monseigneur.
Erkhän le transperça du regard, comme pour le dissuader de contrevenir à son ordre.
— Maintenant, dis-moi. Où sommes-nous ?
— Nous sommes à la périphérie de Vornatus, monseigneur.
— Avons-nous croisé des bûchers ?
— Aucun, monseigneur.
Sur un simple geste de la part de son maître, le jeune page s’inclina et s’éloigna aussitôt. Erkhän mit pied à terre et fit quelques pas pour se dégourdir les jambes. Ils avaient fait plus de route que ce qu’il avait estimé, pensa-t-il avec une intense satisfaction. Les bûchers qui annonçaient à tout le royaume la mort d’un membre royal n’avaient pas non plus été allumés. Décidément, tout se déroulait pour le mieux. Erkhän tourna ses yeux vers le ciel, même le temps était avec lui. Il avait hâte de reprendre la route vers le nord et d’arriver à la capitale avant son bâtard de demi-frère, dont il n’arrivait pas à se résoudre à évoquer le nom. Ça aurait été bien trop de considération pour un tel homme. Le jeune Duc se voyait à la droite du roi, se délectant de la mine déconfite de son rival qui arriverait forcément trop tard. Après tout, le royaume n’avait besoin que d’un seul héritier.
— Dors encore un peu, mon frère, murmura Erkhän dans la nuit, et lorsque tu te réveilleras, guette-moi prendre le trône qui me revient de droit, tandis que tu seras bloqué sous la neige de Vornatus.
Ses paroles se perdirent parmi les tourbillons de flocons, mais une joie malsaine resta un moment sur son beau visage. Rien n’aurait pu effacer le sourire triomphant qui illuminait ses traits lorsqu’il retrouva le confort de son luxueux carrosse. Peut-être un détail, aussi insignifiant soit-il, aurait pu gâcher le sommeil paisible qui l’étreignit cette nuit-là. Un minuscule détail flamboyant, au loin, caché par un mur de neige.
Autant de personnages pourraient emmêler les pinceaux du lecteur si l’histoire était un peu bancale mais ce n’est pas du tout ton cas, tu arrives à nous donner une très bonne compréhension d’ensemble, bien joué !
Je suis ravie que ce ne soit pas le cas, j'avais un peu peur qu'on s'embrouille d'un personnage à l'autre, surtout avec seulement un chapitre par semaine ! Merci :)
Tous tes commentaires me font très plaisir, merci de prendre le temps de lire mon histoire =D
Plus qu'à attendre le prochain chapitre maintenant :')
Oui celui-ci est un peu court, il compense avec le précédent sur Annyaëlle qui était mon plus long pour le moment ! Mais ne t'inquiète pas, ce ne sont que les premiers qui sont si courts, le temps de présenter les personnages !